Le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé.
"Maman ?". J'ai cinq ans à l'époque. Ma mère est dans la cuisine, préparant mon gâteau au chocolat préféré. Papa lui, il est au travail, il ne rentrera que le soir venu. Ma mère lève la tête de sa préparation et me lance un sourire tendre avant d'ouvrir la bouche.
"Oui, mon cœur ?". Je ne sais pas comment dire ça. Alors, je plisse les lèvres. Je mets du temps à trouver les mots et ma mère s'en rend compte. Elle fronce les sourcils et attend.
"A l'école, y a Ben qui a dit que papa et toi vous étiez pas mon vrai papa et ma vraie maman...", que je finis par lancer, me grattant la joue. Cette histoire me pollue l'esprit. Ben est un sale gosse qui passe son temps à taquiner les autres. Mais cette fois-ci, il a su éveiller ma curiosité. Ma mère lâche la cuillère en bois qu'elle tient de sa main droite et je vois les traits de son visage se crisper. Je suis assez précoce comme enfant. Surement aurait-elle voulu que cette question soit posée plus tard ? Ou lorsque mon papa est là ? Pourtant, elle sait qu'elle doit me donner une réponse.
"Bien sûr que nous sommes tes vrais parents !", lâche-t-elle avant d'abandonner sa préparation et contourner l'îlot central de la cuisine pour venir à mes côtés. Elle s'agenouille devant moi et pose ses deux mains sur mes frêles épaules. Son regard transperce le mien et je crois que je ne l'ai jamais vu aussi honnête que ce jour là.
"Mais tu as aussi un autre papa et une autre maman, ailleurs... C'est pour ça que tu n'es pas blonde comme moi, ou que tu n'as pas les yeux bleus comme papa !". Je ne comprends pas, je fronce les sourcils et je n'ai même pas le temps d'ouvrir la bouche que ma maman reprend.
"Tes autres parents ne pouvaient pas s'occuper de toi, alors, ils t'ont confié à nous... Peut-être que tu ne nous ressembles pas physiquement, mon coeur, mais nous t'aimons. De tout notre coeur. On remercie le ciel chaque jour de t'avoir dans nos vies. Tu es notre fille et nous sommes tes parents. Point.". C'est une belle manière de voir les choses et si je ne comprends pas tout sur l'instant, ça semble me suffire. Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai véritablement compris le sens de ses paroles. Mes parents m'avaient adopté. J'avais également découvert que ma mère biologique avait quitté la Corée du Nord, risquant sa vie pour passer la frontière, pour m'offrir une vie meilleure. Elle m'a abandonné dans un orphelinat Sud Coréen, surement à cause de la précarité de sa vie ne lui permettant pas de me garder avec elle, et les Bradshaw m'ont adopté. J'avais six mois. Je ne sais pas qui est ma mère, elle n'a rien laissé derrière elle, encore moins qui est mon père... Mais je crois que je n'en ai jamais ressenti un quelconque manque. Les Bradshaw sont ma famille et je n'aurais pu rêver d'une meilleure enfance.
Une crème fouettée n’est pas une crème fouettée tant qu’elle n’est pas fouettée avec un fouet, tout le monde sait ça.
"Pssst, Gigi !". J'ouvre un œil, puis l'autre... La pièce est plongée dans le noir et mes iris mettent quelques secondes avant de s'habituer à la noirceur. Je finis par reconnaître un visage, juste à côté du mien et je fronce immédiatement les sourcils, inquiète.
"Lin ? Qu'est-ce que tu fais là ? Ça va ? Tu dors pas ?". Elle fronce son petit nez et baisse la tête, honteuse.
"J'ai fait un cauchemar...". Je plisse les lèvres quelques courtes secondes avant de me décaler un peu, ouvrant la couverture qui recouvre mon corps devant moi.
"Allez, viens t'allonger à côté de moi...". Je sais que lorsque papa et maman découvriront que Linaëlle a, une fois de plus, dormi avec moi cette nuit, ils ne seront pas contents, mais peu importe. Ma petite sœur relève immédiatement son visage d'ange et un énorme sourire illumine ses lèvres. Elle ne se fait pas prier pour monter sur mon lit et une fois allongée contre moi, je rabats la couverture sur nos deux corps. Le lit n'est pas bien large, mais c'est suffisant. Le dos de ma petite sœur est plaqué contre ma poitrine et j'enroule mes bras autour de son frêle corps, la maintenant contre moi. On reste là, allongées en silence et pourtant, je sais qu'elle ne dort pas, sa respiration est bien trop calme.
