Wherever you're going, I'll be there.

– Mais, maman, pourquoi tu fais ça ? Pourquoi il ne pourrait pas rester avec nous ?
– Parce que, ma chérie, ce n’est pas mon fils.
– Mais c’est mon frère !
– … Il part. Fin de la discussion.

Je ne comprenais pas. Et je ne comprendrais jamais sa décision. J’avais seulement seize ans, et ma mère venait de m’enlever mon grand-frère. Tout ce que je voyais, c’était qu’elle m’enlevait mon meilleur ami, mon protecteur, mon confident. Tout ça juste après la mort de mon père. Non, j’avais beau faire tous les efforts du monde, j’étais incapable de comprendre ce qui l’avait poussé à prendre cette décision. Raleigh était partie sans un mot, sans tenter quoique ce soit pour rester. Il venait de perdre son père, et en plus se faisait chasser par ce qui lui servait de belle-mère. Il était parti sans un mot pour moi, pour sa sœur. Sans laisser une adresse. Sans passer un coup de téléphone, ne serait-ce que pour dire que tout allait bien. Sans donner la moindre nouvelle. Jamais. J’avais seize ans, et tout mon monde s’était écroulé autour de moi en l’espace d’une journée.





Cela faisait maintenant cinq ans que Raleigh était parti. Cinq ans que je n’avais pas de nouvelles. Peu après son départ, j’avais à mon tour quitté les décombres du cocon familiale, incapable de pardonner à ma mère ce qu’elle avait fait. J’avais mis quelques affaires dans un sac, avait piqué du liquide à ma mère – après tout, elle venait d’hériter d’une somme généreuse – pour finalement m’enfuir au beau milieu de la nuit, errant vers l’inconnu. Tout ce qui comptait pour moi, c’était de m’éloigner le plus loin possible de celle qui avait gâché ma vie. A mon âge, je ne pouvais pas vraiment prendre une chambre d’hôtel sans éveiller de soupçons. Il ne fallait pas être une lumière pour comprendre que je n’étais qu’une vulgaire gamine en fugue. Les parents de mes amis auraient sans aucune hésitation prévenu ma mère. Et j’étais bien trop jeune pour louer un appartement. Il ne me restait plus qu’une option, tenter le tout pour le tout. Dans ma détresse, j’étais allée sonner à la porte d’un ami de mon frère qui vivait dans son propre appartement, en espérant qu’il ne me dénoncerait pas. Il avait d’abord été surpris de me voir débarquer chez lui à trois heures du matin, mais une fois le choc passé m’accueillie à bras ouvert, m’offrant son canapé pour quelques nuits, le temps de me retourner. Ces quelques nuits se sont finalement transformées en deux années, le temps que j’atteigne ma majorité et que je puisse à mon tour prendre un appartement. Je n’avais donné aucune nouvelle à ma mère, et avait abandonné les cours, de peur de la trouver à la sortie du lycée. J’enchaînais les petits boulots, vivant avec ce grand frère de substitution, jusqu’au jour où je réussis à obtenir un appartement. Certes, il était tout petit, et pas vraiment tout confort, mais c’était mieux que rien, et surtout, j’allais enfin pouvoir prendre mon indépendance. J’avais même réussi à reprendre mes études à la fac, visant le diplôme de bibliothécaire. Je m’étais fait un cercle d’amis de mon âge, et même si Raleigh me manquait, ma vie commençait enfin à prendre un nouveau tour plus agréable.

Jusqu’à ce soir de 2004. Nous étions sortis boire un verre après les cours dans un bar du coin. Tout allait bien, nous passions un bon moment, ivres de notre jeunesse et de notre insouciance. Les rires fusaient en tout sens, nous respirions la joie de vivre... Jusqu’à ce que son visage apparaisse sur le petit écran accroché au dessus du comptoir. Je me figeai instantanément, le temps s’arrêta. Des bruits sourds me parvenaient sans que je n’y prête la moindre attention. Il était là. Cinq ans que je ne l’avais pas vu, que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Et c’était par le journal du soir que j’apprenais qu’il était à l’opposé du continent. Vancouver. Le Canada. Pourquoi avait-il fuit si loin de moi ? Il aurait pu rester aux Etats-Unis, changer d’état aurait suffit. Mais non, il avait fallu qu’il parte au Canada. Autant dire au pôle nord. Je me sentais coupable de ne pas avoir mis plus d’efforts dans mes recherches pour le retrouver, d’avoir perdu l’espoir de le revoir un jour. Si je m’étais donnée un peu plus de mal, ce serait peut-être avec lui que je serais été en train de boire un verre. Je restais là, bouche bée. Une larme roula en silence sur ma joue sans que je ne m’en rende compte. Je fus arrachée à mes souvenirs par une main sur mon bras.

– Emma, ça va ?... T’es toute pâle, on dirait que tu viens de voir un fantôme…
– Je… Non, c’est…
– Tu le connais ?
– Qui ?
– Le type à la télé, qui t’absorbe depuis cinq minutes !
– … C’est mon frère.

La bombe était lâchée, le silence se fit. Plus personne n’osait dire un mot. Pourquoi ? Parce que le type aux infos, mon frère, était accusé de meurtre et de délit de fuite. De quoi foutre en l’air une soirée.  





Dix ans et toujours pas de nouvelles depuis l’épisode de l’avis de recherche. J’aurais dû me faire une raison et arrêter d’espérer de le retrouver, mais j’en étais incapable. Même si j’avais traversé l’océan pour aller m’installer dans la capitale Britannique, m’éloignant encore plus de lui que je ne l’étais au Texas. Mais je ne m’étais pas arrêtée de vivre pour autant. Si au début, les autres me regardait avec ce mélange de compassion et méfiance dû à mon statut de sœur d’un meurtrier en cavale, l’histoire finit par se tasser, et tout rentra dans l’ordre. Je terminai mes études et obtint mon diplôme les doigts dans le nez. Puis j’eus l’opportunité d’obtenir un poste à plein temps à Londres. Fini l’accumulation de petits boulots en tout genre, j’étais enfin stable financièrement avec un seul et unique travail. Mais à force de vivre dans la pauvreté, je ne pouvais me résoudre à trop dépenser, et continuai à vivre largement en dessous de mes moyens, me contentant d’un petit studio dans un quartier populaire de la capitale et d’un vélo comme moyen de déplacement. Je n’étais stable que dans mon travaille, papillonnant de droite et de gauche sentimentalement parlant. J’étais incapable de me fixer, et quand ce n’était pas ma peur de l’abandon qui faisait fuir les hommes, c’était tout simplement moi qui me faisait avoir me laissant facilement embobiner par de beaux discours. Certains jours, j’en viens presqu’à abandonner l’idée même de trouver mon âme sœur un jour…