une odeur d'apocalypse (tallulah)

Tu n’es pas vraiment de Londres. En fait, tu es née à Bristol, dans ce même pays. Ce qu’il s’est passé entre temps, ce n’est pas un déménagement, ou autre chose de ce genre. Non. Tu as été adoptée.

Tes parents biologiques étaient un couple d’imprudents, des irresponsables, des drogués. Ils n’avaient pas envie d’un enfant et il a fallut que la capote craque pour que tu viennes les faire chier dans leur routine de junkies. Te voilà. Tallulah, Megan. Tu n’as même pas de nom de prénom à la base, ni de nom de famille. Tu n’existes pas. Tu es un accident et tu ne mérites pas un patronyme à leurs yeux. Comment peut-on autant détester ce qui nous sort des tripes ? Tu ne le sais pas. Et cela fait bien longtemps que tu as arrêté de te poser la question. Ce n’est que maintenant que tu décides de vivre ta vie au moment présent. Ce n’est que maintenant que tu décides que ton passé ne te définit cependant, il te détruit sans t’en rendre compte. C’est caché au fond de toi, mais tu sais que la raison de la déchéance qui tourne autour de toi, c’est le commencement. Tu as mal commencé dans la vie, à peine née tu vivais comme une morte.

Ton prénom viens de ta première famille d’accueil. Une famille américaine installée au pays de galles, elle était religieuse. Tallulah est le nom d’une paroisse dans leur ville, en Amérique. C’est ironique parce que tu es loin de la religion. Même la tolérance de celle ci ne serait pas suffisante pour te racheter face à la vie. Tu avais un an. Tu n’as pas encore de nom de famille, puisqu’ils ne font que t’accueillir. Tu ne leur appartient pas, tu n’es pas leur enfant, ils ne veulent pas se jeter dans le fossé et adopter une enfant de junkie. Tu as vécu quand même cinq ans dans cette famille avant qu’on se rende compte, encore, qu’il y a un problème. Ils n’arrivent pas à mettre de mots dessus mais pour eux, tu es la fille du diable. Des grands malades, quand t’y penses aujourd’hui. Dieu les as rendu cons, quand t’y penses maintenant.

Et te voilà repartie dans une autre famille, à Cardiff. Leur fille est morte et ils t’ont accueillie comme si tu étais déjà la leur. Tu as six ans et tu ne sais pas que les prochaines années seront les pires de ta vie. Les plus douloureuses, du moins. Face à la perte de la fille, le père est devenu alcoolique et violent. Et c’est sur toi qu’il passait, les soirs où il y avait un verre de trop. Même lorsqu’il était sobre, aussi. En fait, c’était généralement la “mère” qui raflait le jackpot en journée, toi on te refaisait le portrait lorsque normalement, tu devais rêver comme une enfant de ton âge dans ton lit. A cette heure où l’innocence devait veiller sur toi. Mais il en fût autrement et c’est avec un coup de trop, à douze ans, que tu es obligée d’aller à l’hôpital et qu’on se rend compte que ce qu’il t’arrive. Megan était le nom de leur fille, morte. Tu portes aujourd’hui le nom de la foi et la mort en même temps. Quelle ironie.

A douze ans, tu fume ta première cigarette. Tu n’es pas comme les autres enfants de ton âge, tu as grandi bien trop vite, bien trop tôt, bien trop mal. Tu n’as jamais eu la promesse d’amour de qui que ce soit. Et tu finis encore dans une autre famille d’accueil. Cette partie de ta vie reste floue car ton cerveau la renie fortement. A cette époque tu te fais violer par le père de famille. Une fois, deux fois, trois fois. Une, deux, trois. Une. Deux. Trois. Si seulement ça s’était arrêté là. Mais tout ça continué jusqu’à ce que tu te barres toi même de la maison. C’est pendant cette ère que tu deviens ce que tu es aujourd’hui. Une dégénérée de la société.

Dix sept ans. Tu rencontres cette famille, bien trop normale. Bien trop parfaite. Ils t’accueillent, ils ont un fils qui a ton âge. Tu les mets à l’épreuve avec ton caractère, ton tempérament de fille usée par la vie à seulement dix sept ans. Un an plus tard tu es encore avec eux. Quelqu’un s’est retrouvé dans ton sillage, leur fils. Tu as tissé une relation étrange avec lui, vous êtes pareils, des épaves. Un an déjà, et ils ne veulent pas laisser partir les restes de corps que tu es. Ils t’adoptent officiellement et tu ne comprends pas. Tu deviens alors Tallulah, Megan Southern.