appel de Theodore Rottenford à Scarlett Hill

“The mountains are calling and I must go.”✻ Je me tortillai dans mon énorme lit, le trouble dans l’âme. J’enchainais les SMS avec Scarlett depuis quelques heures déjà, pourtant que je savais pertinemment que c’était une erreur. Elle ne méritait que je l’implique dans mon existence dangereuse, ni que je la traite comme le objet de mon désir inénarrable  mais l’appel de la passion était irrésistible. Je déglutis en me redressant ; puis instinctivement j’observai le visage poupin de Jasmine endormie dans son berceau. Je ne savais pas dormir lorsqu’elle était loin de moi, mon cœur ne battait plus que pour elle. Je souris en songeant à ses éclats de rire, à ses grands yeux perdus ou à ses mines grincheuses lorsque je refusais de la porter à bout de bras. Je n’avais jamais pensé pourvoir aimer un petit être avant autant de ferveur et de dévotion et pourtant je m’embrasais par bien plus de feux que je ne pouvais supporter. J’étais animé par le besoin presque obsessionnel de la protéger de mon univers complexe. Je voulais qu’elle connaisse le visage de sa mère au moins une fois et qu’elle grandisse dans la chaleur d’un foyer uni et affectueux. Je secouai la tête, ce n’était qu’un mirage. Je ne pouvais pas lui offrir ce genre de vie malgré tous mes efforts. Son destin était scellé au mien de gré ou de force. Je pris le téléphone en me repositionnant sur mon coussin.

Les sonneries lointaines accentuaient mon sentiment de frustration. Je crispai mes muscles avant de m’éclaircir la gorge. « Bonsoir Scarlett. J’ai pris la peine d’appeler. » Lançai-je d’un ton neutre. Je ne voulais pas dévoiler mes secrets par écrit et laisser des traces de mon ignominie. Je ne voulais pas non plus risque de la braquer sans avoir une chance de la retenir. Et finalement, je voulais me laisser bercer par le son de sa voix cristalline et émouvante. « Notre marché tient toujours n’est-ce pas ? » M’enquis-je avant de marquer un long silence dans l’attente d’une réponse de sa part.

“The mountains are calling and I must go.”✻ Je devais probablement arrêter de m’égarer dans mes divagations mais plus je repensais au visage délicat de Scarlett plus je me sentais enchaîné au passé. Elle avait une emprise étrange sur mon corps. Je ne la connaissais pas et pourtant je me rappelais de la sensation de sa peau vibrant sous mes caresses ou du gout sucré de ses lèvres charnues. Je fermais les yeux et je pouvais humer les senteurs exotiques de ses longs cheveux bruns. J’avais la sensation de me perdre dans l’illusion d’une existence paisible et normale : dans mes rêves la mafia ne m’attendait pas au tournant et je pouvais enfin vivre de mes propres choix. Les couleurs s’embrouillaient devant mon regard ténébreux ; j’étais hanté et effrayé par les tréfonds de mon âme. La voix mielleuse de Scarlett s’éleva tout à coup, brisant mon petit cocon imaginaire. Elle semblait légèrement endormie – ce qui n’était pas très surprenant étant donné l’heure. Je soupirai avec légèreté. « Je t’appelle, je devrais m’inquiéter du dérangement occasionné surtout que tu sembles fatiguée. » Il y avait une once de réprobation dans mon ton. Elle devait se reposer au lieu de m’accompagner dans ma descente aux enfers. Il n’y avait rien de bon à tirer en côtoyant un homme comme moi. Je secouais machinalement la tête en n’écoutant qu’à moitié sa petite blague. Je suppose qu’elle m’avait assez observé pour savoir que je n’étais pas du genre à m’esclaffer pour si peu. A vrai dire j’avais le rire difficile depuis ma première expérience du deuil – Perdre mon meilleur ami si jeune m’avait poussé au fond de la solitude et avec le temps j’avais fini par m’y plaire. « Tu voulais en savoir plus sur Anabeth. » Commençai-je calmement. « Elle est morte en accouchant. » Je marquai un long silence afin de recentrer mes idées. « Je ne l’ai su que trop tard. »

“The mountains are calling and I must go.”✻ Je me penchai lentement vers mon oreiller avant de me redresser torse nu sur mon lit. Les vibrations mélodieuses de la voix de la jeune femme avaient le don de me tenir en éveil malgré la fatigue et le stress. Je soupirai avant de marquer une longue pause silencieuse, comme pour me conditionner à lui confier un terrible secret. Scarlett pouvait raccrocher à n’importe quel moment si elle jugeait que je dépassais une quel conque limite. Elle pouvait refuser de me revoir et je respecterais tout simplement sa décision parce que j’étais un gentleman. Cela dit, cette simple pensée me glaça les sens. Je ne voulais pas qu'elle se détourne de moi. Je déglutis en courbant la bouche. « Je suppose que travailler à mi-temps c’est difficile. » Répondis-je sommairement. C’était une situation que je ne connaissais pas. J’avais grandis dans la richesse et l’oisiveté d’une grande famille irlandaise. Je n’avais aucun mérite concernant le financement de mes études, ni mon train de vie luxueux. Mon salaire d’officier était un plus, une façon comme une autre de me confondre avec le commun des mortels.

