(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:46 par Invité
HeavenLeah Daniella Gabrielle Howard-Clark
London calling to the faraway towns
NOMS : Howard-Clark, deux grands noms qui se sont fait connaître tout au long de l'histoire britannique. Heaven fait partie de la classe noble de Grande-Bretagne. Certains de ses oncles sont encore eux-même ducs ; quant à elle, elle est ce qu'on appelle une lady. Son père a également entretenu la réputation de leur nom en étant membre du parlement pendant des années. Cependant, désormais, sa famille est tristement célèbre depuis l'affaire Howard. PRÉNOMS : Heaven, Leah, Daniella, Gabrielle. Sa naissance était un cadeau du ciel pour ses parents qui ne parvenaient pas à avoir de troisième enfant ; Leah est, quant à lui, le prénom de sa marraine, et Gabrielle et Daniella sont respectivement ses grands-mères maternelle et paternelle. ÂGE : Heaven est âgée de vingt-quatre ans. DATE ET LIEU DE NAISSANCE : La benjamine des Howard-Clark a vu le jour un certain onze septembre 1990, à Oxford. NATIONALITÉ : Elle est britannique. STATUT CIVIL : En couple depuis trois ans avec un homme qui n'est jamais revenu de son voyage. MÉTIER : Etudiante en Journalisme à la prestigieuse Imperial College London et bloggeuse mode sur le net. TRAITS DE CARACTÈRE : Dotée d'un esprit de rébellion / Fleur bleue / Caractérielle / Capricieuse / Bornée / Rentre-dedans / Lâche / Gentille / Irresponsable / Hyperactive / Energique / Persuasive / Charismatique. GROUPE : On my Bicycle.
My style, my life, my name
(01) ✻✻✻ Heaven est la benjamine d’un tueur en série arrêté par la police en 2011. Durant les mois précédent son arrestation, il avait assassiné cinq jeunes femmes, chacune correspondant à des critères bien précis ; il a été révélé, plus tard, il était également coupable de meurtres commis au cours des vingt dernières années. (02) ✻✻✻ Elle s'est longtemps teint les cheveux en brun. Cependant, elle a abandonné cette pratique en revenant en Angleterre, après avoir passé deux ans aux Etats-Unis. (03) ✻✻✻Très distante avec ses parents depuis l’adolescence, elle les considère comme des inconnus. C’est en partie pour cela qu’elle ne s’était jamais doutée que son père puisse être un assassin. (04) ✻✻✻ Sa taille est comparable à celle d'un lutin : elle mesure un mètre cinquante-cinq d'après ses dires, mais un mètre cinquante-deux en réalité. Elle porte la plupart du temps des talons afin de paraître plus grande. (05) ✻✻✻ Ses poignets et ses chevilles sont pleins de cicatrices : le laser pour effacer les tatouages, en plus de faire mal, laisse de vilaines traces. Les seuls encrages qu'elle a conservés sont de petits symboles sur les avants bras. (06) ✻✻✻ Elle possède une longue trace de brulure qu'elle s'est faite en renversant de l'eau bouillante sur son bras sans faire exprès. (07) ✻✻✻ Elle a été élevée par une Gouvernante. (08) ✻✻✻ Son meilleur ami d’enfance, Riley, est décédé et a bouleversé l’intégralité de sa vie avant qu’elle ne finisse par se reprendre en main. (09) ✻✻✻ Ancienne Junkie, cela fait cependant depuis 2010 qu’elle est complètement clean. (10) ✻✻✻ Elle souffre d'insomnie psychologique depuis des années. Au lieu de prendre un traitement, elle a rendu les armes et se couche tous les soirs à trois heures pour se lever à sept. (11) ✻✻✻ Son deuxième frère aîné, Zacharie, est tétraplégique. (12) ✻✻✻ Heaven a un style vestimentaire qui lui est propre. Légèrement décalée, comme sa personnalité. (13) ✻✻✻Elle est gauchère, et son écriture toute en boucle ressemble plus à de la calligraphie qu'à autre chose. (14) ✻✻✻ Elle connait Londres comme sa poche. (15) ✻✻✻Heaven tient un blog de mode depuis quelques années, désormais ; si elle n’était pas très connu, au départ, ses chroniques sont désormais très attendues sur le net.
PSEUDO : Little Wolf. PRÉNOM : Jilly. ÂGE : Vingt ans. PERSONNAGE : Inventé.. AVATAR : Leven kdfjghdfkjghdf Rambin. CRÉDITS : Bazzart et tumblr. COMMENT ES-TU TOMBÉ(E) SUR LC ? : J'ai pris le bus. CE COMPTE EST-IL UN DOUBLE-COMPTE?: :hihi: .
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:46 par Invité
PARTIE PREMIèRE
CHAPITRE PREMIER
It has been said that all love begins and ends with she who gave us life
(1990) ✻✻✻ « Tu l’as entendu ? Tu as entendu son rire ? » 10 septembre 1990, quelque part dans l’après-midi. Clinique privée d’Oxford, chambre numéro deux cent quarante-deux, pièce située à droite au fond d’un couloir, non loin du cinquième ascenseur de l’accueil. Le soleil inondait cette chambre aux couleurs douces et rares pour un endroit pareil, qui accueillait un lit simple, proche de l’unique fenêtre laissant percevoir d’immenses chênes couverts de feuilles encore vertes. Une femme brune et mince était assise dedans, les cernes sous les yeux, le regard fatigué. Elle serrait les doigts de son mari comme si c’était la seule chose à laquelle elle pouvait encore se raccrocher. Dans la folie des deux derniers jours, elle en avait oublié qu’elle n’était pas toute seule. Dans la folie des deux derniers jours, elle en avait oublié qu’elle n’était pas seule, qu’Aaron Howard-Clark était toujours là, à ses côtés, pour l’aider. Et elle s’était également souvenue qu’elle avait besoin de lui. Son monde venait de s’écrouler autour d’elle : sa fille, son bébé, cette nouvelle-née de quelques heures à peine, était une prématurée. Elle l’avait mise au monde bien trop vite, elle avait voulu voir la Terre bien trop tôt. Système respiratoire immature, tout comme son système immunitaire. Kathleen se tenait personnellement responsable de cela. Elle l’avait porté. Elle avait été le fruit de son travail. Rien n’était parfait : pourtant, dans l’esprit de cette mère, cela prenait des allures d’erreurs. « Oui, je l’ai entendu. Elle est incroyable. » Incroyable. Le mot qu’avait choisi Aaron pour répondre à sa femme était pile celui qui convenait pour qualifier la petite Howard-Clark miniature, qui avait semblé rire le premier jour du reste de sa vie. Un véritable petit rayon de soleil, quelque part entre la vie et la mort, semblerait-il. Voyant qu’elle ne se déridait pas, l’homme finit par prendre sa femme dans ses bras, la serra aussi fort qu’il put contre lui, comme pour tenter de l’apaiser. Même si cela ne semblait pas faire grand-chose, et semblait même être vain. Il ne voyait pas, à ce moment-là, comment apaiser les traits de son épouse, comment lui faire comprendre qu’elle n’y avait été pour rien, que cela avait été le destin qui en avait décidé ainsi. Il aurait souhaité lui dire tellement de choses. Seulement, le Howard-Clark n’était pas réputé pour dire ce qu’il pensait ou pour se conformer aux réalités sociales de son temps, et encore une fois, garda tout ce qu’il avait à dire pour lui. Il se contenta de caresser les cheveux bruns de la jeune femme d’un geste apaisants, et de tenter de lui faire comprendre si qu’avec ses mains qu’il était fière, qu’il était comblé malgré la peur. Et qu’il l’aimait, à sa manière, d’un amour pourtant faux et non-sincère. Ils avaient respectivement trente-cinq et trente-sept ans. Ils étaient tous deux épanouis dans leur profession. L’un travaillait dans le cabinet d’avocats familial et réputé, l’autre était une étoile montante dans le parti conservateur du pays. Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés par leurs familles, toutes les deux issues de la noblesse anglaise ; leur réussite avait été comme gravée dans le marbre. Ils avaient déjà eu ensemble deux fils magnifiques âgés de quatre et six ans, le premier ayant vu le jour deux ans après leur mariage. La troisième et dernière grossesse de Kathleen avait été accueillie comme un miracle, une chose inespérée et absolument merveilleuse : dans leur perfection, ils avaient finalement la petite fille qu’ils avaient toujours voulue. Heaven, littéralement paradis. Cela était la raison de ce prénom si symbolique ; elle était un cadeau du ciel, un ange tombé des cieux. La vie leur donnait tout ce qu’elle avait : beauté, argent, bonheur. Il fallait se l’avouer, cette famille semblait provenir tout droit d’un conte de fée, et d’une certaine manière, était écœurante à en faire vomir certains. Seulement, il y a toujours un élément perturbateur qui venait tout mettre en l’air, dans n’importe quelle histoire pour enfant. Et celui-là n’était que le premier d’une longue série d’embuches. Toujours dans les bras de l’un et de l’autre, leur étreinte froide finit par prendre fin quand une infirmière pénétra dans la chambre de Kathleen. S’ils s’aimaient à leur manière, ils tenaient bien plus à une autre chose ; l’honneur. Se bécoter en public faisait partie des choses interdites, dans le code que leurs familles avaient mis en place durant des générations entières. Tenue correcte, classe, distinction obligatoire, principes de base inflexibles. Les Howard-Clark, en d’autres termes. Famille bien trop compliquée, bien trop stricte. De loin, les pleurs d'Heaven s'entendaient, remplaçant les gazouillements de nourrissons qu’elle avait eus d’il y a quelques heures. Comme si elle avait déjà compris où est-ce qu'elle était tombée.
✻✻✻
(1990) ✻✻✻ « Mèèèèère ! Heaven elle pleure encooore ! Faites quelque chose, j’entends pas mon dessin animé ! » Manoir des Howard-Clark, le treize octobre de la même année. Une petite voix s’élève dans les escaliers, tandis que Kathleen s’afférait autour de sa fille à l’étage pour la calmer. Hurlant, pleurant, encore et encore. Elle se débattait avec ses petits poings dans les bras de sa maternelle, sans aucune raison apparente. Madame Howard-Clark-Westfield avait fini par sortir de l’hôpital après de longs jours, et sa fille avait fini par être hors de danger grâce aux excellents médecins qu’ils avaient exigé dans la clinique privée où elle avait vu le jour. Cependant, les nuits étaient dures, les cris fréquents, les pleurs toujours aussi nombreux. Si la petite demoiselle pouvait être un véritable ange, riant aux éclats à la moindre petite grimace d’un de ses frères, elle passait son temps à avoir des larmes qui coulaient le long de ses joues, qu’il n’y ait aucune raison qui puisse la pousser à pleurer. Pendant un moment, les deux jeunes parents avaient pensé qu’elle était bipolaire, déjà à cet âge. Mais il se révéla juste qu’elle était lunatique, extrêmement lunatique, et qu’elle pouvait facilement passer par toutes les émotions en un temps record. Il n’y avait pas d’explication à cela. C’était ainsi. Point. Ils devaient faire avec. Ils devaient lui faire comprendre qu’une demoiselle ne pleurait pas pour rien ; qu’une demoiselle ne montrait pas ses émotions, tout simplement. Cependant, ils en oubliaient presque que la petite Heaven n’était âgée que de quelques mois. Et, ainsi, ils lui volaient une partie de cette enfance qui venait tout juste de commencer. Kathleen déposa soigneusement sa petite fille dans son berceau, et déclencha la petite musique que faisait le mobile installé au-dessus de son berceau. Cela devrait marcher. Cela marchait à chaque fois. Pendant un instant, la petite demoiselle continua à hurler à plein poumons, puis après avoir hoqueté à plusieurs reprises, elle finit par fixer les chevaux qui tournaient sous ses grands yeux bleus. Bouche en O parfait, elle était littéralement émerveillée comme à son habitude, et elle suivit les sujets des yeux, tout en écoutant la douce musique, encore et encore. Le lac des cygnes. Avec beaucoup de délicatesse, Kathleen vint caresser sa joue toute douce, comme pour l’encourager à fermer les paupières. C’était toujours un calvaire pour l’endormir, du moins, jusqu’à ce qu’ils entrent en possession de ce mobile : c’était comme si Heaven aimait la musique qu’il émettait, comme si elle trouvait l’apaisement en écoutant la douce mélodie qui s’échappait des jouets en peluche et en bois dansant au-dessus d’elle. Voyant qu’elle s’enformait avec douceur, Kathleen quitta la chambre après avoir mis en marche l’interphone pour la surveiller. Elle descendit l’escalier sur la pointe des pieds, et finit par retrouver son mari dans le salon, lisant son journal comme à son habitude, en compagnie d’Andrew, leur fils de six ans. Elle recoiffa avec assurance les cheveux de son enfant, et soupira en s’asseyant avec grâce. Droite sur le canapé, elle observa son mari. « Elle dort. » Aaron lui adressa un demi-sourire par-dessus son livre, et se replongea dans sa lecture. Cela n’était pas une chose à laquelle il accordait une quelconque importance ; il était loin, loin de tout, loin des autres. Mais Kathleen ne s’en souciait guère. Elle regarda alors son fils, et fronça les sourcils. « Andrew, cela fait combien de temps que tu regardes la télévision ? » L’enfant se retourna vers elle, ses grands yeux bleus surpris s’agrandissant encore plus encore, alors qu’il commençait à prendre conscience de sa bêtise. Il se mit à rougir, et alla à la télécommande pour éteindre l’engin, docilement, espérant que cela couperait court à toutes les discussions possibles. Sa mère lui lança alors un regard glacial, et se leva pour lui prendre la lui prendre des mains. Elle lui avait pourtant dit, elle lui avait pourtant fait comprendre qu’elle ne voulait pas qu’il regarde trop longtemps la télévision. Combien de fois allait-elle le répéter ? Elle en profita pour lui donner une fessée, un coup à la fois sec et qui en disait long. Elle rangea la télécommande dans un petit tiroir à verrou non loin du canapé, et se retourna vers son fils ainé, les bras croisés, les sourcils toujours froncés, tandis qu’Andrew sentait les larmes lui monter aux yeux. « Je te l’ai déjà dit cent fois Andrew ! Pas plus de trente minutes dans la journée ! File dans ta chambre. Privé pour une semaine. Il faut que tu apprennes à respecter les règles. » Le petit garçon la regarda pendant quelques secondes, et finit par baisser le regard, à la fois honteux et blessé. Il se retourna, avança dans le salon lentement dans l’espoir que son père vienne s’opposer à sa mère, mais rien ne vint. Comme d’habitude. Aaron n’eut aucun regard pour son fils. Il monta les escaliers, les larmes coulant le long de ses joues, pas encore habitué à ces punitions à répétition. C’était normal chez les Howard-Clark, assez fréquent d’ailleurs. Les punitions fusaient. Les punitions fusaient, et cela n’était pas pour grand-chose dans la plupart des cas. Mais c’était la seule manière qu’ils trouvaient pour faire comprendre à leurs deux fils, et bientôt leur fille, qu’il fallait respecter les règles à tout prix. Règle numéro un. « Pourquoi tu pleures ? – Laisse, Zach. » Règle numéro deux : ne jamais avoir besoin d’aide. Jamais. Ils étaient des Howard-Clark, après tout.
✻✻✻
(1993) ✻✻✻ Des jupons blancs volant derrière des boucles blondes. Un ours en peluche déjà usé par le temps, tiré son bras à moitié décousu. Heaven poussa un petit cri allègre en tournant sur elle-même, une fois arrivée en haut de la pente qu’elle s’était appliquée à monter, et observa ses parents descendre de leur voiture, un peu plus bas. Ses yeux se portèrent sur le grand portail en fer noir qui les enfermait à l’intérieur de cette maison. De cette immense maison, bien plus grande que celle dans laquelle elle avait grandi. Elle ne savait pas où ils l’avaient emmené ; elle ne savait pas pourquoi elle était là. Elle se souvenait simplement de longues heures de voiture qui lui avaient paru interminables ; elle se souvenait simplement de sa mère la grondant sans vergogne tout simplement parce qu’elle s’était amusée à compter le nombre de voitures blanches présentes sur l’autoroute. Après tout, Heaven avait trois ans. Après tout, elle était encore jeune, pleine de cette joie de vivre communicative. Après tout, elle s’amusait avec très peu de choses. Ses sourires étaient tout en fossettes, son corps était frêle mais son visage si adorable que les passants s’arrêtaient dans la rue pour la contempler, elle et ses yeux bleus. Cependant, cela ne plaisait pas à ses parents. Ils auraient souhaité que leur fille soit plus calme, plus distinguée, plus hautaine malgré son jeune âge. Une Howard-Clark. Une vraie. Elle n’avait que trois ans. Pourtant, Heaven était déjà une déception. Sa mère finit par arriver à sa hauteur, non loin du grand manoir surplombant la rue des beaux quartiers de la périphérie de Londres. Elle s’appliqua à lisser la robe blanche de la petite fille avec une rigueur presque obsessive, avant de replacer les rubans dans les cheveux de sa fille. Elle poussa un soupir irrité, témoignant de l’exaspération qu’elle ressentait face au comportement d’Heaven. « Que se passe-t-il, mère ? demanda Heaven, fronçant doucement ses sourcils, sa mine enfantine s’assombrissant. – Tiens-toi droite, » répliqua sèchement Kathleen. Madame Howard-Clark se redressa, avant de saisir le sac que lui tendait son mari, enfin arrivé à leur hauteur. Sur ses talons, Andrew et Zacharie était plongé dans une conversation qu’Heaven ne comprenait pas : pourquoi parlaient-il donc de chiffres ? N’était-ce pas ennuyeux comme la pluie ? Peu importe. Son attention se perdit bien trop vite pour qu’elle poursuive ses questionnements. Sa mère lui saisit la main et, docilement, elle la suivit à l’intérieur où des cartons s’entassaient. Des personnes habillées en noir étaient occupées à les déballer les uns après les autres. Heaven était persuadée d’avoir reconnu la lampe qui s’était longtemps trouvée dans l’entrée de sa maison à Oxford ; n’était-ce pas le diplôme sous cadre de son père qu’elle venait de voir passer dans les mains de cet inconnu ? La petite fronça les sourcils et leva les yeux vers le visage froid de sa mère, occupée à surveiller l’avancée des choses. « C’est beau ici, commenta la petite fille, guère convaincue par ses propres paroles. Mais quand est-ce qu’on rentre à la maison ? » La mère leva les yeux au ciel, comme si Heaven venait de faire preuve d’une effronterie rare. Sa fille était-elle intelligente ? Parfois, elle se le demandait sincèrement. Cependant, elle oubliait que son enfant était âgé que de trois ans. Trois toutes petites années, qui faisaient encore d’elle une nouvelle habitante de cette Terre. Elle était jeune. Beaucoup trop jeune. Elle était également incomprise ; ses parents, élitistes, en demandaient déjà trop. Elle devait être parfaite alors qu’elle avait encore du mal à marcher ; elle devait être parfaite alors qu’elle découvrait encore sa vie. Mais les Howard-Clark étaient comme cela. « Nous ne rentrons pas, Heaven, répondit sa mère d’un ton presque exaspéré. C’est notre nouvelle maison. – Mais pourquoi on change de maison ? Elle n’était pas bien la nôtre ? » la questionna la petite fille. Kathleen fusilla du regard son enfant, et Heaven se tût automatiquement, baissant la tête, observant ses chaussures avec un intérêt soudain. Dans ces moments-là, elle avait arrêté de se mettre à pleurer face à cet air dégoûté que lui renvoyait sa mère. Elle avait appris à s’incliner, tout simplement parce qu’il y avait uniquement de cette manière qu’elle pouvait espérer un regard froid, ou mieux, un regard neutre. Elle avait trois ans, cependant, elle avait déjà appris la règle numéro trois des Howard-Clark : ne jamais poser de questions qui pourraient être jugées inutiles. Et, à trois ans, on l’avait forcé à considérer ce manoir sombre londonien comme étant sa maison et à oublier son ancienne demeure à Oxford, tout cela sans lui expliquer ce qu’il se passait. C’était la règle numéro quatre : ne jamais considérer les enfants comme des êtres égaux aux adultes.
✻✻✻
(1995) ✻✻✻ « Heaven, mets correctement ta robe ! – Mais mèèèèère ! Vous savez bien qu’elle tient pas en place ! » 1995. Une petite demoiselle blonde aux traits encore poupins, haute comme trois pommes, défiait du regard sa mère qui la rouspétait devant ses frères, comme si sa vie pouvait dépendre de la façon dont était habillée sa fille de cinq ans. Heaven Leah Daniella Gabrielle Howard-Clark-Westfield avait grandi. Elle n’était plus ce petit bébé fragile, pleurant à la moindre occasion, et était encore moins celui qui avait frôlé la mort le jour de sa naissance. Elle n’était plus cette petite fille à la longue chevelure dorée s’inclinant devant les yeux froids et assassins de sa mère. Si elle semblait être plus jeune que son âge réel, elle semblait bien mûre pour une petite fille de cinq ans. Elle avait vite compris comment ses parents fonctionnaient, encore plus vite que ses frères, et n’hésitait pas à battre des cils pour obtenir des choses venant d’eux, que cela aille de la poupée dans un magasin au grand caprice sur les vêtements. Elle réussissait à les mener par le bout du nez parfois, et profitait de son statut de benjamine de la famille. Cependant, les deux parents n’étaient plus beaucoup présents. S’ils s’étaient quand même débrouillés pour pouvoir assister aux premières années d’Heaven sur Terre, ils avaient quand même fini par reprendre chacun leur travail lorsque celle-ci était entrée à l’école maternelle, et avait confié la tâche de les éduquer à une gouvernante, Mrs. Eastwood. Mégère encore pire que les géniteurs. Comme si cela fusse été possible. Cependant, bien que peu présents, les parents prenaient quand même le temps d’emmener leurs enfants à une Eglise de Londres, ou alors les emmener à des déjeuners le dimanche, avec leurs amis au même rang social. C’est d’ailleurs à un de ceux-là qu’ils se rendaient. Madame Gladstone et son mari organisaient un brunch. Et, bien au-delà de cela, ils étaient nobles, eux aussi. Nobles avec des titres. Et Heaven détestait Madame Gladstone. Et les brunchs, aussi, puisqu’il n’y avait jamais de Nutella ou de brioches comme celle de la pâtisserie à quelques rues de chez elle. Ainsi, alors que la petite demoiselle tentait tant bien que mal de mettre sa robe blanche pleine de dentelle prévue pour cela, ses deux frères étaient chacun assis sur une chaise du salon, en train de la regarder se débattre parmi les rubans et la dentelle. Exaspérée, Kathleen s’approcha d’elle, et tout en ignorant ses plaintes, lui accrocha la ceinture blanche autour du ventre avec de petits coups brusques. « Heavy t’es trop leeeente. » Heaven tira la langue à son frère pendant que celui-ci mettait son manteau, et sa mère lui donna une petite tape sur la main. « C’est quoi ces manières Heaven ? – Excusez-moi, mère. Zacharie est méchant. – T’es quand même trop lente, Heaven ! – C’est parce qu’elle est petite. – Je ne suis pas petite ! – Ton excuse elle est pourrie Andy ! Arrête de toujours la déf... » Zacharie s’arrêta dans son élan quand il croisa le regard de son père, et se tut tout en se baissant pour faire ses lacets, mais aussi pour éviter toute main baladeuse qui serait venu le frapper. Les Howard-Clark ne frappaient pas. Ils éduquaient. Pourtant, la différence était bien mince, et les trois enfants avaient bien du mal à saisir la nuance imaginaire de leurs parents. Heaven finit par mettre ses chaussures cirées avec une mine boudeuse, et enfila son manteau tout en faisant la moue et en fronçant les sourcils. Les disputes entre elle et ses frères étaient fréquentes, bien que généralement, Andrew – âgé de onze ans – prenait sa défense contre Zach, du haut de ses neuf ans. Elle vivait plutôt mal le fait d’être la petite dernière avec eux. Ils la charriaient tout le temps, étaient toujours à la critiquer et à la trainer de petite, dans tous les sens du terme. Elle aurait particulièrement adoré jouer la chef, les voir à ses pieds en esclaves, leur faire faire tout ce qu’elle désirait d’eux. Mais ce n’était pas le cas. Elle était forcée, en quelque sorte, de murir comme eux, et d’être plus grande que ses cinq ans. Si elle voulait suivre la course et participer à l’aventure, bien entendu. Et puis, de toute manière, elle voulait absolument être avec eux. Elle n’aimait pas se sentir exclue. Aaron, après avoir arrêté de fusiller du regard ses enfants, finit par ouvrir la porte de leur manoir situé aux limites géographiques de Londres et déverrouilla sa voiture pour que sa famille puisse pénétrer à l’intérieur. Positionnée entre les deux garçons, Heaven regarda l’intérieur avec ses grands yeux, un sourire ineffaçable sur ses lèvres. Si elle avait gardé une chose de sa période bébé, c’était bien son sourire. Et son côté sensible. Mais cela, il fallait mieux ne pas le dire. Elle regarda le plafond, puis se mit à jouer avec les plis de sa robe toute blanche, étriquée, guère confortable, qu’elle n’avait surtout pas intérêt à salir si elle ne souhaitait pas avoir une gifle. Mieux vaut paraître qu’être : règle numéro six de cette longue liste qu’elle avait été contrainte d’apprendre par cœur.
