you're like a shadow on me all of the time (mcgeary)

Les maigres rayons du soleil qui filtraient par les stores zébraient le parquet. Le regard clair de Max les comptaient, comme pour s'occuper l'esprit d'une manière, n'importe laquelle. Mais il fallait que son esprit soit occupé. Et surtout, il ne fallait pas qu'il ne ferme les yeux, même pas une seconde, ni même cligner. Car dès qu'il le faisait, l'image de Ian apparaissait. Mais pas le regard rieur et plein de vie. Pas le visage si enjoué, ni même ses cheveux en bataille. Il ne le voyait pas non plus entrain de courir pour rattraper son frère, se lancer sur son épaule en balançant son légendaire : "Allez, on va se marrer !" Comme à chaque fois qu'il avait essayé d'entraîner Max dans des emmerdes. Non, il le voyait, si sage, si calme, si blanc. Dans un costume si sombre. Sa tête reposant sur le coussin blanc. Enfermé, entre quatre planches de bois. Dans son cercueil. Rien n'avait fait naturel dans cette dernière image. Sa tenue pour commencer, et puis ses cheveux dominés, son teint si parfaitement lisse et poudreux, ses joues bombées par du coton... Ian qui normalement avait les traits tirés, de longues cernes sous les yeux, et les joues creuses. Lui qui ne portait qu'une veste en cuir jonglaient entre deux jeans troués. Dans ce cercueil, Max aurait presque cru s'y voir lui-même. Il aurait préféré.

Quoi de pire que la mort de Ian ? Son jumeau, son héros, son Dieu. Ian avait toujours été le préféré, de tout le monde. Des parents, des grands parents, des amis et des voisins. Il n'aurait pas du mourir. Personne n'avait envie qu'il meurt. Ian avait de la répartie, une bonne humeur communicative, il était hyperactif. Gamins ils s'amusaient tellement tous les deux, à faire les quatre cents coups. Bien sûr, Max finissait toujours par se faire prendre, ou au moins à se dénoncer à la place de son jumeau. C'était ainsi que ça fonctionnait que ça avait toujours fonctionné. Max avait grandit dans l'ombre, si belle et si grande, de son jumeau et ce n'était pas pour le déplaire. Il n'aimait pas attiré l'attention. Il préférait regarder son frère l'attirer. Ca l'amusait. Max si calme, Max si gentil. Un vrai bon gosse, on savait qu'il irait loin. On savait qu'il ne perdrait pas son temps à Rive Nord, à Dublin. Dans ce quartier mal famé où les gosses deviennent parents à quatorze ans et des poussières. Peut-être était-ce pour ça qu'on préférait Ian. Ian, c'était un gamin du quartier, et il le resterait.

De bons gamins ils sont devenus passés à ado en crises. L'abandon de leur parents, des hippies sur le tard ou bien simplement la loi du quartier ? Ian cessa d'être drôle pour être simplement rebelle. Max cessa de trouver ça amusant de voir son frère se mettre dans le pétrin sans arrêt. Pourtant, pour le reste du monde Ian restait le même. Drôle, beau et tellement cool. Max était-il le seul à voir que quelque chose clochait ? Etait-il le seul à être mal à l'aise ? Sans doute. On aimait toujours autant écouté Ian parlé à la demeure des grands-parents McGeary. Ian lançait quelques blagues, faisait rire aux larmes Mamie, Papy en demandait une autre. Et puis, quand le soir tombait et qu'il sortait traîner les rues, le silence revenait. Max aussi était silencieux. Il n'arrivait plus à faire sourire Mamie, ni Papy. Max n'a jamais réussit à attirer leur regard. Et ce n'était pas faute d'essayer. Pourtant, ses grands-parents l'aimaient. Mais pas comme Ian. Max était à la marge. Il avait beau avoir de bonnes notes et un comportement exemplaire, il n'attirait tout simplement pas l'attention.

Max fut diplômé, pas Ian bien évidemment. Et quand il annonça, peu après, avoir eut une bourse d'étude pour l'université de Londres ça jeta un grand froid. Max avait fait toutes les démarches dans son coin, n'en avait parlé à personne, pas même Ian. Ce dernier d'ailleurs à littéralement pété les plombs ce soir-là. Jusqu'à se battre avec son frère. Mais c'était trop tard, c'était fait. Max parti à Londres le mois suivant. Pourquoi si loin ? Pourquoi pas Dublin ? Max n'était pas sûr de le savoir, ou se l'avouer. Il aimait l'Irlande, il aimait Dublin, il aimait sa famille. Mais il avait l'impression d'y étouffer. Il n'avait ni amis là-bas, simplement les amis de son frère pour qui il était "Le-frère-de-Ian", ni petites copines, car toutes adoraient Ian. Il ne se sentait tout simplement pas chez lui.

A Londres, tout était différent. Il s'inscrit en Droit, parce qu'il était du genre à vouloir sauver la veuve et l'orphelin, persuadé de pouvoir changer le monde en devenant procureur ou juge. A l'université il se fit des amis, il vivait sur le campus, il sortait, faisait la fête, avait une petite amie. Ouais, Max était enfin bien. Il existait. Pour la première fois de sa vie. Il sortait de l'ombre de son frère. Pendant longtemps il avait cru y être protégé, dans cette ombre, mais il n'avait en réalité qu'été étouffé par la gloire de son divin frère que tout le monde lui avait préféré.