Son timbre innocent me berçait d’illusions. Je replongeais dans les méandres d’un passé obscure et inatteignable. Anabeth … Je retins ma respiration. « En quelque sorte. Oui, je l’ai fréquenté. » Je n’aimais pas les étiquettes, je ne savais pas si on pouvait caractériser nos rencontres charnelles ou nommer notre relation. J'étais conscient de mes tords. Je n’étais pas l’amoureux idéal. Les ombres qui enlaçaient mon cœur m’empêchaient de gouter aux délices insouciants du sentiment. J’étais un manique psychorigide. Seule la mafia avait ma dévotion éternelle. Je soupirai en fronçant les sourcils. « Grand Dieu non ! Jazz est vivante. C’est une fille. » Je crispai mes doigts autour de mon téléphone. « Sa mère m’a caché la grossesse. En réalité, je pense qu’elle a essayé de me prévenir mais je n’ai jamais répondu à ses appels ni à ses invitations … » C’était cruel, mais maintenant que ma fille était entre mes bras, je ne l’aurais abandonné pour rien au monde. « Tu imaginais un homme correcte lorsque tu regardais mon alliance, n’est-ce pas ? » Ce n’était qu’un leurre. Je ne voulais pas que ma fille se croit différente ou issue d’une union défectueuse. Je soupirai en attendant une réaction de Scarlett.

“The mountains are calling and I must go.”✻ J’étais rapidement rentré dans le vif du sujet. Je savais que je risquais de tomber du haut de mon piédestal, mais je voulais être clair à propos de mes attentes. Jasmine était à la fois un cadeau et une faiblesse. Je ne me pardonnerais certainement jamais de l’avoir privé du souvenir de sa mère. Aussi inconcevable que cela puisse-t-il paraitre, je n’avais que très peu de détails sur Anabeth et ses préférences.  Mon cœur brûlant se serra dans ma poitrine. Je ne portais que très peu d’importance aux sentiments. C’était une règle d’or dans le milieu de la mafia, et j’en faisais les frais aujourd’hui. Je pouvais deviner au son de sa voix tremblante qu’elle était choquée par mes confessions. Elle devait probablement penser que j’étais cruel de traiter une femme enceinte de la sorte. Je ne voulais même pas me défendre. Une part de moi, certainement la plus égoïste, savait que je n’aurais jamais correctement géré une relation de couple normale. Ses questions restèrent en suspens pendant quelques secondes. Toutes mes pensées se bousculaient dans ma tête, et pour la première fois depuis notre rencontre, je me sentis démuni. Toute l’emprise que je pouvais avoir sur son corps ou sur son esprit me filait entre les doigts. C’était Scarlett qui tenaient les rennes de cette conversation. Je déglutis avec difficulté. « Il n’y a personne d’autre. Elle a été abandonnée devant ma porte en plein hiver. Elle a 5 mois aujourd’hui. »  Je n’avais aucun doute sur ma paternité. J’avais su à la minute ou mon regard s’était posé sur sa tâche de naissance que c’était ma fille. Elle me ressemblait tellement physiquement. Je soupirai en m’enfonçant dans mon énorme oreiller. « Non. Je suis pragmatique. On s’était mis d’accord que notre relation ne serait jamais sérieuse. Elle n’a pas respecté mes directives, alors je l’ai puni en l’oubliant. » Je me surpris à penser à ma réaction si Anabeth avait eu l’occasion de me parler de sa grossesse. Mes valeurs chrétiennes m’interdisaient l’avortement, mais il était impossible que je l’épouse ou que j’élève l’enfant avec elle. Je pense qu’après mûre réflexion, j’aurais légalement exigé qu’elle abandonne ses droits parentaux pour que je puisse protéger Jasmine avec plus de liberté. Puis au bout de quelques mois, j’aurais fini par réaliser que l’enfant fragile que je tenais entre les bras avait besoin d’une figure maternelle. « Je ne suis pas marié. Je ne peux pas me le permettre. » Soufflai-je avec lenteur. « Je t’ai offert les chaussures parce que je voulais te faire plaisir. » Elle analysait trop mes paroles. Je fronçai les sourcils. « Tu te sens offensée ? Je savais que ce n’était pas une bonne idée mais tu es si différente d’Anabeth. Elle n’avait pas ta … personnalité…  » Il ne fallait pas trop espérer d’un type comme moi. Jasmine était unique. Elle était la seule à pouvoir se vanter d’avoir capturé mon cœur pour l’éternité. Le reste des mortels me semblaient si éphémères et fades. Tous, y compris moi-même.