CHAPITRE SECOND
people are not rain, or snow, or autumn leaves. they do not look beautiful when they fall
(1995) ✻✻✻ « Mademoiselle Howard-Clark ! » Heaven tressaillit en entendant cette voix grave et stricte la rappeler à l’ordre, et elle détacha ses yeux du tableau qui décorait le mur à sa droite. Elle tourna doucement sa tête vers le vieux professeur assit à ses côtés, et il lui désigna le piano à queue avec une mine sévère. Automatiquement, elle déposa ses doigts sur les touches noires et blanches de l’instrument, sans réellement savoir ce qu’elle allait faire, et attendit les instructions de cette personne engagée par ses parents. Elle n’avait pas eu son mot à dire dans tout cela, bien entendu. Elle ne l’avait jamais eu depuis qu’elle avait vu le jour il y a cinq ans ; la petite fille n’imaginait même pas que cela soit possible d’ici quelques années, d’ailleurs. Elle avait été contrainte et forcée de s’asseoir devant le piano, accompagnée d’un des meilleurs professeurs particuliers de la région : elle était contrainte et forcée de le refaire durant des semaines durant, voire même des mois, ou des années. Ses frères avaient connu le même sort, après tout. Pour les Howard-Clark, la musique était la voie princière pour éveiller l’intelligence, pour travailler l’intellect de leurs héritiers afin qu’ils surpassent leurs capacités pour toujours être premiers. Pour toujours être les meilleurs. Andrew s’en était tiré avec la flute traversière ; Zacharie, quant à lui, avait dû étudier depuis ses cinq ans le violon, pour finalement se tourner vers le violoncelle. Son ainé avait jugé cela comme une véritable torture mais s’était abstenu de tout commentaire ; son frère plus jeune, cependant, avait trouvé une véritable vocation dans la musique. Heaven espérait sincèrement qu’elle en ferait de même. Cependant, elle se trouvait étrangement mal partie. Elle était bien incapable de focaliser son attention sur ces touches noires et blanches ; elle était bien incapable de se souvenir où se trouvait la touche du do, ce qu’était les noires et les blanches. Le vieux professeur semblait parler une autre langue à ses yeux. Et puis, autant se l’avouer : ce qu’il se passait à l’extérieur avait l’air bien plus intéressant. « Ce sera tout pour aujourd’hui, annonça le professeur d’une voix passablement agacée. Pour la prochaine fois, je veux que tu me travailles les enchainements que je t’ai inscrit sur ton cahier. – Oui monsieur. Merci. Au revoir, monsieur, » répondit-elle de sa voix douce et fluette, avant de se lever et partir ailleurs. Elle passa devant sa mère, les bras croisés, patientant dans l’encadrement de la porte. Elle lui fit un petit sourire qui ne trouva aucune réponse ; Kathleen était bien trop occupée à s’avancer vers l’homme pour faire le point de cette première leçon de piano. Heaven se retourna, et continua son chemin pour retourner dans sa chambre et jouer avec ses poupées, tentant d’oublier cette désastreuse leçon. « Votre fille est incroyablement distraite, » lança le professeur à Madame Howard-Clark. Celle-ci fronça les sourcils, frustrée : cela ne l’étonnait guère. A vrai dire, elle avait passé ces cinq dernières années à essayer de recadrer sa fille pour en faire une demoiselle absolument parfaite ; cependant, les traits de caractère de la petite blonde ne semblaient pas vouloir s’effacer facilement et ses essais semblaient se révéler vains au bout de quelques jours à peine. « Nous sommes actuellement en train de l’éduquer pour corriger ce point-là, répondit la mère d’une voix froide et distante. Pensez-vous pouvoir lui enseigner correctement le temps qu’elle apprenne à se concentrer ? – Cela risque d’être difficile, mais je pense que cela est possible. J’ai déjà eu des élèves bien pires qu’elle, j’ai mes propres méthodes pour en venir à bout. J’espère ne pas devoir y avoir recours avec la petite, répondit le professeur de piano. – Oh, n’hésitez surtout pas à être sévère. Il faut qu’elle soit recadrée, enchaina sa mère. Employez les méthodes que vous avez pour les cas les plus difficiles, il n’y a que de cette manière qu’elle comprendra que cet enseignement est primordial pour son éducation. » Le professeur opina, avant de se lever. Il s’appelait monsieur Haynes. Kathleen le raccompagna à la porte, puis la referma derrière lui après l’avoir salué avec cette distance qui la caractérisait tant. La porte aussitôt fermée, elle monta à l’étage, puis entra dans la chambre de sa fille. Heaven était occupée à brosser les cheveux de sa poupée ; elle l’interrompit sans vergogne, et la força à se relever. « Ecoute-moi attentivement, Heaven, dit-elle, à la hauteur de sa fille, le regard dur et les traits tirés. La prochaine fois que tu me refais une honte pareille, je t’envoie en camp de redressement. » Heaven devint blême. Kathleen la gifla, d’un geste vif et précis, avant de se redresser. « Nous dinons dans dix minutes. Ne te fais pas attendre. » Elle tourna simplement les talons, avant de passer l’encadrement de la porte de chambre. Heaven demeura figée, incapable de réagir. Le geste n’avait pas été obligatoire. Ses mots auraient suffi. Cependant, sa mère s’était appliquée à bien faire passer le message. Après tout, Heaven avait enfreint la règle numéro six : ne jamais salir le nom des Howard-Clark. Jamais.
✻✻✻
(1995) ✻✻✻ « Comment tu t’appelles ? – Riley. Et toi ? – Moi c’est Heaven. – Dis Heaven, tu veux bien être mon amie ? » Deux enfants étaient allongés par terre, contre un carrelage froid, et parlaient à voix basse pour ne pas se faire repérer par les personnes en train de prier et d’écouter ce qu’il se passe. Ils se regardaient bien droit dans les yeux, semblaient se comprendre en un seul regard. La petite blonde sourit en voyant le regard interrogateur du blond qui se trouvait en face d’elle, et hocha la tête avec beaucoup de ferveur : bien sûr qu’elle voulait être son amie. Quelle question idiote et sans intérêt. C’était la seule âme en peine dans cet endroit ennuyeux et ennuyant dans lequel elle était trainée régulièrement qui voulait bien jouer avec elle pour faire passer le temps. Cela faisait quelques semaines qu’ils avaient pour habitude de se retrouver au fond de l’Eglise tandis que les parents Howard-Clark et la gouvernante de Riley étaient occupés à prier, sans observer où pouvait bien partir leur progéniture. Les parents Howard-Clark étaient des Chrétiens pratiquants, et ne laissaient jamais une occasion d’aller à l’Eglise passer. Ainsi, ils espéraient donner à leurs enfants la foi qu’ils pouvaient avoir. Cela constituait la septième règle : croire en Dieu. Une règle portant le chiffre parfait, le chiffre de la chance, le chiffre magique. Sauf que pour l’instant, Heaven avait encore du mal avec tout cela, et s’ennuyait à chaque fois. Puis elle avait rencontré Riley. Et ce n’était que maintenant qu’ils faisaient les présentations, entre deux bêtises. « Tu sais quoi ? On a qu’à être meilleurs amis. – Meilleurs amis pour la vie, alors. – Oui. Meilleurs amis pour la vie. » Ils s’échangèrent un sourire étincelant avant de prendre chacun un feutre qu’Heaven avait pris dans sa poche avant de partir de chez elle, et ils entreprirent de dessiner sur le sol, comme si cela était la chose la plus normale du monde. S’ils avaient un an et demi de différence, leur âge mental était exactement le même en cet instant : ils adoraient provoquer les personnes présents, adoraient jouer ensemble et se prendre pour les rois du monde. Des amitiés comme cela, il en existe des milliers. Les enfants sont les maîtres dans l’art de se trouver des meilleurs amis tous les jours, voire même toutes les heures pour certains. Seulement, du haut de ses cinq ans, la petite demoiselle blonde avait l’étrange sensation que cela serait plus. Que cela durerait plus, que ce n’était pas comme avec les autres amis qu’elle avait pu avoir. Fronçant les sourcils, elle se pencha sur son dessin, légèrement énervée que celui-ci s’efface au fur et à mesure qu’elle le continuait. Le carrelage n’était pas un endroit propice à son expression artistique, donc. Elle se releva, soupira, puis regarda Riley, qui à son tour avait fait de même. Ils se sourirent, posèrent en même temps un doigt sur leur bouche, et se faufilèrent dans un coin. Si Heaven pouvait être considérée comme une enfant sociable, elle avait beaucoup plus d’affinités avec les garçons qu’avec les filles. C’était simple : avec eux, elle se sentait chouchoutée, elle se sentait comme reine, et elle aimait ça. Elle adorait être au centre de l’attention, elle adorait voir que les personnes pouvaient se plier en quatre pour satisfaire ses moindres désirs. Capricieuse, oui. Un peu. Elle préférait également l’esprit des garçons, plus joueurs, moins impressionnables, beaucoup plus enclins à faire des bêtises avec elle. Cependant, Heaven était dans une école pour filles uniquement, avec un uniforme, un règlement intérieur strict, et n’avait pas l’occasion de réellement voir des garçons pour jouer avec. Les seuls qu’elle voyait, c’était les amis de ses frères, bien trop vieux pour accepter de se rouler dans la terre ou bien faire des châteaux de boue quand il pleuvait. C’était donc au parc, avec sa gouvernante, qu’elle allait, qu’elle faisait du toboggan avec ses alter egos masculins. Mais Riley restait de loin son ami préféré. « Heaven ? Où es-tu ? » La demoiselle se redressa, lança un regard paniqué à Riley, puis se leva en dépoussiérant sa robe blanche. Elle lui fit un signe de la main comme pour lui dire ‘au revoir, et à la semaine prochaine !’ et mit ses feutres dans sa poche avant de se précipiter vers sa mère. « Je suis là, mère ! » Kathleen lui fit un pâle sourire, puis regarda derrière sa fille. Elle aperçut la tête blonde de Riley, et soupira, avant de remettre le manteau d’Heaven sur son dos, et de la pousser vers la sortie, tentant de l’empêcher de se retourner. « Je n’aime pas trop quand tu restes avec ce garçon, Heaven. Pourquoi n’es-tu pas amie avec les filles de madame Townshend ? – J’aime pas les filles de Madame Townshend. Elles sont méchantes. – C’est parce que tu leur tires les cheveux. – En tout cas, Riley est mon meilleur ami. – Je ne veux pas le voir à la maison. » Heaven leva la tête vers sa mère, et croisa son regard assassin, qui en disant long sur ce qu’elle pensait à propos de Riley. Instinctivement, elle baissa la tête, comme pour se protéger, comme aurait pu faire ses frères à sa place. Après tout, il y avait la règle numéro huit : ne jamais tenir le regard de Madame Howard-Clark. Au grand jamais.
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(1997) ✻✻✻ Toute l’attention d’Heaven était portée sur le contenu de son assiette. Silencieuse, elle réussissait même à ne plus esquisser de grimaces lorsqu’elle portait à sa bouche ces répugnante cuillérées de pommes de terre ; Dieu qu’elle détestait la cuisine de madame Townshend. Un domestique vint remplir son verre d’eau vide, et elle lui adressa un imperceptible petit sourire : elle gardait encore en mémoire la leçon que sa mère lui avait attribué quelques semaines auparavant, lorsque celle-ci avait eu le malheur de voir sa fille remercier un moins que rien. Non. Les Howard-Clark ne saluaient pas le travail de leurs inférieurs. Après tout, n’était-ce pas leur travail ? D’être au service des personnes à qui tout souriait ? Ils se considéraient déjà comme bien généreux de leur offrir un travail et un salaire. Heaven n’était pas d’accord avec ces idées-là. Mais Heaven se taisait, parce qu’à chaque fois elle avait bien trop peur de sa mère. Heaven se taisait, parce qu’elle avait appris qu’il valait mieux tout garder pour soi plutôt que protester. Elle faisait comme ses frères : elle s’asseyait et elle suivait les règles. En suivant les règles, tout allait bien. En suivant les règles, tout irait bien. « Comment s’est passé la première année de primaire, pour Heaven ? demanda alors madame Townshend, de sa voix haut perchée qui donnait envie à Heaven de rouler des yeux. J’ai entendu dire qu’elle surpassait presque votre fils ainé, Andrew. – Heaven est absolument excellente ! » s’exclama Kathleen, dans de grands gestes démesurés. La petite fille plongea de nouveau son regard dans son assiette, espérant se faire oublier. Dans deux mois à peine, elle fêterait ses sept ans ; pourtant, la pression qui pesait sur ses épaules était telle qu’elle se demandait si elle réussirait véritablement à répondre à toutes les attentes de ses parents. Elle n’était même pas sûre que leurs affirmations étaient fondées. Elle avait, certes, reçu de très bons résultats pour cette première année de primaire, mais son frère ainé était absolument brillant. Dans ce monde de faux-semblants et de mensonges, la petite fille qu’elle était ne réussissait pas à se retrouver. Elle était perdue ; perdue dans ce que ses parents lui disaient, perdue dans ce qu’elle était censée être, perdue dans cette réalité qui semblait disparaître à chacun de ses pas. Qui était-elle réellement ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Elle était une petite fille à qui on avait volé l’enfance ; une petite fille contrainte de cohabiter avec un nombre incalculables de règles. Heaven devait être parfaite. Et, à force d’entendre cela, la petite fille qu’elle était avait fini par croire que cela était une absolue nécessité ; qu’il n’y avait que cela qui puisse rendre ses parents fiers d’elle, un jour. « Je suis sûre qu’elle s’entendrait à merveilles avec notre fils, Henry, poursuivit alors madame Townshend. Il a, certes, deux ans de plus que votre merveilleuse fille, mais elle me semble beaucoup plus mure que les autres enfants de son âge. » Le visage de Kathleen sembla s’illuminer durant quelques secondes, avant que celle-ci ne retrouve le même regard froid et insensible qui lui était propre ; cela était presque malsain, comme réaction. Opportuniste. Mais dans l’univers dans lequel vivait les Howard-Clark, cela semblait normal de voir dans le futur. D’imaginer, qu’un jour, Heaven puisse s’appeler Townshend en se mariant à une personne aussi noble qu’elle. « Cela serait merveilleux, répondit Kathleen. N’est-ce pas, Heaven ? – Absolument, mère, » répondit la petite fille avec un sourire poli, qu’elle adressa à son hôte. Les adultes repartirent dans des conversations qu’elle ne tint plus à suivre ; son assiette même la dégoutait encore plus qu’au début du repas. Elle regarda successivement ses parents, puis ses frères, puis les filles des Townshend, puis le fils, assit à l’autre bout de la table. Elle étouffait. Elle étouffait réellement. Mais qu’aurait-elle pu faire de plus ? Elle ne faisait que suivre les règles, comme elle avait fini par l’apprendre. Et elle s’en souvenait très bien : la règle numéro neuf énonçait très clairement qu’un Howard-Clark ne devait côtoyer que des personnes du même rang social. Mais que voulait réellement dire côtoyer ? Heaven n’était même plus sûre de rien.
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(1998) ✻✻✻ L’été 1998 s’était annoncé beau et agréable, pourtant. Le soleil avait inondé les rues de Londres durant tous les mois de juillet et d’août ; Heaven avait presque oublié la torture que constituait de faire ses devoirs de vacances et d’aller au marché avec sa gouvernante tant le ciel avait été bleu. Elle avait passé son temps à courir dans son jardin, à espionner les oiseaux gazouillant dans les bras des plus grands arbres. Mais la réalité l’avait vite rattrapée. La réalité l’avait rappelé à l’ordre dans toute cette insouciance qu’elle avait connu durant sa huitième année d’existence sur cette Terre. « Tu vas me manquer, dit-elle doucement en pénétrant dans la chambre de son frère. Tu vas beaucoup, beaucoup me manquer. – Toi aussi, petite sœur, » répondit Zacharie en posant ce qu’il avait dans les mains au-dessus de sa valise, ouverte au beau milieu de sa chambre. La petite blonde s’avança, observant les murs d’un blanc immaculé, avant de s’assoir en tailleur au milieu de la pièce vidée de toute l’existence de son frère. Son bureau, où de vieux papiers et crayons dépareillés semblaient avoir été oubliés, et son armoire avaient été presque intégralement vidés. Zacharie s’en allait en internat. C’était aussi simple que cela. L’école dans laquelle il se rendait était spécialisée pour les enfants comme lui ; les parents Howard-Clark n’avaient pas voulu passer à côté du don que leur fils cadet possédait. La musique. Le violon. Le violoncelle. Le solfège. Les clefs de sol, de fa et d’ut. Les croches et les triolets. Les orchestres. L’établissement où il se rendait était hors de prix, situé en plein milieu de Londres ; ils n’avaient pas fait les choses à moitié, comme à leur habitude. Zacharie avait hâte. Il était heureux de pouvoir saisir cette chance que leurs parents lui donnaient…. Forcément qu’il était heureux de s’en aller loin d’eux et de leur façon de penser psychorigide. Quelque part, Heaven l’enviait. Elle l’enviait parce qu’en entrant au collège, il avait cette possibilité de partir loin. « Tu m’enverras des lettres ? » demanda-t-elle de sa petite voix fluette. La tristesse de voir son frère s’éloigner était présente sur son visage, mais elle savait que c’était pour le mieux. « Je reviens les week-end, Heaven, » répondit son frère en riant doucement. Après tout, le centre de Londres n’était pas si loin de la périphérie. Faire le trajet ne lui demanderait qu’une heure à peine, aller-retour, tous les jours ; cependant, ses parents souhaitaient qu’il se consacre entièrement à ses études. Prendre les transports en commun serait donc une perte de temps. Et n’était, de toutes manières, pas envisageable. S’ils avaient songé à ce qu’il prenne la peine de rentrer, cela aurait été en voiture. Avec chauffeur. Parce que si Heaven devait être parfaite, il en allait de même pour ses frères. Zacharie connaissait le même tarif que toute sa fratrie : règles, manière de vivre, grand futur, carriérisme. Les enfants Howard-Clark n’étaient pas des ratés : les enfants Howard-Clark étaient faits pour briller de mille feux, pour se trouver sous les projecteurs. Ils étaient nés pour le renom, pour perpétuer leur nom de famille à travers les générations en conservant ce même prestige qui le caractérisait tant. « Tu m’enverras des cartes quand même ? insista la petite fille. – Si tu y tiens, répondit son frère avec amusement. – Ne te moque pas de moi, s’offensa-t-elle, la mine boudeuse. C’est juste que je vais m’ennuyer durant la semaine, sans toi. – Je suis sûr que dans deux semaines tu auras déjà oublié comment c’était quand j’étais à la maison, » répliqua-t-il. Heaven se renfrogna, ce qui ne fit qu’accentuer les rires de son grand frère cadet. Doucement, il s’assit en face d’elle, ébouriffant ses cheveux blonds. Elle secoua la tête, puis replaça avec application les mèches désordonnée en faisant la moue. « Tu deviens comme maman, commenta son frère. Il ne faut pas que quelque chose dépasse. » Heaven ne dit rien. Que pouvait-elle réellement répliquer à cela ? Il avait peut-être raison. A force de vouloir voir sa fille devenir parfaite, peut-être que Kathleen Howard-Clark déteignait sur sa benjamine. Mais n’était-ce pas le but final ? De faire de son enfant une copie d’elle-même ? Qui pouvait réellement savoir, après tout. « Promets-moi que tu m’enverras des lettres, insista Heaven. – Je te le promets, petite sœur, » dit Zacharie, solennel. Heaven eut un sourire satisfait. Elle savait que son frère le ferait, parce qu’après tout, la règle numéro dix était très clair ; un Howard-Clark tient toujours parole. C’était également vrai lorsque sa mère la menaçait de la gifler si elle continuait à agir de telle ou telle sorte. C’était toujours vrai.
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:46 par Invité
CHAPITRE TROISIEME
they damaged her wings and demanded her to fly.
(2000) ✻✻✻ « Je ne me sens pas bien, monsieur Haynes, » dit fébrilement Heaven, une main sur son ventre, le teint blême. Son professeur de piano tourna la tête vers elle, soucieux, avant de pousser un soupir. Leur première rencontre remontait à cinq ans, maintenant. Cinq longues années où le vieux professeur s’était tué à essayer d’enseigner cet art à la demoiselle. Cependant, si Kathleen Howard-Clark lui avait demandé d’être strict avec Heaven, jamais, au grand jamais, il n’avait mis en application ses plus méthodes les plus drastiques. Cela avait été comme s’il avait pris en pitié la demoiselle ; comme s’il avait deviné que cela n’était pas facile tous les jours dans sa famille, et qu’Heaven était beaucoup trop fragile pour subir des craintes supplémentaires. Il avait été doux, attentif, pédagogue, d’une patience rare. Lui apprendre les bases n’avaient pas été facile ; le reste s’était révélé être une partie de plaisir, un véritable soulagement. Au final, Heaven aimait la musique. Elle n’aimait tout simplement pas être forcée. « Respirez, mademoiselle Howard-Clark, lui répondit-il de sa voix de vieil homme. Vos parents tiennent à ce que votre présentation soit parfaite. – Je ne vais pas être parfaite, répondit-elle aussitôt, palissant davantage. – Bien sûr que si, lança-t-il. Vous connaissez le morceau par cœur. Ne laissez pas l’angoisse vous retirer cela. » Heaven lança un regard suppliant à son professeur, mais cela était peine perdue. Elle ne pouvait pas se défiler. Pas maintenant. Cependant, la peur lui rongeait le ventre. La peur la rendait malade. Elle avait dix ans. Dix petites années. Pourtant, la pression sur ses épaules était telle qu’elle finirait par tout lâcher, un jour ou l’autre ; la pression était telle qu’elle était en train de mourir de stress, littéralement. Cela n’était pas grand-chose, pourtant, après tout. Cela n’était qu’une représentation de piano, une parmi tant d’autres. Elle n’avait à jouer qu’un morceau qui durait à peine deux minutes et trente secondes ; elle n’avait qu’à s’installer derrière le clavier et enchainer les notes qu’elle avait passé des heures à apprendre, en plus du rythme. Cependant, elle voulait satisfaire les espérances de ses parents. Des espérances pourtant bien trop grandes pour la gamine qu’elle était. Comme à chaque fois, on lui en demandait trop. Comme à chaque fois, la barre avait été placée si haute qu’elle ne savait pas si elle réussirait à l’atteindre un jour. « C’est à vous dans trente secondes. » Heaven hocha doucement la tête, ravalant la bile qui lui montait dans la gorge. En plus d’apprendre le piano, ses parents l’avaient également mise à la guitare. Et au chant. Cela signifiait trois fois plus de représentations. Trois fois plus de stress. D’angoisse. Elle n’était pas au bout de ses peines, elle en avait conscience. Lorsque cela fût à son tour, elle s’avança d’une démarche tremblante, avant d’arriver à la hauteur du piano, situé en plein milieu de l’estrade surplombant le public, majoritairement composé de parents. Heaven s’installa derrière le clavier, et posant délicatement ses doigts sur les touches. Elle prit de profondes inspirations, préférant prendre son temps avant de se laisser tête baissée dans ce morceau qu’elle avait répété, encore et encore. Les notes se mélangeaient dans sa tête, encore et encore. Les enchainements s’emmêlaient dans des symphonies dissonantes. Dans un dernier soupir, Heaven balaya ces confusions, et démarra les premières notes dans de grandes gestes légers. Elle joua parfaitement. Lorsqu’elle se releva, sous les applaudissements du public, elle salua timidement l’assemblée, avant de croiser le regard de ses parents. Ils étaient satisfaits. Mais cela ne l’étonnait guère : elle avait parfaitement respecté les règles. En jouant, elle n’avait pensé qu’à un seul et même article. Règle numéro onze : un Howard-Clark donne toujours le meilleur de lui-même pour impressionner les autres et redorer son nom.
