(F) SASHA PIETERSE, petite sœur.

Je suis là, au milieu de la foule comme presque tous les week-ends. Je bouge en rythme avec la musique, ou non d'ailleurs. Je n'ai jamais été un très bon danseur, et je n'ai jamais fait quelque chose pour que ça change non plus. Puis je ne suis pas là pour montrer mes talents quasi inexistants pour la danse. C'est loin d'être mon objectif principal de la soirée. Je suis avant tout là pour me détendre, m'amuser et aussi pour draguer. Je suis du genre à draguer tout ce qui bouge comme on dit, même si j'ai horreur de ce terme-là, parce qu'il me semble trop... péjoratif. Mais je n'y peux rien si la planète terre est peuplée de jolies créatures et que le destin me met sur leur chemin, bien que je ne crois pas au destin et toutes ses conneries qui s'y rapprochent. Je pense plutôt que la vie est un enchaînement de coïncidences. Comment notre vie pourrait être tracée dès notre naissance ? Comment est-ce que la vie pourrait prévoir d'avance nos décisions et nos choix ? Clairement, c'est quelque chose que je ne trouve juste, pas possible. Peut-être que c'est le fait que je ne sois pas croyant, malgré que mes parents le sont, qui me fait penser de cette façon ? Je n'en sais rien, mais je me plais dans ce mode de vie, dans cette façon de penser. Et je pense que c'est tout ce qui compte. La musique, tout comme l'alcool, m'enivrent. Je danse et je ne m'arrête pas. Je suis avec cette fille dont je ne connais même pas le nom. Ou peut-être que si, mais je ne m'en souviens plus. Mon regard se pose une fois de plus sur cette magnifique jeune femme dont je n'arrive pas à voir le visage tellement il y a du monde et du mouvement. Mais je réussi à visualiser son dos dénudé, ses courbes généreuses, ses longs cheveux qui retombent parfaitement au milieu de son dos ainsi que sa façon de bouger. Et c'est fascinant. Tout autant que c'est une véritable torture de ne pas pouvoir voir le visage de cette inconnue pourtant si désirable. Voilà mon objectif de ce soir. Elle. Je quitte ma partenaire de danse pour m'approcher d'elle. Je n'ai jamais été quelqu'un qui avait peur d'aborder une femme ou un homme. Je suis plutôt quelqu'un de sociable, alors aller vers les autres n'a jamais été un problème pour moi. Que ce soit un inconnu ou une personne que je connais depuis que je suis gosse. Plus je m'avance et plus je remarque qu'elle danse avec deux femmes, des amies je présume. Je l'espère en tout cas. Il ne manquerait plus qu'elle aime les femmes pour que mes chances soient anéanties à zéro. Mais je reste confiant. Je me colle à elle, son dos contre mon torse et ma bouche vient se placer tout proche de son oreille. « Je connais un endroit sympa pour faire connaissance, si tu veux. » J'espère ne pas la faire fuir de cette façon. Peut-être que c'est trop direct pour elle, mais c'est moi. Je suis peut-être quelqu'un de trop direct, mais je n'aime pas tourner autour du pot durant 150 ans. Elle laisse plusieurs secondes s'écouler, et moi je reste là, collé contre elle à attendre une réponse ou un signe qui me ferait comprendre qu'elle accepte, ou même qu'elle refuse. Elle finit par se détacher de moi et se tourner pour me faire face un sourire sur les lèvres. Sourire qu'elle perd très rapidement, aussi rapidement que le mien. Et merde. Sur toutes les personnes de cette boîte de nuit, il a fallu que je jette mon dévolu sur... Ma petite sœur. Ma petite sœur que je n'ai pas vu depuis un bon paquet d'année. La dernière fois que je l'ai vu, ça devait être quand j'avais 17 ans. Depuis, je l'aperçois rapidement. Quelques minutes, pas plus. Elle fait tout pour qu'on se croise le moins possible je crois. Comment j'ai pu ne pas la reconnaître ? Maintenant que je la vois de face, ça semble tellement évident que c'est elle. Ma sœur est une jolie femme, je dois l'avouer. Mais c'est aussi la seule personne de ma famille qui ne m'adresse plus un mot. Pas un seul, même minuscule, mot. La raison ? Elle est certaine que je suis la cause du divorce de