La neige tombe. C'est Dieu qui pleure l'histoire du monde. — Enfant sage, aucun problème sauf à la maison. Maison avilie, dans un village appauvri. Village qui comptait plus de moutons que d’habitants. Village dont personne n’en sortait, dont personne n’avait rien à foutre. Même lui ne se rappelle plus du nom. Johnny avait d’autres préoccupations, à l'époque. Sa mère. Il n’était qu’un gamin. Négligé. Mais pas capricieux. Sage, jovial, malgré la misère qui tenait en laisse sa famille entière. Famille de péquenots, tous des cambroussards. Son père est un connard absent. Sa mère est une menteuse. Mais Johnny avait une panne au cœur parce que sa mère ne voulait jamais lui parler de son géniteur. Pourtant, elle pensait souvent à lui. Mais elle refusait à Johnny tout, même son nom. Alors, Johnny fermait les yeux, plaçait ses mains devant son visage, priait en secret pour voir un jour son père. Il croyait en Dieu. Il croyait que Dieu pouvait aider sa mère. En un sens, il l’a aidée. Maman avait trouvé un nouveau compagnon. Malik, qu’il s’appelait. Johnny était méfiant mais à quatre ans, tout ce qu’il réclamait était une présence paternelle. Alors même s’il était beaucoup plus pâle que le nouvel ami de sa mère, Joe l’a rapidement accepté dans sa vie. Malik les avait aidés à déménager à Londres. Ils étaient toujours aussi pauvres et même si Joe continuait à prier, les prières ne remplissaient pas les poches de la famille. Mais Johnny n’était qu’un gamin. Stupide gamin qui croyait dur comme fer que les choses s’arrangeraient. Avec le temps. Foutaises. Le temps filait, les années s’égrenaient et Dieu était toujours un connard. Mais… Dieu lui a fait un cadeau. Comme pour se faire pardonner. Pardonner de quoi ? Il ne savait pas, il ne savait plus, il savait juste qu’il aimait sa sœur à en crever. Son cadeau. Qu’il aimait, chérissait. À la folie, un peu trop peut-être, il lui a fait la promesse de la protéger envers et contre tout. Jazmine était jolie, elle avait le regard pétillant, les yeux couleur noisette, une bouche en cœur. Jazmine avait quatre ans de moins que lui alors Joe prenait son rôle de grand-frère très à cœur. «
Qu’est-ce ? » demanda son beau-père, en posant sa main sur son épaule. Johnny se tourne au ralenti, pris en flagrant délit, les joues rosées. «
Euh… un cadeau. Pour Jaz, répondit-il en tendant le petit chaton vers le visage amusé de Malik.
Il s’appelle Dieu. » «
Mais Jazmine n’est qu’un bébé encore, elle pourra jouer avec le chaton que dans quelques années… » Joe acquiesça, les sourcils froncés. «
Alors je m’en occuperai le temps qu’elle grandisse ! » Et Dieu resta avec eux.
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Il y avait un lieu paisible, presque mystique, un lieu de sourires et de rires. Pour Johnny, la cabane de son beau-père Malik était un lieu sacré, il déposait à l’entrée ses chaussures crasseuses ainsi que tous les problèmes qui le préoccupaient pour s’y réfugier lorsque sa mère l’importunait. Il était rarement seul dans ce lieu, sa meilleure amie Hazel était son acolyte d’infortune et d’aventures qui avaient tant bercé leur enfance. Un jour, ils volèrent des pots de confiture aux framboises et semèrent ensemble les adultes pour se réfugier dans la cabane. À cause de l’exiguïté de la cabane, ils s’agenouillèrent par habitude dans leur sanctuaire. Le rire communicatif d’Hazel était le seul son que Johnny voulait entendre même si elle tentait de faire le moins de bruit possible. Pourtant, personne ne les surprit dans leur cachette, ils étaient dans une bulle. «
Au nom de la Game Boy Pocket, commença Hazel sur un ton voulu solennel en déposant la console et les confitures entre eux deux,
je déclare ouverte la cinquième réunion des… Eh oh, Joe ? » «
Tu veux bien me raconter plutôt une histoire ? C’est quoi la mort ? » demanda-t-il après avoir ouvert le pot de confiture. Alors, Hazel l’attira près d’elle, passant un bras autour de ses épaules. La brune afficha un sourire édenté, ayant perdu la plupart de ses dents la semaine dernière mais ce sujet-là, elle le connaissait sur le bout des doigts. Ou faisait semblant de le connaître. Elle fit craquer son cou et alluma la lampe-torche pour les mettre tous les deux dans une ambiance macabre. Les petits bruissements qu’elle fit également exprès donnaient à Johnny la chair de poule. Mais il ne laissait rien paraître, après tout, il n’avait
pas le droit d’être plus effrayé qu’une fille. «
La Mort… c’est pas très joyeux. Quelqu’un m’a dit que la mort, c’est perdre son âme ou sa rame, je sais plus très bien. Parce qu’en perdant ta rame, tu ne peux plus naviguer avec les autres, tu vois ? Mourir, c’est perdre ta rame, Joe. Mais t’inquiète pas, les enfants, ça ne meurt pas très bien… On est immortels comme des super-héros ! » En terminant son récit, elle tourna son visage vers Johnny, guettant une réaction sur son récit mais au même moment, Johnny renversa le pot de confiture sur son crâne.
