Papa,
relevant la tête de son journal – On peut pas, Jane…
Maman,
déposant sa tasse de café et soupirant de façon découragée – Pourquoi pas ?
Papa, se passant une main sur le front. Il soupire, lui aussi – Parce que c’est notre fils. Notre seul fils. On peut pas le mettre dehors. Pas comme ça. Il arrive même pas à nettoyer les toilettes et la vaisselle. Il survivra pas.
Maman – Faut savoir assumer quand notre fils est un perdant, Adrian… C’est difficile, mais tout de même.
Cecil est enfant unique. Son père est journaliste et sa mère est infirmière. Les deux sont aimants et présents pour leur fils. Ils ne l’ont pas élevé en enfant roi, ils ont voulu l’élever en enfant fier et débrouillard. Ils ont réussit l’étape fierté, mais l’étape débrouillardise est tombée à l’eau. Pourtant, ils n’arrêtent pas de le pousser dans le dos. Encore aujourd’hui, ils essaient de le convaincre de postuler ailleurs, histoire de quitter l’environnement collégial puisqu’ils pensent que cela n’aide pas vraiment à son attitude encore très juvénile. Cecil, lui, a toujours eu l’impression qu’il devait accomplir de grandes choses pour plaire à ses parents. Sauf que, honnêtement, il s’en fiche. Ses parents ne sont que des conseillers, pas des entités supérieures détenant la clé de la raison. Mais il sait qu’il doit leur être reconnaissant parce que sans eux il serait fort probablement à la rue, aujourd’hui.
Adolescent, il leur a fait la vie dure en essayant de leur tenir tête lorsqu’ils le disputaient pour ses notes ou bien pour son attitude ingrate. Aujourd’hui, il sait qu’il a été stupide, mais il ne s’est pas encore excusé. Il ne le fera probablement jamais, puisqu’il a encore quelques haines entretenues envers eux. Par exemple, le garçon ne rentrant jamais à l’heure demandée, les parents ont fini, une journée durant laquelle il était parti un long moment, par faire changer les serrures des deux portes et puisque les fenêtres ne s’ouvraient pas de l’extérieur, Cécil a été condamné à dormir dehors. Fin de l’histoire, depuis ce jour il rentre à l’heure ( enfin, plus maintenant. Ce n’est plus un gamin, quand même ).
En vérité, la raison pour laquelle ses parents ne l’ont pas encore mis dehors, autre que leur propre lâcheté, c’est parce qu’il fait le ménage ( sauf la vaisselle et le nettoyage de cuvette ) et les repas. Il est une femme de ménage qu’ils n’ont pas besoin de payer, par exemple !
***
Cecil,
absent. Le regard dans le vide et les mains occupées à faire tourner un crayon – J’sais pas.
L’orienteur,
griffonnant quelque chose sur une espèce de grille servant probablement à classer les marmots dans une catégorie allant de « avenir glorieux » à « à envoyer à la décharge des gens défectueux » – Il n’y a rien, vraiment, Salomon, qui vous intéresse ? Les réponses du test d’orientation ne vous tentent pas ?
Cecil, secouant la tête non pas par négation, mais pour sortir de la lune – Vous m’voyez pas fermier quand même ? Livreur de journaux, ça passe à la limite, mais fermier … ! Je veux dire, ça pue une vache !
(Baissant le ton, se redressant sur sa chaise pour s’approcher de l’orienteur comme s’il lui disait un secret.) C’est pas que j’ai pas envie de tirer sur leurs espèces de mamelons bizarres, mais ça ressemble un peu à ça.
L’orienteur,
repoussant Cecil sur sa chaise et cochant ce qui semblerait être la possible case « à envoyer à la décharge des gens défectueux » - Vous n’avez jamais songé à votre futur ? Jamais ?
Cecil, s’affalant contre le dossier de sa chaise– C’est angoissant !
Depuis tout gamin, personne n’arrive à obtenir quoi que ce soit de Cecil. Une réponse, du moins. Il peut, oui, répondre aux tables de multiplication ou d’addition, mais dès qu’on arrive à sa vie, à tout ce qui est important, tout ne devient que silence ou « j’sais pas ». D’ailleurs, il est un enfant très silencieux, bien que très peu attentif. Jusqu’à ses dix ans, du moins. Dès lors, il explose. C’est impossible de le garder assis et, ce, encore moins en classe. Ses enseignants le trouvent insupportable et lui-même se trouve insupportable (un négatif annule l’autre négatif ? Peut-être). Mais il n’en reste pas moins un élève éveillé. On voyait son envie d’apprendre et de scolairement évoluer. Jusqu’à la fin de l’école primaire, tout est joli. Il réussit bien et il n’a pas trop de difficulté à rester au même niveau que tout le monde.