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(2002) ✻✻✻ « Heaven, as-tu fait ton devoir d’histoire ? – Oui. – Tu as révisé tes mathématiques ? – Aussi. – Tu as révisé tes pièces de piano et de guitare ? – Egalement. » Madame Howard-Clark savait que sa fille ne lui mentait pas. Règle numéro douze, ne jamais mentir, quelque soit la situation. Kathleen regarda sa fille avec dédain, et finit par hausser les épaules, avant de reporter son attention sur ses dossiers. Avocate, elle n’avait guère le temps de consacrer quelques minutes à sa benjamine, rien que pour lui demander si sa journée s’était bien passée. Heaven resta à côté d’elle quelques minutes, attendant encore la réponse de sa question posée quelques instants avant l’interrogatoire de sa génitrice. Elle n’avait pas grand espoir, non. Mais elle trouvait que croire en l’impossible pouvait l’aider à avancer. Elle se leurrait, bien entendu. Mais c’était dans sa nature d’être ainsi : jeune, insouciante, souriante, croyante en des choses impossibles et ironiquement irréalisables. Madame Howard-Clark finit par relever la tête vers sa fille, et soupira d’un air indigné. Elle retira ses lunettes, passa sa main sur ses yeux, et attendit encore quelques instants avant d’ouvrir la bouche. « Qu’est-ce que tu attends, Heaven ? – Et bien, vous savez bien, mère. Je vous ai demandé si je pouvais aller chez Riley cet après-midi, » répondit la petite demoiselle avec sa voix mélodieuse. Regard assassin. Heaven baissa docilement les yeux, respectant encore et toujours les règles, comme si cela allait attendrir sa mère. « Il en est hors de question. File dans ta chambre. » La blonde resta figée là pendant un moment, n’en croyant pas ses oreilles. C’est seulement quand elle s’aperçut que sa mère la regardait avec agacement qu’elle fit volteface pour monter quatre par quatre les grands escaliers et se précipiter dans sa chambre. Elle passa devant Zacharie, jouant du violon, encore et encore, puis devant Andrew, casque sur les oreilles en train de lire un livre aussi gros que lui. En passant la porte de sa chambre encore toute rose, elle se mit à sentir sa gorge se serrer, puis se mit à sangloter bêtement sur son oreiller. 2002. Douze ans et quelques jours qu’elle était sur cette Terre, qu’elle était coincée dans cette famille à la fois rigide et soucieuse des apparences. Douze ans, et elle n’en pouvait déjà plus de cette vie qu’elle n’avait jamais souhaité. De cette vie trop dure et insupportable pour une personne aussi fragile qu’elle. Son regard embué de larmes se promena dans sa chambre, cherchant quelque chose contre lequel s’appuyer. Rien. Ses murs étaient blancs, comme ceux d’un hôpital, et rien ne laissait paraître qu’une adolescente vivait ici. Même dans sa chambre, même dans son territoire, Heaven n’avait rien le droit de faire, et était comme emprisonnée dans sa propre tête. Ce qu’elle faisait ? Travailler, travailler, encore et encore, tout cela rien que pour récolter un regard dédaigneux de sa mère, un soupire de son père presque jamais là. Elle faisait son possible pour faire tout ce qu’ils voulaient d’elle, jamais, pas un regard satisfait, pas une étreinte. Pour eux, c’était normal, l’excellence. Après tout, elle était une Howard-Clark, elle se devait de faire tout cela. Si Zacharie avait fini par aller en internat pour revenir que les week-ends, comme ce jour-là, Andrew avait quand même réussi à supporter cela. Et le supportait toujours. Mais, elle, ne pouvait plus. Elle s’affaissa sur son lit, caressa du doigt les dessins qu’elle avait pu laisser sur sa couette avant de descendre faire la requête à sa mère. Elle les observa, les larmes coulant encore contre ses joues. Monde cruel, monde injuste. D’un geste brusque, elle retira la cravate qui faisait partie de son uniforme, la jeta au loin dans sa chambre. La tristesse, dans sa tête, se transformait peu à peu en colère. Elle avait peur d’exploser, mais elle savait que cela arriverait. Fatalement. Cette famille ne lui correspondait plus, elle ne réussissait plus à se conformer à leurs règles. Elle en avait marre de n’être qu’une personne indigne d’intérêt à leurs yeux, de n’être qu’une bonne à rien. Elle était là, elle vivait à Londres, elle allait dans une école pour filles, travaillait deux heures et demi par soir pour avoir de bons résultats, était une fille modèle, rentrait toujours directement en revenant des cours, ne loupait aucune classe, avait des résultats excellents, continuait encore ses cours de piano, guitare, violon. Et au final, elle n’avait même pas le droit d’aller voir son meilleur ami que ses parents jugeaient sans importance et bien trop bas dans la société pour être fréquenté par une Howard-Clark… Mais c’était les règles après tout. Ce tas de règles qu’elle connaissait par cœur. Ce tas de règles sortit tout droit de l’imagination de ses parents psychorigides. Elle soupira. Ses doigts fins se posèrent sur un de ses dessins où elle avait tenté de dessiner sa mère, puis elle le saisit à pleine main, le déchira sans se contrôler. Encore. Encore. Encore. Des confettis, à l’image de l’amour qu’elle avait eu pour elle qui volait en éclat. « Heaven, qu’est-ce que tu fais ? » Zacharie se trouvait dans l’encadrement de la porte. Essuyant ses larmes, elle releva la tête pour le regarder en faisant paraître une façade pleine d’assurance. Elle respira plusieurs fois, compta jusqu’à dix dans sa tête. Elle cacha les morceaux de feuilles dans sa main. La révolution était en marche. « Moi ? Rien du tout. » Règle numéro douze des Howard-Clark : ne jamais mentir. Et pour la première fois de sa vie, Heaven venait de la transgresser, enfreignant en même temps la première. Ne jamais transgresser les règles.
✻✻✻
(2002) ✻✻✻ « T’es pas sérieuse, là, Heaven ? » La Howard-Clark regarda sa meilleure amie avec de grands yeux, puis passa une main dans ses cheveux fraichement coupés. Lendemain du fameux jour où elle avait craqué, et qu’elle s’était sentie inutile dans sa famille. Juste après sa crise de larmes, elle avait pris sa paire de ciseaux, l’avait approché de ses longs cheveux blonds lui arrivant jusqu’aux hanches, et d’un coup bien précis, les avait coupé au niveau de la nuque. Dans ce geste, elle était allée à l’encontre même des bases de sa famille : lles croyances. Les Howard-Clark étaient peut-être Chrétiens, mais ils attachaient une certaine importance à certaines règles juives. Et, dans la communauté juive, il est interdit de se couper les cheveux durant un an, suite au décès d’un proche. Cela ne faisait qu’à peine huit mois qu’une de ses tantes avait rendu son dernier soupir. Mais elle s’en fichait. Elle s’en fichait complètement. Après cela, la coloration avait suivi. Noir d'encre. Elle avait été satisfaite, au départ, par la symbolique de son geste, puis avait trouvé cela pas très joli. Elle avait donc coupé de nouveau, de plus en plus court, pour se retrouver avec une coiffure identique à celle de son frère Andrew. Pas trop courts, pas rasé comme certains hommes, mais plus de longues boucles venant lui chatouiller le visage. Ce n’était pas grand-chose : après tout, dans les familles normales, les adolescents avaient souvent des réactions ainsi. Simplement, pour les Howard-Clark, cela voulait dire beaucoup. Beaucoup trop, certainement. Autant dire que Kathleen avait poussé un cri horrifié quand elle avait débarqué dans la salle de bain et qu’elle avait vu les longues mèches de cheveux gisant dans le lavabo et la boîte de coloration pour cheveux. C’était simple, elle n’avait jamais voulu qu’elle se coupe trop court sa tignasse, considérant qu’une fille devait avoir les cheveux longs. Règle numéro trois bis, ou quelque chose comme cela. Heaven ne s’en souvenait plus. Une gifle, même plusieurs. Mais cela n’avait rien changé. Sa fille allait demeurer avec les cheveux courts un temps. Sa fille n’avait pas respecté le deuil de sa tante avec un geste pareil. Bien entendu, qu’elle avait pris cela comme une attaque personnelle, qu’elle avait fusillé du regard sa fille aussi longtemps qu’elle avait pu. Mais elle avait vu, dans les yeux d’Heaven, que c’était fini. Qu’elle n’avait plus peur. « T’aimes pas ? » Ton innocent, voix douce, alors qu’Heaven entreprenait de prendre ses affaire dans son casier. Elle, personnellement, trouvait que cela ne lui allait pas, mais par esprit de contradiction, elle préférait penser que sa nouvelle coupe était une pure merveille plutôt qu’accepter que sa mère eut raison. Elle posa sa main sur son livre d’allemand, puis se tourna vers Heather, le visage perplexe. « Et puis, explique-moi en quoi je n’aurais pas le droit de me couper les cheveux ? – Bah, je sais pas moi, ça te donne un côté… – Garçon ? Et pourquoi pas, hein ? – Bah…, fût le seul mot que sa meilleure amie trouva à dire. – Bon, dégage Heather. T’es comme eux de toute manière. » Elle claqua la porte de son casier puis tourna les talons sans un seul regard pour sa meilleure amie. De toute manière, dans cette école, ils étaient tous ainsi. Tous pareils, autant qu’ils étaient. Trop bourgeois, trop à cheval sur les règles. C’était quoi au juste leurs problèmes, hein ? Ils ne pouvaient pas laisser les gens qui ne se plaisaient pas dans ce monde tranquillement ? Tout cela la rendait malade. Elle se mit à courir, ses affaires sous le bras, bien trop vite pour que sa jupe reste en place, et poussa violemment la porte des toilettes. Elle lâcha son sac de cours, laissa tomber ses livres de ses mains, et entra dans la première cabine qu’elle trouva. Sans plus attendre, elle pencha la tête au-dessus des toilettes, s’enfonçant ses doigts dans la gorge. Son petit déjeuner y passa. Mais c’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour dénouer le nœud qui s’était formé dans son ventre. Elle se sentait de plus en plus enfermée, de plus en plus oppressée. Se couper les cheveux n’était que la première chose d’une longue série de bêtises, donc. C’est ce qu’elle conclut quand elle appuya avec énervement sur le bouton d’actionnement de la chasse d’eau. Elle se regarda dans le miroir, se rinça plusieurs fois la bouche. Elle comprenait Zach mieux que n’importe qui. Elle comprenait pourquoi il s’était tué à vouloir aller en internat, pourquoi il n’avait pas pleuré quand il avait quitté l’école pour garçons dans laquelle il avait été scolarisé avec Andrew pour se rendre dans cet internat où il avait pu étudier la musique avec des passionnés comme lui. Maintenant, il était loin de tout ça. Mais il y avait été par la manière douce. Et Heaven n’était pas résolue à être gentille à ce point-là avec leurs parents. Certainement pas. Elle allait les envoyer en enfer, eux et leurs foutues règles.
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(2004) ✻✻✻ « Bon, Heaven, ce n’est plus possible ! » La voix d’Aaron Howard-Clark s’éleva dans la salle à manger, et la brune se concentra sur le contenu de son assiette. 2005. Cela faisait maintenant deux ans qu’elle garda les cheveux courts, certes un peu plus long que la fois où elle se les était coupés toute seule, mais ses boucles n’étaient pas réapparues. Elle finit par poser son assiette, relever la tête pour observer Andrew qui était assis en face d’elle et qui semblait être absorbé par le liquide contenu dans son verre. Mauviette. C’était la première fois qu’il ne faisait rien, qu’il laissait les parents la disputer. Et Zacharie qui n’était même pas là… Elle soupira d’un air indigné, et tourna la tête vers son père avec un air provocateur. « Et tu vas me faire quoi au juste ? Lire ton journal comme à chaque fois que mère levait la main sur nous tout simplement parce qu’on avait la mauvaise idée de faire un pas de travers, en étant gosses ? – Heaven, je ne te permets pas ! – Vous ne me permettez jamais rien, » répliqua-t-elle en levant les yeux. Elle se leva de table, dans de grands gestes dramatiques, et lança sa serviette à terre avant de marcher dessus pour s’en aller. Elle monta les escaliers aussi vite qu’elle put, prit le sac qu’elle avait fait quelques heures plus tôt en prévision de ce moment fatal. Bien sûr qu’elle avait su que cela se passerait mal. Cela se passait toujours mal, avec eux, de toute manière. Quand elle était rentrée, ce soir-là, ils l’avaient vu débarqué avec une mèche blonde parmi ses cheveux. Ils n’avaient pas apprécié, évidement. Ils avaient trouvé cela vulgaire, l’avait engueulé comme une chienne, en avait profité pour la priver de tout ce qu’ils pouvaient bien trouver, en oubliant qu’elle avait déjà été privée de toutes ces choses-là quelques jours plus tôt, à peine. Elle était restée devant eux, ce regard arrogant qu’elle s’était forgée, guère démontée par leurs menaces, faisant taire la petite fille qu’elle avait été qui lui murmurait d’arrêter son cinéma. Mais le pire avait été après, quand ils avaient aperçu le tout nouveau piercing qu’elle s’était fait, en compagnie de Riley, fraudant un peu pour pouvoir l’obtenir, au septum. Explosion à table. Scandale, bien entendu. Après tout, cela faisait très mauvais genre d’avoir une fille qui fait sa crise d’adolescence d’une telle manière. Elle redescendit, sweat-shirt sur le dos, sac aux épaules, et mit ses chaussures aussi vite qu’elle le put. Bien entendu, ses parents étaient debout, la regardaient avec de grands yeux, trop choqués pour faire quoi que ce soit. Les gifles ne faisaient plus rien. Que pouvaient-ils donc faire ? La menacer avec un couteau sous la gorge ? Ils risqueraient de se salir les mains. « Vous n'êtes que des cons. » Elle ouvrit la porte et la referma en la claquant, puis elle se mit à courir dans sa rue pleine de maisons grandissimes et de pauvres riches sans cœur. Si les larmes montaient à ses yeux, elles coulaient sans qu’elle ne sanglote comme une petite fille. Elle était, en soi, trop sensible pour que ce geste ne lui fasse rien, mais elle n’avait pas de peine pour eux. Non. Ce qu’elle pleurait, c’était son enfance gâchée. Elle avait peut-être eu tout ce qu’elle désirait, mais elle n’avait jamais eu d’amour. A vrai dire, elle ne savait même pas ce que cela pouvait bien dire. Elle descendit dans la première station de métro qu’elle trouva sur son chemin, s’orienta sans regarder un quelconque plan comme seuls les Anglais pouvaient le faire. Debout dans les longs serpents mécaniques, elle observa son reflet dans les vitres, détaillant chaque larme qui avait bien pu couler le long de sa joue. Ses cheveux étaient ébouriffés, ses yeux fatigués. Elle ne se reconnaissait plus dans cette adolescente à la fois mal dans sa peau, blessée, peu sûre de son lendemain. Doucement, elle descendit à un arrêt de la Picadilly Line, puis d’un pas mal assuré, s’avança dans la foule. Des gens normaux. Cela lui faisait bizarre. Pour une fois qu’elle côtoyait des gens qui étaient comme elle aurait voulu être. Elle monta les marches pour se retrouver dehors, la pluie s'abattant sur ses cheveux courts. Elle mit sa capuche sur sa tête, regarda autour d’elle avant de se mêler à la masse. Elle connaissait le chemin par cœur. Tellement que les minutes semblaient se transformer en secondes. Porte bleue. Sonnette presque accueillante. Tête blonde reconnaissable. « Ça te dérange si je couche là pendant quelques jours ? » Riley lui ouvrit les bras pour qu’elle puisse se réfugier contre lui. Elle se mit à pleurer, la tête nichée dans son cou, la tête nichée contre ce meilleur ami qu’elle avait rencontré neuf ans auparavant. Amitié de gamins ? Plus réellement. Ils avaient vécu trop de choses ensemble pour qu’elle puisse s’effriter aussi facilement. Il la fit rentrer. La fit dormir sur le canapé sans poser de questions, se contentant juste de la consoler du mieux qu’il pouvait. Après tout, ils étaient des meilleurs amis pour la vie.
CHAPITRE QUATRIEME
crown on her head, head full of wars, wars for the wise, wise till the end.
(2004) ✻✻✻ « Central High School. Tiens, ça ne me dit rien. Ce n’est pas une école pour riches ça, je me trompe ? Oh, mais Monsieur et Madame Howard-Clark finissent par se rendre compte qu’il n’y a pas que des lycées qui coutent la peau du cul ? – Tu iras en internat là-bas, et tu passeras tes vacances avec un éducateur. – C’est la meilleure façon pour se débarrasser de moi, hum ? Fille indigne pour un mec de la House of Lords. Oh, la, la. Quelle honte. » Kathleen leva la main vers sa fille, puis finit par la baisser, le regard plus noir que jamais. C’était réellement fini entre Heaven et sa famille. Il n’y avait plus rien, tout du moins, entre ses parents et elle. Si, du vide, de l’incompréhension. Une barrière d’honte s’était forgée entre ces deux mondes si différents. Heaven n’aimait pas être méchante. Elle détestait son ton sarcastique, ses remarques aussi assassines que rancunières. L’enfant douce et joyeuse dormait encore en elle, l’enfant riante et sensible vivait encore quelque part sous cette carapace qu’elle s’était forgée. Seulement, l’oublier avait été le seul moyen qu’elle avait trouvé pour se défendre. Elle s’était forgée une nouvelle image avec eux ; l’adolescente rebelle et chieuse à temps plein. Avec ses amis, c’était autre chose. Elle pouvait être la fille la plus adorable de la terre, en dessous de ses cheveux teints de toutes parts, sa coupe de garçon et son maquillage pot de peinture. Mais peu de personnes, dans son ancien collège, se donnait la peine de l’écouter, de la regarder, de lui donner du temps pour faire ses preuves. Coincée dans un endroit bourgeois qui la rendait presque allergique. Voilà ce qu’elle était. Voilà ce qu’elle avait toujours été. Ils étaient assis à trois sur la table du salon. Elle d’un côté, eux deux de l’autre. Elle était revenue de chez Riley, l’été commençait tout juste. Bien entendu, elle avait fini ses années de collège, et la replacer était une obligation. Pendant longtemps, Heaven avait pensé que ses parents la destinaient à un lycée dans la même lignée que son ancienne école : exclusivement féminin, avec un encadrement spécialisée, beaucoup d’argent à investir, des locaux fabuleux, des filles étant à la fois de sombres idiotes, des garces de première et sans scrupule. Heaven finit par hocher la tête et monter à l’étage sans un seul regard pour eux. Après tout, la discussion était close. Elle se dirigea vers la chambre de Zacharie, où celui-ci était installé à jouer de la guitare, et il leva la tête dans sa direction quand elle s’affala sur son lit encore défait. Un silence s’installa, alors qu’il ne jouait plus et que leurs parents avaient cessé de marmonner en bas, et la demoiselle posa son regard sur la fenêtre pour observer les rayons du soleil. Pas un seul bruit, pas un seul souffle. Elle soupira, se releva lentement, et regarda son frère blond. « A l’internat, je vais me faire pousser les cheveux. Ils me manquent. – Pourquoi tu fais ça, Heavy ? demanda-t-il, réellement soucieux. – Il fallait bien que quelqu’un le fasse. – Et tu n’as pas peur de tout perdre ? – Et perdre quoi ? répliqua-t-elle en fronçant les sourcils. – Eux. » Comment pouvaient-ils perdre une chose qu’ils n’avaient jamais eue ? Zacharie le savait. Heaven ne répondit pas à sa question, tant la réponse était évidente. Il lui fit un petit sourire avant de se reconcentrer sur sa guitare. Elle se leva, ébouriffa les cheveux de son grand frère avant de sortir de sa chambre. Il l’avait vanné pendant des années. Il l’avait critiqué, rabaissé, lancé des paris stupides pour qu’elle se fasse gronder, et maintenant qu’ils étaient là, nus face à la vérité de leurs actes, ils avaient fait une sorte de paix. C’était peut-être la perspective de ne plus se revoir avant les grandes vacances prochaines qui les rendaient aussi calme et pacifiques, mais Heaven s’avoua qu’elle aimait cela. Il partait à Paris faire ses études de musique. Elle, allait dans un lycée de Londres, en internat, les vacances avec un éducateur, elle ne savait pas où. Elle avança vers la sortie, et dans l’embrasure de la porte, se retourna pour poser ses yeux sur son instrument. « Tu vas me manquer, Zach Howard-Clark. N’oublie pas de m’envoyer par la poste les partitions que tu composes, lança-t-elle. Et des cartes postales. » Zacharie se mit à rire, se souvenant de son ancienne promesse. Ils n’avaient été que des gamins, à ce moment-là. Des gamins insouciants. « Cela risque pas. Comment oublier son hérisson préféré ? » Elle rit. Cela faisait des mois qu’elle ne l’avait pas fait dans cette maison.
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(2005) ✻✻✻ « Eh, la nouvelle ! » lança une voix féminine. Heaven ouvrit les paupières, avant de voir une tête se pencher du lit situé au-dessus du sien. C’était sa colocataire. Elle n’était pas sûre de se souvenir de son prénom ; à vrai dire, depuis qu’elle était là, elle ne l’avait que très rarement croisé. Heaven avait entendu dire qu’elle avait été mise à pied durant deux semaines. Mais après tout, cela ne pouvait également n’être que des rumeurs. Elle avait appris à ne pas se fier aux on-dit-que, mais dans le cas d’Andrea, les ragots qui se propageaient semblaient être fondés, pour une fois. « Humm ? répondit-elle simplement, persuadée que cela suffirait comme réponse. – T’as du feu ? » Durant une demi-seconde, elle fronça les sourcils, la voix de la petite fille qu’elle avait été lui criant que cela était une mauvaise idée. Que cela tramait quelque chose. Qu’elle ferait mieux de lui répondre non, de refermer les yeux et s’endormir comme s’il ne s’était rien passé. Elle secoua imperceptiblement la tête. Qu’elle se taise. Elle n’avait pas besoin d’elle pour vivre ; elle ne voulait tout simplement plus l’entendre. Cette voix lui rappelait trop son enfance, cette voix lui rappelait trop ce qu’elle avait été, un jour, dans sa vie. Alors, Heaven hocha la tête pour répondre que oui, bien entendu qu’elle avait du feu, et elle se releva de son lit pour aller chercher dans son sac de cours son briquet. Docilement, elle le lança à sa colocataire, et avant qu’elle ne se réinstalle sur son lit, celle-ci lui lança : « Monte, j’en ai assez pour deux, et on peut tenir ensemble sur le lit. » Fumer ici ? C’était interdit. Cependant, Heaven était également persuadée qu’il ne s’agissait pas d’une cigarette normale. Non. Elle avait entendu le bruit reconnaissable du papier qu’on roule ; elle savait qu’Andrea était connue pour la fumette et ses tendances à consommer les produits illicites. Si elle écoutait sa voix intérieure, elle n’aurait tout simplement pas accepté. Mais qui était-elle, dorénavant ? Que pourrait-il lui arriver si ses parents venaient à l’apprendre ? Elle se fichait bien de ce qu’ils pourraient penser, bien au contraire. Elle voulait vivre. Andrea lui proposait d’essayer une drogue douce pour la première fois de sa vie. Elle ne risquait rien. Absolument rien. Elle risquait simplement de vivre. Où était le mal à cela ? Sans attendre, Heaven grimpa sur le lit de sa colocataire, puis s’assit à ses côtés, le dos contre le mur, le haut de son crâne frôlant doucement le plafond de la chambre. Andrea alluma le joint, puis expira doucement, avant de le tendre à Heaven. Une demi-seconde d’hésitation. Voilà ce qu’elle connut avant de le porter à son tour à ses lèvres ; voilà ce qui lui couta toute l’éducation de ses parents. Elle était décidée à sortir des sentiers battus. Elle était décidée à s’enfoncer dans ses bêtises, persuadée que rien ne pouvait lui arriver, persuadée que tout irait bien. Elle avait l’impression de contrôler ce qu’elle était devenue, mais elle n’en avait strictement aucune idée. Elle avait l’impression de contrôler sa vie, mais elle perdait tout simplement le fil à vouloir trop de libertés. Cependant, Heaven ne s’en rendait pas compte. En expirant la fumée apaisante de marijuana, elle ne s’était pas rendue compte que cela ne puisse être que le commencement d’une longue série de joints. Que c’était le commencement de l’addiction, de la prise de drogues plus dures, plus violentes, plus dangeureuses. Cela avait été comme la première fois où elle s’était enfoncé un doigt dans la gorge : elle n’avait pas compris qu’elle ne contrôlait rien, qu’elle s’enfonçait peu à peu dans la maladie. Dans cette liberté qu’elle s’était offerte, elle était seule. Il n’y avait personne pour s’inquiéter de son état. Personne pour prendre soin d’elle. Personne pour se dire que son comportement n’était pas forcément normal. Ses parents n’étaient plus là, ses amis étaient inconscients. Aussi inconscients qu’elle, se lançant dans des plans de plus en plus à risque, dans des plans de plus en plus fous d’adrénaline. Elle était seule. Seule. Seule. Perdue dans ses bêtises. Perdue dans ce qu’elle devenait. Perdue dans cette liberté qu’elle avait toujours souhaitée mais qu’elle ne réussissait pas à contrôler.
