Safe and sound- Nate

Je suis repassé chez moi ce matin. Ce matin, parce que j'ai passé à peu près tout le week-end chez Tyler. Mais à un moment, changer de fringues, retrouver mon appart - rien que pour aérer - et plein d'autres trucs à la con du genre avant de retourner bosser, c'était nécessaire. Je me vois pas ne pas retourner chez lui ce soir, pas alors qu'on vient juste de se retrouver. Et même si je sais que je vais faire un super méga-détour, c'est déjà mon projet : je rentre chez moi, je bosse, je repasse prendre des fringues, et je repars chez lui. Parce que c'est lui. Parce que je peux pas me passer de lui, et que le mois qui vient de passer m'a rendu malade. Faut voir comme j'ai fait taire mon ego pour l'avoir à nouveau dans mes bras. Ca arrive pas vraiment tous les jours...

Ce qui n'arrive pas non plus, c'est une réponse de Primrose. J'ai réussi à pas y penser en non-stop, mais j'avoue que régulièrement, l'inquiétude revient - bon pas quand je suis dans les bras de Tyler, mais... passons - et aujourd'hui, c'est le cas. J'ai eu du mal à me concentrer sur mes articles, et les critiques pourries de ma nouvelle supérieure n'aident pas. Et ce soir, comme je ressors de chez moi après être repassé prendre des fringues, je tente un nouveau sms, pas forcément convaincu d'obtenir une réponse comme j'en ai pas reçu avant ça non plus. Mais j'imaginais pas qu'en sortant de mon appart, j'entendrais ces mots sortir de la bouche d'une gamine.

« Papa est un héro mamie et il a une petite copine. »

Sourire. La vérité sort de la bouche des enfants, mec, tu pourras dire ce que tu veux à ta mère, c'est mort, elle y croira plus.

« Il a sauvé la demoiselle et elle dort à la maison. Elle s'appelle Primrose. »

Là par contre, je bloque. Interloqué par ce que la petite vient de dire, je m'arrête alors que je m'apprêtais à passer derrière eux pour prendre l'escalier qui, après l'appart d'Adri, celui de "Mamie" et ceux des autres voisins de l'étage, déverse ses marches vers le rez-de-chaussée. Euh... Une Primrose, qui a été en détresse, je veux bien que ça soit pas un prénom si inexistant que ça, mais...

« Il serait enfin temps que ton papa ai une petite amie ma chérie. Aller va donc te chercher un chocolat ils t'attendent dans le placard.
- Ce n'est pas ma petite amie maman, je l'ai juste empêchée de faire une bêtise, ça s'arrête là. Grace s'imagine bien des choses tu le sais bien. »

Ouais peut-être, mais là, c'est moi qui m'imagine - ou pas - des choses.

« Je t'aime ma puce.
- Je t'aime aussi papa.
- Je t'aime plus encore.
- Je t'aime encore plus que toi.
- Je t'aime chérie, sois sage avec mamie. Et pas trop de chocolat. »

Je sourirais bien devant la scène, mais là, je suis un peu trop perplexe. Et bloqué, donc, à la première marche, à dévisager ce type que je connais pas.

« Bonsoir... »

Je me suis pas bougé tout de suite, si bien qu'il est déjà engagé dans les marches quand je réagis.

« Bons... Euh... Attendez... Ca va vous sembler bizarre j'imagine mais... La demoiselle qui dort chez vous... Primrose... Elle ne s'appellerait pas Primrose Barbara Lewis ?... »

Je dois avoir l'air terriblement con... Et il doit me prendre pour un taré si c'est pas le cas.

« Euh... C'est juste que j'ai une amie que je n'arrive pas à joindre et... disons que ce que votre fille racontait pourrait coller avec le dernier message que j'ai eu d'elle et... »

Une main nerveuse dans les cheveux, je sais pas trop quoi rajouter pour ne pas avoir l'air encore plus psychopathe...

