(✰) message posté Sam 25 Avr 2015 - 15:36 par Invité
“They keep track of time. Sometimes things happen and you feel that you need to mark them down. My body is my journal, and my tattoos are my story.” ✻ Je portais le mot « Toujours » sur mon poignet gauche comme une ancienne cicatrice indélébile. Mon regard meurtri se posait sur ma peau et je revoyais tous les mois de perdition que j’avais endurés loin d’Eugenia. Le cœur nostalgique était malade, et le mien battait à contre sens, au milieu des douces douleurs et des délices charnels. Lorsque je pensais à mes petites amies, mon esprit sombrait dans une forme de déni presque inquiétante. Je n’avais connu l’amour qu’une seule fois, le reste du temps je ne faisais que me fourvoyer. Le soleil apparaissait à travers le ciel floconneux afin d’envahir mon visage sombre. Je relevai la tête, les traits allongés et la bouche courbée, rêvant éveillé que les marques de mes déceptions s’effacent comme par enchantement. Je voulais enlever ce tatouage. Je voulais oublier la France et l’éternité de mensonge que je m’étais infligé loin de Londres. Mon genou claqua au gré du vent, ponctuant le cours de mes pensées. Je longeais la promenade du centre-ville en chancelant loin des commerces animées et de la foule gémissante. Le silence enlaçait ma poitrine et je le recueillais avec une profonde gratitude. A quoi bon parler lorsqu’il suffit d’un signe, d’un regard ou d’un geste pour contempler la vie ? Mes doigts se posèrent presque machinalement sur la poche de ma veste, tâtonnant le tissu comme pour en extraire l’élixir du bonheur. Mon paquet de cigarette glissa contre ma paume avant de laisser échapper les effluves d’un parfum de nicotine captivant. Ma langue vacillait dans ma bouche, avide de bouffées de fraîcheur empoisonnées tandis que mon cœur se consumait dans le désir tourmenté d’assouvir ma sensation de manque. Je sortis mon briquet avec un léger frisson avant de presser la détente avec application. Mes lèvres suçaient le filtre avec un désespoir passionné avant de lâcher subitement prise. Je me penchai en dégageant les volutes de fumées gracieuses à travers ma gorge ; tous les fumeurs étaient des artistes de l’ombre. Ils exhumaient les simulacres du passé comme des dessins fugaces avant de les regarder disparaitre. Je déglutis avant de sourire d’un air bête ; mes réflexions n’étaient qu’un ramassis de conneries. Je plissai le front en regardant ma montre. J’étais en retard mais je n’avais toujours pas pris l’initiative d’accélérer le pas. Luna m’attendait depuis quelques minutes déjà, mais je voulais lui épargner le statut peu glorifiant du fumeur passif. Ainsi, elle ne connaitrait de moi que l’odeur du tabac froid et le sourire complice d’un vieil ami, et elle pourrait fumer à sa guise sans me faire porter le chapeau de ses frustrations. Mon bras libre chancelait en cadence avec le rythme de ma marche irrégulière. Mes jambes flageolantes s’amusaient à mes dépends, comme assailli par une fatigue extrême. Pourtant, je ne me sentais pas spécialement blasé en me levant ce matin. J’avais toutes les raisons du monde d’être comblé, mais mon corps s’était sans doute un peu trop habitué aux désillusions. Je bifurquai au bout de la rue, avant de me retrouver devant un petit café, habituellement fréquenté par les étudiants. Je me rappelais de nos rencontres nocturnes et exaltantes. Je me souvenais de la fougue, de la frénésie et de l’insouciance de la jeunesse. Je revoyais le déchirement violent de nos existences et nos confessions secrètes sur l’oreiller d’un lit trop étroit pour deux. Luna m’avait tenu la main lorsque le deuil m’avait emporté. Elle m’avait souri car elle comprenait mieux que personne la douleur inhérente et la perte des plus chers. Je m’arrêtai afin de chercher sa silhouette flegmatique dans le décor calme et lumineux de la pièce. Il y avait un million de visages autour de moi, mais seule son aura bienveillante captivait mon attention. J’écrasai frénétiquement mon mégot, puis je m’élançai à perte d’haleine à la rencontre de la jeune femme depuis trop longtemps perdue de vue. Mes mains se posèrent délicatement sur son dos puis sur ses épaules ; « Ne rougis pas aussi vite, ce n’est que moi. » La taquinai-je avec douceur. Je contournai sa table afin de lui faire face. Mes lèvres pincées se posèrent sur ses joues creuses avant de tracer un grand sourire sur mon visage. « Je devrais tellement te bouder d’avoir arrêté de m’envoyer des mails. » Marmonnai-je en me laissant tomber sur une chaise. Elle me semblait différente. Je détaillais son expression, mais j’étais incapable d’expliquer mon sentiment. Sans doute, était-elle une fleur qui avait fané pour mieux fleurir. Ses pétales étaient plus aigües, ses épines étaient acérées et ses couleurs flamboyantes comme une poussière d’étoiles immortelles.