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(2006) ✻✻✻ « Mademoiselle Howard-Clark, rappelez-moi de quoi est composé l’uniforme féminin s’il vous plait. » 2006. La demoiselle assise en face du proviseur leva les yeux au plafond, faisant mine de réfléchir, et laissa quelques secondes s’écouler le temps qu’elle réponde. Elle se redressa, joua lentement avec ses cheveux lui arrivant aux épaules, et regarda l’homme avec ses grands yeux bleus. « Chemise blanche avec l’insigne de CHS, cravate bleue nouée autour du cou, veste bleu avec l’insigne de l’école, toujours. Jupe plissée arrivant aux genoux bleue, également, collant blanc ou chair, chaussures immondes bleue et blanche de l’école… Ruban dans les cheveux peut être ? Serre-tête. Je crois même qu’il y a un parapluie quand il pleut ! » Fière, elle lui adressa un immense sourire, comme si elle sortait victorieuse de l’interrogatoire. Elle croisa les jambes, joignit ses mains sur ses genoux et continua à observer le proviseur avec ses grands yeux. Quatrième fois, ce mois-ci, qu’elle finissait par passer la porte de son bureau. Première, pour avoir fumé dans sa chambre d’internat. Deuxième, pour avoir fugué un soir pour aller dans un bar avec d’autres internes. Troisième, pour avoir eu les pupilles dilatées durant les cours de sport. Si elle n’avait pas été encore expulsée depuis son arrivée, c’était tout simplement parce que ses parents graissaient la patte du lycée. La rénovation de la cafétéria n’avait pas été faite avec des fonds propres. En cet instant, Heaven savait pourquoi elle était là. Simple. La veille, elle s’était amusée à prendre sa paire de ciseaux avec Andrea Williamson, sa colocataire et meilleure amie. Bien sûr, les profs l’avaient remarqué dès qu’elles avaient mis les pieds en classe. Ils n’étaient pas aveugles, non plus. Bien que parfois, Heaven se posait sincèrement la question. « Justement, mademoiselle Howard-Clark. Jupe arrivant aux genoux. Or, il me semble, la mi-cuisse n’est pas exactement située au même endroit que le genou. Je me trompe ? – Monsieur le proviseur, si vous me le permettez, c’est mieux que rien du tout. » Heaven tourna la tête vers le brun qui était installé dans un fauteuil, au fond de la pièce. Elle sourit, puis se retourna vers le proviseur en souriant de plus belle. Ironie à en vomir. Le proviseur fusilla du regard le garçon, puis la Howard-Clark, et se leva pour prendre dans un de ses tiroirs une chemise de chimie extrêmement longue. Il la mit dans les mains de la demoiselle, et soupira d’un air indigné. « Vous deux, dehors. Steevens, je vous communiquerais les renseignements que vous souhaitez plus tard. Howard-Clark, je vous retiens. – Au plaisir ! » lança-t-elle d’une voix joyeuse. Elle se leva, se dirigea vers la porte. Le gars qui l’avait à moitié défendu lui tint la porte pour sortir, et une fois dans les couloirs, elle se tourna vers lui en enfilant la blouse de chimiste prévue pour cacher ses jambes un peu trop dévoilées. Elle ne l’avait encore jamais vu auparavant. Enfin, elle avait dû le croiser à plusieurs reprises, mais n’avait pas retenu son visage. Après tout, il y avait tellement d’élève dans ce lycée, et elle n’était pas sur le même niveau que lui… Elle lui adressa un sourire. « Merci. – Ya pas de quoi, répondit-il en haussant les épaules, un sourire en coin installé sur ses lèvres. – C’est quoi ton prénom ? – Jeff. Heaven, c’est ça ? » Elle hocha la tête, sans vraiment savoir comment il avait fait pour connaître son prénom. Après tout, tout le monde dans le lycée avait dû finir par la connaitre. Heaven, la rebelle aux cheveux noirs de jais qui viraient roses sur les pointes. Image complètement fausse, d’ailleurs, puisqu’elle était la première à pleurer dans son coin, la première à s’en vouloir dès qu’elle blessait quelqu’un avec ses paroles. Mais les élèves semblaient être beaucoup plus inspirés à colporter sa réputation de mauvaise fille. Au final, ça ne la dérangeait pas. Elle savait ce qu’elle valait. Elle pensait le savoir, tout du moins.
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(2007) ✻✻✻ Heaven poussa un gémissement plaintif en portant sa main à son crâne. Dieu, qu’elle avait mal à la tête. Elle ouvrit doucement un œil pour aussitôt le refermer ; un léger rayon de soleil filtrait par la fenêtre, et celui-ci lui avait presque brûlé la rétine. Elle ne savait pas où elle était. Elle ne savait pas avec qui elle était. Elle patienta quelques minutes le temps de reprendre ses esprits, puis finit par se tirer du lit avec difficulté. Son regard se posa sur la personne avec qui elle avait passé la nuit ; incapable de se souvenir de lui, elle haussa tout simplement les épaules en se rhabillant. Son mal de tête lui lancinait le crâne. Son mal de tête faisait tourner le sol sous ses pieds, et elle peinait à mettre un pied devant l’autre. Elle finit par atteindre le salon de l’appartement où elle se trouvait ; elle remarqua des bouteilles à moitié vide sur la table basse, accompagnées de rails de coke encore non entamés, laissant clairement supposé la consommation qu’elle avait pu avoir la veille. Sans se poser véritablement de question, elle sortit, dévala avec grandes peines les escaliers et se retrouva dans la rue. Sans attendre, elle atteignit la bouche de métro la plus proche, et s’enfonça dans la circulation publique pour retourner à l’internat. Elle était pratiquement sûre qu’elle avait cours, aujourd’hui. Quelle heure était-il ? Elle n’en savait rien. Qu’avait-elle fait la veille ? Heaven était persuadée qu’elle était sortie en ville avec Andrea et Riley, mais le reste était encore trop flou pour qu’elle puisse réellement avancée une hypothèse plausible. Elle poussa un soupir. C’était la deuxième fois, ce mois-ci. La deuxième fois qu’elle avait un blackout ; la deuxième fois qu’elle se réveillait avec un inconnu. Elle pensait contrôler. Mais en réalité, elle ne contrôlait rien. Rien du tout. Elle finit par attendre son lycée, et elle passa par-dessus les barrières au fond de la cour, comme elle avait l’habitude de le faire à chaque fois qu’elle fuguait de l’établissement. Le pas trainant, elle se hâta de se rendre tout en haut du bâtiment, sous les combles, où se trouvaient les chambres des internes. Elle ne croisa personne sur la route, ce qui la laissa supposer qu’elle aurait bel et bien dû avoir cours en temps normal. « Damn, Heavy, t’es enfin rentrée ! s’exclama Andrea dès qu’Heaven passa la porte. Alors, comment il était au pieu monsieur-je-suis-un-beau-gosse-tatoué-sur-les-omoplates ? » Heaven poussa un gémissement en se laissant tomber sur son lit, la tête enfouie dans son oreille. Andrea se jeta littéralement sur elle, écrasant sa poitrine sur le dos de la jeune anglaise en ébouriffant ses cheveux avec entrain. « Il t’a autant épuisé que ça ? Dis, ça te dérange si je passe après toi ce soir ? » renchérit-elle en se mettant à rire. Heaven ne savait pas, Heaven ne savait plus. Au stade où elle en était, elle n’était même plus sûre de pouvoir réfléchir correctement. Cela résumait sa vie à l’internat : boire, fumer, rails de coke, marijuana, histoire de coucheries, premiers tatouages, Andrea, Riley, Jeff de temps à autre quand les choses étaient un peu plus calmes. Elle ne se rendait pas compte qu’elle était accro. Elle ne se rendait pas compte qu’elle était atteinte d’anorexie vomitive. Elle ne se rendait pas compte qu’elle foutait littéralement son lycée en l’air, qu’en temps normal ses résultats auraient dû être bien meilleurs. Heaven se perdait dans cette fausse idée qu’elle s’était faite de la liberté : mais, au moins, elle avait l’impression de vivre. Au moins, elle était heureuse dans le bordel monstre qu’était devenue sa vie. Ses parents étaient incapables de la regarder en face, de la regarder dans les yeux. Là-dedans, Heaven y trouvait une certaine satisfaction. Elle avait l’impression d’avoir réussi à avoir accompli quelque chose dans sa vie. « Il reste de l’herbe dans ce qu’on a acheté mercredi ? réussit-elle à marmonner dans son oreiller. – Faut que je vérifie, » répondit aussitôt Andrea en se dégageant d’elle pour fouiller dans la chambre. Quotidien. Liberté. Fumer. Tout se mélangeait dans son esprit. Elle perdait le fil. Elle perdait pied. Elle était malade ; malade d’avoir été si limitée étant gamine. Ses parents n’obtenaient que ce qu’ils avaient toujours cherché : à mettre trop de barrière autour d’elle, à être si durs avec elle, ils avaient fait d’Heaven un monstre. Un monstre perdu dans son monde. Hors de contrôle.
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:46 par Invité
PARTIE DEUXIèME
CHAPITRE PREMIER
So Pretty, So Smart Such A Waste Of A Young Heart.
(2008) ✻✻✻ Domicile des Howard-Clark, matinée. Aaron et Kathleen assis d’un côté de la table du salon, Heaven de l’autre. Un service de thé était entre les deux camps, comme pour les séparer, marquant distinctement cette frontière qui s’était édifiée entre eux au fil des années, sans qu’ils ne le veuillent, au final. Ils ne se comprenaient plus, c’était fini. Elle les avait déçus, ils avaient été trop durs. La demoiselle avait conscience qu’elle ne pourrait pas revenir en arrière, qu’elle n’aurait plus qu’à s’en aller quelque part à Londres, vivre dans un appartement, vivant de ses propres ressources, et changer de trottoir quand elle les croiserait dans la rue, faire comme s’ils n’existaient pas. Si son esprit tentait de se persuader que c’était ce qu’elle attendait depuis des années, elle savait qu’au fond cela la frustrait, lui faisait du mal, la rongeait lentement comme de l’acide. Elle se sentait mal, comme si elle voyait son monde s’effondrer, alors qu’elle croisait leurs regards froids dénués de sentiments à son égard. Elle avait tenté de croire qu’elle s’était faite de nouvelles fondations, seule, mais tout était tout simplement en train de tomber en ruine. On l’obligeait à se détacher alors qu’elle n’était pas prête. Absolument pas prête. Elle l’avait bien compris, elle n’était plus rien. Plus rien du tout. « A+ en Littérature. » C’était Kathleen qui avait fini par briser ce silence pesant comme toujours, puisque c’était elle et seulement elle qui se permettait d’encore lui adresser la parole. Heaven observa ses mains, contempla ses ongles rongés, couverts de vernis noir abimé, consciente des regards lourds de sens qui pesaient sur elle. Elle ne s’était même pas défoncée, ce matin. Elle avait même pris la peine de donner un coup de peigne dans ses cheveux noirs de jais, lui arrivant désormais au milieu du dos. Sa mère tenait ses résultats d’examen finaux de Llycée, et elle regardait ses notes, fatalement. Son ton avait été froid, tranchant, comme si avoir une fille aussi douée en Littérature était comme une tare pour la famille. Ce n’était pas de sa faute s’ils avaient toujours nourri l’espoir qu’elle soit biologiste, chercheuse, une scientifique comme son père. Seulement, ses notes catastrophiques en Mathématiques et en Sciences Expérimentales pouvaient laisser perplexe certains, rendre fous de rage d’autres. Comme Aaron et Kathleen, par exemple. « Pas de "félicitations, c’est bien ma fille !" ? Ça m’aurait étonné. Bon, j’peux y aller maintenant ? » Elle s’interrompit, tout en soupirant et en passant ses mains sur son visage. A quoi cela servait, sincèrement, de protester ? Elle connaissait ses parents. Ils allaient tout faire pour se débarrasser d’elle. Une fille comme elle tachait bien trop l’image des Howard-Clark. C’était un fait. « Finalement, tu sais dans quelle université tu vas aller ? Ça serait peut-être bien que tu nous communiques ton choix, Heaven. Nous sommes tes parents. C'est nous qui allons payer. Te loger. Te nourrir. Un peu de respect de serait pas en trop. » Heaven eut un petit rire ironique, regarda son père comme s’il disait la connerie la plus grosse de sa vie. Comme s’ils avaient été des parents. Tout ce qu’ils avaient fait, c’était de ne plus lui parler une fois qu’elle s’était exprimée, une fois qu’elle leur avait fait comprendre qu’ils agissaient plus en tyran qu’autre chose. Avant cela, ils s’étaient contentés de lui apprendre une liste interminable de règles. Des règles, encore des règles. Elle posa sa tête sur la table, et réfléchit un instant. Elle connaissait la réponse. Depuis longtemps, même. « Fordham, lâcha-t-elle alors. – Très bien. – 5 500 kilomètres, ça suffit pour votre honneur ? » Heaven se leva de table. Pas de protestation, pas de réponse. Elle savait qu’elle avait gagné. Sa valise était déjà faite. Ses affaires déjà prêtes. Ses billets déjà pris. Le premier septembre, elle s’envola pour New York, ville qui la faisait rêver, sans se retourner. Elle laissa Andrea quelque part en Ecosse, ses frères dans leurs universités en Europe, et ses parents dans leur grande maison de riches. Ce qu’elle avait juste réclamé en échange de leur foutre la paix était une pension alimentaire pour pouvoir vivre. Somme bien grasse, mais elle n’avait plus aucun scrupule. Les seuls qui la suivirent furent Riley et Jeff, comme toujours.
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(2008) ✻✻✻ Heaven étouffa un bâillement, avant de laisser tomber sa tête dans ses bras sans aucun ménagement. Elle se damnerait pour une cigarette et un café. Le cours de littérature moyenâgeuse était un véritable supplice ; comment une université osait-elle imposer ce cours-là à ses élèves ? La demoiselle était presque sûre que cela était une conspiration envers les inscrits. La voix du professeur lui rappelait presque celle de son père lorsqu’il se lançait dans des monologues à propos de l’ADN. Cela faisait environ deux mois qu’Heaven avait posé le pied à New York ; deux mois qu’elle vivait loin de sa vie anglaise, loin de ses parents, loin de tout, mais surtout d’elle-même. Elle réussissait de mieux en mieux à ignorer cette petite voix enfantine perdue dans son esprit ; elle n’en faisait qu’à sa tête, et le rythme de vie qu’elle avait connu au lycée n’avait fait que s’accélérer une fois à New York. Sortir dans les bars. Aller en boîte. Boire. Fumer. Draguer. Finir avec un inconnu. Se droguer. Coucher. Se réveiller avec un mal de crâne ; s’en aller dans la précipitation pour retourner en cours. Heaven était bien incapable de dire à quand pouvait bien remonter la dernière nuit où elle avait eu un sommeil de plus de six heures. Les évènements défilaient trop vite sous ses yeux. Dans ce train effréné, elle y trouvait la satisfaction de ne pas avoir le temps de réfléchir. De s’en vouloir. De se tirer de là tant qu’il en était encore temps. Elle était prise au piège dans le cercle vicieux qu’elle connaissait. Le cours prit fin, et elle fût la première dehors. Une cigarette aux lèvres, elle s’installa sur un des petits murets en pierre en face de son université, et observa les personnes aller et venir en face d’elle. Elle s’était faite une amie de cours dans la même section qu’elle ; cependant, à son image, Candice avait elle aussi l’habitude de sécher, rater des cours, arriver en retard à cause de la veille. A cause du rythme effréné. « T’aurais du feu ? » lui demanda alors une voix masculine. Heaven leva la tête, et plissa les paupières pour ne pas être éblouie par le soleil derrière l’homme. Il était grand. Ses bras étaient décorés de tatouages à l’encre noir et de couleur ; son sourire gamin était charmeur. Il lui fallut quelques secondes pour retomber sur Terre et comprendre ce qu’il venait de lui demander. « Bien sûr, répondit-elle en trifouillant dans son sac pour sortir son briquet. Tiens. – Merci, Pretty Girl. » Heaven leva les yeux au ciel en entendant le surnom ridicule que cet inconnu venait de lui donner ; lorsqu’il lui rendit son briquet, elle s’attendit à ce qu’il s’en aille, mais il vint s’installer à côté d’elle. Faisant tomber la cendre de sa cigarette sur le sol, elle ne dit rien, continuant de regarder les étudiants s’avancer sur le campus. « Je suis presque sûr d’avoir entendu un accent anglais, finit par ajouter le tatoué. Alors, c’est vrai ? Il pleut vraiment tout le temps là-bas ? On m’a toujours dit que les british avaient des looks bizarres, il faut croire que les rumeurs ne se sont pas trompées. » Elle tourna la tête vers lui, faisant une moue exaspérée, et il se mit à rire en portant sa cigarette à ses lèvres. Il fallait dire qu’elle avait une certaine allure, avec ses vêtements découpés et remaniés, ses nombreux colliers, ses bracelets, son piercing à la narine, son fard à paupière noir, ses ongles vernis, ses cheveux ébènes et ses tatouages. Ses tatouages de plus en plus nombreux. Son regard se tourna vers le gars, et elle le détailla à son tour. T-shirt trop grand et déchiré, jean troué au milieu des fesses. « Tu t’es vu, toi ? répondit-elle. Tu serais pas un anglais refoulé, par hasard ? » Il eut un air choqué, et elle leva les yeux au ciel. Il y avait quelque chose, entre eux. Cependant, Heaven ne souhaitait pas y penser. Heaven ne voulait pas y penser. « Au lieu de m’insulter, tu pourrais me donner ton prénom, au moins, finit par dire le gars, la voix amusée. – Tu as commencé, je te rappelle. – Si tu discutes, ça ne va pas m’aider à avoir ton prénom. – Heaven, finit-elle par lâcher. Je m’appelle Heaven. – Et moi, Drew, répliqua-t-il. Enchanté, Heaven. Ton prénom ne te va pas du tout. » L’anglaise leva les yeux au ciel, en esquissant un sourire en coin. « On me l’a souvent dit. »
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(2009) ✻✻✻ « Putain, tu me fais chier Heaven, s’écria une voix derrière elle, alors qu’elle se bornait à mettre de la distance entre les deux corps. Tu entends ? CHIER. » Elle se retourna violemment, et un passant la bouscula, surpris. Elle n’y fit pas attention. Son visage était déformé par la fureur ; elle était incapable de se souvenir pourquoi Drew et elle étaient en train de se disputer, pour la centième fois. Cela faisait cinq mois qu’ils étaient ensemble. Cinq mois et ils les avaient passé à s’engueuler, encore et encore. A quoi rimait tout cela ? Elle ne savait pas, elle ne savait plus. Ses sentiments étaient confus, elle avait trouvé en lui un appui pour réussir à avancer dans cette grande ville qu’était New York. Certes, il y avait Riley. Certes, il y avait Jeff. Cependant, ils étaient tous les deux occupés à vivre leur vie, et il avait fallu qu’elle en fasse de même. Cependant, la vie avec Drew se révélait être bien pire que celle qu’elle avait pu avoir avant de le rencontrer. L’américain avait des côtés encore plus noirs que les siens ; il ne s’abstenait pas qu’à la fumette, non, l’héroïne était parfois de mise. L’alcool pas uniquement le soir, non, mais également le matin dans les céréales. Heaven sombrait. Elle sombrait de plus en plus dans ces vices, y trouvant un réconfort qu’elle ne connaissait pas lorsqu’elle se réfugiait dans les souvenirs. Au contraire, elle s’y jetait à corps perdu pour oublier cette enfance désastreuse, pour oublier qu’elle n’était qu’une erreur de la nature. Parce que c’était ce qu’elle avait fini par penser : elle était une erreur de la nature. « Eh bien parfait ! répliqua-t-elle, exaspérée, en levant les mains au ciel. Dégage. Laisse-moi tranquille. – Tu tiens pas trois jours sans moi ! » hurla-t-il derrière elle. Outrée, elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais rien ne sortit. Au lieu de quoi, elle reprit sa route, marchant vite parmi les personnes qui grouillaient les rues de Manhattan. « Heaven ! » l’appela Drew. Non. Trop, c’était trop. Elle en avait marre d’être son jouet ; d’être considérée comme sa potiche. Avait-il réellement aussi peu d’estime en elle pour croire qu’elle ne restait avec lui que pour sa came ? C’était dégradant. Cependant, Heaven y retrouvait également un goût amer de déjà-vu. Ses parents avaient été exactement pareils. Ses parents lui avaient fait croire la même chose. Au fond, peut-être n’était-elle qu’une ratée. « Heaven, reviens ! » répéta-t-il. Mais s’était déjà trop tard. Heaven s’élançait sur la route, où les taxis défilaient dans les rues. Elle s’arrêta en plein sur la chaussée, obnubilée par une seule et même pensée : ratée, ratée, ratée. « HEAVEN ! » s’écria Drew. Elle ferma doucement les paupières. Les klaxons autour d’elle étaient comme un bruit apaisant. Peut-être y trouverait-elle le calme et la paix ? Après tout, elle n’avait jamais demandé que cela. Elle ne réussissait pas à s’en sortir toute seule. Cela ne pouvait dire qu’une seule et même chose : ratée, ratée, ratée. Heaven sentait presque la mort approchée, les paupières clauses. Elle entendait les voitures la frôler dangereusement, les camions incapables de l’éviter. Tout semblait se dérouler au ralenti autour d’elle, comme si plus rien n’avait d’importance. Plus rien n’avait d’importance. Elle sentit quelque chose lui rentrer dedans, et elle fût projeter sur le côté. Son coude se râpa contre le goudron ; sa tête heurta violemment le sol tandis qu’une masse la surplombait. Elle ouvrit doucement les yeux, et elle se rendit compte que Drew était au-dessus d’elle. Elle se rendit compte que Drew était venu la chercher. Elle se rendit compte que Drew s’était lui-même mis en danger pour qu’elle ne puisse pas commettre la plus grosse erreur de sa vie. « Ne me refais plus jamais ça, » murmura-t-il. C’était tout ce qu’elle souhaitait entendre. Drew insista pour qu’elle aille à l’hôpital soigner ses coudes écorchés ; ce fût à ce moment-là que les médecins se rendirent compte qu’elle faisait le sujet d’anorexie vomitive, de toxicomanie et d’alcoolisme, tout simplement parce que cela était la première fois depuis ses quatorze ans que quelqu’un s’intéressait à elle. Que quelqu’un s’inquiétait pour elle. Que quelqu’un faisait en sorte qu’elle n’était pas toute seule. Heaven avait une chance. Une chance de s’en sortir.
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(2009) ✻✻✻ Il y avait tant de choses à savoir. Tant de choses à apprendre. Tant de choses à lire. Heaven se sentait oppressée par tous les mots qui défilaient sous ses yeux, à un tel point que sa respiration se bloquait continuellement au fur et à mesure de l’avancée de sa lecture. « Je ne vais jamais y arriver, marmonna Heaven avant de pousser un long soupir plaintif. – Mais si, tu vas y arriver. » L’anglaise tourna la tête vers Dylan, puis esquissa une petite grimace avant de reporter son attention sur ses cours. Les examens de fin d’année allaient avoir lieu dans deux semaines. Deux minuscules semaines. Heaven venait tout juste de sortir de l’hôpital où les médecins s’étaient efforcés de la remplumer, tout en soignant ses addictions ; et depuis, elle n’avait pas eu le temps d’étudier. Juin pointait déjà le bout de son nez, et l’anglaise se retrouvait donc avec tout son programme sur les épaules. Elle n’avait pas suffisamment travaillé avant pour se souvenir de ce qu’elle avait déjà acquis ; durant son hospitalisation, elle n’avait tout simplement pas eu le courage de faire quoi que ce soit hormis faire des crises d’angoisse. Encore et encore. Elle était à deux doigts d’en faire une actuellement, d’ailleurs ; cependant, Dylan était là. Dylan avait accepté de lui accorder du temps pour la canaliser elle et son énergie, pour tenter de la contenir afin qu’elle n’échoue pas à ses examens. Elle semblait d’ailleurs bien plus motivée qu’elle. C’était désolant de voir à quel point Heaven avait perdu toute confiance en elle. L’anglaise avait bien conscience de n’être qu’une épave. Une putain d’épave que personne ne voulait laisser couler. Quelqu’un frappa à la porte de son appartement, et Dylan alla ouvrir la porte tandis qu’Heaven peinait à se replonger dans la littérature hispanique. Ses doigts étaient agités de tics nerveux dus au manque qu’elle ressentait encore. Ce manque qui l’habitait depuis que Drew l’avait emmené à l’hôpital, ce manque qu’elle connaissait et qui ne partait pas. Une assiette de cookies se déposa sous ses yeux, et elle releva la tête vers son meilleur ami, affichant un immense sourire. « Alors, lutine, t’essayes de te la jouer studieuse maintenant ? » demanda-t-il avec entrain. Heaven leva les yeux au ciel, et Riley se laissa tomber sur une chaise à côté d’elle. Dylan ne semblait guère rassurée qu’il soit dans les parages durant leur session de révisions intensives, cependant Heaven n’en pouvait plus : tous ces mots lui donnaient mal à la tête. Elle avait besoin de décompresser. Et la française comprit cela en un seul regard. Finalement, elle avait eu de bonnes surprises à New York. De meilleures surprises qu’avait été Drew ; s’il l’avait empêché de mourir écrasée sous les roues d’une voiture, cela ne l’avait pas empêché de rompre, quelques jours plus tard. On disait que c’était pour le mieux. Mais Heaven n’en était plus si sûre. « Je crois que le mot essayer convient parfaitement à la situation, lança Heaven avec un sourire en coin. – Tu vas y arriver ! » siffla une nouvelle fois Dylan. Si elle continuait ainsi, Heaven allait finir par la croire. Riley haussa simplement les épaules en portant un cookie à ses lèvres. Il mordit à l’intérieur sans vergogne, et mâcha bruyamment, un air songeur sur le visage. New York ne l’avait pas changé, au moins, lui. Il était toujours le même. Il était resté fidèle à ce qu’il avait toujours été. « Au pire, tu retapes. Ce n’est pas si grave. Surtout qu’avec l’hôpital et tout ça, je suis sûre que ça passe tout seul sur un CV. Ça fait pauvre petite chose fragile. – Rappelle-moi pourquoi je suis allée à l’hôpital, déjà ? demanda Heaven d’une voix grinçante. – Euhm, reprit Riley, une petite moue aux lèvres. Toxicomanie, alcoolisme, anorexie-je-sais-pas-trop-comment-ils-disent-parce-que-les-médecins-adorent-être-incompréhensibles. – Voilà. Ça veut tout dire, soupira Heaven. Ça ne passe pas, mais alors pas du tout, tout seul. » Il eut un sourire en coin, comme si cela était drôle. Heaven leva les yeux au ciel, un petit sourire triste installé sur ses lèvres, et Dylan lui donna une pression pleine de compassion avec sa main posée sur son épaule. Sans le savoir, Heaven avait foutu sa vie en l’air. Cependant, elle espérait qu’elle finirait quand même par s’en sortir. Elle avait l’espoir que c’était toujours plus sombre avant l’aube. L’aube d’une nouvelle vie. L’aube d’une nouvelle vie. Elle était prête à souffrir, prête au pire. Mais elle n’avait pas conscience que le pire restait encore à venir et que ses souffrances pourraient faire encore plus mal.
