| ( ✰) message posté Jeu 11 Fév 2016 - 19:13 par Invité « Lâche moi ! » s’écria-t-il et je le fis en soupirant, lassé, écartant les mains pour lui montrer ma bonne foi – celle que je perdais à mesure qu’il restait dans les parages pour mettre mon appartement sens dessus-dessous. Il semblait fatigué, lui aussi. Il finit par s’arrêter, s’immobilisant au centre du séjour pour contempler ce qu’il avait fait : un âge déchu au milieu du chaos, on aurait presque pu en faire un triptyque religieux car il avait le profil. Mon regard sombre le toisa avec sérieux et dédain. Il allait disparaître aussi étrangement qu’il était venu, mais c’était malheureusement une question de temps et j’ignorai s’il comptait prendre le sien et rester encore longtemps sous mon toit. J’allais finir par tourner les talons et rejoindre le matelas : qu’il soit là ou non, il ne corrigerait pas l’affreuse anomalie qui m’empêchait de dormir. Nous étions les bannis, les reclus au ban de la société, mais si j’embrassais de mon côté mon rôle avec une ironie doucereuse, lui semblait le refuser. C’était l’image que sa rage renvoyait : celle d’un désordre régissant l’intérieur de son esprit qu’il avait projeté aux alentours, sur les malheureux livres et les rares meubles qui se dressaient dans mon appartement. Il ne se sentait probablement pas mieux qu’avant. Voilà qu’à présent la démesure était en lui, hors lui, partout autour de lui et qu’il ne savait pas comment faire pour la maîtriser ou la fuir : il deviendrait fou à chercher la solution, j’avais moi-même compris longtemps auparavant qu’elle n’existait pas. La démesure était garante de l’équilibre mais chez certains, elle était trop forte, trop résistante et trop alléchante : c’était son cas, c’était aussi le mien. J’étais un chaos à ma manière. J’étais une épave et lui un cyclone effréné et furieux. Nous étions détruits d’avance.
« Te crois-tu sage en disant ces paroles ? » Je haussai les épaules, évasif et épuisé. Peut-être. Peut-être que je me croyais sage. Je pensais fermement que mon jugement était meilleur que le sien, mais il ne fallait pas qu’il le prenne personnellement car c’était le cas avec tout le monde. J’étais un snob, un de la pire espèce. Je ne me croyais pas sage, je croyais les autres cons. « Non. Je veux juste que t’arrêtes de dramatiser parce que t’es ridicule. » Il ne se formaliserait pas de mes sarcasmes, il s’était enfin calmé. Je poussai un profond soupir, presque soulagé de le voir plus tranquille. Je n’avais plus vraiment la force de chercher à le contrôler, de toute évidence. Elsa s’offusquerait de voir l’appartement dans un tel désordre mais j’ignorais s’il fallait que je lui dise la vérité. « Oui, ce serait pertinent … » répliqua-t-il amèrement et je hochai la tête d’un air absent. Non, je devais probablement passer cet incident sous silence. Simplement pour ne pas avoir à supporter ses grands yeux verts bordés de larmes, consciente qu’elle avait fait une erreur, qu’elle n’était qu’un problème en plus dans ma vie et que, Dieu du ciel, je souffrais à ses côtés. Elle était celle qui dramatisait le plus, je comprenais d’où Bellamy tirait son trait de caractère. « Tu m’enverras une lettre … » cracha-t-il finalement avant de faire volte-face et de s’échapper par la porte d’entrée comme un voleur. Je ne le rattrapai pas, je ne fis même pas l’effort de lui répondre car il ne pouvait probablement plus m’entendre et que le claquement de la porte signifiait clairement qu’il ne voulait pas de mes paroles venimeuses, puisqu’apparemment c’était tout ce que je lui inspirais depuis sa tendre adolescence. Je secouai la tête et poussai distraitement du bout du pied des livres qu’il avait lancés un peu partout dans la pièce, histoire de m’imaginer un peu plus d’ordre. Je finis par m’écraser sur le matelas, conscient qu’il serait impossible de m’endormir. Après tout, je n’avais même plus besoin d’être dérangé par mes propres souvenirs. Ceux d’Elsa s’en chargeaient à présent avec brio et violence pour me maintenir éveillé dans un monde où je semblais être l’annonciateur des plus mauvais augures et le créateur des pires maux, ouvrant la boîte de Pandore pour tout le monde puisque chacun d’entre nous avait peur de faire face à ses propres démons et ses propres craintes. |
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