Jamie → what about now ?

Il est 20h passé quand Jamie rentre enfin chez lui, toute la fatigue de la journée accumulée sur ses épaules. Il n'est pas étonné de trouver l'appartement vide, Briony lui a dit qu'elle avait un repas avec ses collègues le soir-même. Du moins, c'est ce qu'il a cru comprendre avant de partir en coup de vent le matin. C'est à peine s'il a pris le temps de l'embrasser et de lui souhaiter une bonne journée. Son retard lui a même fait oublier son ordinateur portable, outil essentiel de travail normalement. Si elle l'a remarqué, il craignait le pire. Car il n'avait aucune excuse à lui fournir.

Il regarde les courriers à son nom qu'il a pris dans la boîte aux lettres. Ironie du sort, la première est sa fiche de paye. C'est à peine s'il daigne l'ouvrir, sachant pertinemment le salaire qu'il va y trouver. Une misère, comparé à ce qu'il gagnait avant. Il faut dire qu'il l'a cherché, même s'il ne l'admettra jamais. Il a fichu sa carrière en l'air tout seul, comme un grand. Il était pourtant prometteur. Sorti diplômé de l'université, il n'avait jamais eu de mal à se trouver un travail. Il avait misé sur le domaine bancaire, s'y était vite fait sa place malgré son jeune âge. Au bout de quelques années, il s'était vu confier quelques gros clients. Il en allait de l'intérêt de l'agence, de prendre soin d'eux. Mais Jamie, il était irréprochable, compétent et digne de confiance. Jusqu'à la faute professionnelle, énorme, monstrueuse, qui l'a fait virer clair et net. Il y a eu besoin d'arrangements, de supplications et de concessions pour qu'il échappe à la prison. Pour ne pas entacher sa réputation, la banque a pris sur elle pour l'amende. Ce qui est certain, c'est qu'après une histoire pareil, le jeune Cosgrove n'est plus le bienvenu nul part quand il s'agit de toucher au moindre pence. Personne ne veut engager un type qui a détourné de l'argent, qu'il ait eu ses raisons ou non. Il a beau essayer, Jamie n'arrive pas à l'accepter. Ce n'est pas de sa faute, mais à celle de son sens aiguisé de la justice. Mais il n'est pas Robin des Bois, pas un super-héros qu'on applaudit. On le regarde juste avec un certain mépris quand il se présente pour un emploi, n'importe quoi. Son désormais casier judiciaire est une parfaite excuse pour lui offrir un salaire ridicule. Il accumule alors les heures quand on veut bien de lui, il part tôt, rentre tard, s'épuise comme un beau diable, au détriment du reste.

La raison, elle est dans l'enveloppe suivante. Le centre psychiatrique un peu à l'écart d'Oxford tient à lui rappeler ses dettes, par rapport à leur patiente. La mère de Jamie. C'est un sujet sensible chez lui, et il n'aime pas en parler. Sa mère est folle, littéralement. Cela fait des années que cela dure, une sorte de schizophrénie aggravée. Le diagnostique est tombé quand lui était adolescent. Il a retrouvé sa mère, pleine de sang, recroquevillée dans la cuisine à marmonner des choses incompréhensibles. Il a été traumatisé, oui. Mais il l'a aidée, lui a fait couler un bain et l'y a menée. Il n'a jamais voulu savoir d'où venait ce sang. Dans les mois qui suivirent, d'autres scènes inquiétantes suivirent. Des excès de violence, des élans suicidaires, de la démence. Les événements ont fait que en grandissant, Jamie a laissé sa mère avec son père et sa petite sœur. Il savait par leur biais ce qu'il se passait, lui venait le plus souvent possible la voir pour ne pas qu'elle perde pieds. Elle était malade, ils le savaient tous. Et quand Jamie s'acharnait à leur dire de la mettre dans un centre spécialisé, personne ne l'écoutait. Puis, il y a eu ce jour où elle a tenté de s'en prendre à la vie de sa propre fille. C'était il y a quelques mois. Il a reçu l'appel furieux de son paternel, entendait les sanglots de sa sœur en arrière-plan. Le fond du problème est né ici : le patriarche a organisé le divorce, a fait de son mieux pour tout enlever à celle qui avait été sa femme, la mettant de ce fait à la rue, un compte en banque vide, et malade.
Jamie n'a jamais pu l'accepter, et c'est ce qui a mené à sa propre perte. Ce comportement, il n'a pas réussi à faire avec. Alors, il s'est chargé lui de mettre sa mère dans ce centre psychiatrique, aux frais de son père dont il détournait allègrement l'argent. Ce cirque a duré trois mois avant que monsieur Cosgrove ne s'en aperçoive. « La bonne cause » n'a été une excuse valable pour personne, excepté lui.

Il prend la dernière lettre dont il reconnaît l'écriture. C'est la seule qu'il prend plaisir à ouvrir. En guerre contre son père, une mère folle, il se demande comment il ferait parfois sans sa petite sœur. Mais malgré tout, ils ne se voient pas beaucoup. Elle est attachée à leur paternel, et cela reste un sujet conflictuel sur toute la ligne. La lettre est vague, comme leur relation. Elle lui parle de ses études, sa vie étudiante, ses projets de vacances pour Noël. Elle ne prévoit pas de venir. Elle ne l'invite pas non plus. Elle semble presque penser que leur fraternité est moins mise à l'épreuve par quelques mots couchés sur le papier plutôt que par une confrontation en face à face. Il arrive tristement à s'en contenter.

Le reste du contenu de la boîte aux lettres n'est que publicités en tout genre, passant par les réductions sur l'électroménager du supermarché du coin aux catalogues de jouets. Il s'attarde un peu sur ce dernier, mais finit par le rouler en boule, à temps car il entend le bruit de la serrure. Il va balancer ce ramassis inintéressant à la poubelle puis revient à temps pour voir sa femme entrer, poser son sac et enlever ses chaussures. Malgré tout ce qui lui tombe sur le dos en ce moment, il arrive à lui sourire. Il l'aime, Briony. C'est un fait. Même s'il ne lui accorde pas le temps qu'elle mériterait, abrège trop souvent les discussions pour aller dormir, n'est pas réceptif à ses câlineries, il l'aime. Cela n'a jamais cessé depuis le jour où elle lui est tombée dessus à l'université, elle et son caractère bien trempé. « Ça s'est bien passé ? » Il le lui demande, embrasse son front, et malgré tout craint la discussion. Car il sait inévitablement sur quoi cela va porter : son envie d'enfants. Il n'a rien contre les enfants, et quelques mois plus tôt, il aurait accepté. Mais il en était à un stade où il était à peine capable de s'occuper de sa femme, d'eux deux. Alors un bébé ? Ça attendrait. « Je vais me doucher. » dit-il simplement avant de fuir.

Comme d'habitude.