CHAPITRE SECOND
I’ve spent so much time in my head and in my heart that I forgot to live in my body.
(2009) ✻✻✻
L’été 2009 fût marqué par le mariage du fils ainé des Howard-Clark, Andrew. Celui-ci venait tout juste d’entrer dans sa vingt-sixième année d’existence sur Terre, mais semblait réussir tout ce qu’il entreprenait. Sauf son mariage, visiblement. Les parents Howard-Clark, fidèles à eux-mêmes, furent réellement frustrés de constater que leur ainé se maria à San Francisco, la ville où il avait fini par s’installer, et non pas à Londres ; qu’il le fit, également, sous l’église protestante et non selon les coutumes chrétienne. Le comble fût lorsque Kathleen apprit que la future épouse était déjà enceinte de trois mois lors de la célébration. Andrew se contenta de lever les yeux au ciel face à leurs réactions ; Zacharie esquissa un vague sourire ; Heaven, elle, ne put réprimer quelques esclaffements, avant de réajuster sa robe de demoiselle d’honneur. « Tu es superbe, Heaven, lança Andrew en arrivant à la hauteur de sa petite sœur. Est-ce que tu m’accordes cette danse ? – Avec plaisir, » répondit-elle. L’ainé des Howard-Clark saisit la main de la benjamine, et tous les deux se placèrent sur la piste de danse, où d’autres couples se mouvaient au rythme des noirs et des croches. Les deux lancèrent un sourire à leur autre frère Zacharie, occupé à jouer du violon dans l’orchestre, et Heaven plaça ses mains sur les épaules de son ainé. « Comment tu vas, petite sœur ? » demanda alors Andrew d’une voix douce. Heaven haussa les épaules, ne sachant pas quoi répondre à cela. Elle savait que son frère avait mal de la voir ainsi. Mal de constater qu’elle s’enfonçait, encore et encore. Mais comment pouvait-elle lui faire comprendre que tout allait mieux ? Qu’elle s’en remettait, peu à peu, qu’elle réussissait à voir le bon côté des choses et à avancer correctement, du mieux qu’elle pouvait ? Sous son allure, il ne croirait pas ses paroles. Après tout, ses cheveux étaient toujours colorés en noir, ses ongles vernis de la même couleur, sa peau décoré d’encrages de plus en plus nombreux. Elle avait ce côté junkie-gothique-emo qui lui collait littéralement à la peau. On ne pouvait pas croire ce qu’elle racontait. Elle avait elle-même du mal à se persuader. « Mieux que jamais, répondit-elle doucement. – Je suis censé te croire ? – Oui, affirma-t-elle. Je me sens mieux. Je pense que je suis en train de retrouver le fil. » Andrew esquissa un sourire, et fit tourner sur elle-même avant de la réceptionner dans ses bras. « Je suis fier de toi, lança-t-il. Tu n’as pas choisi la voie la plus facile, mais tu t’en es sortie. – Je n’ai aucun mérite à avoir. Regarde, tu as une magnifique femme, et puis… Mon Dieu ! Tu imagines ? Je vais être tata ! Regard, j’en attrape des rides. » Cette fois-ci, Andrew se mit à rire, de ce rire franc et sincère qu’Heaven aimait tant. Il lui avait tellement manqué, ces dernières années. En s’éloignant de ses parents, elle en avait fait de même avec ses frères et, quelque part, elle regrettait d’avoir laissé de côté une partie si importante de sa vie en revendiquant cette liberté qu’elle n’avait jamais véritablement connue. « Peut-être, mais je n’ai jamais défié nos parents, reprit Andrew après avoir réfléchi quelques instants. Alors que j’en mourrais d’envie. Je n’avais pas assez de courage, je pense. J’avais peur de tout perdre… Comme toi. – Je l’ai fait pour nous trois, ne t’en fais pas. – Et je t’en suis reconnaissant. » Heaven sourit, la tête contre l’épaule de son frère. S’en suivit un silence ; elle ne pensa qu’à la vie qui continuait, qu’à son frère qui fondait une famille, qu’aux beaux jours qui l’attendaient. Elle était décidée à être heureuse. Décidée à vivre sainement. Elle avait laissé la drogue et l’alcool derrière elle ; chaque jour ressemblait à un combat, mais elle avançait. « Comment se sont passés tes examens ? demanda soudainement Andrew. Nous n’avons pas eu le temps d’en discuter. – Ca s’est très, très bien passé. J’ai validé mon année… Alors que ce n’était pas gagné d’avance, répondit-elle. Mes amis m’ont aidé. Ils sont tout simplement géniaux. » Andrew la regarda avec un petit air triste durant son discours, et Heaven fronça les sourcils. « Quoi ? demanda-t-elle, méfiante. – Je suis heureux de voir que tu n’es plus seule, Heaven. Tu mérites qu’on t’aime, tu sais. » Peut-être avait-il raison. Peut-être avait-il tort. Qui pouvait réellement savoir ? C’était le mariage d’Andrew ; sa vie à elle ne comptait pas, ce soir-là.
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(2009) ✻✻✻ « Je dois dire que je suis plutôt… Perplexe. » Heaven se raidit sur sa chaise, les mains jointes sur ses genoux. Qu’était-elle censée comprendre dans ces paroles-là ? Elle avait conscience d’avoir un CV quasiment vide, elle avait conscience d’avoir un dossier scolaire plutôt particulier, ainsi que des antécédents médicaux guère rassurants et qui pouvaient déplaire plus d’une personne. Cependant, elle avait toujours eu l’espoir que malgré cela, elle réussirait à s’en sortir. Elle avait tout laissé tomber sur un coup de tête. Le deuxième jour de la rentrée à l’université, elle avait tout simplement décidé de ne plus y retourner, et s’était tenu à cette promesse personnelle et muette en restant chez elle le lendemain. Heaven ne s’en était pas sentie capable, tout simplement. Les études étaient le domaine de ses parents. De ses frères. Ce n’était pas elle. Elle n’entrait pas dans le système, elle était trop marginale, excentrique, perdue dans un autre univers que le domaine scolaire ne semblait pas connaître. Elle n’avait pas l’impression de convenir aux méthodes. Sans réfléchir, elle s’était lancée à corps perdu dans la recherche d’un boulot, d’un stage, quoi que ce soit qui puisse l’aider à avancer… Puis Riley avait mentionné la mode, la haute couture, sous-entendant innocemment qu’avec une tendance à découdre et recoudre tous ses vêtements, Heaven pourrait avoir sa place dans le milieu. Et elle avait atterri là. Juste en face d’Emilie Harris, la créatrice d’une nouvelle ligne de vêtements de plus en plus renommé. « C’est une bonne ou une mauvaise chose ? demanda doucement Heaven, guère rassurée. – Cela dépendra de votre réponse. » Heaven en eut le souffle coupé, avant d’opiner presque imperceptiblement. L’air semblait ne plus vouloir sortir de ses poumons, et elle resta là, quelques instants, à observer la femme sous ses yeux. Elle avait l’impression de jouer sa vie, son futur. Emilie Harris était son dernier espoir dans le milieu ; chaque porte était restée fermée devant ses CV, ses lettres de motivation et ses entretiens. Vivre à New York était dur. Vivre sans l’influence de ses parents également. A Oxford et Londres, son nom était connu dans tous les esprits. A New York, Howard-Clark désignait simplement un Etat du pays. L’anglaise se démenait toute seule, et rien n’était prêt à accueillir une personne comme elle. Heaven semblait ne pas être faite pour vivre dans ce monde-là, tout simplement. Elle était une jeune femme hors-norme qui ne convenait à aucun moule, à aucune façon de penser. « Pourquoi ne vous êtes pas directement dirigée dans la mode ? demanda alors la grande créatrice. D’après ce que j’ai sous les yeux, vous semblez être inspirée pour le milieu depuis de longues années. » Elle ne répondit rien. Elle observa madame Harris dans les yeux, y cherchant une réponse concrète ; elle prit plusieurs bouffées d’air, sans qu’elles ne lui soient d’une grande aide. Elle se noyait. Elle se noyait avec de l’oxygène que ses poumons rejetaient avec violence. « J’ai préféré opter pour la facilité au départ, finit-elle par répondre. Et je me suis rendue compte que la facilité ne me convenait pas. » Un éclair brilla quelques secondes dans les yeux de la personne en face d’elle ; mais lorsqu’Heaven fronça les sourcils pour mieux l’analyser, les prunelles d’Emilie Harris avaient retrouvé leur même teinte noisette. Celle-ci esquissa un sourire, avant de se redresser sur son siège. Les secondes devenaient des minutes. Les minutes devenaient des heures. Heaven tremblait comme une feuille ; Heaven se sentait démunie, tout simplement. « Vous commencez lundi matin à huit heures. Demandez Ella à l’accueil. Ne soyez pas en retard. » Et ce fût tout. Heaven se leva, après avoir remercié une centaine de fois sa nouvelle patronne, et se dirigea vers la sortie. Elle poussa un petit ri d’allégresse une fois dans les rues de New York et, aussitôt, elle saisit son téléphone portable pour envoyer un message à son meilleur ami. « Je l’ai eu. Réserve-moi ta soirée, on sort ce soir. » Cela voulait forcément dire qu’elle allait y arriver. Qu’elle n’était pas une bonne à rien, une personne sans avenir. Elle savait que ce stage ne ferait pas tout, mais elle avait retrouvé cet éclat d’ambition dans le regard, cet éclat d’assurance qu’elle n’avait plus eu depuis les quelques premières semaines passées à New York. Tout pouvait arriver. Tout était possible. Et Heaven y croyait.
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(2009) ✻✻✻ Sans aucun ménagement, Heaven poussa la porte du petit salon de tatouage situé dans le Bronx, avant de se diriger d’un pas décidé vers le comptoir. Il n’y avait personne. Elle s’éclaircit la voix trois fois ; à peine quelques secondes plus tard, du bruit se fit entendre dans l’arrière-boutique, et une tête brune émergea de là. Heaven adressa un immense sourire à la jeune femme qui lui faisait face, et celle-ci en fit de même, avant de passer de l’autre côté pour la prendre dans ses bras. « Yo ! lui lança Teagan avec entrain, avant de s’écarter d’elle. Je te sens arriver avec une bonne nouvelle. Dis-moi que tu vas enfin me laisser toucher à ta peau de princesse avec ton aiguille ? – N’y compte même pas. Seul Jeremiah a le droit de m’approcher, répondit l’anglaise en inclinant légèrement sa tête sur le côté, la mine moqueuse. Mais si tu es sage, peut-être que je vais y songer. Un jour. » Teagan eut une mine renfrognée, et Heaven éclata tout simplement de rire. C’était leur jeu, leur truc à elles : l’ayant rencontré dans ce même salon de tatouage, l’anglaise avait toujours refusé à ce que la jeune femme la tatoue, elle, et passait donc toujours entre les mains du gérant, Jeremiah. Ce n’était pas par manque de confiance. Ni même parce qu’elle avait peur que Teagan la rate. En réalité, c’était surtout et uniquement parce qu’elle adorait voir cet air renfrogné sur son visage. Depuis, elles étaient meilleures amies du monde. Allez comprendre. « En fait, je viens te kidnapper, poursuivis Heaven. Séance shopping. Tu n’as pas le choix, bien entendu. Ce soir, il y a une soirée pour la nouvelle collection d’Emilie Harris, et tu ne peux pas te défiler. » Heaven se pencha vers Teagan, un sourire narquois aux lèvres. « Ça veut dire nouvelle tenue. Et chaussures. Toutes mes condoléances, Teagan, mais tu vas devoir me supporter dans les boutiques. – Comment oses-tu m’infliger ça, » répondit l’intéressée, en prenant un air faussement dramatique. Elle jouait peut-être la comédie, mais Heaven savait parfaitement que sa meilleure amie détestait réellement faire les boutiques, le shopping, et tout cet univers-là. Cependant, l’anglaise considérait la jeune femme comme sa poupée Barbie préférée et ne lui laissait pas réellement le choix lorsqu’il s’agissait d’organiser des mini-défilés dans les magasins de vêtements. Pauvre Teagan. Cela lui apprendrait à tomber sous le charme de grands yeux bleus innocents et d’une petite moue triste. « Par contre il faut que je te pose une question, reprit Heaven. – Je t’écoute. » Sa meilleure amie avait presque bougonné. C’était extrêmement satisfaisant. « Est-ce que Jeremiah accepterait de tatouer sur… Ça ? » Heaven laissa tomber son bras sur le comptoir, et poussa un soupir tandis que les yeux de Teagan s’écarquillaient. Eh oui. C’était très, très moche à voir, cependant Heaven n’y pouvait rien. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! s’exclama la tatoueuse en approchant son regard. – Accident de pâtes. – Sérieusement, Heaven, répliqua Teagan en levant les yeux au ciel. Retire ça de ma vue, je vais te dégobiller dessus. – C’est sérieux, c’est ça le pire, répondit l’anglaise en poussant un nouveau soupir. J’ai pas fait attention et… L’eau m’est tombée dessus. Je suis presque sûre que c’est cet abruti de Paul qui m’a poussé pendant que je… » Teagan porta une main à sa bouche, et Heaven s’arrêta dans son élan. Ses accusations étaient fondées : l’ami de son colocataire, qui la détestait, soi-disant passant, s’était trouvé beaucoup trop près lorsqu’Heaven avait perdu l’équilibre avec sa casserole entre les mains. La demoiselle était presque sûre d’avoir sentie une main la pousser. Mais après, cela n’était que des suppositions. Seul le résultat importait : son avant-bras droit entier avait été ébouillanté, et la cicatrice n’était pas très rassurante. Heaven avait consulté un médecin, appliquait régulièrement la crème réparatrice qu’il lui avait prescrit, mais même deux semaines plus tard, elle avait l’impression d’encore ressentir de la douleur de temps à autre. « Il faudra voir avec lui, finit par répondre Teagan. Je n’en sais rien du tout. Il faudrait déjà attendre que ça cicatrice bien, déjà. » Heaven opina. Elle s’en était doutée. « Tu n’as pas eu trop mal ? – Tu sais, j’ai déjà connu bien pire. » C’était la seule chose de dramatique qui lui était arrivé ces deux derniers mois. Avec cela, sa vie lui paraissait presque tranquille. Normale. Facile.
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(2009) ✻✻✻ Les bras croisés, Heaven fixait un nourrisson. Un bébé. Installé de l’autre côté d’une vitre, parmi d’autres nouveau-nés, la fille de son frère dormait à poings fermés, paisiblement. Parcourue d’une vague de frissons, l’anglaise sentit les larmes monter peu à peu au coin de ses paupières, mais elle les ravala lorsqu’elle sentit la main d’Andrew se poser sur son épaule. Non. Elle ne pouvait pas flancher. Elle n’avait pas le droit de se laisser aller à cette vague de nostalgie qui la prenait ; elle ne pouvait pas pleurer là, maintenant, tout simplement parce que trop de sentiments semblaient l’assaillir. Elle était heureuse. Elle devait l’être pour son frère. « Elle est magnifique, » murmura-t-elle, un sourire dans la voix, la gorge serrée par les larmes. Son frère était père, désormais, six mois après s’être marié. Il fondait sa propre famille. Il vivait sa vie. Il grandissait. Il évoluait dans ce monde qui avait bien voulu de lui. Quelque part, cela lui donnait de l’espoir. Quelque part, elle avait envie d’y croire, envie de croire qu’elle aussi elle aurait sa chance. « Daniella te ressemble quand tu es née, je trouve, répondit son frère. Elle a tout des Howard-Clark, en tout cas. – Elle a des airs à Chelsea, quand même. » Andrew haussa les épaules, un sourire encré aux lèvres, observant encore et toujours sa fille. Peu importe, pour lui, à qui elle pouvait bien ressembler, de qui elle tenait ses cheveux ou bien la forme de son nez. C’était son trésor. C’était tout ce qui comptait. Elle était née la veille au soir. En apprenant que l’accouchement de sa belle-sœur avait déjà débuté, Heaven avait sauté dans le premier avion en direction de San Francisco pour être là pour son grand frère. Elle avait atterri dans cette ambiance de fête, dans cette atmosphère de joie, et s’y était prêté avec beaucoup de soin : à corps perdu, elle avait quasiment dévalisé les magasins pour bébé de la région pour couvrir sa nièce de vêtements, peluches et jouets en tout genre. L’arrivée de Daniella prenait des allures d’espoir dans son esprit. L’arrivée de Daniella lui donnait de nouveaux sujets à se préoccuper. Heaven était encore fragile. Heaven était encore faible. « Père et mère vont venir ? demanda alors doucement Heaven. – Père avait un congrès très important, ils n’arrivent que dans quatre jours. Ils resteront que pour le week-end. » La voix d’Andrew avait été dure. Heaven poussa un petit soupir, et posa sa tête sur l’épaule de son frère, compatissante. Elle ne leur avait pas parlé depuis qu’elle était partie de chez elle. Elle leur avait simplement envoyé des mails, de temps à autre, pour leur réclamer sa pension alimentaire ou certains documents ; autrement, lors du mariage de son frère, elle les avait tout simplement évités, et ils en avaient fait de même de leur côté. Cependant, elle avait imaginé qu’ils auraient été plus présents pour Andrew. Surtout pour un évènement pareil. Mais cela n’était pas le cas. Ils demeuraient ce qu’ils avaient toujours été : absent affectivement. « Zacharie arrive demain, relança Heaven. Il n’a pas réussi à avoir d’avion avant cela. Tout était complet. – Oui, il m’a prévenu ce matin… Enfin, cette nuit, répondit Andrew avec un sourire. Il reste pour Noël. Toi aussi d’ailleurs. – Mais… – Pas de mais, Heaven. Tu restes. Chelsea a vraiment envie de passer du temps avec toi. » Heaven leva les yeux au ciel avec un sourire, et son frère déposa un baiser sur le haut de son crâne. Ils restèrent là, en silence, contemplant l’avenir de leur famille. Contemplant Daniella, le premier jour du reste de sa vie. Tout semblait changer, tout allait vite. Heaven se sentait encore perdue dans sa vie, mais ses frères semblaient être décidés à avancer, chacun de leur côté. Que devenait-elle, dans tout cela ? N’était-elle qu’une âme perdue de plus ? Elle se remettait encore difficilement de sa maladie, elle travaillait énormément pour finalement pas grand-chose. Tout cela valait-il la peine ? Oui. Bien entendu que oui. Elle avait ses frères. Elle avait Riley. Dylan. Teagan. Toutes ces personnes qui rendaient sa vie un peu plus facile chaque jour. « C’est d’accord. » Andrew sourit. Heaven également. Tout allait bien. Tout allait parfaitement bien.
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:47 par Invité
CHAPITRE TROISIEME
If you gave someone your heart and they died, did they take it with them? Did you spend the rest of forever with a hole inside you that couldn't be filled?
(2010) ✻✻✻ Les abysses se refermèrent sur Heaven, et elle se réveilla en sursaut dans un cri étouffé. Son cœur battait à tout rompre, et la peur de son mauvais rêve l’habitait encore. La main tremblante, elle tâtonna dans le noir complet de sa chambre afin d’allumer sa lampe de chevet, et plissa les paupières lorsque le faisceau de lumière vint lui agresser les yeux. Elle porta ses mains à son visage, et elle respira lentement sans réussir à se calmer. Tout lui avait paru si réel, si vrai. Des bribes d’images venant de son cauchemar hantaient encore ses paupières, inlassablement, sans qu’elle ne réussisse à les chasser. Pourquoi est-ce que tout cela lui faisait si mal ? Cela n’était qu’un songe, que le fruit de son imagination. Pourtant, Heaven était persuadée que tout cela était un mauvais présage. L’ombre d’un corbeau guettant l’arrivée des malheurs dans sa vie. Le rassemblement de carnassiers attendant patiemment leur heure et qui n’auraient plus qu’à dévorer les ruines de son existence. Doucement, elle posa ses pieds par terre, et elle déambula dans son appartement en quête de réconfort. Son salon semblait dormir. Les rues entières de Brooklyn étaient apaisées, plongées dans une torpeur qui n’était qu’éphémère. Heaven ne savait pas quelle heure il était. Heaven s’en fichait bien. Ses pas la menèrent jusqu’au réfrigérateur, et elle extirpa de là une bouteille de lait. Fouillant dans ses placards, elle mit la main sur de la brioche et du Nutella, et elle s’organisa un petit-déjeuner improvisé, confortablement installée sur le comptoir central de sa cuisine. Ses colocataires devaient encore dormir, paisible, plongés dans un sommeil sans rêve qu’Heaven ne réussissait plus à connaître depuis une semaine. Ses mauvais rêves avaient commencé la semaine où elle était rentrée de San Francisco, après avoir célébré Noël, puis le nouvel an, avec son grand frère Andrew. Elle avait passé ses vacances en compagnie de cette famille qui voulait bien d’elle, elle avait parlé avec cette belle-sœur qu’elle n’avait pas encore eu l’occasion de connaître. Elle avait vu les premières années de vie de sa nièce. Ils n’avaient pas parlé de ses parents, ils n’avaient pas parlé de ce passé anglais qui les hantait tous, en quelque sorte. Cela avait été comme s’ils s’étaient appliqué à rattraper le temps perdu. A rattraper cette affection dont ils n’avaient jamais bénéficié. Tout était allé pour le mieux, jusqu’à ce qu’elle atterrisse à New York. Sa vie avait pris des allures tranquilles. Son quotidien était lassant mais rassurant ; dans ce calme, Heaven y avait trouvé un équilibre réconfortant. Plus de drogues. Un peu d’alcool, sans aucun excès. Plus de sorties pour se shooter, plus de sortie pour s’envoyer simplement en l’air. Son groupe d’amis veillait sur elle, son groupe d’amis lui faisait faire des choses folles mais toujours dans le raisonnable. Pourtant, Heaven n’était pas en paix. Heaven était habitée par cette peur de voir tout s’effondrer : elle avait conscience que tout cela n’était fixé que sur un équilibre instable. Elle savait que cela était fragile. Si fragile. Trop fragile. On lui avait tant parlé de la rechute qu’elle la pensait inévitable. Cependant, elle se trompait. Elle n’interprétait pas forcément correctement ses songes. Reniflant, Heaven finit par ranger tout ce qu’elle avait sorti avant de se rediriger vers son lit, plus calme, plus apaisée. Cela n’avait été qu’une crise de boulimie passagère. Il ne fallait pas qu’elle s’en fasse. Elle se glissa dans ses couvertures dans un soupir, puis fixa son plafond en quête de sommeil. « Ce ne sont que des mauvais rêves, murmura-t-elle pour elle-même, enfonçant sa tête dans ses coussins. Rien que des mauvais rêves. » Dans ses songes, elle les voyait tous brûler. Encore et encore. Dans ses songes, Riley, Teagan, Dylan, Liam, tous finissaient en tas de cendre sans qu’elle ne puisse rien faire. Elle demeurait bloquée à les observer se consumer sous ses yeux. Elle demeurait incapable de faire quoi que ce soit. Heaven finit par s’endormir, paisible, durant quelques heures. Le lendemain matin, comme à chaque fois, elle se réveilla sans aucun souvenir. Cependant, la réalité la guettait. La réalité attendait son heure pour avoir l’occasion de lui faire sa piqure de rappel.