Luna était de ces femmes qu'on ne peut s'empêcher de regarder quand elle passe dans une rue. Une de ces femmes qui avaient un style particulier. Clope au bec, vêtements lâches et tenue négligée, la classe l'habitait d'une façon discrète mais présente. Luna était une de ces femmes que les autres femmes admiraient et enviaient pour s'assumer autant. Une de ces femmes qui avaient un regard glacé et une arrogance à toute épreuve. Une de ces femmes qui ne se laissaient pas marcher sur les pieds. Une de ces femmes nées la tête haute, supportant la douleur en silence. Les femmes l'admiraient, et les hommes aussi. Ils l'admiraient, ils auraient voulu l'aimer. Ils auraient pu, si elle était d'accord. Ils avaient envie de découvrir quel oiseau elle était, petit oisillon à protéger contre tout, grand aigle libre et solitaire. Ils avaient envie de découvrir quelle lionne l'habitait, et quelle rage pouvait l'emporter quand on faisait du mal à un être cher. Tous l'admiraient, tous l'observaient, tous, en secret, rêvaient d'elle et d'être à ses côtés. Mais presque aucun ne s'apercevait qu'une relation entre eux n'aboutirait jamais à rien, car le simple fait d'une admiration rendait tout ça impossible. L'admiration à sens unique qu'elle provoquait sans s'en rendre compte condamnait l'une après l'autre les relations qu'elle aurait pu avoir. Mais Luna, l'orgueilleuse Luna, ne s'en rendait pas compte. Elle ne les aimait pas. Elle ne les admirait pas. Elle ne les remarquait pas. Le seul qui comptait, c'était Cayden. Et c'était l'un de seuls à ne pas l'admirer en secret. C'était l'un des seuls à résister à ce charme qu'elle distillait si discrètement et si irrémédiablement. Cependant, aucun des hommes ne l'oublierait. Elle resterait dans leur mémoire comme un souvenir, un fantôme, une silhouette d'une fille qui les avait impressionnés. Une femme libre et sans maître, avec la classe comme armure et la froideur comme bouclier. Ils auraient voulu la connaître sans ces protections, mais ils ne pouvaient pas. Et inconsciemment, ils savaient, au fond d'eux-mêmes, que c'était mieux. Ils ne voulaient pas perdre cette illusion de force et d'indépendance. Il y a des choses, des rêves, des idées qu'il vaut mieux garder. La réalité ferait trop mal.
