At the beginning
« Allez, Emily, dis moi tout. Tu sais qu’ici, ça ne reste qu’entre toi et moi. »Et je relève un petit sourcil, moqueur. Je n’ai pas l’habitude de défier les gens, mais mes prunelles azurs fixent cet homme avec méfiance et dédain. Lui c’est le docteur Edward Cleaton Perry. Un psychologue de renom, il parait.
« Pas vraiment, il y a Gérald qui nous observe. »Et je désigne le poisson rouge qui fait le tour de son bocal juste derrière cet inconnu que mon père paie pour ma thérapie. De l’argent gâché, c’est toujours ce que j’ai pensé. Je l’entends soupirer, il est habitué à ce que je me braque dès qu’il tente de me pousser à me confier. Voilà des années que je viens ici, et je n’ai pas changé, il a rarement réussi à me faire lâcher quelque chose, mais selon lui, continuer les séances c’est important, alors je viens, parce que même si je ne l’avouerai pas, au fond, parfois, je lâche quelques bribes, et ça me soulage.
Ceci est un extrait du journal intime d’Emily Melody NorburyJe n’ai jamais su comment m’adresser à toi. C’est drôle, j’ai l’impression qu’au fond on se ressemble plus que ce que je veux l’admettre. Toutes ses choses que j’écris dans ce journal, depuis toutes ses années. J’aimerai tellement avoir le courage de te les dire papa. Mais je suis différente de toi sur ce point. Je ne suis pas une héroïne de guerre. J’ai peur papa. J’ai peur de tout, de rien. J’ai peur que tu m’abandonnes, comme maman. J’ai peur que tu restes avec moi par dépit. Je sais que tu m’aimes, je le sens, je le vois. Mais quelque chose m’alarme, et je ne l’explique pas. J’ai l’impression que tu me caches des choses. J’ai l’impression que tu n’es pas mon vrai père, que la vérité n’ose pas éclater. J’ai besoin de savoir, je veux savoir, mais je n’ai pas le cran de te demander.
Que voulez vous savoir sur moi ? Je ne suis pas certaine que ce soit un sujet très passionnant. Je peux vous dire que je suis née le jour d’Halloween. Mon père était militaire à l’époque, et par miracle il a réussit à prendre un congé pour voir ce jour fabuleux où j’ai quitté le ventre de ma mère. Je pourrais vous dire aussi, qu’il n’était pas souvent là les premières années de ma vie, jusqu’à mes neuf ans même. Le travail, l’armée m’a privé de lui très longtemps, mais je me souviens toujours de la joie que j’éprouvais quand il venait retrouver maman et moi.
Je pourrais aussi vous dire que j’ai aperçu un homme à la maison. Un homme qui n’était pas papa. Un homme qui soupirait des mots d’amour dans l’oreille de ma mère, qui l’embrassait dans le cou, et qui l’entrainait dans sa chambre. J’étais peut être jeune, mais je n’étais pas stupide. Elle m’a fait juré de ne rien dire, mais je l’ai dis, j’ai tout révélé à papa, et j’ai regretté. Je pourrais vous raconter à quel point j’ai eu peur que mon père meurt en Irak quand il est rentré blesser, à quel point le voir boiter aujourd’hui me retourne le cœur.
Ils ont divorcés, je me souviens à quel point mon cœur s’est brisé quand maman nous a abandonné, quand elle est partie et ne m’a plus jamais revu, plus jamais adressé un mot, pas même une petite carte pour mon anniversaire.
Je suis capable de vous dire que mon père est devenu mon pilier, que le départ de maman nous a blessé tous les deux, mais nous a aussi permis de nous rapprocher. On a trouvé le réconfort dans les chevaux, papa a ouvert son propre haras, et j’ai oublié ma peine en l’aidant, en montant. Jusqu’à ce que j’ai mon cheval à moi, une douce jument, Artemis.
Je peux rajouter que j’ai suivi mes études avec brio, que je fais tout pour rendre mon père fier. Je vois bien qu’il a souffert à cause de ma mère, et même si il ne l’admet pas ou qu’on en parle jamais, même si je sais qu’ils n’étaient pas amoureux, cela reste une trahison, et j’ai horreur de ça.
Je pourrais vous raconter que je suis une jeune fille de 16 ans banale. Je suis déjà sortie avec quelques garçons, mais je n’ai jamais été très loin. Je suis toujours vierge, je considère ça trop important pour me livrer sans être sûre que c’est la bonne personne. Sur ce point d’ailleurs, je me sens troublée. Mon regard s’absente parfois plus sur les autres filles que sur le sexe opposé, et je ne sais pas si c’est normal ou non. Mes lèvres se mordent quand j’admire les courbes de mes camarades, et je n’ose en parler à personne. Comment mon père pourrait me comprendre, après tout ? S’il est mon père, déjà.