« Il semblerait que se soit elle, j'ignorais son deuxième prénom pour être honnête et ce n'est pas du tout ma petite amie. Et vous êtes son fiancé j'imagine.
- Euh... Ouais, donc elle vous en a parlé... Vous en faîtes pas, c'est qu'un titre officiel, disons, y a rien de ce genre entre nous et je vais pas être jaloux ou quoi... »

Il se défend tellement vite sur le fait qu'elle soit pas sa petite-amie que ça me surprend, en fait, et que je me suis senti obligé de préciser ce point. Si elle lui a parlé de moi, elle a dû sans doute lui dire que nos fiançailles étaient arrangées par nos familles et que le mariage en question n'était pas vraiment dans nos intentions, donc il n'a rien à craindre de moi, alors pourquoi autant de défense ? Je pige pas, mais à vrai dire, c'est un détail... Parce que pour le coup, ça me confirme qu'il la connaît - ou alors y a un méga quiproquo en formation - et forcément, oui, je suis inquiet, et j'ai besoin qu'on me dise comment elle va. Apparemment, elle est en état de parler, déjà, c'est plutôt bon signe, n'est-ce pas ?

« Elle va bien, si ça peut vous rassurer. Elle n'a pas son téléphone avec elle je crois, du moins je ne l'ai pas vu avec. »

Un soupir de soulagement m'échappe. Si je ne sais pas exactement ce qu'il s'est passé, ni comment elle a fait sa connaissance, je suis rassuré, au moins, qu'il me confirme qu'elle aille bien. Mais si le fait qu'elle s'éloigne de son téléphone explique qu'elle ne me réponde pas, je suis quand même un peu inquiet encore. Après tout, si ça se trouve, ce type est pas gentil, il la séquestre et me raconte n'importe quoi pour que je fouine pas chez lui... Non mais n'importe quoi Nate, tu débloques, si ça avait été le cas, il aurait juste feint de pas comprendre de qui tu parlais... Je crois que je suis fatigué, mais à ma décharge le dernier mois a été compliqué, et ce week-end pas vraiment reposant non plus...

« Je m'appelle Egan, je suis pompier.
- Oh ! Nathanael, pardon. Je suis... Bah... Le fiancé... »

Ca serait un peu long d'expliquer ce que je fais vraiment dans la vie alors ça suffira à situer, hein ? Je lui tends la main pour la serrer.

« Vous êtes pressé je suppose ?... »

Il a déposé sa fille chez sa mère, ça donne sans doute un ordre d'idée.

« Je ne voudrais pas vous retenir mais... »

Mais en fait j'ai plein de questions, et si vous avez quelques minutes à m'accorder, j'avoue que j'aimerais bien vous les poser, parce que je m'inquiète, oui, énormément même. Le message qu'elle a laissé laisse pas de doute, et une tentative de suicide, c'est clairement pas rien. Je suis heureux qu'il ait été là, qu'elle soit indemne, mais je m'inquiète énormément - on le serait à moins. Alors j'avoue que j'espère très fortement qu'il puisse m'accorder un peu de temps, histoire d'en savoir un peu plus. Et qu'elle récupérera vite son téléphone aussi, et que je puisse la voir parce que je sens bien que je serai jamais complètement serein tant que ça sera pas le cas, surtout, mais ça, c'est un autre sujet...

Sur le coup, j'ai été surpris qu'il connaisse mon existence, mais en réalité, ça n'est pas si étonnant. Ca fait partie de tout ça, finalement, cette histoire de mariage arrangé. De là à ce qu'il comprenne qui je suis le fameux fiancé, en revanche, il y avait de la marge... Je sais pas trop pourquoi j'ai précisé que je ne risquais pas de me montrer jaloux, sans doute parce que ce serait le cas si j'étais réellement en couple et que ma moitié passait la nuit chez un autre...

« J'ai cru comprendre. Elle m'a beaucoup parlé de vous, en réalité on a parlé de tellement de choses que j'ai l'impression de m’immiscer un peu trop, mais c'est parfois utile de parler, surtout dans ce genre de situations. »

Je vais pas lui faire dire le contraire. Je suis soulagé, vraiment, qu'elle aille relativement bien, que ses jours ne soient pas en danger, qu'elle ait trouvé quelqu'un à qui se confier, aussi. Mais ça ne m'enlève pas nombre d'interrogations... Quoi que je ne sois même pas certain d'être capable de toutes les lui poser.

« Je suis en avance, j'ai un peu de temps devant moi.
- Merci. »

Je lui suis réellement reconnaissant de m'accorder un peu de temps pour parler de Prim, rien ne l'y obligeait, clairement. J'allais lui proposer de remonter jusqu'à chez moi, prendre un café ou je ne sais trop quoi, histoire de ne pas rester dans l'escalier, quand il a repris la parole, alors je garde ma proposition pour moi.