Elle était conne. Pour se sauver, pour ne pas succomber à la tentation, elle avait décidé de l'éviter. Elle avait cru à une époque que le meilleur moyen de faire disparaître une tentation, c'était d'y succomber. Ou qu'il fallait la vivre avant qu'elle ne parte. Mais ce n’était jamais arrivé, et rien n’y faisait, Cayden restait sa tentation. Elle ne voulait que l'embrasser, le prendre dans ses bras, le toucher, le respirer. Elle voulait vivre à travers lui, elle voulait vivre pour lui. Elle ne pouvait pas se battre contre cette volonté, elle n'était pas assez éduquée. Elle voulait suivre ses désirs, elle en était prisonnière. Rebelle pour être libre, mais prisonnière d'elle-même… Quel destin idiot. Alors elle l'évitait, elle l'évitait. Elle ne voulait pas, ne pouvait pas. C'était sa cure de désintox', qu'elle doutait de réussir un jour. Mais elle essayait, c'était son objectif. Elle voulait l'oublier, passer à autre chose, aimer quelqu'un d'autre. Elle voulait que cette tentation passe enfin, disparaisse. Alors elle l'évitait, sans cesse. Luna regarda sa cigarette qui fumait seule, et l'écrasa sur le bitume. Non. Elle ne retomberait pas dans le piège doucereux et douloureux de Cayden. La jeune femme sortit son briquet de sa poche, et alluma une autre cigarette. Non. Elle n'arrêterait pas sa seule drogue qui lui restait pour autant. Elle avait vingt-deux ans, elle avait le cœur en lambeaux. Elle était plus que majeure, libre de décider de ses actes et de ses choix. Mais le sérieux total attendrait… Elle ne voulait pas devenir une vieille fille solitaire, aigrie d'elle-même avec son chignon toujours parfait. Elle ne voulait pas devenir ce qu’on attendait d’elle, un génie mésestimé qui soignerait le cancer ou écrirait une nouvelle symphonie. Elle voulait être ce qu'elle serait, libre et indépendante, amusée et amusante, responsable et désinvolte. Elle voulait se foutre du monde et de ses règles qui ne lui convenaient pas, et entrer dans la société pour ne pas finir à la morgue trop tôt. Elle ne voulait pas devenir un de ces petits toutous suiveurs du mouvement, mais elle ne voulait pas devenir une Anarchiste pour autant. Elle savait qu'il y avait d'énormes problèmes dans la société, mais détruire ce monde ne servirait à rien pour les résoudre. Elle avait vingt-deux ans, et comme tous les jeunes de cet âge, elle voulait changer le monde. On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, disait Rimbaud… Mais après dix-huit ans, c'était une autre forme de non-sérieux qui prenait le dessus. Celui du non-sérieux de la société.
Elle n'avait jamais autant donné d'elle-même pour une personne, jamais. Durant toute sa vie elle n'avait été capable que de prendre et prendre encore. Même son amour elle ne le donnait pas. Elle le gardait précieusement en elle, au plus profond d'elle-même verrouillant ses sentiments dans la boîte noire de son cœur. "Boîte noire", c'était vraiment le terme adéquat, car elle se disait que ce serait par-delà la mort que les gens sauraient si elle les avait aimé ou non. Évidemment qu'elle aimait, à sa manière ceci dit. On ne lui avait appris que ça, elle ne connaissait rien d'autre. Un amour ça ne se dit pas, ça ne s'avoue pas, sinon il devient une faiblesse et on le retourne contre vous. C'était ça, aussi, d'avoir été élevée une bonne partie de sa vie en orphelinat, où les gens auxquels vous vous attachez vous sont finalement enlevés. On l'avait habitué à prendre, sans jamais rien donner en échange, sans même avoir à demander. C'était ainsi, il en avait toujours été ainsi. Pourtant, en rencontrant Julian, elle avait appris la notion de don, et qui plus est, la notion de don de soi. Il ne demandait rien, il n'avait même pas à demander, elle s'offrait, comme s'il n'y avait rien de plus naturel, sans préméditation aucune, et sans même attendre quoi que ce soit en échange, sans même y réfléchir. Donner pour recevoir ou recevoir pour donner ? Cette notion philosophique n'avait pas lieu d'être entre eux. Elle donnait sans rien attendre et elle recevait sans s'y attendre. Chaque jour elle se surprenait un peu plus, offrant ce qu'elle ne se pensait même pas capable d'offrir. Ce n'était plus seulement son amour, c'était encore au-delà, encore plus improbable. Chaque jour elle se disait qu'elle ne pourrait donner plus, qu'elle ne pourrait trouver un autre moyen de lui prouver son amour. Parfois, le soir, sur l'oreiller elle paniquait à l'idée de n'avoir plus rien à offrir, à l'idée qu'il possédait déjà tout d'elle, et qu'un jour, lorsqu'il en voudrait encore plus, elle serait impuissante face à sa demande. Mais elle se trompait, elle se trompait totalement. L'amour se donne de différentes manières