jupiter + maybe if our worlds collide

"Bonjour Mademoiselle Applegate. Prenez place." Il lui sert la main avant de lui indiquer un fauteuil en cuir, en face de son bureau. A chaque fois qu'elle franchit la porte de l'établissement, l'appréhension la gagne, comme si les battants vitrés allaient l'engloutir pour toujours ou qu'après avoir traversé l'épreuve de la balance, on refuse de la laisser repartir tranquillement chez elle. Néanmoins, elle se contient, son masque distant et fermé sur le visage alors qu'elle s'installe vers la place que le psychiatre lui a désigné. Elle sait pertinemment que le personnel de l'institution ne cherche qu'à l'aider à sortir de la maladie qui la ronge depuis le début de l'adolescence mais elle ne peut s'empêcher de les voir négativement, comme si ils ne cherchaient qu'à l'empêcher de vivre sa vie comme elle l'entend. Son manteau beige soigneusement plié sur ses genoux, elle lisse la fausse fourrure du col lentement, tout pour ne pas avoir à amorcer la discussion qu'elle redoute tous les mois. "Comment allez-vous ?" La jeune femme soupire doucement, levant les yeux vers le médecin dans sa blouse blanche immaculée. "Très bien, comme vous pouvez le voir. Mon poids ne change plus depuis 4 mois. Je pense que ces rendez-vous sont inutiles." Mais il secoue déjà la tête de gauche à droite, croisant les doigts devant son ventre rebondi. "Vous me dites ça depuis notre toute première rencontre Mademoiselle Applegate, et pourtant, vous savez comme moi que vous n'avez pas à porter toutes les épreuves de votre vie seule." La blonde baisse les yeux un instant, se rappelant douloureusement les premières semaines passées ici. Seule, vulnérable, elle s'était livrée à coeur ouvert à une infirmière et avait eu la mauvaise surprise de se rendre compte que tout avait été partagé au reste de l'équipe médicale. "Je vous l'ai dit, je vais très bien à présent." "Je sais que pour vous, cette période de l'année est particulièrement difficile. Vous ne devriez pas être seule la semaine prochaine." Son regard se fait glacial à nouveau. Dans une semaine, sa mère aura quitté ce monde depuis vingt et un an. Et oui elle sera seule, comme tous les ans, pour ce jour sombre. Son père encore en déplacement ne semble même pas se préoccuper de cette date anniversaire pourtant si importante aux yeux de la jeune femme. Mais ce n'est pas le genre d'état d'âme qu'elle a envie de partager, encore moins avec ce médecin. "Ca ne vous regarde pas. Je gère cette situation depuis plus de ving ans, je sais très bien ce qu'il me faut ou non." Le psychiatre hoche lentement de la tête, attendant quelques secondes avant de changer de sujet. "J'aimerais organiser une rencontre avec votre père. Pour qu'on puisse discuter tous les trois de ce qui s'est passé pour vous ici et de votre relation." A vrai dire, il en avait déjà programmé trois mais son père finissait toujours par annuler, un déplacement professionnel le retenant ça et là, une bonne excuse pour ne pas voir en face les problèmes de sa fille. "C'est inutile. Je vous l'ai dit, tout va bien." Rien ne va, voilà la vérité. Et pourtant, elle fait tout ce qu'elle peut pour qu'il l'aime, qu'il soit fier d'elle. Mais sa ressemblance frappante avec sa mère semble trop douloureuse à supporter pour lui, au point d'éviter au maximum leur loft au centre de Londres dans lequel elle vit seule depuis quelques années maintenant, si on ne compte pas le personnel chargé de la babysitter quand elle était plus jeune. "Bien, je vois. Et tout se passe bien entre vous et votre petit ami ?" La question la surprend, suffisamment pour qu'elle relève ses prunelles claires vers le psychiatre. Une vaste mascarade, voilà ce qu'est réellement sa relation. Ils sont amis, ça ne fait aucun doute. De l'amour, il y en a, mais rien à voir avec celui qui peut unir deux âmes, bien trop fraternel pour faire basculer leur amitié. Alors oui, en société ils s'embrassent parfois quand cela semble nécessaire, ils se tiennent la main et font preuve de tendresse l'un avec l'autre. Mais ça s'arrête là. Une fois chez l'un ou chez l'autre, ils peuvent revenir à la relation platonique qui convient bien mieux à la jeune femme. Il est le seul à savoir qu'elle préfère la délicatesse des courbes féminines et respecte ses choix, pour son plus grand bonheur. Un jour, les choses évolueront mais pas pour le moment, tant qu'elle ne se sent pas la force de s'assumer pleinement au vu et au su de tous. "Très bien, il est ... la meilleure chose qui me soit arrivé." Et elle est loin de dire ça sans le penser. Un meilleur ami, voilà ce qu'elle a trouvé en lui. Le silence s'étire dans la pièce alors qu'enfin, le psychiatre se redresse après avoir griffonné quelques mots dans son dossier. "Et bien ... je pense qu'on a fait le tour. A dans 3 semaines, mademoiselle. Et prenez soin de vous, d'accord ?" Jupiter se lève, serrant sa main avant de lui adresser un petit sourire poli. La vie continuera son cours, voilà ce qu'elle sait avec certitude. L'améliorer ne dépend que d'elle à présent.