« Il semblerait que je sois arrivé au bon moment. Je n'avais jamais eu ce genre d'intervention auparavant, j'ai fait de mon mieux pour empêcher le pire. On a beaucoup parlé et comme elle m'a dit n'avoir nulle part ou aller, je lui ai proposé de l'héberger. »

J'encaisse cette notion sans rien dire, mais ravalant quand même un goût particulièrement amer. Je me rassure en me disant que c'est sans doute que je lui rappelais trop ce qu'il se passait avec sa famille - après tout, nous ne connaissons que parce que nos pères ont décidé de nous fiancer - mais... Non en réalité, ça ne suffit pas réellement.

« J'ai une chambre d'ami. »

J'ai pas trop compris pourquoi il a précisé ce point, mais au final, je suis plutôt soulagé, là encore, qu'elle ait pu avoir un minimum d'intimité. La Prim que je connais n'aurait sans doute pas été à l'aise de partager la chambre d'un homme, inconnu qui plus est. Mais peut-être que je ne la connais pas si bien que je le crois, après tout, d'autant que même de mon propre aveu, je ne la connais pas si bien que ça.

« Je pense qu'elle vous contactera bientôt. Elle a sans doute besoin d'un peu de temps.
- Oui sans doute... »

Ou peut-être qu'elle préfère éviter de revoir le visage qui lui rappelle tout ça. Le tumulte médiatique autour de ses parents, le monde dans lequel nous avons grandi, nos fiançailles forcées, j'imagine que c'est ce qu'elle doit voir en premier lieu lorsque mon nom lui vient à l'esprit en ce moment. Sans doute qu'elle n'a pas besoin de ça.

Je crois que l'embarras est palpable d'un côté comme de l'autre. Je dois avoir l'air un peu con, à parler de Prim comme si j'avais vraiment le droit de m'inquiéter à ce point alors qu'au final, on se connaît assez peu. Pourtant, on est dans le même bateau, et je crois franchement que ça nous a pas mal rapproché. Comme quoi même si on ne connaît pas beaucoup les gens, ça n'empêche pas forcément les liens de se créer. j'ai quand même un peu de mal à savoir si elle ressent ça, elle aussi, ou si au final son message n'était pas vraiment parlant. Pourtant, si elle n'estimait pas qu'on avait un minimum de lien, elle ne m'aurait pas appelé ce jour-là, n'est-ce pas ?

« Je… Elle m'a beaucoup parlé de vous, vous savez. Elle ne m'a dit que du bien, je pense qu'elle vous aime beaucoup. »

Je me demande un instant s'il ne lit pas dans mes pensées. Cela dit, la seconde de stupeur passée, l'information me fait chaud au coeur.

« Même si ça n'a rien de... romantique, c'est réciproque, vous savez ? »

Enfin, non sans doute qu'il ne sait pas, et ça doit lui faire une belle jambe, tiens...

« J'espère que vous allez bien. Je suppose que ça ne doit pas être évident d'être dans ce  genre de situation, je sais qu'on ne se connaît pas beaucoup et que je n'ai pas à me mêler de vos affaires alors je vais prendre congés, mais n'hésitez pas à parler si vous en sentez le besoin. »

Je me demande un moment s'il est pas psy plutôt que pompier, et puis ce qu'il entend par « ce genre de situation » : la tentative de suicide de Prim ou le mariage arrangé ? Aucune idée et je passe ça sous silence, de toute façon, il est déjà en train de prendre congé là, non ?

« Att...
- Si vous voulez je peux vous donnez mon adresse, vous pourrez la voir.
- Oh ! Euh... oui... Mais elle a sans doute besoin d'être au calme et... »

Embarrassé, et pas très certain de vouloir m'imposer dans son refuge, je me vois mal débarquer chez cet inconnu, même avec sa bénédiction à lui.

« Mmmh... Vous ne voulez pas plutôt lui dire de m'appeler quand elle s'en sentira prête ? Je veux pas qu'elle ait le sentiment que je lui force la main, je crois que c'est la dernière chose dont elle aurait besoin maintenant... »

Et j'ai absolument pas envie d'être un boulet qu'elle se traîne.

« Et puis... J'habite l'appartement là... »

C'est pas beau de montrer du doigt, mais je montre quand même ma porte ainsi.