en fonction de différents instants et de différentes épreuves. Et un jour, quand elle serait capable de repenser à cette nuit avec objectivité, si tant est que ce jour existe, alors elle se rendrait compte qu'elle lui avait donné ce que personne d'autre n'aurait pu lui donner, ce que personne ne l'aurait soupçonné de pouvoir lui donner, ce que peu de gens au monde était capable de donner : la vie. Sa vie... Oui, c'est presque simple de donner sa propre vie en échange d'une autre. Tous les romans en parlent, une grande partie des films hollywoodiens à gros budget aussi. Ça en devenait presque banal. Mais qui aurait imaginé qu'elle était capable de donner la vie, donner la vie à un adulte, et simplement en restant auprès de lui ? Walt Disney peut-être. Mais se serait-il intéressé à l'histoire lugubre de deux enfants devenus adultes, qui se complaisaient dans la souffrance et la colère ? Aurait-il parlé de cette scène dans une chambre, alors que la jeune fille tentait de calmer le jeune homme, quitte à être blessée par sa colère ? Aurait-il évoqué l’alcool maculant les vêtements du jeune homme et son visage en larmes ? Non, il aurait probablement décrit une Princesse et son Prince blonds tous les deux, qui se seraient retrouvé dans une immense et belle forêt... Peut-être aurait-il gardé le geste, ce geste, ce baiser que la jeune femme venait de déposer sur la joue de son ami, une main posée sur son torse, en haut à gauche, juste au-dessus des battements d'un cœur qui bat... D'un cœur qui vit... D'un corps en vie...
Parler... On lui avait toujours dit qu'il fallait parler afin d'exorciser le mal. Ça aidait à se libérer d'un poids. Bien sûr, elle l'appliquait rarement sur elle-même, non, elle était bien trop sauvage pour ça, elle intériorisait tout, mais elle savait qu'elle avait tort. Malgré tout c'était son problème, et elle n'avait pas besoin d'emmerder les autres avec ses blessures intérieures. Dans son cas, parler n'était pas une solution envisageable, elle ne le souhaitait pas, elle n'aurait pas aimé formuler à voix haute toutes ses craintes, toutes ses failles, toutes ses phobies, ça aurait été s'exposer un peu trop, et offrir un moyen de pression à la personne qui aurait reçu ce témoignage. Evidemment on ne lui demandait pas de se confier au premier venu, et Julian ou les autres n'auraient pas eu l'audace de se servir de ses failles pour la rendre plus faible, mais elle était ainsi, elle ne pouvait lutter contre cette tradition du "secret". Et puis, même sans un mot, elle était un livre ouvert. Est-ce que Julian ignorait encore quoi que ce soit à son propos ? Non, il savait tout, il avait tout deviné. Est-ce qu’il se laissait avoir par ses non-dits ? Non, il avait le don de lire dans ses yeux, dans ses gestes, ce que ses lèvres taisaient. Seule ses parents restaient bien souvent dans le flou, même si elle se doutait que cela témoignait de leur besoin, de leur volonté propre de rester dans le flou, car un simple coup d'œil à Luna et ils auraient su tout de ce qu'elle tentait, en vain, de leur cacher. Pourtant, Luna se taisait toujours, capitonnant au plus profond d'elle-même ce qu'elle aurait aimé garder pour elle, et qui, au final, la torturait plus que cela ne la rassurait. Car formuler les choses, mettre des mots sur des émotions, chercher à définir un sentiment, c'était aussi s'en débarrasser. En lui donnant un nom, une identité propre, on le rendait moins effrayant, moins oppressant, on domptait le mal, on l'apprivoisait, et après, seulement, on pouvait devenir maître de ses émotions, et vivre avec.
Elle s’était dit qu’elle pourrait parler avec Julian. Et puis elle avait passé la nuit avec Robin, et maintenant elle avait le sentiment d’avoir perdu quelque chose d’important. Elle n’aimait pas mentir, elle avait le mensonge en horreur, mais elle avait promis au meilleur ami de Julian que ce souvenir devait rester secret. Alors elle ne dit rien quand il s’assit en face d’elle, elle ne répondit rien au début quand il la menaça de bouder suite à son absence de mails. Elle voulait éviter son regard trop observateur parce qu’elle se doutait qu’il lirait en elle, et ça, elle ne le voulait pas. Je t’en prie Julian, ne me force pas à te mentir. Dans un des cafés étudiants de la capitale, Luna, les yeux dans le vague, n’a pas vraiment le cœur pour une discussion. C’est un regard vide qu’elle reporta sur lui, un sourire hésitant aux lèvres. « T’as une sale tête. » lui rétorqua-t-elle moqueusement, espérant reporter son attention sur autre chose qu’elle-même. Son bras s’étira au-dessus de la table, et sa main frêle se déposa avec une délicatesse surprenante sur la joue mal rasée de deux jours en une caresse tendre.