nos parents. Et... D'accord, elle n'a peut-être pas totalement tord. Mais je ne pense pas en être la cause. Je sais bien que ce n'était pas la joie entre eux depuis un moment. J'imagine qu'ils restaient ensemble pour ne pas chambouler notre quotidien, pour ne pas nous perturber. Mais je ne pense pas que ça a été une bonne solution. Tomber sur des disputes de ses parents alors qu'on est qu'un adolescent, ce n'est pas la meilleure des choses pour diminuer les gestes de rebellions, les sorties sans permission tard le soir et ce genre de choses. Et dieu sait à quel point je leur en ai fait baver à cette période de ma vie. Leurs disputes ne tournaient qu'autour de moi généralement. Ou plutôt, c'est moi qui les provoquaient. Et il y a eu la dispute de trop durant l'année de mes 16 ans. Emma venait tout juste d'en avoir 15. C'était insupportable pour elle j'imagine. Donc dans un sens, elle n'a pas tord. Mais d'un autre, ça devait arriver un jour ou l'autre parce qu'ils ne s'entendaient plus sur rien. C'est à peine s'ils partageaient la même chambre la nuit. Ce soir, elle me dévisage comme une personne qui n'a pas quelqu'un depuis des années, et c'est le cas. Puis elle me gifle. Je ne l'ai pas vu venir, mais je crois qu'elle a eu le don de me faire désaouler totalement. « Je vois que tu n'as toujours pas changé en presque 8 ans. » De sa bouche, ça sort comme un reproche. Et je ne sais pas réellement où elle veut en venir, ce que je dois comprendre et comment je dois le prendre. D'ailleurs, c'est bien la première fois que je ne sais pas quoi dire dans ce genre de situations. Merde, c'est ma petite sœur, je ne peux pas rester là, sans rien dire alors que j'ai tellement de choses à lui dire. Mais c'est justement ça le problème, c'est que j'ai trop de choses à lui dire et que je ne sais même pas par où commencer. Et ce n'est peut-être pas le bon endroit pour parler de nos problèmes personnels. Non, je pense juste que je devrais fermer ma gueule pour une fois. « Aller, retournes faire l'adolescent entouré de ses futures conquêtes. » Je ne sais pas si elle me lance ça sous l'effet de la colère ou bien sous l'effet de l'alcool, mais ses mots ont l'effet d'un poignard sur moi. Mais je ne me laisse pas abattre et je ne laisse rien paraître. Comme si je ne ressentais plus rien. D'ailleurs, elle a tord. Je ne suis plus cette adolescent qui aimait partager sa nuit avec une personne différente, ou non, chaque soir. J'ai grandi. Ça arrive moins fréquemment, mais ça arrive souvent quand même. Et après tout, il n'y a rien de mal à ça, je fais bien ce que je veux. « Emma... Tu ne veux pas qu'on sorte quelques minutes pour parler de tout ça ? » Je ne sais même pas pourquoi je veux essayer d'arranger les choses entre nous. Peut-être parce qu'elle reste ma petite sœur et... Et qu'elle me manque ? Je ne l'avouerai certainement jamais à haute voix, mais ouais, elle me manque. On avait une forte complicité, avant. Mais je me doute que c'est pas en essayant huit ans après que tout va s'arranger en quelques mots échangés, alors que j'avais bien des occasions pour lui parler. « Je ne suis pas venue ici ce soir, pour parler avec toi si tu veux tout savoir. Je me serais bien passée de tomber sur toi d'ailleurs. » Je crois qu'elle m'en veut toujours autant, si ce n'est plus. Je laisse tomber pour ce soir. Je n'ai pas envie de faire une scène au milieu de tout le monde. Pas ce soir. Pas maintenant. Je crois que la revoir m'a sacrément fait bizarre et retourné. Alors je me tourne et je pars. Je quitte même cet endroit. Je l'ai assez vu pour la soirée je crois. Je n'ai plus l'esprit à m'amuser ce soir. Toute mon adolescence m'est revenue en tête et je crois que j'ai juste besoin de me noyer dans le travail pour ne plus y penser. D'ailleurs, dès que je rentre, je m'y mets de suite. Ce n'est absolument pas l'heure pour ça, mais j'en ai rien à foutre. Demain est un autre jour. Demain sera plus heureux. Demain, j'aurais oublié l'épisode de cette soirée totalement ratée.