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Les miaulements de Dieu le réveillèrent en pleine nuit et instinctivement, Johnny posa sa main sur le côté gauche de son lit : vide. Les sourcils froncés, le gamin de huit ans enfila rapidement son pantalon et dévala les escaliers. Son beau-père ronflait tellement fort que personne n’entendit les bruits qu’il faisait. Johnny espérait surtout ne pas avoir réveillé Jazmine. Mais il était préoccupé par l’absence de Cash à ses côtés, il ne l’avait même pas prévenu d’un éventuel départ… Sauf que John savait très bien où son ami s’était rendu. Mine de rien, depuis bientôt deux ans que Hazel et Johnny le côtoyaient, ils avaient l’impression de l’avoir toujours connu, de ne former qu’un tous les trois. Et quand l’un allait mal, les deux autres n’avaient pas non plus le moral. Depuis hier, le parrain de Cash avait été hospitalisé à cause d’une mission dangereuse et son état critique avait démoli l’optimiste habituel du gamin. Et John savait très bien à quel point Cash était attaché à son parrain… comme lui était attaché à son beau-père. En contournant la petite cour de la maison, John tomba finalement sur Cash près des grilles, immobile. Le gamin avala les quelques mètres qui les séparaient et posa une main sur l’épaule de son double. «
Cash… viens. » Celui-ci se retourna doucement et Johnny remarqua les tremblements de tout son corps. Son ami était en piteux état et Johnny n’hésita pas une seconde à l’attirer contre lui. Après tout, il n’était pas très doué avec les mots, les gestes parlaient pour lui. Si les câlins étaient un « truc de filles », pour eux, même s’ils étaient rares, ils valaient tous les mots du monde. «
Je vais bien, James peut crever, je m'en fous. » Et si ses mots semblaient durs, Cash s’accrochait à John comme à une bouée de secours, et ils restèrent enlacés de longues secondes avant d’être interrompus par les miaulements de Dieu. Mais Joe savait mieux que quiconque que Cash souffrait de cette situation, que ses mots étaient en opposition totale face à ses maux. «
Viens, on va rentrer. » Son bras toujours sur les épaules de Cash, Johnny l’entraîna dans la maison, suivis rapidement par Dieu. «
Dors avec Dieu ce soir, il exauce toutes les prières, ajouta-t-il, avec un sourire mi-figue mi-raisin. «
Ça va s’arranger, ça va s’arranger… »
Pas de licorne dans ma vie. Sauf celles qui vont avec l'acide. À l'aube. Au feu. Au fond. Du cendrier. — La réalité un peu trouble l’engloutit, l’empêchant de dire réellement dans quelle direction il avait ordonné à ses yeux de regarder. La fumée l‘engloba de tout son être, des faisceaux lumineux apparaissaient dans son champ de vision et il crut… déceler une lueur argentée sur la lampe. Il ne savait pas, il ne savait pas ce qui l’attirait subitement mais c’était merveilleux. Zut, il venait de mettre de la cendre sur son clavier. Il avait conscience d’en avoir mis mais il continuait à regarder sa lampe. Les beats violents de la musique se répercutèrent à ses oreilles, rythmant les images psychédéliques qui peuplaient dans son esprit. Une autre taffe, peut-être la dernière, qui encrassait ses poumons comme à l’accoutumée. Pas d’images colorées, simplement des nuances de gris. Ce n’était qu’un joint quotidien, rien d’inquiétant.