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(✰) message posté Mar 12 Mai 2015 - 15:59 par Invité
“They keep track of time. Sometimes things happen and you feel that you need to mark them down. My body is my journal, and my tattoos are my story.” ✻ Mon regard se posa sur Luna ; ses yeux scintillaient comme une poussière d’étoiles à l’aube de l’extinction finale. Je reconnaissais ses traits délicats et le dessin de sa bouche voluptueuse, mais son expression ne faisait que miroiter une illusion d’unité de sa personnalité. Je pouvais percevoir les filets du désespoir enlacer sa silhouette chétive et fragile alors qu’elle s’asseyait en face de moi. Un sourire triste se traça sur mon visage avant que mes doigts ne glissaient vers sa main. Son silence était pesant mais je n’objectais rien. Je la laissais sombrer dans l’apathie avant de la rejoindre au fond du précipice. J’avais beaucoup affection pour la jeune femme. J’éprouvais à son égard, une profonde gratitude sans être réellement amoureux. Je voulais tout simplement qu’elle fasse partie de ma vie car nous étions liés depuis l’école primaire d’une manière étrange et fusionnelle. Je me mordis l’intérieur des joues, incapable de prononcer le moindre mot. Moi aussi, j’avais besoin de me ressourcer. J’avais besoin de sa présence et des souffles de vent qui s’engouffraient dans ma chevelure dorée, afin de m’aider à accomplir une tâche merveilleuse et importante ; analyser les fluctuations de son esprit charbonneux. Elle souleva légèrement la tête, telle une orchidée dont les nuances mauves devenaient striées par la couleur boueuse de la terre. Je me penchai légèrement, aux aguets, prêt à rompre ma bulle de solitude mais son expression froide et torturée flottait dans ses pupilles qui semblaient accepter d’endurer toutes ses souffrances muettes. Ma gorge se serra au gré des tremblements de ses lèvres. « T’as une sale tête. » Elle avait prononcé chaque mot avec gravité. Je retins ma respiration en arquant un sourcil, de plus en plus intrigué par son comportement. Elle me donnait l’impression d’être gênée par un secret inadmissible, une horrible vérité, qu’elle voulait taire à tout prix. Ses mouvements lents et disgracieux contrastaient avec son charme et son flegme habituels, et je me surpris à envisager le pire. Ses traits étaient figés, comme paralysés par un froid immuable. Je me raidis dans mon siège. Une petite boucle de cheveux tomba sur son front plissé, et je tendis le bras afin de caresser sa tempe brûlante avec douceur. Combien de fois, avions-nous exploré les courbes aguicheuses de nos cœur au clair de lune dans une chambre d’étudient miteuse ? Notre amitié n’était pas ordinaire. Elle ne suivait pas la marche du temps ou du destin. Je pensais parfois, que j’avais retrouvé l’une de mes âmes sœurs perdues sur terre. Après tout, il n’y avait pas qu’un seul doublon d’âme mais plusieurs fragments éparpillés dans le ciel. Je secouais légèrement la tête en la touchant avec inquiétude, mais aussi avec une certaine retenue. Mes sens étaient tiraillés par un mauvais pressentiment. Luna, tu m’as rattrapé lorsque je me tenais aux portes de l’oubli. Tu as brisé ma mélancolie et tu m’as redonné vie. Dis-moi ce que tu as. Douleur et souffrance ne se marient pas très bien avec le plaisir – et je lui là pour le plaisir de ta compagnie. Je déglutis en ancrant mon regard troublé dans le sien. Cette scène me paraissait de plus en plus irréelle. Jamais encore, notre relation n’avait été submergée par cette fixité lourde et pesante. « Je pense que je suis assez joli garçon, même après avoir cumulé plusieurs nuits sans sommeil. Ne te fais pas de soucis. » Soufflai-je avant de lever le bras pour interpeller le garçon de table. Le jeune homme s’avança nonchalamment vers nous avec son bloc note et son sourire bienveillant. J’acquiesçai d’un signe de la tête en commandant un café serré avant de désigner Luna. « Café aussi ? » M’enquis-je en faisant la moue. Je retournai mon poignet gauche en observant les tracés de mon tatouage « Sempre ». J’avais l’habitude de le cacher avec une grosse montre, mais j’avais décidé dans un élan de lucidité de laisser le passé derrière moi. Je devais effacer l’ancre indélébile par tous les moyens et écrire une nouvelle histoire pour me libérer de mes anciennes blessures. Je grinçai des dents en imaginant la morsure de l’aiguille et l’odeur aigrelette du sang s’engouffrer dans mes narines, avant de me détourner en vitesse. Putain, qu’est-ce qui m’avait pris de céder aux caprices d’une petite amie ? Mes yeux se posèrent de nouveau sur la table, sur mon paquet de cigarette puis enfin sur le visage de cette amie que je ne reconnaissais pas. Luna, réveille-toi.