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(2010) ✻✻✻ « Riley était mon meilleur ami, c’est vrai. Mais il était avant tout un frère pour moi. » Heaven leva les yeux vers les personnes qui l’observaient, là, dans le cimetière de New York. Elle déglutit, chercha le courage pour lire le discours qu’elle avait soigneusement préparé durant les trois jours qu’elle avait eu pour le faire. Ses mains s’accrochaient au papier froissé comme si c’était leur dernière prise avec le monde réel, et une larme solitaire coula sur sa joue pour se réfugier contre sa mâchoire. Sa gorge demeura vide de tout son. La brune avait l’impression que prononcer ces mots allait tout changer ; que Riley allait être mort, pour de vrai. Elle avait du mal à l’accepter… Elle ne pouvait pas. « Je me souviens de la première fois où je l’ai vu, dans une Eglise de Londres. J’avais cinq ans. Déjà à cet âge-là, j’étais persuadée que nous finirions nos vies ensemble, que nous serions meilleurs amis, malgré le temps, malgré les problèmes, malgré nos familles. J’avais tort. Seulement, c’est la dernière chose à laquelle je pensais qui nous a séparé... la mort. Mais à cinq ans, on ne pense pas à ces choses-là. A dix-neuf non plus. » La jeune femme avait l’impression d’être la seule dans sa douleur. Comme à chaque fois. Nerveusement, elle essuya ses joues du bout des doigts avant de poursuivre. « Il a toujours été présent pour moi. Il a toujours su trouver les mots pour m’apaiser, pour me faire penser que finalement le lendemain ne serait pas si difficile, qu’il valait la peine d’être vécu. Il m’a fait avancer, il m’a soutenu, quoi que je fasse, quoi qu’il arrive, quoi que je dise et où que j'aille. Sans lui, je serais encore emprisonnée dans ma propre tête, dans une brillante université de Londres, sans avoir soutient ni sourire. Je le répète, il a été un frère. Bien plus que cela... Un guide, un mentor, une épaule, une bouffée d'air frais quand il ne reste plus que nos yeux pour pleurer. Jamais je ne pourrais le remercier assez pour la générosité dont il a fait preuve. Il m’a sauvé, comme il a sauvé beaucoup de personnes ici présentes. Sa simple présence suffisait pour calmer les tensions et les maux. Il ne vivait pas que sa vie, il vivait celle de quiconque voulait bien de lui dans son existence. Aujourd’hui, il est parti, et c’est nous qui avons besoin de lui pour avancer. En partant, il a pris nos vies avec lui. » Elle plia son bout de papier, puis se retira de l’estrade pour laisser place à un autre de ses proches, venu lui rendre un dernier hommage. Ne supportant plus la vue de ce cortège funèbre, Heaven se faufila parmi les personnes toutes vêtues de noir, puis regagna le parking en courant à moitié, sa robe noir l’empêchant d’aller au rythme qu’elle aurait souhaité avoir. Retrouvant sa voiture, elle s’installa derrière le volant, puis fondit en larmes. Elle s’était installée à New York il y a maintenant presque deux ans de cela. Tout avait été pour le mieux. Elle ne s’était jamais sentie aussi libre. Il faut toujours quelque chose pour nous faire redescendre sur terre, apparemment. La demoiselle avait trouvé un rythme de vie sain, oubliant les écarts de son adolescence, posant de véritables fondations. Elle avait murit, Riley à ses côtés. Elle avait construit une vie, avait eu un petit-ami, des amis sur qui compter. Mais la vie ne tient qu’à un fil. Qu’à un malheureux accident. Une chute après une dispute, une marre dans sa cage d'escaliers. Perdus dans ses souvenirs tâchés de sang, perdus dans cette culpabilité qui la rongeait, elle ne remarqua pas Liam qui s’installa sur le siège passager, à ses côtés. Doucement, il vint lui donner une légère pression sur son genou, et elle lui adressa un sourire triste à travers ses larmes. Il était parfait. Elle n’aurait pas pu rêver mieux pour petit-ami ; cependant, à ce moment-là, elle ne réussissait pas à faire la part des choses. Elle avait trop mal. Elle l’avait senti arriver. Maintenant ? Riley était mort, emportant une partie de son âme avec lui. Mort. Mort. Mort. Observant ses mains qui avaient été pleines du sang de son meilleur ami trois jours plus tôt, Heaven soupira, effaça ses larmes avec un mouchoir, et mit le contact.
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(2010) ✻✻✻ Prise d’une monté d’angoisse, Heaven ferma les paupières douloureusement. Quatre mois. Cela faisait quatre mois que Riley était décédé ; quatre mois qu’elle faisait son deuil, tant bien que mal, et surtout mal à vrai dire. Doucement, elle vint se lover contre Liam, la chaleur de sa peau la rassurant, et celui-ci passa un bras autour de ses épaules. « Ça ne va pas ? lui demanda-t-il d’une voix endormie. – Juste un mauvais rêve. Rendors-toi. » Ce n’était pas juste un mauvais rêve. C’était de l’angoisse. De la culpabilité. De la douleur. Tout un mélange d’émotions qui la rongeait, peu à peu, qui la rendait folle de rage et d’inquiétude. Pourquoi avait-elle si mal ? Pourquoi, en partant, laissait-il un si grand trou dans sa poitrine ? « Tu peux m’en parler, tu sais. – Non, ne t’inquiète pas. Ça va. » Mais est-ce que cela allait, au fond ? Non, bien sûr que non. Cela n’allait pas. Heaven ne se sentait pas bien. Heaven étouffait. Heaven avait l’impression d’agoniser dans cette souffrance sans fin. Chaque chose lui rappelait Riley, dans la ville ; dans Central Park, elle se revoyait avec lui en train de faire des batailles d’eau dans les fontaines. A Emilie Harris, elle l’entendait lui répéter qu’elle était faite pour le stylisme. Dans Time Square, elle l’imaginait lui seriner fièrement, encore et encore, qu’elle ressemblait à un lutin. Tout. Absolument tout. Partout. Absolument partout. Heaven étouffait. Malgré tout son entourage, malgré le soutien de Liam, Teagan et Dylan, elle n’y arrivait tout simplement plus. Son fardeau était trop lourd à supporter, sa perte était trop grande. Elle s’était plongée dans la spirale infernale de la tourmente, des souvenirs, des regrets et de l’angoisse. En silence, menaçant d’imploser à tout moment, menaçant d’imploser. Cependant, elle ne souhaitait pas inquiéter les personnes autour d’elle. Elle ne voulait pas être un frein dans leur vie ; elle ne voulait pas représenter un quelconque poids, elle ne voulait pas les attrister. Elle demandait simplement à les voir heureux, à ce qu’ils restent en dehors de sa peine. Elle demandait simplement à oublier son chagrin. Que pouvait-elle faire d’autre à part se taire et fermer son cœur ? Rien, absolument rien d’autre. Elle supportait cela. Elle avait l’impression de ne pas avoir le choix. « Tu sais que je t’aime très fort, hein ? » demanda-t-elle dans un murmure, la gorge serrée. Dylan esquissa un sourire dans la pénombre et sembla s’assoupir, là, à ses côtés. Elle savait qu’elle était là. Elle savait que cette personne qu’elle considérait comme une sœur serait toujours à ses côtés, l’acceptant dans son lit les nuits trop sombres, veillant sur ses cauchemars lorsqu’ils étaient trop saisissants. Cependant, dans son malheur, elle ne réussissait plus à se dire que cela suffisait. Elle ne réussissait plus à se projeter dans le futur, à imaginer une autre vie, ici à New York. L’avenir était flou. L’avenir était incertain. Et Dylan ne méritait pas une amie ainsi, un poids mort sur ses épaules : elle méritait tellement plus. Elle méritait quelque chose de mieux, quelque chose de stable. Il n’avait pas le droit d’hériter de l’épave qu’elle était devenue. Bien au contraire ; elle méritait une vie. Une vraie. Au fond, Heaven commençait à doucement prendre sa décision. Au fond, Heaven semblait lasse et perdue, attristée et grave. Son sourire s’était détaché de ses lèvres. Son entrain ne semblait n’être que l’ombre de lui-même. Peu à peu, elle se refusait à New York, peu à peu elle se surprenait à rêver d’autre chose, à vouloir partir pour oublier son chagrin. Quelques semaines plus tôt, elle avait envoyé des dossiers dans différentes universités du monde. Comme cela. Sur un coup de tête. Dans des endroits loin de Riley, loin de ses souvenirs, loin de New York. Elle avait fait cela dans le plus grand des secrets, sans en parler à personne. C’était un cri silencieux qu’elle poussait, un cri que personne ne semblait entendre. Son jeu d’actrice était peut-être meilleur qu’elle ne le pensait. Son jeu d’actrice les avait peut-être tous convaincu. Mais au fond, elle souffrait. Elle souffrait de ce manque grandissant. Heaven avait toujours été une personne fragile ; Heaven n’avait jamais été préparée à subir une perte. Et, conformément aux coutumes de ses parents, Heaven avait arrêté de se couper les cheveux. Si elle avait enfreint cette règle lors de son adolescence pour aller contre ses parents, elle la respectait cette fois-ci. Tout simplement parce qu’elle avait fini par comprendre le sens du mot deuil.
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(2010) ✻✻✻ « Heaven ouvre moi cette porte ! » Un soupir résonna dans l’appartement presque vide, puis des pas. Un verrou. Heaven ouvrit la porte à Jeff, essoufflé d’avoir monté quatre étages pour venir jusqu’à son appartement. Elle leva les yeux au ciel puis retourna dans sa chambre – tout du moins, ce qui avait été sa chambre – pour finir d’emballer ses vêtements. « Mon Dieu, tu es blonde ! » Il n'avait pas trouvé de meilleures remarques à faire. Heaven balaya cette affirmation d'un geste de la main. « Disons que j’ai retrouvé ma couleur de cheveux naturelle. Et oui, je suis blonde ! » D’un geste agacé, elle entassa ses jupes dans un carton, puis alla chercher ses jeans dans son placard. « Comment dire… Tu vas quelque part, d’ailleurs ? » Heaven lança un regard à son ami, puis à son appartement, et ne répondit pas à la question. Jeff avait assisté à l'enterrement de Riley, avait été avec elle avant qu'elle ne s'enfuit devant toute l'assemblée. Il allait même être papa, mais cela n'était pas la question. La Howard-Clark ne souhaitait pas se battre avec lui. Elle n’était pas d’humeur. S’armant du scotch, elle ferma le carton avec plus de vigueur que nécessaire, et alla l’empiler avec les autres dans le salon. Revenant dans la chambre, elle s’arrêta devant son ami, les mains sur les hanches. « Je m’en vais. » Il y eut un silence, mais Heaven ne bougea pas. Tout était prêt ; elle avait prétendu partir en vacances à la plupart de ses amis de New York, avait fait comme si elle se rendait au Warped Tour, ce qui n’était pas une première pour elle. La demoiselle n’avait pas eu le courage d’avouer qu’elle quittait la ville. Il n’y avait que Dylan d’au courant. Cependant, Heaven restait convaincue que c'était la meilleure solution. Qu'il fallait qu'elle lui dise qu'elle partait en vacances, et lui annoncer plus tard qu'elle ne reviendrait pas. C’était trop dur de s’avouer vaincue, de s’avouer incapable de… Vivre, ici, sans Riley. L’air lui était devenu trop difficile à respirer, malgré les six mois qui s’étaient écoulés depuis son décès. Dylan allait la tuer, également. Si Heaven n'était pas morte d'ici là. La Howard-Clark avait dit la vérité à Jeff, parce qu’elle savait qu’il ne dirait rien et qu’il accepterait cette décision. De toute manière, qu'il le veuille ou non, son avion décollerait dans une poignée d'heures. Elle ressentait une bouffée d’euphorie qu’elle n’avait pas connue depuis des mois. Une bouffée d’euphorie qui lui faisait oublier sa perte de manière éphémère. « Et tu vas où comme ça ? – Chez mon frère. – Ton frère, celui qui s’est installé à San Francisco ? – C’est bien ça. » Heaven croisa le regard de Jeff, et celui-ci soupira avant de l’attirer contre lui. Déposant un baiser sur le haut de son crâne, il fit durer leur étreinte. Quelques semaines plus tôt, Heaven se serait mise à pleurer. Mais plus maintenant. Les mois avaient passé. Elle semblait être plus forte. Plus courageuse. La demoiselle se dégagea avant d’aller reprendre ses cartons. Andrew l’avait appelé une semaine plus tôt pour prendre de ses nouvelles, et c’est comme cela qu’elle avait eu l’idée de se rendre chez lui. D’une manière ou d’une autre, elle aurait quitté New York ; il lui avait simplement donné une bonne excuse de le faire maintenant. Il lui avait également donné un endroit où aller. La demoiselle soupira, puis rangea une mèche de cheveux derrière ses oreilles. Elle n’était pas encore réhabituée au blond – cela faisait si longtemps qu’elle l’avait délaissé ! – mais cela avait été symbolique pour elle ; recommencer une nouvelle vie. Moins folklorique, plus posée. Sans Dylan. Sans Teagan. Sans Mackenzie.... Sans Riley. « Tu vas me manquer, Howard-Clark. – Parce que je ne t'ai jamais manqué ? » demanda-t-elle, taquine. Ce fût au tour de Jeff de lever les yeux au ciel. Heaven le vit plonger sa main dans une de ses poches, puis en ressortir une photo, qu’il déposa sur le carton qu’elle était en train d’emballer. « J'ai trouvé ça en rangeant quelques affaires de Riley. Je pense que tu vas en avoir plus besoin que moi. » Heaven baissa les yeux sur le cliché. « Appelle-moi, Heaven. Personne ne te manque hormis Riley, mais n’oublie pas que tu es importante pour beaucoup de personnes, ici. » La demoiselle vit la photo ; Jeff, Riley, elle, quelques jours avant d’être diplômés. Tout semblait si facile. Elle releva la tête pour remercier son ami, mais il n’était plus là.
CHAPITRE QUATRIEME
dead people can be our heroes because they cant disappoint us later; they only improve over time, as we forget more and more about them.
(2010) ✻✻✻ Heaven lâcha ses affaires devant la maison de son frère, et dans un soupir théâtral, elle s’assit dessus le dos vouté, des lunettes de soleil lui mangeant la moitié du visage. Andrew n’était pas là. Personne n’était là, d’ailleurs, pour simplement lui ouvrir la porte ; elle était coincée ainsi, à l’extérieur, sans pouvoir aller où que ce soit. Elle avait pris un taxi en arrivant à l’aéroport de San Francisco, son ainé lui affirmant qu’il viendrait la faire entrer à l’intérieur en s’éclipsant discrètement de son travail. Mais cela n’était pas le cas. Peut-être qu’Andrew avait été retenu par un collègue sur le chemin ; peut-être était-il bloqué dans l’encombrement des rues. Tout était absolument possible. Cependant, Heaven se retrouvait à la porte, contrainte d’attendre comme une petite malheureuse que son pseudo-héro vienne la sauver d’un ennui mortel. Son voyage semblait lui avoir remis les idées en place. Elle avait trouvé en s’éloignant une confortable innocence ; elle avait mis de la distance entre son deuil et elle. Elle savait que tout ceci n’était que provisoire. Elle savait que la culpabilité finirait par faire surface, lorsqu’elle se rendrait compte de tout ce qu’elle avait mis derrière elle… Lorsqu’elle se rendrait compte du nombre de personnes à qui elle avait bien pu tourner le dos. Mais, quelque part, Heaven savait que cela avait été vital pour elle. Elle était persuadée qu’elle n’aurait pas pu continuer ainsi. Et elle espérait que ses proches comprendraient. « Ma petite sœur est redevenu blonde ! » s’écria une voix, et Heaven releva la tête. Andrew avançait vers elle, en costume-cravate, et elle se précipita sur lui pour le prendre dans ses bras avec un sourire. « Pas très originale, ta remarque, fit-elle remarquer avec un sourire narquois. Tu dois être le centième à me la faire. – Oui, mais moi je suis ton frère. – Et alors ? – Et alors je te dis ce que je veux, quand je veux, peu importe si je ne suis pas le premier, répliqua-t-il avec un air satisfait. Tu as l’air fatiguée, Heavy. » Son regard devint soucieux, et l’anglaise se mordit l’intérieur des joues en cherchant des mots qui pourraient satisfaire son frère. Il n’était pas comme tout le monde. Il la connaissait mieux que quiconque. Elle savait que si elle lui serinait qu’elle allait bien, il réussirait tout de même à lui faire admettre que c’était faux. « Le voyage m’a épuisé, répondit-elle vaguement. Je rêve d’une douche et d’un lit, là. – Tu sais bien que je ne parle pas de ça. » Heaven haussa les épaules, ne sachant que dire. Tout simplement. Andrew sembla abandonner la bataille, et il saisit les affaires de la demoiselle pour les emmener à l’intérieur. L’anglaise attrapa un sac qui restait, et le suivit. En passant la porte, elle prit une grande inspiration, se sentant chez elle, se sentant bien. Elle avait l’impression de s’être débarrassé d’un immense fardeau ; elle espérait que cela n’était que le début d’une nouvelle vie. Cependant, elle se trompait. Comme à chaque fois. Mais Heaven ne préférait pas y penser, profitant plutôt de l’air californien et de la villa de son ainé. « Chelsea rentre à quelle heure ? » demanda doucement Heaven. Andrew posa ses valises et se tourna vers elle. « Vers dix-huit heures, environ. Si tu veux, tu pourras aller chercher la petite à la crèche, répondit Andrew. Je vais appeler pour les prévenir que tu t’en charges. – Avec plaisir. » Heaven lui fit un grand sourire, et son frère y répondit avant de l’aider à monter ses affaires à l’étage, dans la chambre d’amis qu’elle avait occupée quelques mois plus tôt. Il ne lui avait posé aucune question, lorsqu’elle lui avait demandé si elle pouvait passer les deux mois d’été chez lui. Il ne lui avait rien demandé en échange. Il l’avait simplement accueilli chez lui, un air satisfait au visage. Andrew était au courant pour Riley, mais ne l’avait pas mentionné. Heaven ne savait pas s’il le ferait ou s’il préférait ne pas s’y risquer, mais elle lui était grandement reconnaissante : il était là. Et elle en aurait besoin. Bien plus qu’elle ne pouvait l’imaginer. Le futur est semé d’embuches, et Heaven n’était pas au bout de ses peines.
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(2010) ✻✻✻ « Heaven… Heaven ! HEAVEN ! » Dans un cri étouffé, Heaven fût tirée de ses songes, et elle se mit à trembler de tout son corps, les yeux remplis de larmes. Son frère poussa un soupir en caressant doucement ses cheveux. « C’est la troisième fois cette semaine… – Je sais. – … Dis-moi ce que je peux faire, Heaven, je n’en peux plus de te voir dans un état pareil. » L’anglaise retint un sanglot, et enfouit son visage dans son oreiller. C’était la troisième fois de la semaine, oui. La dix-huitième fois du mois également. Elle hurlait dans son sommeil ; elle hurlait ces mauvais songes qui la consumaient de l’intérieur. C’était toujours les mêmes. Encore et toujours les mêmes. Ils brûlaient tous, et elle se noyait dans leur sang, elle baignait dans une culpabilité sans limite. Ils disparaissaient comme Riley avait pu disparaître… Tous. Tous. Tous. Leurs noms défilaient sous ses paupières. Zacharie. Jeff. Dylan. Teagan. Andrew. Chelsea. Daniella. Et cela la rendait malade. Elle était fatiguée, usée de toujours faire le même cauchemar. Usée de perdre ses proches chaque nuit. Mais que pouvait-elle bien y faire ? Elle n’y trouvait aucune solution. Elle avait cette incroyable sensation d’être prise au piège dans sa propre tête. « Tu veux que j’aille te chercher un verre d’eau ? » lui proposa son frère. Heaven secoua sa tête, puis finit par se tourner vers lui, encore tremblante. « Non. Reste un peu, répondit-elle. Je suis désolée Andy. Si désolée. – Ce n’est pas grave. » Il eut un sourire triste en caressant ses cheveux, inlassablement, dans un geste doux et protecteur. La journée, Heaven allait bien. Elle profitait de la Californie en se prélassant sur la plage, en jouant avec Daniella, en aidant Chelsea à cuisiner, en allant à des concerts en plein air, loin de New York. La nuit la rattrapait, cependant, la ramenant brusquement sur Terre. Son inconscient se souvenait. Son inconscient ne voulait pas oublier Riley, comme il ne souhaitait pas faire une croix sur les mauvais présages qu’il avait bien pu avoir des mois plus tôt. « Je peux vraiment rien faire pour toi ? » insista son frère. Ce fût au tour d’Heaven d’avoir un sourire triste. « Ca dépend. Si tu connais une sorcière douée pour combattre les cauchemars, je suis partante, répliqua-t-elle avec peu d’entrain. Même la magie vaudou pourra faire l’affaire. Je suspecte ta voisine de droite d’avoir recours aux poupées vaudous, d’ailleurs. – Sérieusement, Heaven. – Mais je suis sérieuse ! T’as pas vu ses yeux ? Je te jure que j’ai vu le diable briller dans ses prunelles. Elle m’a pas l’air net, alors je ne sais pas si c’est l’air californien ou bien un remède de mémés, mais je la trouve quand même super vieille et c’est vraiment très bizarre qu’elle réussisse à rester vivante avec un corps en état de décomposition comme le sien. Et puis… – Heaven. – … Et puis j’ai entendu dire que les gens qu’elle n’aimait pas finissaient beaucoup trop souvent à l’hôpital. Tu sais, l’autre jour j’aurais juré qu’elle s’est approchée de moi rien que pour me prendre un cheveu donc est-ce tu penses que… – Heaven. – Tu penses qu’elle est en train de faire une poupée vaudou de moi ? Non parce que tu vois j’aimerais bien me préparer au pire. Au cas où. » Elle le regarda en toute innocence, et il leva les yeux au ciel en déposant un baiser sur le haut de son crâne. Satisfaite d’avoir réussi à couper court à toute discussion, la demoiselle s’enfonça dans ses couvertures. Seule sa tête était encore visible et, une fois sur le pas de la porte, Andrew se retourna vers elle. « Dors bien, petite sœur. » Elle eut une lamentation plaintive, avant de pousser un soupir. « A vos ordres chef. » Et il s’en alla. Elle ne ferma plus l’œil de la nuit, trop terrorisée par son propre esprit. Le lendemain, Heaven prit rendez-vous avec une dermatologue pour gommer au laser ses tatouages, un à un. Cela lui prit des semaines. De longues et douloureuses semaines. Cependant, dans cette souffrance, Heaven y trouvait le réconfort de l’oubli. Dans cette souffrance, elle focalisait son attention sur autre chose. Ses dessins sur sa peau lui rappelaient trop Riley. Et, quelque part, elle espérait qu’en les voyant disparaître, il s’effacerait de sa mémoire à son tour. Mais chaque chose laisse une cicatrice. Les tatouages effacés en font partis. Les deuils également.
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(2010) ✻✻✻ « Punaise Andrew t’es pas sérieux quand tu me dis que nos parents sont dans le salon, j’espère ? » Rageusement, Heaven posant ses mains sur ses hanches, le regard assassin. Elle savait pertinemment qu’elle ressemblait de plus en plus à sa mère quand elle se mettait en colère, mais son frère avait réussi à la mettre hors d’elle. Voilà qu’il se permettait de les inviter pendant qu’elle était là et surtout pour qu’ils puissent discuter ! Comme si le couple Howard-Clark-Westfield savait le faire sans insulter ses enfants. Toujours sous le perron, son frère lui barrant le passage du bras, elle fronça les sourcils et croisa les bras. « T’es au courant que j’ai passé toute ma vie à les éviter et que tu viens de réduire tous mes efforts en miette en moins de trente secondes ? » Elle laissa un temps, puis soupira. « Enfin presque. Mais tu devrais être très bien placé pour savoir que je ne veux pas les voir et qu’eux non plus ! Au moins un sentiment partagé, c’est pas mal tu ne trouves pas ? Demande-leur, je suis sûre que je suis raillée du testament depuis que je suis partie. Mais bon, visiblement, Monsieur Andrew Howard-Clark est au-dessus de tout ça ! Bordel je te croyais intelligent. Si je suis venue ici c’est juste pendant les vacances avant de retourner à l’université, t’aurais pu les inviter après non ? » N’obtenant aucune réponse, elle leva les yeux au ciel, puis respira profondément afin de se calmer. Des larmes de rage coulaient le long de ses joues, et elle les essuya d’un geste nerveux. C’était un coup bas. Le regard toujours assassin, Heaven relâcha cependant les bras, et soupira. Comprenant que c’était le feu vert, Andrew lui laissa le passage, et elle entra dans sa maison de San Francisco tout en priant que cela ne soit pas si horrible que ce qu’elle avait pu imaginer en l’espace de quelques secondes. La blondie les aperçut dans le salon, comme Andrew lui avait précisé. Heaven se sentit presque défaillir. En l’espace d’un moment, elle retourna en enfance, quand elle avait peur de les affronter. Avant, elle avait eu le courage de leur dire ce qu’elle avait sur le cœur. Maintenant, elle n’était plus assez déterminée à prendre le dessus. Elle avait changé, elle avait muri, elle était devenue quelqu’un d’autre. Heaven était prête à recommencer une nouvelle vie ; laisser tout son passé, ses chagrins, ses ratés, tout cela derrière elle. Effacer l’ensemble d’une période d’un revers de la main. Effacer comme elle aurait espéré le faire lorsqu’elle était partie pour New York. Au fond d’elle, une voix ne cessait de lui répéter qu’elle ne faisait que cela. Effacer. Effacer. Effacer. Effacer sans parvenir à réussir. Même si ces bonnes résolutions là faiblissaient à chaque fois qu'elle pensait à Jeff, ou même Dylan. Ou alors quand elle se réveillait en hurlant, pleine de cauchemars. Ou alors quand elle s'était fait enlever deux-trois tatouages avec le laser. Les parents ne se levèrent pas, mais ne la regardèrent pas non plus comme ils avaient pu le faire durant la période où elle leur tenait tête. Timidement, préoccupée par ce qui allait se passer, elle s’assit en face d’eux, suivit de son frère. Elle se sentait si petite, d’un seul coup. Si fragile, si vulnérable. Elle avait toujours trouvé une forme de réconfort dans ses teintures, ses tatouages, ses écarts. Comme s’ils l’avaient enveloppé d’un bouclier la protégeant de ses parents. « J’ai toujours dit que le blond était la couleur de cheveux qui se sied le mieux à ton visage. » Comment briser la glace, par Kathleen Howard-Clark, pensa-t-elle automatiquement. Heaven nota dans un coin de sa tête que sa mère n'avait pas changé au cours des deux années précédentes. « Le bleu était pas trop mal je trouve, » répondit-elle, la voix acide, tout en lançant un regard en coin à son frère. Celui-ci comprit le message. Tout du moins, Heaven pensait que c’était le cas. Dans tous les cas, celui-ci prit la parole après s’être éclaircir la gorge. « Donc, vous ne m’avez pas dit pourquoi vous teniez tant à venir en personne pour voir Heaven ? Je veux dire, vous auriez pu lui parler par téléphone, mais vous avez préféré vous déplacer ? » Le mari et la femme se regardèrent, puis leurs yeux se posèrent sur Heaven qui fit de son mieux pour soutenir leur regard. Elle se sentait fondre. Pourquoi faisait-il si chaud, tout d’un coup, dans cette pièce ? Ne pouvaient-ils pas regarder ailleurs ? Etait-elle donc la seule chose d’intéressante à regarder dans cette pièce ? Ce fut Aaron qui prit la parole. Une première. Pourtant, malgré sa voix raisonnant dans la pièce, Heaven avait le sentiment singulier qu’il ne semblait pas réellement là. Qu’il était ailleurs, loin. Loin d’elle. Loin des autres. Loin du monde. « Nous avons une assez bonne nouvelle, pour tout dire. » Heaven leva les yeux au ciel. C’était parti. Ils en auraient pour des heures le temps qu’Aaron trouve x et y raisons d’expliquer une chose qu’il n’avait pas encore révélée, et sans importance une fois annoncée. « J’ai un collègue qui travaille à l’Imperial College de Londres, continua-t-il, guère troublé par l’attitude de sa fille. Enfin, je l’ai rencontré lors d’une conférence. » Aaron Howard-Clark, membre de la Chambre des Lords au Gouvernement Britannique. Heaven avait presque oublié ce détail avec le temps, avec le fait qu’elle soit également appelée Lady Howard-Clark en Angleterre. Comment pouvait-elle être la fille d’un grand politique, à tout bien y réfléchir ? Heaven s’égarait. L’émotion, sans doute. Elle secoua la tête, et tenta de reprendre le fils de la conversation. « Tout cela pour dire qu’il m’a appelé il y a une semaine pour m’annoncer que la benjamine de mes enfants avait été mise sur liste d’attente dans son université, et qu’il pouvait appuyer sa candidature si je le souhaitais. » Heaven releva les yeux, surprise. Kathleen poussa un soupir d’impatience avant de reprendre la parole. « Dis-moi maintenant Heaven, quand t’es-tu enfin rendue compte que tu n’étais pas qu’une bonne à rien ? » Ceci était une excellente question, pour être tout à fait honnête.