Max tendit le bras pour attraper son paquet de cigarette et en mis une dans sa bouche qu'il alluma. Il avait perdu le compte du nombre de clopes qu'il s'était fumé. Il s'en foutait. Il regarda en l'air, souffla la fumée. La recroquevillé dans le coin de la chambre de son frère il avait l'air d'un fou dans un coin de sa chambre à l'HP, ou quelque chose du genre. Peut-être l'était-il, fou. Parce que son frère il avait encore l'impression de le voir, de le sentir, de l'entendre. Sors de ma tête, de mon corps, de mes veines, de ma peau. Voulait-il hurler. Au lieu de ça, il tira une autre taffe. La fumée envahissait pièce, sa tête. Putain, il avait tellement mal. Partout.

Les vacances scolaires et l'été, Max revenait à Dublin, il retournait dans la petite maison faites de briques et de broques toute proche des rails du train de banlieue. Il poussa à nouveau la barrière en fer rouillé, traversait son jardin tondu approximativement, poussait la porte qui coinçait depuis que lui et Ian avaient joué à tiré au ballon dedans gamins. Et d'un coup, tout était tellement petit, moche, mal entretenu. Le salon était en bordel, la cuisine au papier peint vieilli, sa chambre d'adolescent, enfin leur chambre, qu'il partageait avec Ian, qui lui avait le lit du haut bien sûr. Le temps avait passé et avait différencier ces jumeaux identiques. Ian était plus maigre maintenant, avec un teint plus terne et des cheveux pas coiffés et mal lavé. Max semblait le voir sous un jour différent lui aussi. Là, les pieds dans le vide, assit sur le bord de son lit. "Alors frangin, elles sont comment les anglaises ?" ou un truc du genre, disait-il en roulant un joint avant de sauter sur le sol. "Tu me raconteras ça plus tard, j'vais la voir." Elle, Abi. Max faisait un petit sourire et gardait le silence, regardant son frère partir comme il l'avait toujours fait. Les anglaises, elles sont mieux que ta pétasse. C'est ça qu'il aurait dû répondre. Mais il ne l'a pas fait.

C'était une heure avant ses examens que Max a eut cet impression bizarre. Comme si quelqu'un le poignardait dans le bide, l'éventrait et piétinait ses entrailles. Une vraie crise d'angoisse. On pensa d'abord qu'il stressait pour ses partiels. Mais non, ça faisait trois ans qu'il assurait comme un chef à l'université. C'était autre chose. C'était Ian. Cette idée ne pu quitter l'esprit de Max pendant les trois heures de l'examen de Droit de l'Image, ou peut-être Droit Privé. Max ne s'en rappel plus. Il resta là, à fixer le vide. Lily, sa, petite amie depuis presque trois ans maintenant n'arrêtait pas de le regarder, lui envoya même une boulette en papier au risque de se faire prendre par les surveillants. Mais rien ne le réveilla. Max fixait le vide, comme éteint. Quand il quitta la salle, le premier, il sortie son téléphone portable. 4 appels en absence, de Mamie. Max savait.

Il fut recalé. Perdit sa bourse et par la même occasion sa chambre sur le campus. Mais peu importait. Ian était mort. On n'avait pas besoin de lui expliquer le pourquoi du comment. Il avait fait une overdose. Parce que Ian était un toxicomane. Pas un petit fumeur de pétard comme l'était les parents McGeary. Non, un vrai paumé qui fait peur. Max n'avait toujours su, sentit, sans pour autant l'admettre. Peut-être aurait-il dû.

Le cendrier était plein désormais. Max trouva enfin le courage de se lever. Sa tête tournait. Peut-être parce qu'il n'avait pas mangé depuis des jours, peut-être avait-il trop fumé. Peut-être que ses forces l'abandonnaient tout simplement. Il s'avança vers l'armoire dans lesquels étaient entreposé les fringues de Ian. Attrapa sa veste en cuire, la toucha, la caressa, respira son odeur entre joint et alcool. Max ferma les yeux. Il vit Ian. Il ouvrit les yeux. Il enfila la veste et se regarda dans la glace, ébouriffa ses cheveux. Putain il lui ressemblait en fait. Il lui ressemblait tellement. C'était l'image qu'il voulait garder de son frère. De son parfait frère. Juste ce type et sa dégaine de tueur avec sa jolie veste en cuir. Soudain, le bruit de la porte. Max sursauta. C'était Grand Père. Il avait l'air d'être mort depuis que Ian l'était. Il avait une tête de zombi. Quan dil vit Max... Il bloqua sur lui. C'était le première fois que Grand-Père lui portait autant d'attention. Max le regarda également. Le silence était pesant, déchirant. D'une voix brisée, Grand-Père supplia : "Enlève ça Maxwell, n'y touche pas."

Max ne put rester plus de quelques jours après l'enterrement chez ses grands-parents. Il détestait cette manière qu'ils avaient de le regarder. De chercher du Ian en lui, de se raccrocher à cette ressemblance factice pour tenir le coup. L'ambiance était tellement horrible que Max faillit se jeter sur la came cachée sous le matelas qui restaient de Ian. Au lieu de ça, il empaqueta ses affaires, pris la veste en cuir et une jolie photo des jumeaux gamins, et il partit. Il n'avait plus rien. Plus de frère, plus d'identité, plus de fac, plus de maison. Il se sentait écorché vif. Il l'était. Pendant quelques temps il se contenta de déconner à son tour. De s'accorder le temps d'être imparfait. Lui qui avait toujours cherché à faire bien. Maintenant il cherchait simplement à faire comme Ian. Il traîna, aux travers de l'Europe, voyagea un peu, usa un peu plus la veste en cuir. Regarde Ian, regarde comme je te ressemble.

La raison finit par l'emportant, le déni laissa place à tous les autres sentiments. La colère, le marchandage, la dépression... Tout se mélangeait en Max. Mais il finit par retrouver son chemin. Il retourna à Londres où il se réinscrivit à la fac. A côté de ses cours il travaillait dans un café pour payer ses frais de scolarités. Max n'est plus vraiment le même, il est un peu paumé. Beaucoup.