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(✰) message posté Dim 17 Mai 2015 - 18:38 par Invité
One night I will be the moon luna & julian
Un silence lourd et pesant s’établit suite à la remarque que Luna avait faite à Julian. Un long moment pendant lequel elle sentit le regard perçant de l’Anglais l’observer sous toutes les coutures, chercher le point faible, non pas pour s’en servir contre elle – elle avait une confiance aveugle en Julian, elle savait que jamais il ne chercherait à lui nuire – mais plutôt pour la comprendre, pour essayer de lui venir en aide. Il était fait comme ça, et elle ne le savait que trop bien. Si pour la sauver, il avait dû s’arracher le bras droit, alors c’est sans hésiter qu’il l’aurait fait. Mais aujourd’hui, Luna hésitait à le mêler à ses problèmes. Assez égoïstement, elle ne voulait pas l’entraîner dans sa chute quand tout commençait enfin à aller mieux pour lui. Elle avait besoin qu’il aille bien, ça la rassurait. Ça lui permettait d’envisager que toute douleur avait une fin. Elle fut surprise par le contact soudain de la main de Julian sur son front, et releva sur lui deux grands yeux verts étonnés, un peu perdus. Ses doigts étaient singulièrement froids, ou bien peut-être était-ce elle qui était un peu fiévreuse ? Elle voulut réfléchir à la question, mais ce fut l’instant que Julian choisit pour lui sortir sa réplique. « Je pense que je suis assez joli garçon, même après avoir cumulé plusieurs nuits sans sommeil. Ne te fais pas de soucis. » Du souci pour lui, elle ne cesserait jamais de s’en faire, mais ça, elle n’eut pas le loisir de le lui dire, tandis que d’un signe du bras il appelait le serveur pour passer commande d’un café. Son regard se posa à nouveau sur elle alors qu’il lui demandait « Café aussi ? », elle acquiesça silencieusement. Certes, il n’était pas difficile de connaître ses goûts – tout bon Italien qui se respecte préférait un bon expresso aux bouillasses infâmes bourrées de lait et de sucre – cependant elle appréciait que Julian ait retenu ses préférences même après tout ce temps depuis la fin de la relation. Elle n’avait jamais cessé d’imaginer un lien entre eux deux, comme un fil tendu, qui s’allongeait ou rétrécissait suivant s’ils étaient plus ou moins éloignés l’un de l’autre. Une petite voix dans son esprit lui rappelait la légende des âmes sœurs liées par le fil rouge du destin, les vies oscillant sur cette ligne tendue mais se retrouvant toujours, malgré le changement d’enveloppe corporelles, les âmes se retrouvant toujours. Aujourd’hui, elle imaginait cette cordelette sanguinolente, rougie de sang, de son sang. Elle se remémorait la venue de Julian à Vérone, quand il lui en avait fait la surprise pour son anniversaire. Elle se rappelait combien elle allait mieux à ce moment-là, et elle aurait voulu retrouver cette joie qui semblait l’habiter en ces instants. Le serveur apporta les deux cafés ainsi que la note, pour laquelle elle savait qu’elle devrait faire semblant de se battre avec Julian plus tard, chacun insistant pour la régler. Elle était fatiguée des faux semblants, elle était fatiguée de feindre sans cesse un masque qui était devenu trop lourd à porter. Elle joua avec la cuillère du bout des doigts, puis releva le nez vers l’homme. « Julian... ? » Un sourcil en lévitation, Julian releva le nez à son tour. C’était le moment, c’était l’instant, juste elle, lui, personne d’autre, pas de témoins directs, pas de téléphone sonnant au moment le plus inopportun, c’était l’instant parfait... « Julian j’ai mal, Julian je vais mal, Julian j’ai envie de mourir, Julian je l’aime à en crever, Julian je veux crever, Julian montre moi que je mérite d’être aimée, Julian j’ai froid, Julian j’ai peur, Julian... me laisse pas mourir... » Ses sourcils formèrent un arc triste au-dessus de ses yeux, ses lèvres tremblotèrent, ses doigts lâchèrent la