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(2010) ✻✻✻ « J’arrive toujours pas à y croire ! » Sourire aux lèvres, Andrew avait insisté pour porter le sac de Heaven, bien qu’ils aient déjà donné toutes ses valises à l’enregistrement des bagages. Aéroport de San Francisco, fin août, il était temps pour elle de lever les voiles, d’aller là où le vent l’emmenait. Sautillant presque, elle sourit. « Moi non plus. » Son frère leva les yeux au ciel, puis ébouriffa ses cheveux, tandis qu’ils continuaient leur route. « Sincèrement, l’Imperial College en journalisme ! J'avais envoyé ma candidature et malgré nos parents ils n'avaient pas voulu de moi. Du coup j’ai fini à Oxford. Depuis quand ma petite sœur est-elle devenue plus brillante que moi ? C’est d’une injustice ! La meilleure université du pays ! » Heaven soupira, tandis qu’ils arrivèrent devant la douane. Depuis quand était-elle la meilleure université de Grande-Bretagne ? Ils l’avaient cherché ensemble – il n’y avait eu absolument aucun communiqué officiel attestant de cela. Il la taquinait. Encore et toujours. Elle s’en allait une nouvelle fois toute seule, cependant, elle se sentait beaucoup mieux qu’avant. La mort de Riley était toujours dans sa mémoire, sa douleur était toujours présente, cependant, passer deux mois en compagnie de son frère, sa belle-sœur et sa nièce fût comme réparateur. Heaven avait l’impression d’avoir comme une nouvelle peau, une nouvelle vie. Hantée par des cicatrices et des cauchemars, mais elle préférait ne pas y penser. Tout du moins, c'est ce qu'elle essayait de se faire croire. Elle savait pertinemment que le tiroir de New York n'était pas encore refermé, et qu'elle avait toutes les peines du monde de ne pas retourner là-bas à genoux pour supplier les autres de lui pardonner, pour prendre dans ses bras sa Dylan, et embêter Teagan. Mais elle allait à Londres. Si la rencontre avec ses parents avait fini en cris, Aaron Howard-Clark avait quand même rappelé son collègue pour appuyer la candidature de sa fille, et la demoiselle avait reçu un dossier de félicitations de l'université une semaine après. Cependant, même si elle retournait dans son pays natal, il était absolument hors de question qu'elle entende parler d’eux. Elle vivait sa vie, désormais. Comme elle avait bien pu le faire depuis ses dix-huit ans. Comme quoi, un jour peut-être horrible, mais cela ne signifie pas forcément que la vie l’est. Ou presque. « J’ai toujours été intelligente. Je sais juste très bien le cacher, répliqua-t-elle. – Ouais c’est ce qu’on dit ! Je parie que tu ne tiendrais pas plus de deux mois avant de retourner pleurer dans mes jupes. » Heaven leva les yeux au ciel, et donna un coup dans les côtes de son frère. Son vol fût annoncé, et Heaven regarda tristement la douane qui se trouvait juste à côté d’eux. Andrew l’attira contre lui, et la serra dans ses bras, aussi fort qu’il put. Cela allait lui manquer. Mine de rien, se disputer avec son frère, regarder la télévision avec lui, se balader sur la plage en sa compagnie et celle de sa femme, changer les couches de sa nièce et gazouiller avec elle, étaient des choses qui lui avaient manqué. Finalement, sa famille n’était peut-être pas aussi abominable que cela. Et puis, elle adorait prendre en otage sa télévision toute la nuit pour regarder de vieilles diffusions de Doctor Who sur la BBC. Ça avait le don de rendre son frère dingue. « Oh une dernière chose, Heaven. » Elle releva la tête, prête à l’écouter. « Pourquoi le journalisme, au fait ? » La demoiselle sourit, puis se détacha lentement de lui. Elle savait que cela avait été une question qui l’avait intrigué durant des jours, mais qu’il n’avait jamais voulu poser. Comme si cela aurait été la brusquer dans sa reconstruction personnelle. Elle releva la tête pour mieux le regarder. « Parce que je suis une littéraire. – Etrangement, ça, je m’en étais douté. » Elle sourit, puis leva les yeux au ciel. « Je… Je sais que c’est ce que je veux faire. Ecrire. Je n’ai pas suffisamment d’imagination pour être écrivain et, à New York, j’ai compris que la mode était mon domaine sans que je n’ai les épaules pour supporter la pression des défilés, la pression du manque d’inspiration… » Andrew hocha la tête, signe qu'il avait compris. Heaven haussa les épaules. «Tu veux combiner les deux. Je comprends. » Andrew se mit à sourire, et l’attira une nouvelle fois contre lui. « Tu vas me manquer, Heaven. – Toi aussi, Andrew. » Joueur, il lui donna un coup dans les côtes à son tour, et leur étreinte prit fin. Heaven récupéra son sac, puis s’avança vers la douane, faisant un dernier signe à son frère avant de s‘enfoncer dans une nouvelle vie. Encore une fois.
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:47 par Invité
PARTIE TROISIèME
CHAPITRE PREMIER
Some people think that to be strong is to never feel pain. In reality, the strongest people are the ones who feel it, accept it, and learn and grow from it.
(2010) ✻✻✻ Londres, Imperial College, septembre 2010. L’accent anglais résonnait dans les oreilles d’Heaven comme une douce mélodie ; cependant, elle se sentait si petite dans cet environnement qu’elle avait envie de disparaître sous Terre. Elle avait passé un an loin de l’université, et elle semblait avoir tout oublié des marches à suivre pour réussir à s’y faire sa place. Tout était si grand. Heaven avait tant de choses à penser qu’elle en oubliait presque New York, Riley, tout. Doucement, elle se glissa parmi les autres étudiants en première année de journalisme et elle aperçut une table libre. Prenant son courage à deux mains, elle s’arrêta en face de l’occupant de la chaise voisine, et se racla la gorge. « Excuse-moi… Est-ce que la place est libre ? » demanda-t-elle doucement. La jeune femme à qui elle s’était adressée avait les yeux rieurs et semblait être une de ces personnes constamment de bonne humeur. Cependant, cela n’empêchait pas Heaven de se sentir incroyablement intimidée. Où était passé sa confiance en elle ? Son enjouement ? Dans la tombe de Riley, sans aucun doute. Elle avait enterré sa personnalité avec lui, de toute manière. Elle était anglaise. Elle avait vécu une bonne partie de son existence dans cette capitale britannique, apprenant à se repérer les yeux fermés dans chacune des rues, dans le métro, même. Pourquoi fallait-il qu’elle ne s’y sente plus à sa place ? Une part d’elle-même lui souffla que cela était tout simplement parce qu’elle ne l’était pas ; au lieu de quoi, elle secoua la tête avant de reporter son attention sur son interlocutrice. « Oui, oui, bien sûr ! s’exclama l’élève. Je m’appelle Emilia. Et tu es… ? – Heaven… Heaven Howard-Clark. – Howard-Clark comme le Howard-Clark du parti conservateur et du membre de la Chambre des Lords ? » Heaven sentit son dos se raidir en entendant une telle question ; sa gorge se serra doucement. Elle se souvint, à ce moment-là. Elle se souvint qu’elle détestait le Royaume-Uni pour une de ces raisons. La plupart des personnes savaient. Elles savaient que son nom de famille était un nom de famille important ; elles savaient qu’elle faisait partie de la noblesse, que sa généalogie toute entière avait eu successivement des titres, des terres, une influence politique. A New York, personne n’avait su. A New York, elle avait simplement été comme tout le monde. Comme les autres. « Oui. Comme le Howard du parti conservateur et du membre de la Chambre des Lords, » finit-elle par admettre avec un sourire crispé. L’élève nota le malaise présent dans ses yeux. Avec douceur, elle tapota le siège à ses côtés pour inviter Heaven à s’y asseoir. « Désolée, on doit souvent te poser la question. Bien sûr que tu peux t’asseoir. – Merci. » Lourdement, Heaven vint prendre place à ses côtés, et sortit son ordinateur portable pour prendre ses notes. Ses doigts tremblaient. Cela ne faisait qu’une poignée de minutes qu’elle était là, parmi les autres ; pourtant, au fond d’elle-même, elle avait la sensation que cela était une poignée de minutes de trop. Elle avait le sentiment singulier de ne pas appartenir au même monde qu’eux. Tout lui paraissait loin de sa portée ; le murmure enjoué de leurs conversations irritait ses tympans à mesure qu’elle se rendait compte qu’elle ne comprenait pas ce qu’ils racontaient. Elle avait l’impression d’être une imbécile. Une ignorante. Une sotte. « Les Howard-Clark sont issus de la noblesse. Je me trompe ? » reprit Emilia. Heaven hocha imperceptiblement la tête. Sotte et lady, qui plus est, fut-elle incapable de s’empêcher de penser. « Désolée, je trouve ça fascinant. De là où je viens, je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer des familles issue d’en haut. – D’en haut ? demanda Heaven en fronçant les sourcils. – Oui, d’en haut. Tu sais, ceux qui tirent les fils. Enfin… Je veux dire que mes parents sont des ouvriers habitant au fin fond de la campagne écossaise. Ils ne s’attendaient même pas à ce que je fasse des études. Tandis que toi… » Heaven se mit à rire ouvertement, avant de se tourner complètement vers Emilia. Elle se montra du doigt, hilare. « Je peux te faire croire que mes parents ne s’attendaient réellement pas à ce que je fasse des études, lui dit-elle avec amusement. – Vraiment ? – Oh, Emilia, si seulement tu savais. Les gens "de la haute" connaissent leur lot de malheur – surtout quand ils se retrouvent avec des enfants comme moi. » Emilia se mit à rire à sa remarque ; le professeur finit par entrer dans leur amphithéâtre et s’installer sur son estrade. Il ne fallut que quelques jours à Emilia et Heaven pour devenir inséparables ; Heaven aima le calme qu’elle semblait dégager, mais également la simplicité, cette simplicité qui contrastait tant avec la vie qu’elle avait bien pu mener avant de revenir à Londres. Elles furent proches, à leur manière ; mais Heaven se protégea à sa manière, ne disant rien à propos d’elle, ne se confiant pas sur sa vie antérieure. C’était mieux ainsi. C’était mieux d’être une toute nouvelle personne. Du moins, cela était ce qu’elle se répétait sans cesse avec ferveur.
✻✻✻
(2010) ✻✻✻ Heaven se précipita en courant à moitié sur le parking de l’hôpital français ; elle se prit presque les pieds dans ses propres jambes et failli tomber à plusieurs reprises, mais elle ne s’en tint pas rigueur. Elle n’y pensait même pas. Elle ne parvenait même pas à s’en formaliser. Les gens autour d’elle l’observaient avec curiosité ; mais, à vrai dire, elle ne les voyait même pas. Le monde tout entier avait disparu de son champ de vision et elle évoluait dans un nouvel univers où seule la peur semblait régner dans son cœur. Elle courait, courait encore et encore. Elle avait la sensation qu’une vie en dépendait. Mais n’était pas cela ? N’était-ce pas la vie de son frère qui en dépendait ? Il était quelque part entre la vie et la mort. On l’avait appelé dans la nuit de samedi à dimanche mais elle n’avait pas pris le soin de décrocher son téléphone ; elle n’avait pas eu envie de parler avec sa mère, deux verres de vodka coulant dans ses veines, alors qu’elle profitait de sa soirée de libre pour passer du temps avec ses amis de la fac. Cela n’avait été que le lendemain qu’elle avait écouté le message de Kathleen et qu’elle s’était rendu compte qu’elle avait sept appels manqués, trois venants d’elle et quatre venants de son frère Andrew. Cela n’avait été qu’à ce moment-là qu’elle s’était inquiétée et qu’elle avait compris que quelque chose n’allait pas. Lorsqu’elle avait finalement pris la peine de les rappeler, anxieuse, on lui avait annoncé que Zacharie avait eu un accident de ski dans les Alpes. Andrew n’avait pas eu le temps de lui donner plus de détails ; Heaven avait réservé un vol pour se rendre en France sans même réfléchir et, le lundi matin même, elle avait débarqué dans le sud-ouest du pays. Durant ce laps de temps, son cœur avait cessé de battre dans sa poitrine. Elle ne parvenait plus réellement à réfléchir correctement ; seule la peur avait pris possession de son corps et il ne réagissait que sous l’impulsion. « Zacharie Howard-Clark. Je suis venue voir Zacharie Howard-Clark. Il s’agit de mon frère, il a eu un accident samedi et je… – Désolée mademoiselle, je ne parle pas bien anglais, répondit l’infirmière, confuse, d’un accent français si marqué qu’Heaven eut du mal à comprendre un traite mot de ce qu’elle pouvait dire. Vous pouvez me répéter plus lentement, s’il vous plait ? – Je suis venue voir Zacharie Howard-Clark, articula Heaven avec désespoir. – Howard-Clark ? Vous pouvez me l’épeler s’il vous plait ? » Heaven dut se faire violence pour ne pas lever les yeux au ciel. Elle sentait la patience déserté l’intégralité de son corps. Elle savait parler français, pourtant. Elle le savait mais, en cet instant, elle était bien incapable d’articuler ne serait-ce qu’un seul mot de manière convenable. « Howard-Clark, répéta-t-elle avant de prendre une profonde inspiration. H-O-W… – Heaven ! » L’anglaise fit volteface pour finalement entrapercevoir, à quelques mètres, Karen, la fiancée de Zacharie. Celle-ci s’avançait à grande enjambée vers elle avant de finalement se laisser tomber dans ses bras une fois arrivée à sa hauteur ; Heaven vacilla légèrement avant de raffermir sa prise autour de son corps frêle. Elle sentit ses yeux lui piquer légèrement, avant de secouer la tête comme pour se contenir ; Karen, elle, semblait si épuisée qu’elle avait sans doute rendu les armes pour paraître digne. « Comment va-t-il ? » risqua Heaven. Elle ne pouvait pas attendre. Elle ne pouvait pas rester là sans rien faire, les bras ballants ; elle ne supportait pas l’idée que son frère puisse être coincé dans une de ces chambres d’hôpital française. Elle ne supportait pas l’idée qu’il puisse s’en aller à son tour. Karen se détacha lentement d’elle. Ses yeux étaient rouges et ses traits tirés par l’inquiétude ; elle qui était d’ordinaire si belle semblait au bord de la rupture. Au bord de l’effondrement. Heaven ne put s’empêcher de se demander si cela avait été à cela qu’elle avait ressemblé lorsque Riley ne s’était jamais réveillé. Sans doute. Sans doute pas. Elle n’en savait rien et, à vrai dire, elle finit par se rendre compte qu’elle ne voulait sans doute pas savoir. « Il est en soins intensifs. Son état est critique, finit par déclarer Karen. – Mes parents sont là ? – Pas encore. Ta mère tente de faire le nécessaire pour le rapatrier en Angleterre mais… – Mais ? – Mais les médecins disent que cela pourrait le tuer. » Karen étouffa un sanglot, portant une main à sa bouche comme pour étouffer les bruits de ses pleurs. Elle était issue de la noblesse, elle aussi. Zacharie avait parfaitement bien choisi son parti ; elle représentait tout ce qu’Heaven n’avait jamais su être pour ses parents. Elle se tenait droite. Elle dégageait une aura de perfection. Ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules. Sa peau ivoire était immaculée. Perfection. « Il est hors de question qu’il quitte la France dans cet état, décréta Heaven, le visage fermé. – Ne va pas faire de bêtises. Tu sais comment ils sont, Heaven. – Justement. Et crois-moi, je ne vais pas les laisser faire. » Karen eut un sourire triste avant d’entrainer Heaven avec douceur dans les couloirs de l’hôpital. La colère était mêlée à la tristesse au fond d’elle. Et, malgré la présence de sa future belle-sœur, elle se sentait incroyablement seule.
✻✻✻
(2010) ✻✻✻ « Heaven. » Heaven grogna dans son sommeil ; elle était loin, si loin. Elle n’entendait pas cette voix venue lui strier les oreilles. Elle n’entendait pas ces respirations agacées qui accompagnait la présence de la nouvelle venue. Non. Elle était loin, dans un sommeil paisible et sans rêve. « Heaven ! » Elle se redressa brusquement, reconnaissant entre mille ce sifflement excédé. Elle avait fait de son mieux pour l’oublier mais la gamine qu’elle avait un jour été se souvenait de chaque instant où sa mère avait bien pu lever la voix de cette manière. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle découvrit le visage de Kathleen à quelques centimètres du sien ; son corps endolori poussait de longues plaintes et, pourtant, elle fit quelques efforts pour pouvoir se tenir droite de façon à observer sa mère dans les yeux. Elle s’était assoupie sur l’un des fauteuils en face de la chambre de son frère. Malgré elle. Elle avait tenté de garder les yeux ouverts le plus de temps possible mais la fatigue avait eu raison d’elle ; ces dernières semaines, elle avait eu bien du mal à jongler entre ses obligations de sœur, ses devoirs, ses activités. Sa vie avait défilé si vite devant ses yeux qu’elle n’avait pas eu le temps de la voir filer. Tout s’était accumulé, encore et encore. « Oui, mère ? » finit-elle par articuler avec difficulté. Sa bouche était pâteuse, ses paupières peinaient à rester ouvertes. Pourtant, l’air grave de Kathleen la maintenait en éveil. « Tu étais assoupie, constata sa mère. – Il semblerait que… Oui. » Heaven haussa les épaules avant de lisser son chemisier avec application ; Kathleen la lorgna d’un œil peu amène, croisant les bras sur sa poitrine. Son dos était droit, si droit qu’Heaven se surprit à se demander comment elle pouvait parvenir à rester ainsi toute la journée sans être fatiguée. La seule réelle hypothèse qui lui vint fut que sa mère avait sans doute une planche clouée dans son dos. « Une jeune femme ne doit pas se… – Et si on passait le sermon pour en venir à l’essentiel ? demanda Heaven en secouant la tête, guère démontée de faire preuve d’impertinence face à sa mère, désormais. Comment va Zacharie ? » Kathleen ouvrit la bouche pour protester, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Au lieu de quoi, elle pinça des lèvres avant de jeter un vague regard vers la chambre de son fils. « Mieux. – Bien. – Les médecins affirment que le pire est derrière nous. – Et sa… » Heaven s’interrompit avant de prendre une profonde inspiration. Le regard de Kathleen était perçant et semblait lui sonder l’âme. « Sa…, tenta-t-elle de nouveau sans parvenir à articuler le fond de sa pensée. – Sa tétraplégie ? » Heaven hocha doucement la tête, incapable de soutenir le regard de sa mère plus longtemps. Elle ne parvenait pas à se faire à ce mot. Elle ne parvenait pas à l’associer à Zacharie, lui si talentueux en musique. Lui qui avait passé des heures et des heures à jouer du violon. « Ne te comporte pas comme une enfant, Heaven, lâcha Kathleen d’un ton cinglant. Tétraplégie n’est pas un mot grossier. » Heaven demeura interdite. « Et tu le sais. Il restera tétraplégique malgré l’aide des médecins. Pour l’instant, il faut se focaliser sur le fait qu’il… – Vous vous rendez compte qu’il ne pourra plus jouer de violon ? – Certes, mais il faut également se focaliser sur… – Et cette pute de Karen l’a quitté dès qu’elle a su qu’il ne pourrait jamais s’en remettre ! » Heaven avait tant de mal à contrôler toute cette hargne qui l’habitait. Pourtant, elle tentait de le faire. Pourtant, elle tentait de tout contrôler au fond d’elle. De tout contrôler comme sa mère pouvait le faire. Mais elle n’y parvenait pas. « Heaven, tu me fais honte. » Le ton de Kathleen avait claqué dans l’air et Heaven en eut presque la nausée ; ce sentiment d’injustice qui l’avait toujours habité refaisait doucement surface au fond d’elle. Elle avait veillé sur son frère dès qu’elle avait pu. Elle avait accouru dès qu’elle avait su. Mais chacun de ses efforts n’avaient absolument aucune signification aux yeux de Kathleen ; elle était et demeurerait la fille raté de sa descendance. « Où est père ? demanda Heaven au lieu de s’épuiser à répliquer. – Retenu. » Heaven fronça les sourcils. « Comment ça, retenu ? – Heaven, ne t’ai-je jamais dit que tes questions étaient bien souvent inappropriées ? grinça Kathleen, toujours aussi droite. Il me semble que si. Alors, s’il te plait, cesse de m’importuner avec ton entêtement. – Où est père ? insista-t-elle. – Pas ici, de toute évidence. » Heaven ouvrit la bouche pour lui répondre, mais Kathleen ne lui en laissa pas le temps ; elle tourna les talons sans un mot avant de s’avancer jusqu’à la chambre de Zacharie, avant d’en franchir le seuil. Elle laissa Heaven là, seule. Les choses se déroulaient autour d’elle mais elle peinait à comprendre le sens de tout cela ; elle savait simplement qu’elle était en colère et triste. Toujours. Encore.
