Underground madness

Et comme souvent, Janis était en retard. Elle avait vu trop large, finalement cinq minutes n'avaient pas été suffisantes pour lui laisser le temps de s'habiller, se préparer, manger et se laver les dents. En regardant l'heure déjà trop avancée, la jeune femme haussa les épaules, se munit de son sac et sortit sans se presser de chez elle. Elle devait simplement se rendre à un rendez-vous banal et était convaincue que peut importait l'heure à laquelle elle arriverait, elle aurait encore de longues minutes à attendre. Le froid matinal la fit frissonner et la poussa à marcher plus vite pour se réchauffer. Janis termina son trajet au pas de course tout en culpabilisant de ne pas s'être dépêchée plus tôt. Cela n'était pas respectueux. Elle ressortit trois quarts-d'heure plus tard et un coup d’œil vers son vieux portable lui indiqua qu'il n'était que neuf heures. Elle avait encore trois heures devant elle avant d'aller travailler. Trois heures à tuer. Maintenant qu'elle était dehors, Janis n'eut aucune envie de rebrousser chemin pour rentrer chez elle. Une idée lui traversa soudain l'esprit. Quelques jours auparavant, elle avait entendu parler d'un tunnel où les graffitis étaient autorisés, naturellement sa curiosité la poussa à y aller ce matin là. Elle avait largement le temps, néanmoins elle fut dans l'obligation de prendre les transports en commun puisque ce fameux tunnel, le Leake Street Tunnel se situait au cœur de la capitale. Janis n'aimait pas particulièrement les transports de ce genre, elle préférait marcher ce qui était non seulement une activité plus saine pour elle qui ne faisait pas de sport mais surtout beaucoup plus agréable. De plus elle se sentait toujours mal à l'aise dans ces espaces réduits où les regards parfois trop appuyés des gens sur elle lui donnaient envie de s'enfuir à toute vitesse.  D'un autre coté elle ne pouvait pas tout à fait se plaindre, en se teignant les cheveux elle avait voulu accrocher le regard, cependant il y avait des limites. Étonnamment personne n'a vraiment l'air bienveillant dans le métro. Heureusement sa station arriva vite et Janis ne se fit pas prier pour sortir de cet endroit au plus vite. Elle se sentit immédiatement mieux lorsqu'elle fut de nouveau exposée la lumière du jour.

Elle trouva sans mal l'entrée du Leake Street Tunnel, elle l'avait par coïncidence cherché sur le plan la veille et se surprit de sa bonne mémoire. Lorsque Janis Kipling pénétra dans le tunnel elle eut la sensation d'entrer dans une folle galerie d'art. Les graffitis recouvraient absolument tout. Elle avait envie d'y apporter sa touche personnelle et se nota mentalement de parler de cet étonnant endroit à ses frères. Elle eut également la bonne surprise de constater qu'elle était pratiquement seule. Elle repéra un chien à quelques mètres d'elle et un large sourire illumina son visage. Elle était aussi contente qu'un enfant. « Bonjour toi ! » lui lança-t-elle d'une voix enjouée avant de se rendre compte que sa propriétaire se tenait non loin de là, assise à même le sol. Janis hésita un peu puis s'approcha d'elle. « C'est un superbe chien que vous avez là. Il est de quelle race ? ». Elle avait vainement essayé de se souvenir du nom exact puis s'était rendue compte qu'il s'agissait d'une bonne manière pour engager la conversation. Le regard de Janis se reporta sur le mur. Elle était impressionnée par ce qu'elle voyait, son sourire n'avait pas quitté son visage tandis que ses yeux avaient dû se mettre à briller. Elle s'avança vers le mur face à elle et le frôla du bout des doigts seulement, comme si elle avait peur d'abîmer la peinture, comme si il y avait quelque chose de sacré là-dedans. « C'est magnifique. » souffla-t-elle pour elle même. Janis appréciait le tunnel et surtout le fait qu'elle était quasiment seule, elle supposa que cela devait être assez rare. Quelle chance ! Le silence était maître, ce qui était parfait pour se perdre dans la contemplation de tous ces petits détails imaginés et réalisés par de parfaits inconnus. Le tunnel appartenait à tout le monde.  Janis se retourna vers l'inconnue sans jamais se défaire de son sourire rayonnant. « Je regrette de n'être pas venue ici plus tôt ! Je vis à Londres depuis toujours, comment cela se fait-il que je n'aie entendu parler de ce tunnel que la semaine dernière ? » Vraiment, elle ne pouvait faire confiance à personne ! 