Toutes les bonnes choses sont éphémères, vous savez bien. En entrant au secondaire, tout se corse comme un thé. Le damoiseau a du mal à suivre et à avancer au même rythme que tout le monde. Surtout parce que c’est angoissant. Il préfère donc se tenir avec les gens pour qui les études sont la priorité la plus minimale et qui ne sont pas angoissants du tout. Mais comme Cecil est spécialiste en l’art de se tirer des balles dans le pied, tout ça devient nouveau angoissant quand ses demandes d’admission à l’université sont refusées (dans l’absolu, c’était son problème de postuler que pour des universités et programmes de cours demandant une moyenne de A). C’est la vie ? Quand on le cherche, oui. Il aurait très bien pu tenter une école de théâtre vu qu’il s’y débrouille plutôt bien, autant au niveau parascolaire que scolaire, mais ce n’est pas ce qu’il souhaite faire de sa vie. Ceci étant dit, il aurait plutôt préféré travailler chez McDo ( Mcnuggets style ) que passer toute sa vie exclusivement dans le monde trop exigeant du théâtre.
Pour sauver son honneur, il s’inscrit tout de même dans un cours, indépendant de toute école, de secrétariat et, par le fait même, dans un tas d’autres cours connexes. Au moins, s’il ne pouvait pas devenir docteur, il deviendrait un secrétaire exemplaire !
***
Mademoiselle, h
aussant les sourcils. Dubitative – Tu vis encore chez tes parents ?
Cecil,
secouant vivement la tête et tapotant dans le vide – Nah, c’est mes colocs. Tu vois, c’est plus facile de vivre avec des vieux. Ils font leur vaisselle, au moins. (Il tire une moue dégoûtée.)
Maman,
voix off, – Viens ranger tes caleçon, mon chou !
Mademoiselle,
jugeant intensivement Cecil du regard – Ta coloc t’appelle « mon chou » ?
Socialement, Cecil alterne entre le mode « halp meh, je patauge » et le mode « super trop social ». Depuis toujours, à peu près. Une fois, durant la photo de groupe en maternelle, il avait le doigt dans le nez. Ceci n’aurait pas été tant grave si la photo, comme toutes les autres, n’avait pas terminée affichée dans le couloir. Pendant environ six ans, ce fût le running gag de son école ( parce qu’au primaire, ça ne prend pas énormément de choses pour détruire une réputation ). Et puis, si un ami avait le malheur d’essayer de le mentionner à un nouvel élève, Cecil l’interrompait à chaque fois que l’ami coupable tentait d’ouvrir la bouche. C’est une habitude qu’il a encore. Sauf que maintenant, il se pousse de quelques centimètres, les mains sur les oreilles, en lançant un vif et plaintif « BLABLABLA ». ( Encore aujourd’hui, Cecil continue d’être un running gag. Mais ça lui plaît). En changeant d’univers scolaire, il balance entre deux pôles. Celui des types appréciés, relativement populaires (malgré tout, il est tout de même un beau parleur. Et puis, il était le genre de type à être un « clown de classe », ce qui lui procurait un autre genre de popularité) et celui des « theatre kids ». C’est-à-dire, le groupe de gens qui parlent trop fort, qui sont plus ou moins bizarres et qui passent leur vie dans l’auditorium. Ce pôle-là a tendance à prendre le dessus puisque, pour des raisons évidentes, il passe beaucoup de temps, isolé du monde, dans l’auditorium. Mais ce n’est pas tant un mal : depuis ses dix-huit ans, il tient annuellement le rôle de Brad lors de la tournée londonienne du Rocky Horror Picture Show.
À l’âge adulte ( ce qui signifie : présentement), sa vie sociale est un puzzle de dix milles pièces. Elle est étrange. Il n’est pas très copain avec les gens du travail. Du moins, pas avec ceux qui ont plus ou moins vingt ans de plus que lui. Il a plusieurs amis, mais pour des raisons évidentes, très peu ont déjà mis les pieds chez lui. Parce que, oui, il a honte de vivre encore chez ses parents et d’être incapable de partir. Cecil sort souvent seul, en fait. Il a cette tendance à se retrouver seul avec une pinte pour réfléchir à sa vie. Sauf que rendu-là, il s’éloigne souvent de sa banquette pour aller discutailler avec les gens, voire draguer quelques individus ( aussi sérieusement que pour rire ). Ça lui permet de se faire des contacts, c’est toujours bien (peut-être qu’un jour il pourrait devenir le secrétaire d’une énorme boîte ? Sait-on jamais ! ).
Sa vie amoureuse a toujours été l’équivalent d’une chute du mont Everest. Bien qu’il ait eu quelques relations, il n’a jamais été capable d’en étaler une sur le long terme à cause de son attitude trop « bébé » et du fait qu’il soit trop centré sur lui-même et facilement ennuyé. Du coup, il noie sa peine dans l’accumulation de chats en peluche et réels ( mais jamais plus de trois, ça coûte cher de litière et de nourriture ).