✻✻✻
(2011) ✻✻✻ Heaven attrapa la télécommande de la télévision, avant de zapper sur la chaine d’informations en continu par pur réflexe. La voix de l’envoyé spécial chatouilla son oreille, narrant une nouvelle fois une des horreurs qu’il s’était produite il y avait cela quelques jours à mesure qu’elle mâchait avec distraction ses corn flakes. Depuis des mois, il ne s’agissait que de cela ; Londres était menacée par un tueur en série s’en prenant à des jeunes femmes et chaque journal, chaque chaine, se sentait obligée de narrer les faits, encore et encore, prêtant un intérêt tout particulier au déroulement de l’enquête de police. Heaven, d’ordinaire, ne prêtait pas attention à ce genre de choses. Pourtant, là, elle se sentait concernée ; tous les points communs des victimes rassemblés jusque-là par la police semblaient étrangement lui correspondre. Elle ne se sentait plus en sécurité, ici. « Encore devant la chaîne d’infos ? » Emilia se laissa tomber sur le canapé à ses côtés. Heaven haussa les épaules avec désinvolture, tentant presque de lui faire croire que cela n’était qu’un fait comme un autre. Mais Emilia savait. Elle savait à quel point cela lui tenait à cœur, à quel point elle accordait de l’importance à ce qu’il se déroulait à Londres. « Heaven, tu devrais vraiment arrêter de faire une fixation sur ça. C’est d’un déprimant… – Dit-elle alors qu’elle fait elle-même des études de journalisme et qu’elle est absolument obsédée par l’actualité… grinça Heaven, fourrant une cuillère de céréale dans sa bouche d’un air boudeur. – Mon intérêt pour les infos est purement professionnel, me répliqua-t-elle d’un air suffisant. Contrairement à toi, je ne lui pas là à me morfondre en me demandant combien de temps il me reste avant que cela ne soit mon tour… – Tu dis ça, mais tu es rousse, Emilia. Tu es épargnée. Toutes les victimes ont été blondes, jusqu’ici. » La concernée éclata de rire en secouant gentiment Heaven par le bras. Elle était ainsi. Toujours heureuse, toujours de bonne humeur, toujours à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Cela pouvait être épuisant, d’une certaine manière ; cependant, Heaven se plaisait à croire qu’Emilia était heureuse pour elle deux. « Et alors ? Ça se trouve ce n’est qu’une grosse coïncidence. » Heaven lui lança un regard en coin. « Cela est rarement une coïncidence. Tu le sais aussi bien que moi. » Evasivement, Emilia haussa les épaules avant de s’emparer de la télécommande et zapper sur une autre chaine. Heaven comprenait, d’une certaine manière, qu’elle soit fatiguée par son obsession actuelle ; alors, au lieu de protester, elle la laissa faire, laissant ses pensées se perdre au fond de son esprit. Le premier semestre était terminé. Elle avait passé ses examens et n’avait eu aucun retour, pour l’instant ; sa gêne passagère durant les premiers jours s’était bien vite dissipé pour la rendre plus à l’aise parmi les autres. Emilia et elle avaient trouvé d’autres amis à intégrer à leur cercle ; le reste avait suivi et, même si son frère était encore à l’hôpital, on lui avait doucement changé les idées. Elle tentait de penser de moins en moins à Zacharie. Elle tentait de prendre du recul, comme elle avait réussi à le faire avec le décès Riley, persuadée que cela ne serait que de cette manière qu’elle s’en sortirait. C’était sa façon de se protéger, après tout. « Ça te dirait qu’on aille boire un coup tout à l’heure avec Miles et Liam tout à l’heure ? » demanda Emilia au même instant où l’interphone résonna dans tout l’appartement. Heaven lui lança un regard peu amène avant de se lever pour aller décrocher. Ces histoires finissaient même par remettre en cause ses sorties. Elle secoua vaguement la tête avant d’attraper le combiné. « Oui ? demanda-t-elle distraitement. – Je souhaiterais parler à mademoiselle Howard-Clark s’il vous plait. – Vous êtes en train de le faire. » La demoiselle fronça les sourcils, entendant la personne sourire à l’autre bout du fil. Sa voix était pressée, comme si elle ne pouvait attendre. « Enchantée, mademoiselle Howard-Clark, je suis Christian Hale du Daily News et je souhaiterais connaître votre réaction à propos de l’arrestation de votre père… – Pardon ? – L’arrestation de votre père pour l’affaire Westminster Bridge Road ? » Heaven raccrocha l’interphone sans même poser plus de question ; elle resta là, près de la porte d’entrer, fixant la serrure avec intensité tandis que ses pensées s’éparpillaient au fond de son esprit. Les mots du journaliste avaient été très clairs, trop, sans doute, pour son esprit qui ne connaissait pas toutes les informations requises. Arrestation. L’affaire Westminster Bridge Road. Tout se mélangeait dans son esprit confus. « Heaven ? » risqua Emilia. Elle ne répondit pas. « Heaven… Je crois qu’il y a ton père à la télévision. » Tremblante, elle fit quelques pas pour entrapercevoir l’écran de la télévision de là où elle se trouvait ; en bas des images montrant une personne à qui l’on cachait le visage avec une veste était écrit l’annonce Retournement de situation dans l’Affaire Westminster Bridge Road – Lord Aaron Howard-Clark arrêté pour meurtre. Tout s’imbriqua dans son esprit, au beau milieu de l’incompréhension. Ce journaliste futé n’était que le premier d’une très longue série.
CHAPITRE DEUXIEME
But who can remember pain, once it’s over? All that remains of it is a shadow, not in the mind even, in the flesh. Pain marks you, but too deep to see. Out of sight, out of mind.
(2011) ✻✻✻ Heaven s’étira et jeta un vague regard aux chiffres digitaux qu’affichait le téléviseur. Quatre heures vingt-trois. Il était peut-être temps d’aller se coucher, même pour elle. Elle se leva lentement du canapé dans lequel elle s’était installée il y a maintenant quelques heures, puis bailla, abandonnant là fiches de révision et pièce de théâtre qu’elle avait recommencé à lire pour la dix-huitième fois. Lentement, son pantalon glissa de quelques centimètres le long de ses hanches, et elle le remonta avec agacement avant de s’enfoncer dans son appartement. Ce genre de détail lui rappelait que l’intégralité de sa garde-robe était à racheter, principalement à cause des dix kilos qu’elle avait perdu en l’espace de quelques mois. Involontairement. Tout du moins, c’est ce qu’elle essayait de croire. Cela faisait maintenant sept mois qu’elle était à Londres, sept mois qu’elle avait construit un quotidien qui ne lui laissait pas le temps de réfléchir. Les cours à l’université lui mangeaient la moitié de son temps, ses cours à la chorale prenaient une grosse partie du reste, et les soirées comblaient le tout. Heaven avait pris le soin de ne jamais s’accorder une minute à elle afin de ruminer, réfléchir, se souvenir, comprendre ce qu’il se passait. Elle avait pris un soin tout particulier à garder son cœur pour elle, à n’avoir que des aventures sans lendemain et ne jamais laisser les hommes – et les femmes – l’approcher de trop près. Les seuls symptômes qui continuaient à lui rappeler tout ce qu’elle s’acharnait à oublier étaient ses insomnies récurrentes, sa maigreur, le sentiment de vide qui la prenait de temps à autre. Autrement, elle évoluait dans un milieu différent, jouissant de cette seconde chance qu’elle avait réussi à attraper en route. Parce que mine de rien, pour la première fois de sa vie, elle connaissait la réussite. Chose qu’elle avait perdu de vue depuis de longues années. Le journalisme la passionnait littéralement. Et aussi étrange que cela puisse paraître, le petit brin de femme qu’elle était avait suffisamment de hargne pour endurer la compétition. Tout cela était à des années lumières de ce qu’elle avait pu penser ou dire un an plus tôt. Comme quoi, fuir lui avait bien apporté un futur, chose qu’elle ne voulait même plus. Ou qui lui semblait sans importance. Ou les deux. Mais il y avait l’affaire Howard-Clark. Quelque part, elle savait qu’elle n’aurait jamais été suffisamment longtemps à l’abris. Elle passa discrètement à côté de la porte de la chambre de sa colocataire, puis alla s’enfermer dans la sienne. Vêtue d’un simple t-shirt trop grand et de ses sous-vêtements, elle s’assit au milieu de son lit, le regard droit devant elle. Elle était comme une gosse, à redouter le sommeil, à éviter le plus possible les rêves et les cauchemars. Heaven se trouvait elle-même pathétique ; elle savait qu’elle s’enfonçait un peu plus dans sa bêtise à chaque fois, mais au moins, elle réussissait à sauvegarder les apparences pour ses amis de l’Imperial College. Ils savaient, pour son père. Tout le monde le savait. Cependant, ils avaient la décence de ne pas lui en parler, et d’agir comme si rien, absolument rien, ne se passait. Heaven faisait la fête, elle buvait, couchait, participait aux pires conneries et s’investissaient dans les plans du groupe. Mais au fond, elle était ravagée. La blondie regarda son réveil. Quatre heures vingt-sept. Instinctivement, elle fit un rapide calcul pour définir l’heure qu’il était à New York. Vingt-trois heures et des poussières. Il ne lui fallut guère plus de cinq secondes pour attraper son téléphone et composer le numéro de Dylan Cooper. Heaven avait gardé des contacts de New York, mais Dylan avait été la seule personne avec qui elle avait continué à parler régulièrement – et même beaucoup plus que régulièrement. Les deux demoiselles s’appelaient si souvent que Heaven avait finalement opté pour un forfait avec communication à l’étranger illimitées ; et elles parlaient, parlaient, parlaient. Avant chaque décision importante, la blondie demandait l’avis de cette fille qu’elle considérait comme sa sœur, et inversement. Cependant les téléphones ne remplaceraient jamais la présence physique, Heaven s’en rendait bien compte. Sa Dylan, elle lui manquait plus que tout. Plusieurs sonneries résonnèrent, puis une voix. « Allô ? » Heaven sourit instantanément, puis engagea la conversation, heureuse. Elle, aussi, savait pour son père accusé d’homicide volontaire et prémédités. Elle, aussi, avait conscience de ce qu’il se passait, de tout ce qu’il se passait dans la presse, dans tout ce qu’il se disait dans son dos. Et elle la soutenait. Elle la soutenait parce que cela était ce qu’elle avait toujours fait.
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(2011) ✻✻✻ Il avait avoué. Après dix mois, il avait finalement avoué. « Mademoiselle Howard-Clark ! – Heaven ! Pouvez-vous nous confier vos réactions ? – Quelles sont vos… – Lady Howard ! – Est-ce que vous… – Heaven ! – My Lady ! » Les paroles fusaient tout autour d’elle alors qu’on tentait en vain de la faire passer à travers la foule de journalistes regroupés à l’extérieur du tribunal. Ils savaient, ils savaient tous. Ils savaient que ce membre de la Chambre des Lords arrêté pour meurtre avait bel et bien commis ces crimes ; ils savaient qu’ils tenaient une information cruciale entre leurs doigts et ne désiraient pas la laisser filer. Mais, Heaven, elle, aimerait que tout s’arrête. Elle voulait simplement rentrer chez elle et se coucher, se coucher pour oublier. Pendant toute la durée du procès, elle avait observé son père en tentant de comprendre. Elle se demandait pourquoi il avait fait toutes ces choses. Pourquoi il conservait cette expression calme et mesuré. Au fil des minutes qui avaient défilé, assise à côté de sa mère, elle s’était rendue compte qu’elle ne le connaissait tout simplement pas. Elle ne savait pas qui il était. Elle ne l’avait jamais su. Il n’avait été qu’un figurant dans son existence ; toujours silencieux, dans son monde, enfoncé dans ses idées. Il avait été renfermé sur lui-même depuis le jour où elle était née. Peut-être avait-il toujours été ainsi. Seulement, personne ne l’avait suffisamment connu pour savoir ce dont il était capable de faire. « Mademoiselle Howard-Clark, dites-nous ce que… – Pouvez-vous faire une annonce ? – Lady Heaven Howard-Clark ! – Heaven ! – Que pensez-vous de ce… » Les questions fusaient autour d’elle, à mesure qu’elle progressait difficilement parmi la foule. Elle n’y répondait pas parce qu’on lui avait bien spécifié de bien le faire ; cependant, au fond d’elle, elle savait également que cela était parce qu’elle n’avait absolument aucune idée de ce qu’elle pourrait leur dire. Elle ne savait pas. Elle ne savait pas ce qu’elle ressentait. Elle avait assisté au procès en fixant son père. Cela avait tout ce qu’elle avait pu faire pour garder les pieds sur Terre. Heaven n’avait pas retenu les mots prononcés par les juges, par les témoins. Elle savait simplement que son père avait confessé. Qu’un silence de mort s’était installé dans la salle, le temps que chacun digère la nouvelle. Et, sa mère, en train de marcher en face d’elle, avait vu ses épaules s’affaisser pour les premières fois de sa vie. Les journalistes s’en prenaient à elle aussi. Heaven pouvait facilement distinguer leurs questions. Kathleen ne parvenait plus à demeurer impassible ; cela était la première fois que sa fille la voyait dans un tel état de panique. La gorge d’Heaven se serra tandis qu’elle continuait d’avancer. « Votre mari vous avait-il… – Lady Kathleen ! – L’avez-vous un jour soupçonné de… – Madame Howard-Clark, donnez-nous vos… » Un journaliste attrapa le bras de Kathleen et, d’un coup sec, celle-ci tenta de s’en défaire sans succès. Heaven observa la scène en silence avant de se rendre compte que la prise du reporter se faisait plus assurée ; sans réellement réfléchir, elle s’avança, furibonde, avant de poser sa main sur son torse. « Lâchez-la, » marmonna-t-elle. Il l’observa sans détacher ses doigts du poignet de Kathleen. Il se fichait guère de ce qu’une gamine pouvait bien lui demander ; insistant, il tira sur le bras de sa mère pour la forcer à cesser de s’avancer et plantant son regard dans le sien. « Madame, avez-vous une quelconque remarque à nous faire à propos… – Lâchez-la, » répéta Heaven. Kathleen connaissait cette insolence. Ce ton. Surprise, elle observa sa fille juste avant que celle-ci ne vienne frapper le journaliste au visage, ne répondant plus de ses actes ; il y eut comme un silence de mort autour d’eux, lorsque les autres se rendirent compte de ce qu’il venait de se passer. Mais, à vrai dire, Heaven s’en fichait. Elle avait passé une existence entière à se ficher de l’apparence qu’elle pouvait bien avoir aux yeux des autres et elle se répétait, avec une certaine ferveur, que cela ne risquait pas de changer pour une poignée de journaliste. « Ne vous approchez plus d’elle. » Son ton était cinglant, comme lorsqu’elle s’était amusée à défier ses parents avec vigueur en étant plus jeune ; Kathleen, muette, se laissa entrainée parmi la foule par sa benjamine. Elle était étonnée, oui. A vrai dire, même Heaven était elle-même étonnée par ses propres gestes. Mais elle ne supportait pas l’injustice. Quelle qu’elle soit. Surtout pas en cet instant où son père venait d’être incarcéré pour meurtre, salissant à jamais le nom Howard-Clark.
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(2011) ✻✻✻ « Fan de mode ? » Heaven tourna la tête vers l’homme installé à ses côtés, dans la salle d’attente du psychiatre que sa mère lui avait recommandé. Elle esquissa un léger sourire avant d’hausser les épaules, tournant une page du Vogue qu’elle tenait dans les mains. Il s’était écoulé deux mois depuis l’affaire Howard-Clark. Cela avait suffi aux journaux pour passer à autre chose ; cependant, son nom de famille était encore bien trop frais dans l’esprit des autres pour qu’Heaven puisse espérer retrouver une existence normale. Elle avait toujours détesté son nom de famille. Il avait toujours fait référence à cette noblesse que les autres pouvaient soit dénigrer, soit admirer. Désormais, il était celui d’un assassin. D’un tueur en série. Elle avait l’impression de vivre avec l’ombre de son père. Ce père qu’elle n’avait jamais réellement connu. « Crois-moi, tu ne veux pas me lancer sur le sujet, » répondit-elle, amusée. Le jeune homme se mit à rire. « J’éviterai, alors, » répondit-il. Heaven se surprit à le détailler. Il était séduisant malgré l’ombre triste qui vivait au fond de son regard ; puis, finalement, elle se rappela qu’elle était dans la salle d’attente d’un psychiatre et elle comprit que cela était sans doute normal. Elle était chez les fous, après tout. « Voilà qui est avisé, rajouta-t-elle pour avoir le dernier mot avant de se tourner complètement vers lui. Qu’est-ce que tu fais là, toi ? » Un sourire flotta sur ses lèvres. « Je ne le dis que si tu me dis pourquoi tu es là aussi. – Je m’appelle Heaven Howard-Clark, » répondit-elle après un instant d’hésitation. Il fronça les sourcils, surprit. Il se redressa sur son siège afin de correctement l’observer, et finit par reprendre la parole au bout d’une poignée de minutes. « Comme l’affaire Howard-Clark ? – C’est ça. Il s’agissait de mon père. Pourquoi tu es là, toi ? – Ils ont peur que tu finisses comme lui ? » Heaven eut un sourire. Cela avait été ce qu’elle avait pensé, durant un moment. Elle avait été persuadée que si son père était ainsi, cela voulait également dire qu’elle était comme lui. Qu’une chose n’allait pas dans son esprit. Mais elle avait fini par se détacher de cette idée. Elle n’avait jamais réellement été une réelle Howard-Clark, après tout. Juste une erreur. « Non, répondit-elle en haussant les épaules. Ils estiment simplement que j’avais besoin d’un soutien psychologique après tout le bruit que cela a bien pu faire. » Le jeune homme hocha la tête comme si cela était une réponse suffisante. « J’ai fait plusieurs tentatives de suicide. – Oh. – Ne me regarde pas comme ça, dit-il en souriant légèrement, les yeux fuyants. C’est derrière moi. Mais j’imagine qu’ils ne sont pas tous d’accord avec moi. » Heaven esquissa un sourire en l’observant. Maintenant qu’il lui disait cela, elle pouvait distinguer une trace de brulure dans son cou témoignant de la corde à laquelle il avait sans doute voulu se pendre quelques semaines auparavant. Ses manches descendaient bien sur ses poignets, dissimulant, peut-être, des cicatrices qui ne partiraient jamais réellement. « Généralement, les autres aiment bien nous dire comment on est censé se sentir, » lui répondit-elle avec entrain. Il se mit à rire. « Je ne peux qu’approuver ce que tu viens de dire. » Peut-être était-il comme lui. A vrai dire, Heaven n’en savait rien ; elle avait passé des mois à tenter de se détacher de cet être qu’elle avait toujours été. Elle refusait encore catégoriquement la vie que sa mère voulait qu’elle ait mais, avec le temps, avec les épreuves, elle était devenue plus douce, plus docile. Elle n’explosait pas dans mille et une colère mais se contentait d’observer sa mère d’un œil perçant en lui faisant comprendre que, non, elle ne voulait pas de tout ce qu’elle lui donnait. Elle s’y prenait sans doute mieux. A vrai dire, Heaven n’en savait rien. « Je m’appelle Heaven, lâcha-t-elle après un silence. – Enchanté, Heaven, lui répondit l’homme à ses côtés, et elle le vit sourire. Je trouve que ça te va très bien. – Tu es bien le premier à me le dire. » Il rit une nouvelle fois et Heaven sentit son cœur rater un battement. « Et je suis sans doute celui à avoir raison, répliqua-t-il doucement. Je m’appelle Caleb. » Deux semaines plus tard, ils se mettaient ensemble. Peut-être sa vie était-elle réellement à Londres, après tout.
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(2015) ✻✻✻ « Tu as changé, tu sais. Beaucoup plus que je l’imaginais. » Heaven leva les yeux au ciel tout en continuant de pousser le fauteuil roulant de son frère. Son regard croisa les branches des plus hauts chênes qui se trouvaient dans l’Hyde Park, et une foule de souvenirs vint se bousculer dans sa mémoire. Des cris d’enfance, des partis de cache-cache, une mère qui vous hurle de me pas vous roulez dans l’herbe pour ne pas faire de traces sur vos beaux habits du dimanche. Un père silencieux. Un père qu’elle ne connaissait pas réellement. Lentement, Heaven reporta son attention sur Zacharie. « C’est les cheveux. C’est la première fois depuis des années que tu ne me vois pas changé de couleurs tous les deux jours, répliqua-t-elle, taquine. – Mais bien sûr ! » Heaven esquissa un sourire, puis continua son chemin. Début janvier 2015. Il s’était écoulé plusieurs années depuis l’affaire Howard-Clark et, pourtant, elle avait encore l’impression que cela était hier. Entre temps, elle avait eu le temps de changer. D’avancer. De continuer. Elle avait poursuivi ses études de journalisme, excellent dans la matière, devenant même bloggeuse mode sur le net en plus de tous les papiers qu’on lui demandait d’écrire. Elle était dans sa dernière année. Et, pour la première fois de sa vie, elle était si proche du but qu’elle en était presque fière d’elle. Elle avait profité de l’inter semestre pour faire ses affaires et se rendre à Oxford, sa ville natale, afin d’y retrouver son grand frère Zacharie. Cela lui avait fait vraiment bizarre de le voir coincé dans un fauteuil, condamné à dépendre des autres et à rester non loin des parents Howard-Clark au cas où. En un accident de ski, il avait tout perdu. Heaven ne comptait même plus le nombre de fois où son cœur s’était serré quand elle se souvenait, une nouvelle fois, que son frère était tétraplégique… Il ne pouvait plus jouer de musique. Il ne pouvait plus rien faire. La réalité était toujours dure. Malgré les années. Elle avait eu de nombreuses occasions de s’en rendre compte. Le pire dans tout cela était qu’elle pensait bien plus souvent à Zacharie qu’à son père. Qu’elle se souciait bien plus de lui que de leur géniteur. Avec le temps, Heaven avait appris à installer une certaine distance entre elle et les évènements ; elle avait cessé de se formaliser des lettres qu’on pouvait lui envoyer, des commentaires que l’on pouvait poster sur son blog. Elle gardait la tête haute. Elle avait compris, d’une certaine manière. Elle avait compris la portée même de son nom de famille. Elle avait compris ce que cela était d’être une Howard-Clark. « Qu’est-ce que tu comptes faire après la remise des diplômes ? » Heaven revint sur Terre. Son regard se fit songeur, avant que l’ombre d’un sourire ne s’esquisse sur ses lèvres. « J’en ai strictement aucune idée. » Zacharie soupira, puis Heaven l’arrêta près d’un banc où elle prit place, juste à côté de lui. Le regard bleu de son frère la transperçait presque, alors qu’il essayait de deviner ses pensées les plus profondes. Ils n’avaient jamais été très proches. C’était encore vrai aujourd’hui. Cependant, ils étaient plus grands, plus matures. « Et concrètement ça veut dire quoi ? – Ca veut dire que ta sœur est toujours aussi paumée qu’auparavant, malgré les apparences. – Je pensais que tu voulais écrire pour un magazine de mode ? – Oui, c’était ce que je comptais faire… Et ce que je compte toujours faire, d’ailleurs. Mais, sincèrement, Zach, qui engagerait une Howard-Clark désormais ? » Son nom de famille. Zacharie l’observa avec intensité avant d’acquiescer imperceptiblement de la tête ; il savait qu’elle avait raison. Il savait que, désormais, leur nom de famille était celui d’un assassin. D’un tueur. Ils demeurèrent tous les deux silencieux ; Heaven observa les personnes se mouvant autour d’eux. Elle ne pouvait pas leur en vouloir. Elle savait qu’elle ne le pouvait pas. Et, pourtant, tout cela la révoltait. Elle avait toujours eu la rébellion dans le sang, d’une certaine manière ; toutes ces choses lui donnaient envie d’hurler, de frapper, et si elle était bien plus contenue désormais, elle savait pertinemment que cela n’était qu’une question de temps avant qu’elle n’explose réellement. Elle avait toujours refusé que son nom de famille définisse ce qu’elle était. Pourquoi fallait-il, désormais, que cela soit le cas ? « Caleb est à New York. – Quand est-ce qu’il revient ? – Oh, d’ici deux semaines, je pense. Tu sais, il n’a jamais de date de retour quand il y va. » Zacharie hocha la tête. « Ca m’a toujours fait rire que ton copain fasse des allers-retours comme ça avec cette ville que tu t’es appliquée à fuir. » Heaven esquissa un sourire malgré elle. L’ironie de cette situation lui rappelait bien trop de choses amères. Elle haussa doucement les épaules. « Andrew pense la même chose. Mère, elle, fait plutôt une fixation sur le fait qu’il a longtemps été considéré comme étant dépressif suicidaire. » Mais l’avis de sa mère n’avait jamais réellement compté, après tout. Elle prit les mains de Zacharie entre ses paumes, avec précaution, toujours aussi touchée qu’elles soient inertes. Elle était plus mure, plus posée. Elle continuait à être à la limite de l’hyperactivité, avait toujours ce petit grain qui la rendait si à part. Heaven vivait toujours dans son monde, tout rose, mais une touche de sombre avait fini par hanter son regard. Elle s’était remise du décès de Riley. Elle avait fini par cesser de trop penser à son père. Elle avait définitivement tourné la page, mais au prix de son insouciance. Elle était toujours la même, mais si différente sur le fond. Mais autant dire qu’elle continuait à faire une multitude de conneries sans s’en rendre compte. Personne ne pourrait jamais la changer complètement. « Ca fait un moment que vous êtes ensemble, tous les deux. » Heaven haussa les épaules. « Trois ans. – C’est beaucoup. » Elle eut un sourire paisible. « Sans doute. Je n’ai pas vu le temps passer. » Zacharie sourit à son tour. C’était ainsi, désormais. Elle ne voyait pas le temps passer et, pourtant, il filait entre ses doigts. Elle avait tant vu. Tant vécu. Le temps de répit que le destin lui offrait était comme un cadeau venu du ciel. Mais, au fond d’elle-même, Heaven savait que rien n’était fait pour durer. Rien. Absolument rien.
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:48 par Invité
preums
edit: OH MY GOD HEAVEN comme je suis heureuse que tu reprennes ce personnage, t'as pas idée en plus y'a trop moyen qu'on se trouve un lien de fou avec Scar BREF REBIENVENUE T'ES BELLE JE T'AIME
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:49 par Invité
dkljhskdjhfgkjsdhg.
Re bienvenuuue
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(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 13:51 par Invité
... OMG SIX POSTS EST-CE QUE TU ES SERIEUSE xDDD
Tu me tue Jilly, mais rebienvenuuuuue :trio:
Etlien fjghksdjhfgd *_*
Alycia Hemsworth
growing strong
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» Schizophrénie : jamie & gabrielle
(✰) message posté Dim 25 Jan 2015 - 14:19 par Alycia Hemsworth
OMG MA HEAVEN . Je suis perturbée du nouveau nouveau de famille cela dit . MAIS HEAVEN QUOI (t'imagine pas, le coup de nostalgie d'un coup là ).