i can feel the cracks in my spirit (victoria)

C’était sûrement la décision la plus difficile qu’elle avait eu à prendre de sa vie. Abandonner son bébé. Le donner à une famille qui le voulait et qui en prendrait soin et qui serait capable de lui donner tout ce que Victoria ne peut pas. Une belle vie, un bel appartement ou une belle maison avec un grand jardin. Un chien, peut-être (Victoria avait supplié pour avoir un chien quand elle était petite, mais ses parents avaient refusé, jugeant que c’était trop de responsabilité. Peut-être qu’ils avaient raison.). Toutes ses choses que Vicky ne pourrait lui offrir. Elle n’avait que dix sept ans, après tout. Elle n’avait pas les moyens de s’occuper d’elle-même, alors d’un bébé, ce n’était pas concevable. L’accouchement avait été long et douloureux. Presque douze heures de travail. Ça avait été interminable pour Victoria. Et la douleur avait été insoutenable à certains moments. Elle avait refusé la péridurale, se disant que ce ne serait qu’une faible douleur comparée à la décision qu’elle avait prise. La sage-femme lui avait demandé si elle voulait tenir le bébé, le voir, le toucher mais Victoria avait refusé. Elle avait hoché la tête négativement et avait fermé les yeux, laissant échapper quelques larmes. Elle avait même refusé de connaître le sexe de l’enfant. Soupirant, elle passa une main dans ses longs cheveux avant d’enfourner quelques t-shirts dans un sac. Elle avait besoin de changement, elle avait besoin de quitter cette ville, de commencer un nouveau départ. Ses rêves de devenir infirmière s’étaient envolés le jour où elle avait fait pipi sur un petit bâtonnet qui avait affiché deux petites lignes roses quelques minutes plus tard. Il avait fallu d’un soir, d’une seule fois. Une soirée trop arrosée, un garçon dont elle se rappelle juste le nom et la couleur des yeux. C’est tout ce qu’il avait fallu pour qu’elle tombe enceinte. Elle s’était souvent demandée si le bébé lui ressemblerait ou si il ressemblerait à ce garçon. Une part d’elle espérait qu’il lui ressemblerait à elle, qu’elle puisse au moins laisser une part d’elle, une part qui n’appartiendrait qu’à elle. Après ça, elle avait tout quitté. Le lycée, sa maison, sa mère, son père, son frère et sa sœur. Elle n’avait pas eu le courage de rester et de voir la déception sur le visage de sa mère, n’aurait pas supporté d’entendre qu’il fallait qu’elle avorte. Parce que ce n’était pas ce qu’elle avait voulu. Alors elle était partie, se réfugiant chez sa tante. Tante qui n’avait pas jugé et qui l’avait accueillie les bras ouverts, promettant de ne rien dire à ses parents. Victoria en était énormément reconnaissante. Mais il était temps de partir. Elle avait décidé de partir en France, pour commencer. On verra ensuite. La voix de sa tante la fit sursauter légèrement. « Tu es sûre que tu ne veux pas rester ? On pourrait te trouver un petit boulot chez mo- » - « Je suis sûre. Il faut que je parte. » Elle essaya de sourire, mais le cœur n’y était pas. Sa vie avait tellement changé en moins d’un an et allait continuer de changer. Ça lui faisait peur. Mais il le fallait. « Merci pour l’argent, t’étais pas obligée. » Ajouta-t-elle doucement, se balançant d’un pied à l’autre. Sa tante ignora le commentaire décidant à la place de lui faire un câlin et de lui rappeler qu’elle savait où la trouver si elle changeait d’avis et de revenir. Victoria la remercia et lui assura que c’était la bonne décision. Elle balaya rapidement la pièce du regard. Ses yeux tombèrent sur une paire de petits chaussons en laine qu’elle avait trouvé dans un magasin. Ils étaient minuscules,  tenaient dans une main. Ils avaient une couleur neutre, le vert. Ils auraient pu aller autant à un garçon qu’à une fille. C’était le seul objet qu’elle s’était autorisée à acheter pour ce bébé. Elle s’était refusée de le nommer ou de trop lui parler. De trop s’attacher. Ce bébé qu’elle n’a même pas eu le courage de tenir de peur de ne jamais le laisser partir. Il méritait mieux qu’une adolescente perdue et seule. Elle attrapa et son sac et quitta la maison dans laquelle elle avait passé les sept derniers mois de sa vie. Une nouvelle aventure l’attendait.