cuillère qui retomba lourdement sur la porcelaine de l’assiette, brisant l’atmosphère avec la brutalité d’une aiguille transperçant un ballon. « Non, rien. » Elle baissa à nouveau le nez vers son assiette, récupérant la cuillère d’une main légèrement tremblante. Les ténèbres n’étaient pas loin, tapies dans l’ombre, distillant leur aura d’angoisse et de détresse. Elle aimait un homme qui ne l’aimait pas, un homme qui ne l’avait jamais aimé, et cet amour risquait de lui coûter celui de ses amis, il le lui avait déjà coûté auparavant, un amour si fragile qu’un mauvais choix sentimental la faisait basculer de la survivance à l’inexistence. Alors il fallait penser à autre chose, et surtout faire en sorte que Julian n’ait pas le temps de lui poser la question fatidique. « Comment ça va avec Eugenia ? » Luna tenta un sourire, et sembla y parvenir, tandis que ses doigts se posaient sur le poignet tatoué du jeune homme, suivant du bout des doigts la courbe de lettres. D’un point de vue extérieur, on aurait pu les croire en couple, juste deux amoureux qui se retrouvaient pour prendre un café ensemble, mais il n’en était rien. Ils s’aimaient, oui, mais à leur manière. C’était plus fort qu’un amour ordinaire.
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(✰) message posté Mar 7 Juil 2015 - 7:28 par Invité
“They keep track of time. Sometimes things happen and you feel that you need to mark them down. My body is my journal, and my tattoos are my story.” ✻ Les liens étranges de l'amour. Là-bas, dans le pays heureux, où les lumières crépusculaires réveillaient mes anciens souvenirs, je rencontrais le visage émacié de ma bien-aimée. Elle se réjouissait encore de mes étreintes malgré la faiblesse de mes muscles et l'allure chagriné de ma silhouette. Elle me regardait et me soufflait la force au cœur de l'ombre afin que la vie colore à nouveau la pâleur de mes muqueuses. Luna avait porté cette étiquette pendant quelques mois. Elle avait incarné les douceurs romantiques de l'amitié bien avant que je ne rencontre Eugenia, et que je ne réalise que ma destinée était différente de tout ce que j'avais bien pu imaginer auparavant. Je me penchai lentement au dessus de la table, frôlant sa main du bout des doigts, mais caressant aussi l'esquisse d'un rêve lointain. Je me souvenais de nos projets d'enfants, de sa façon un peu particulière de redéfinir le monde et de ses longues tirades lorsqu'elle se laissait porté par l'ivresse. Elle m'avait montré les hautes sphères de l'univers avant de m'accompagner dans la déchéance. Elle m'avait confié toutes ses douleurs en frottant une main compatissante et aimante contre mes innombrables cicatrices. Elle reconnaissait la cruauté de mon père, mais comprenait mon attachement démesuré pour la famille. Je ne suivais pas un schéma stéréotypé du syndrome de Stockholm. Non. J'étais tout simplement trop faible pour l'abandonner. Il m'avait blessé pendant des années, mais il m'avait aussi bordé. Il m'avait parlé de sa rencontre avec ma mère et de son grand amour. Il était tombé cent fois avant de se relever et je saluais son courage même s'il l'exprimait de la pire manière qui soi. J'haussai légèrement les épaules. Parfois, j'entendais encore les fluctuations de sa voix au creux de ma conscience. Je distinguais ses mots aussi tranchants que l'acier et ses sanglots étouffés par les vapeurs de vin et d'alcool. Je me sentais presque désolé qu'il ait sombré si jeune, si vite. Je soupirai en adressant un sourire figé, un peu triste, à Luna. Je ne l'avais pas revu depuis des mois, et à la minute où elle était apparu dans mon champ de vision, je m'étais laissé submergé par le passé. Je lui avait tendu la main et j'avais fermé les yeux car je nourrissais en moi l'intime conviction, qu'elle me rattraperait toujours. Plusieurs âmes sœurs et une seule vie, n'est-ce pas ? C'était notre credo après notre rupture.