Janis laissa le chien se frotter à elle, hésita à nouveau puis plongea sa main dans le poil soyeux du border collie et lui gratta le dos. Si elle avait été un chien, Janis aurait probablement eu le même comportement que celui-ci qui semblait particulièrement sociable et joueur. Elle était si occupée par le chien qu'elle ne se rendit pas compte de l'air surpris de sa propriétaire lorsqu'elle la vit pour la première fois. "Ce sont effectivement mes chiens préférés. Border Collie, ce sont des chiens de berger, à l'origine". Ah ! Elle leva le regard vers elle en souriant. Un border collie, elle se souvenait maintenant, même si elle avait toujours l'image de ces chiens avec le poil noir. « Comment s'appelle-t-il ? ».

Entre temps elle avait reporté son attention sur le mur et ne remarqua effectivement pas la demande de son nouvel ami à quatre pattes. En revanche la réponse de l'inconnue piqua fortement sa curiosité, si bien qu'elle la plongea dans une grande réflexion. Sa vie était-elle écrite à l'avance ? Ses moindres faits et gestes, ses rencontres, ses joies et ses peines, tout cela était-il déjà planifié ? Janis n'avait jamais cru au destin, c'était quelque chose qui lui donnait des frissons. Elle détestait l'idée de ne pas être libre de ses mouvements, que tout ce qu'elle pouvait faire était déjà prévu depuis longtemps. Certains trouvent réconfortant de penser que rien n'arrive par hasard, elle, elle en était terrifiée. S'il existait vraiment, le destin était d'une injustice sans nom puisque personne n'était sur un même pied d'égalité. Alors quoi, pourquoi une certaine grande instance inconnue de tous aurait décidé qu'elle, Janis Kipling, devrait vivre son adolescence sans son père tout en affrontant la maladie de sa mère ? Pourquoi elle ? Dans quel but, la rendre plus forte ? Janis se sentait-elle plus apte à affronter la dureté de la vie après ces épreuves, en ressortait-elle changée, avait-elle de nouveaux buts dans la vie ? Pas le moins du monde. Non, Janis Kipling n'était pas prête à croire en ce genre de chose. Pourtant elle n'en souffla mot à l'inconnue et accepta tout à fait son point de vue. En vérité elle était plutôt impressionnée. « C'est une façon de voir les choses en effet. Je ne suis pas sûre d'y adhérer mais c'est une idée intéressante qui mérite réflexion. En revanche je suis d'accord avec toi sur les lieux qu'on visite parfois trop tôt. C'est étonnant comme nos points de vues sur les choses de la vie peuvent changer au fil du temps. »

Elle sentit flotter dans l'air une forme de malaise et elle ne voyait pas vraiment pourquoi. Tout le monde avait le droit d'exprimer son opinion. Il était vrai qu'elle ne s'était pas attendue à une telle réponse, mais elle était sincère et c'était le plus important. Le silence se brisa soudain. "Moi c'est Liv, quel est ton nom?"  Liv s'était levée et Janis fut heureuse qu'elle ait employé le tutoiement, comme si une première barrière venait d'être franchie. « Janis, enchantée de faire ta connaissance. Votre connaissance. » ajouta-t-elle en remarquant enfin le chien. Elle se baissa et lui lança la canette, pas très fort de sorte que l'animal ne s'éloigne pas beaucoup. Elle sourit de nouveau à Liv. « Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer ton accent. Attends je vais essayer de deviner. Je pense que tu viens du nord. Norvège, Suède ... ? Je connais une suédoise qui a le même accent, du moins j'en ai l'impression, donc je dirais Suède ? » Décidément, Janis avait beau n'avoir jamais voyagé de sa vie, elle n'en finissait pas de rencontrer des personnes venant de pays différents. Depuis qu'elle connaissait Rony la Suède l'intriguait de plus en plus et elle était toute heureuse de rencontrer une nouvelle suédoise. « Tu vis à Londres depuis longtemps ? » Une fois de plus elle dû faire attention à ne pas poser trop de questions d'un coup, certaines personnes n'aimaient pas être questionnées de la sorte. En attendant Janis continuait de promener son regard le long des murs, essayant de déchiffrer la moindre inscription, cherchant la moindre trace des auteurs de ces dessins, anonymes pour la plupart.