we’re all looking for the happy ending + w/ Lysander

Il fallait qu’Emma voie Lysander. C’était dingue, quand même. Elle ne le connaissait que depuis un mois, mais elle se sentait tellement bien avec lui, elle se sentait enfin elle-même qu’elle recherchait sa compagnie sans s’en rendre compte. Ce brunch avec ses parents l’avait épuisée et les insinuations d’Alana Ellinger n’avaient rien arrangé. « Tu sais ce qu’on dit, j’espère ? … Qu’il n’en a que pour ton argent, bien sûr. » Les mots d’Alana résonnaient encore dans son esprit. La jeune femme avait été vexée, mais maintenant, à froid, elle se rendait compte du ridicule de sa réaction. Évidemment que Lysander n’était avec qu’elle que pour son argent, c’était même elle qui lui avait proposé de le payer en contrepartie de se faire passer pour son fiancé ! Mais ça, ses parents, Alana Ellinger et toute la bonne société londonienne n’étaient pas au courant… et ne devaient surtout pas l’apprendre. Emma soupira et sortant à grands pas décidés du restaurant où avait eu lieu le brunch maudit, chercha des yeux un taxi. Quelques secondes plus tard, un véhicule noir apparut au coin de la rue. Elle le héla et monta à l’intérieur. Sans une hésitation, elle donna au chauffeur une adresse dans Shoreditch. Le quartier de Lysander. Elle s’adossa confortablement contre le siège et laissa défiler les rues pendant que le taxi traversait Londres.

Ces dernières semaines… Pfiou, Emma les avait vécu comme dans un écran de fumée. Elle ne se rendait pas encore bien compte à quel point sa vie avait changé. Il s’en était fallu de quelques secondes, ces quelques secondes où ses parents avaient voulu lui présenter un fils de très bonne famille. Emma savait ce que ça signifiait à leurs yeux ; ils prévoyaient déjà l’autel et les cotillons. Alors, elle avait fait ce qu’elle avait rarement fait dans sa vie : elle avait pris le taureau par les cornes. Elle qui laissait les autres décider pour elle avait pratiquement sauter sur cet inconnu et le prenant d’autorité par la main, l’avait présenté à ses parents comme son fiancé. Il fallait le reconnaître, Lysander avait parfaitement joué le jeu, la première surprise passée. À coups de « mon cœur » de la part d’Emma, ses parents n’y avaient vu que du feu et avaient voulu présenter l’heureux fiancé à tout le monde. Oh, la jeune américaine ne se faisait pas d’illusions. Elle savait parfaitement ce que Peter et Martha Llewellyn pensaient de ce couple. Non pas qu’ils aient des doutes sur sa véracité, ce qui, Emma devait bien l’admettre, aurait été normal. Mais Lysander avait un défaut à leurs yeux. Le plus gros des défauts. Il n’était pas riche. Il venait d’un milieu modeste. Pire, il travaillait comme veilleur de nuit dans un hôtel. Et Emma était certaine que derrière son dos, ses parents ne donnaient pas cher de cette relation.

Le taxi ralentit et s’arrêta devant l’immeuble de Lysander. Emma paya et descendit du véhicule, se retrouvant sur le trottoir baigné de soleil. Elle hésita un instant et se dirigea vers l’entrée de l’immeuble. Elle monta jusqu’à l’appartement de Lysander. Mais arrivée devant la porte, elle ne sut plus quoi faire et se sentit terriblement stupide. Le jeune homme avait jusqu’ici parfaitement respecté sa part du contrat. Elle l’avait traîné dans des soirées mondaines où il devait se sentir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais il avait enduré tout ça sans sourciller. Mais débarquer chez lui un dimanche matin sans prévenir ? Il était 11 heures 30. Emma savait que veilleur de nuit n’était pas son « vrai » métier et qu’il acceptait diverses missions pour mettre du beurre dans les épinards en fin de mois. Non, il était écrivain, lui avait-il dit. Elle n’avait jamais lu aucun de ses écrits jusqu’à maintenant. À vrai dire, elle ne savait pas grand-chose sur lui et cela la déroutait. Mais s’il avait quand même travaillé cette nuit ? Et s’il dormait encore ? Pire… s’il n’était pas seul ? Il n’avait pas été question de fidélité dans leur relation et pour cause, puisque tout ça n’était que factice ! Il était donc tout à fait libre de fréquenter des femmes, se dit Emma pour se persuader. Évidemment, il fallait qu’il soit plutôt discret pour que personne ne s’en aperçoive. Emma savait bien qu’un jour ou l’autre, son subterfuge tomberait à l’eau. Mais elle ne voulait pas y penser, pas tout de suite.

Une porte s’ouvrit sur la gauche de l’appartement de Lysander et une vieille dame passa à côté d’Emma en lui lançant un regard peu amène. Bon, elle n’allait pas rester dans ce couloir pendant des heures. Prenant une profonde inspiration, la jeune femme leva le poing et frappa un petit coup. Puis un autre plus fort. Elle n’était pas sûre de vouloir savoir ce qui se trouvait derrière la porte, mais à présent, elle ne pouvait plus reculer.

