« Vous voulez dire qu’elle n’entendra que d’une seule oreille… Toute sa vie ? » Marissa Hepburn portait la petite Rory, âgée de trois ans sur ses genoux. Les médecins avaient détectés il y a peu, que le bébé avait des problèmes de perceptions des sons, qui avait immédiatement amené les parents de la petite fille chez un ORL spécialisé. La réponse et le bilan du médecin avait été sans appel.
« Elle est sourde d’une oreille Madame Hepburn, et c’est irréversible. » Madame Hepburn serra un peu plus fort sa fille contre elle, contre le petit ventre de femme enceinte qui se dessinait à nouveau. Elle pleura silencieusement, pour ne pas inquiéter sa petite fille qui restait sagement, presque endormie sur les genoux de sa maman. Samuel Hepburn se serra à son tour contre sa femme. Rory était à moitié sourde. Elle avait une capacité auditive limitée, et personne ne s’en était rendu compte jusqu’à ce qu’elle se mette à essayer de parler. Dieu que Samuel pouvait se sentir coupable.
« Et que peut-on faire pour… l’aider ? » L’ORL le regarda tour à tour. La petite Rory avait finie par s’assoupir sur le sein de sa mère. Le médecin observa la petite fille. Tellement jeune et elle devait déjà faire face à un problème de cette taille. Trop jeune même. Il n’avait jamais eu des cas tel que celui-ci. Ca le désolait que cette gamine soit le premier.
« Il y a éventuellement la possibilité de lui proposer une aide auditive, j’entends par là, un appareil auditif. Cela l’aidera à vivre, mais ça ne remplacera jamais son oreille. » Les Hepburn se regardèrent. Famille modeste, ils savaient que donner à leur fille l’occasion d’entendre avec ses deux oreilles leur couterait cher, mais ils ne voulaient que leur bien-être, uniquement le bien être de leur princesse.
Elle ne savait pas comment elle devait se comporter c’était un fait. Et si Rory ne savait pas si elle devait jouer la victime ou ignorer le fait qu’elle était une victime du destin, les autres ne savaient pas s’ils devaient la traiter comme une handicapée ou une personne comme tout le monde avec un petit truc qui la rendait moins normale. Après tout, physiquement, à part le truc qu’elle avait dans l’oreille, elle était normale. Et elle était bonne. C’était ce que pensaient les trois quarts des garçons de son entourage.
« Bon… On le roule ce truc, quelqu’un sait faire ? » Rory ne savait pas non plus comment se comporter par rapport à cette situation non plus. Elle ne savait pas si elle devait se lancer ou pas. Elle ne savait pas. Elle était l’ainée d’une famille, elle avait un frère, une sœur. Mais elle était aussi une tête brulée qui avait besoin de voler de ses propres ailes. Elle avait seize ans, elle voulait découvrir la vie. Même si la vie ne se résumait pas à un joint, elle en était consciente. Elle voulait tomber amoureuse, faire l’amour pour la première fois de sa vie, croire en une relation, être déçue. Elle voulait arrêter de croire que le petit truc contenant une pile derrière son oreille dicterait sa vie. Ce n’était pas le cas. Ca ne le serait jamais.
« J’veux bien essayer » La Rory discrète et introvertie que les autres connaissait venant de s’envoler. Et c’est sûrement ce jour là qu’elle a décidé de ne plus s’arrêter de vivre à cause de sa surdité. Qu’elle est devenue Crazy-Rory –surnom honteux faut l’avouer. Ce jour a été sa prise de conscience.
« J’comprends pas, j’comprendrais jamais » Rory était à côté de sa petite sœur et lui tenait la main. Pour une fois depuis longtemps, ses cheveux étaient attachés en un chignon, laissant apparaitre son appareil auditif, pour une fois. Sa petite sœur l’avait vêtue d’une robe noire qu’elle avait chinée pour l’occasion. Elle portait des lunettes de soleil rondes, totalement noires, empêchant quiconque de voir ce qu’elle pouvait ressentir. Une douce brise d’automne soufflait dans le cimetière. Le cercueil quand à lui descendait peu à peu sous terre. En seul guise réponse à sa grande sœur, la cadette lui serra la main. Elle aussi, venait de perdre son frère. Mais ce n’était pas elle qui conduisait ce soir là, ce n’était pas elle non plus qui était sur la place du mort. Les parents de Rory se trouvaient derrière elles, tous deux aussi étaient anéantis par le chagrin.
« J’comprends pas, pourquoi c’était pas moi. J’avais pas bu, rien. J’comprends pas » murmurait Rory. Les larmes ruisselaient le long de son visage, silencieusement. La jeune femme âgée de vingt ans ne se remettait et ne se remettrait jamais de la mort de son petit frère, de trois ans son cadet. Elle avait du mal à imaginer qu’elle ne reverrait plus jamais, qu’il resterait sous terre. Et que c’était sa faute. Madeleine Hepburn se sentait obligée de soutenir sa grande sœur, malgré ses quinze ans. Elle aussi était touchée par la mort de Soren, mais encore plus par la culpabilité qui semblait tuer à petit feu Rory. Elle ne mangeait plus depuis l’accident, ne dormait plus.
« Rory… » Madeleine prit sa sœur dans ses bras. Celle-ci laissa alors couler les larmes pour de bon tout en observant le cercueil de son frère se faire recouvrir par la terre. Et elle finit par se dire que s’il ne pourrait plus vivre, elle continuerait de vivre pour lui.
« Ah parce que tu crois que poser avec trois bouts de tissus sur le corps ça va régler tous tes problèmes » Rory se retourne et soupire. Même ses propres parents n’ont pas été aussi chiants. Il faut que cela soit sa petite sœur, Madeleine, seize ans, qui s’en charge. Rory sait ce qu’elle fait. Ou du moins, elle pense. Et puis de toute façon, elle n’a plus réellement le choix. Les photos sont déjà faites, les papiers signés depuis longtemps.
« Tu veux que je les paye comment mes études ? Au moins la je suis tranquille pour un moment. Et puis je suis pas ultra-fat c’est pas comme si j’étais désagréable à regarder » Si Rory s’était réveillée plutôt, elle aurait sûrement eu une bourse, elle le sait. Pourtant, elle n’est pas du genre à tout préparer. C’est un fait. C’est une chose à laquelle ses parents doivent se faire. Elle a décidé de reprendre ses études parce que Soren n’en fera jamais. Elle fait ce qu’il ne pourra jamais faire. Elle le fait vivre par proccuration sans oublier pour autant de profiter de sa vie, qu’elle a, elle aussi, failli perdre.
« Soren serait pas content » « Tu rigoles ? Il serait fier de savoir que sa sœur est assez bonne pour poser pour de la lingerie Mad’ » La cadette soupire à son tour. Ca l’énerve presque.
« De toute façon, c’est trop tard ma chère ! » Rory sourit. Oui, elle sourit. Elle l’a retrouvé, ce sourire. Elle a retrouvé l’appétit. Elle a de nouveau envie de vivre. Pour Soren, même s’il lui manquera à jamais.
« Et pourquoi Londres ? » « Parce que c’est plus pratique si je dois refaire des photos » conclut-elle en riant.