Et puis il se mit à rire, sans aucune raison. La lampe, face à lui, son joint en place entre ses doigts, il rit. Les péripéties habituelles d’un junkie en manque. La fumée expulsée, le regard voilé, il crut même voir son reflet sur l’écran derrière la lampe. Il inspira un coup et souffla sur sa treizième bougie. La fumée se dissipa rapidement, dévoilant un cupcake raté mais Johnny n’avait pas faim. Il se leva et brancha sa guitare pour jouer quelques morceaux.
L’insouciance de l’enfance, les rêveries presque innocentes avaient laissé la place à l’amertume d’une soirée d’anniversaire en solitaire. Sa famille était en vacances en Algérie. Et dans ses moments de solitude, Johnny avait, en guise de compagnie, qu’un joint.
J'ai fait de mes inspections autant d'addictions qui me raclent l'os. L'alcool. Ça noie. La drogue, douce, dure, molle, colorée, tripante, flippante, séchante, tuante. — En cognant du pied un caillou sur son chemin, il s’arrêta une seconde pour contempler la bâtisse : toujours aussi petite. Mais étrangement, la maison vieillotte de ses parents irradiait de joie, elle était réellement chaleureuse. Johnny n’eut pas besoin de sonner, il poussa la porte en se baissant légèrement à cause de sa grande taille. Il tomba sur un petit garçon aux yeux marron, portant ses vieux tee-shirts. «
Joe ! » L’enfant lui sauta dessus et l’encercla de ses petits bras. «
Tu m’avais manqué, grand-frère. » Ledit grand-frère lui ébouriffa les cheveux hirsutes comme il avait l’habitude de le faire mais le souleva également pour le glisser sur ses épaules. «
Elle est où maman ? » Le gamin haussa des épaules, plus intéressé par sa sucette que par la conversation. Johnny avança dans la maisonnée à la recherche de sa mère, son petit-frère toujours perché là-haut. Il la trouva dans le jardin, occupée à arroser les Dahlia. «
Alors c’est comme ça que tu accueilles ton fils aîné ? » L’instant d’après, sa mère se retourna, la main sur le cœur, complètement effarée mais également heureuse de le trouver là. En quelques enjambées, elle se posta face à lui et arracha son petit garçon pour prendre Johnny dans ses bras – Joe fut obligé de se baisser pour qu’elle puisse encercler son cou, tant sa mère était petite. «
Jafar, tu aurais pu me prévenir que Johnny était là ! » disputa-t-elle le gamin à la sucette qui haussa des épaules et alla s’asseoir sur l’herbe. Mais l’attention maternelle se porta à nouveau sur Johnny, dont le sourire ne quittait plus son visage tellement il était heureux de revoir les siens. Deux mois qu’il ne les avait pas vus, deux longs mois. «
Dis-donc, t’as encore pris quelques centimètres, non ? » «
Un peu… Elle est où ? » Cette question lui taraudait l’esprit depuis la fin de la tournée, il ne pensait qu’à
elle. La matriarche, toujours souriante, le guida à l’intérieur de la maison –
sa maison, puisqu’il y avait vécu durant de longues années. «
Elle est avec Malik, à l’étage. En ce moment, il n’arrête pas de lui acheter de nouveaux jouets, je crois qu’il prend son rôle de grand-père vraiment trop à cœur. » Le sourire de Johnny s’agrandit lorsqu’ils arrivèrent à l’étage, dans une chambre pour enfant où Malik lisait un livre à une petite blonde. Dès que le regard bleuté d’Azalea croisa le sien, le cœur de Johnny rata un battement. Et quand Johnny la prit dans ses bras, il se répéta inlassablement qu’en fin de compte, pour les beaux yeux d’Azalea, il était capable de faire n’importe quoi. Même d'arrêter la drogue, de mettre fin à tous ses vices, d'arrêter les conneries.
Depuis trois ans que le groupe
Gaslight était célèbre, il était de plus en plus difficile pour Johnny de trouver du temps et s’occuper de la petite blonde ; mais son cœur se déchirait en lambeaux dès qu’il était obligé de s’en séparer. L'important à ses yeux, c'est qu'il n'était plus une épave et qu'Azalea le considérait comme un héros.