C’était une mauvaise idée, Emma en était sûre. Elle n’avait pas l’habitude d’agir sur un coup de tête et elle commençait à le regretter. Mais elle ne pouvait plus s’en aller, maintenant qu’elle avait frappé à la porte. Ses bonnes manières inculquées pendant des années par sa nanny lui interdisaient. Il se passa quelques secondes avant que la jeune femme perçoive des paroles venant de l’intérieur de l’appartement. « Je... J'arrive dans deux minutes ! » À vrai dire, elle n’avait pas entendu le dernier mot, comme s’il avait été étouffé, mais elle l’avait deviné. Emma inspira un grand coup, l’heure de vérité n’était plus loin. Elle faillit éclater de rire à cette pensée. Elle ne se dirigeait tout de même pas vers l’échafaud ! Mais elle n’était jamais montée jusqu’à l’appartement de Lysander, le laissant toujours en bas de son immeuble habituellement, et était nerveuse à l’idée de pénétrer dans le lieu. Le temps qu’il ouvre la porte, elle essaya de s’imaginer l’intérieur. Emma n’avait pas beaucoup d’expérience – pour ne pas dire aucune – dans les appartements d’hommes seuls et elle était contrainte de piocher dans ses souvenirs de séries télé ou de films pour se faire une idée. Elle imaginait déjà une garçonnière, parfaitement en désordre, avec des magazines et des restes de nourriture traînant un peu partout. Peut-être même avec des sous-vêtements féminins cachés ici et là. La porte s’ouvrit sur ces entrefaites, la faisant sursauter et la laissant vaguement honteuse de ses pensées. Après tout, se répétait-elle, il pouvait bien faire ce qu’il voulait avec qui il voulait, elle n’avait pas droit de regard dessus. 

« Madame McAll... » Lysander parut plutôt surpris. Évidemment. Il ne l’attendait pas, ou attendait quelqu’un d’autre, et devait se demander ce qu’elle fichait sur le seuil de sa porte un dimanche matin alors qu’ils n’avaient pas prévu de se rencontrer. « Emma ! Je ne pensais pas que vous... Enfin, que tu passerais... » Le blond se passa la main dans ses cheveux un peu décoiffés et Emma comprit qu’il venait de se lever. « Je ne vous… » La jeune femme rougit sans qu’elle sache très bien pourquoi. « Je ne t’ai pas réveillé, j’espère ? » Elle restait plantée là, dans le couloir, son sac à main plaqué contre sa poitrine, ne sachant pas trop quoi faire. Comment se comportait-on d’ordinaire dans ce genre de situation ? Quelle cruche elle faisait, parfois ! « Tu veux peut-être entrer ? Je doute que le palier soit assez confortable pour tenir un salon de thé. » L’humour de Lysander la détendit et elle avança dans l’appartement en souriant faiblement. Curieuse, elle regarda autour d’elle discrètement et fut assez surprise de ne pas se trouver en présence d’un désordre. Apparemment, Lysander savait tenir un intérieur. Emma se fit alors la réflexion qu’elle devrait mettre ses préjugés de côté et surtout, arrêter de vivre à travers la télévision et le cinéma. De son côté, elle avait toujours vécu avec un domestique à ses côtés qui, efficacement et silencieusement, sans jamais se plaindre, ramassait ses affaires dans son dos quand elle les jetait n’importe où en rentrant chez elle. Elle n’avait aucun mérite. Lysander, lui, quel que soit le temps qu’il passait dans son appartement, avait appris à ne pas compter sur les autres. « Ne fais pas attention, c'est légèrement... » Émergeant de ses pensées, Emma se retourna pour lui affirmer que son appartement était parfait comme il était quand elle remarqua qu’il refermait d’un geste brusque son ordinateur portable. La brune comprit le message et se tint un peu confuse au milieu de la pièce. Il attendait manifestement qu’elle lui annonce la raison de sa venue. Si elle le savait seulement elle-même ! 

La jeune femme se triturait l’esprit à la recherche d’une explication plausible quand elle sentit quelque chose lui frôler les jambes. Elle tressaillit et fit un pas de côté, avant de baisser les yeux. À la vue de la petit boule de poils beige qui la regardait avec de grands yeux sombres, en battant la queue avec frénésie, elle sentit son cœur fondre de tendresse. Elle se baissa et sans se soucier de sa belle robe noire et de son sac haut de gamme qui glissa à terre, elle caressa d’un geste tendre le chiot qui n’en demandait pas tant et qui exprimait sa joie en bavant à qui mieux mieux sur ses escarpins luxueux. « Salut toi ! ... Oh mon Dieu, a-t-on déjà vu quelque chose de plus adorable ? » Il lui lécha alors la joue avec enthousiasme et au lieu de s’en offusquer, elle éclata d’un rire enfantin. Soudain, en compagnie de ce petit labrador, Emma se sentait le cœur et l’esprit plus légers. C’est alors qu’elle se rappela qu’elle n’était pas la seule humaine dans la pièce. Elle se redressa en se nettoyant la joue et avec un sourire penaud, s’adressa à Lysander : « Désolée, je ne sais vraiment pas me tenir en présence de petites choses mignonnes comme celle-ci. » Elle grattait toujours la tête du chiot, sous le charme. « Comment s’appelle-t-il ? »  Finalement, elle avait bien fait de venir voir Lysander.