« Hésitez pas si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit... Enfin je suis pas tout le temps là remarquez, je fais même que passer ce soir, mais... »

Je fouille dans ma sacoche sur ces mots, et en sort une carte aux anciennes couleurs des Lucky Strikes encore, qui porte mon numéro de portable.

« Vous pouvez m'appeler n'importe quand, jour ou nuit. Si jamais il y a quoi que ce soit... Puis je vous offrirai bien un café, mais je crois que vous êtes pressé ? »

Cela dit, l'offre tient réellement - à lui de voir s'il a davantage de temps à m'accorder ou si on reste sur cette situation un peu embarrassante s'il en est. Et comme je sais pas trop quoi dire de plus, la main tendue, la carte entre les doigts en attendant qu'il la prenne, j'esquisse un petit sourire contrit, visiblement toujours peu à l'aise. N'empêche que je suis sincère. Prim sait où me joindre, et lui aussi maintenant. Et ma porte est toujours ouverte - pour peu que je sois là, seulement. C'est à ça que servent les amis, n'est-ce pas ?

Je me doute que ça ne doit pas être très facile pour lui d'être là, face à moi, après ce qu'il s'est passé et sachant qu'on ne se connaît pas du tout. Je ne sais pas non plus pourquoi j'apporte des précisions concernant ma relation avec Prim' - très loin de celle qu'on imaginerait pour des fiancés - mais c'est sorti tout seul, et puis ça reste la vérité, et tout ce que je voulais préciser c'était qu'elle comptait beaucoup pour moi, qu'il comprenne que je m'inquiète réellement. Le message a l'air de passer mais je crois que rien que ma gueule donne déjà une indication.

« Je m’en doute. Enfin pour le côté romantique je ne sais pas et à vrai dire ça ne me regarde pas vraiment. Mais vous avez tous les deux beaucoup de courage de supporter ce que l’on vous impose. »

Je sais pas si c'est vraiment du courage en l'occurrence. C'est pas comme si on avait vraiment voix au chapitre. On fait avec... Mais vu comme ça a tourné, je sais pas si j'aurais pas dû faire les choses autrement. Après tout, l'idée de faire genre le temps que ça se tasse, qu'on trouve une autre solution, c'était la mienne. Est-ce que c'était bien ? J'en sais rien. Ca aurait pas changé que son père est un pourri - et que je me demande à quel point le mien lui ressemble - mais est-ce que ça aurait été plus facile à supporter si cette partie-là avait été différente ? J'en sais rien, et à vrai dire, j'ose pas trop poser la question. J'ose pas vraiment accepter non plus sa proposition d'aller la voir : c'est pas mon genre de m'imposer non plus dans la vie des gens et si elle ne manifeste pas son envie que je vienne, je me vois pas débarquer comme ça.

« Ne soyez-pas gêné, je pense réellement que ça lui fera plaisir. J’habite à la City, je travaille souvent de nuit comme ce soir. C’est pour ça que je viens de déposer ma fille chez ma mère. Peut-être qu’elle vous connaît mieux que moi.
- Euh... »

Possible, j'espère juste qu'elle n'entend pas trop mes frasques nocturnes en fait - surtout si la petite est là - parce que sinon, je dois pas vraiment faire partie des voisins qu'elle apprécie. Quant à Prim... plus tard, sans doute. Je lui laisse mes coordonnées, qu'il puisse prévenir la brunette que je suis à sa disposition. Je crois que c'est mieux que je la laisse venir à moi.

« Pour ce soir ça va être compliqué pour la café. Il va falloir que j’y aille, les métros passent souvent, mais je ne peux pas me permettre d’arriver en retard. Je vous appellerai, ne vous en faites pas. »

Je hoche simplement la tête, le laisse partir. Je me doutais qu'il ne s'arrêterait pas, mais j'ai tenté le coup quand même sans trop savoir pourquoi. Je veux bien le croire quand il dit qu'il m'appellera. J'espère en tout cas. Ou que Prim le fasse, n'importe. Juste avoir de ses nouvelles, la voir, être sûr qu'elle va réellement bien. Mieux en tout cas. J'ai laissé Egan partir, donc, je l'ai regardé descendre les marches jusqu'à la rue planté comme un con dans l'escalier avant de lâcher un profond soupir une fois qu'il a disparu derrière un bâtiment voisin. A mon tour de descendre les marches : j'étais parti pour aller chez Tyler, retrouver ses bras et je crois que j'en ai encore plus besoin maintenant qu'il y a un quart d'heure...