Je déglutis en posant mes coudes sur la table, lorsque le serveur apporta nos commandes. Je relevai la tasse fumante vers ma bouche d'un air absent. Je m'appliquais dans chacun de mes gestes comme si une part de moi voulait encore faire bonne figure, et charmer ma jeune amie. Mes pensées cheminaient autour de ma tête en bafouant toute mes logiques alors qu'elle susurrait lentement mon prénom. « Julian... ? » Je relevai la tête vers elle et encore une fois, mes yeux fixèrent l'inflexion bizarre de ses doigts, le frémissement de ses lèvres et l'arc étrange de ses sourcils. Je me doutais qu'elle était sur le point de me confier un secret. Elle ne s'en rendait probablement pas compte, mais elle suivait toujours un certain enchaînement lorsqu'elle s'apprêtait à lever les voiles pourpres qui drapait ses blessures. Tout d'abord elle commençait par articuler mon prénom. Pas de pseudonyme ou de surnom niais. Juste mon prénom, tel qu'il était ; simple, léger et succinct. Elle marquait ensuite un temps d'arrêt, lors duquel elle hésitait réellement à aller jusqu'au bout de sa manœuvre. Elle rabâchait probablement ses mots. Elle les récitait en boucle dans son esprit et réalisait à quel point ils sonnaient creux et ridicules. Elle courbait la bouche, effectuait un geste maladroit ou s'embrouillait dans ses mouvements avant d'abandonner toute tentative. Généralement, elle soupirait et changeait de sujet afin de couper court à une éventuelle intervention de ma part. Mais elle se trompait si elle pensait pouvoir me mener en bateau. J'étais bien trop têtu pour oublier. Et surtout, je tenais bien trop à elle pour laisser le mutisme lui écorcher la gorge. « Non, rien. » Je continuais à siroter mon café sans lui prêter attention. J'avais une génération d'avance sur son désespoir. Je savais exactement ce qui hantait ses pensées. Je repoussai mon assiette avant de jouer avec le sachet de sucre qui accompagnait ma boisson. Vas-y, parles moi du réchauffement climatique ou poses moi une question à la con pour fuir la réalité. Je t'attends, Luna. Je me mordis la lèvre inférieure en hochant la tête d'un air bien entendu. « Comment ça va avec Eugenia ? » Bingo. Elle esquissa un faible sourire mais son expression ressemblait plus à une grimace de joker qu'à un échange amical. Je laissai ses doigts suivre les tracés de mon tatouage au poignet. Doucement, je fis glisser ma main dans la sienne afin de stopper ses caresses. « Eugenia ne serait pas contente de savoir que je me suis fait tatoué le mot « toujours » à Paris avec mon ex petite amie. » Je baissai les yeux en entrelaçant nos doigts. « Tout comme je ne suis pas content de voir que tu me caches des choses. » Je fis la moue en me détachant de sa prise. Je battis des cils avant de frotter machinalement ma barbe naissante. Luna était bien consciente que je ne céderais pas face à son silence. Elle avait toujours eu la capacité singulière de prédire mes réactions. Je l'observais avec une lueur de défi dans les yeux. « On avait un marché. » Lui rappelai-je sur un ton plein de reproches. On s'était promis que le fond de la crevasse était bien moins pénible à deux. Elle n'avait le droit de sauter à pied joint dans les ténèbres sans m'entraîner dans sa chute, sans m'emporter comme une nuée de poussière dansant au gré du vent.