"Papa va pas être content", déclare Lin, de sa voix fluette d'enfant. L'une de mes mains vient caresser ses cheveux or et je mets de longues secondes avant de répondre.
"C'est pas grave...". Et non, ça ne l'est pas. Parce que même si mes parents n'apprécient pas que Lin ait pris l'habitude de dormir avec moi, ils sont fiers du lien qui nous unie. Linaëlle est ma petite sœur. Peut-être pas biologiquement, mais pour moi, c'est tout comme. Nos six années d'écart ne me dérangent pas. Au contraire, ça me permet de mieux la protéger. Lin, c'est mon petit trésor, la personne la plus importante dans ma vie...
J’ai couché avec toi, car tu m’avais bourrée au panaché et que je me sentais grosse ce jour là.
"Hey Gipsy, un ptit mot pour le journal de l'école ?". Je sursaute, ne l'ayant pas vu venir. Jack est là, face à moi, son enregistreur pointé devant ma bouche. Il me regarde de ses grands yeux noisettes et je reste stoïque quelques instants.
"Euh... je sais pas...". Il me lance alors un sourire amical et tourne les talons, ne m'en tenant apparemment pas rigueur.
Au lycée, la vie est plutôt facile. J'ai de bonnes notes, mes professeurs sont fiers de moi, j'ai beaucoup d'amis autour de moi et je ne suis le souffre douleur de personne ! Mes amies disent que je suis l'une des rares "populaires" de l'établissement, mais je n'aime pas ce terme. Et puis, ça sert à quoi d'être populaire ? C'est idiot et puérile. Ma soeur elle, a un petit peu plus de mal à l'école. Ça me rend un peu mal à l'aise parce qu'à côté de ça, les parents sont fiers de ma réussite et je n'aime pas l'idée qu'ils soient plus avenants envers moi qu'envers Linaëlle...
"Tu devrais mettre la rose, elle est trop belle !". Je fronce les sourcils, me tournant légèrement pour poser mon regard sur Lin, allongée sur mon lit, fouillant dans ma trousse à maquillage. Je lâche un léger rire et me détourne une nouvelle fois pour poser mon regard sur l'intérieur de ma garde robe.
"Je vais pas aller à une fête habillée en rose, Lin ! Ils vont tous se foutre de moi !". Ma petite soeur lève les yeux au ciel et hausse ses petites épaules.
"Ils peuvent pas se moquer, ça sera toi la plus belle !". Je ne peux m'empêcher de sourire, attendrie par la déclaration de ma soeur... pas vraiment objective, mais naïvement sincère.
"J'crois que je vais mettre la noire. C'est bien le noir, ça amincie, ça va avec tout et c'est passe partout !". Je sors ma petite robe noire, achetée quelques mois plus tôt pour le mariage d'une cousine éloignée et la pose sur le lit, à côté de ma soeur.
"J'préfère la rose, moi !". Elle fait une petite moue et j'éclate de rire. Ma soeur est vraiment trop mignonne quand elle fait ça ! Elle continue de fouiller dans ma trousse à maquillage et je vois bien que tout ça l'intéresse. Mais elle est encore trop jeune. Maman refuse catégoriquement qu'elle se maquille, et elle n'a pas tord. Linaëlle est belle au naturel de toute façon... et puis elle n'est encore qu'une enfant. Pourtant, je vois bien dans son regard qu'elle n'attend qu'une seule chose : avoir l'âge pour commencer à se maquiller, mettre des talons et soutiens-gorge. J'étais pareille à son âge.
Si vous êtes de ceux qui pensent que la jeunesse d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était, et bien vous ne saviez pas ce que faisaient vos parents !
"Oh !". Pas le temps de réagir qu'une douleur vive se fait sentir au niveau de ma poitrine. Je lâche brusquement le livre que je tiens ouvert devant moi et mon regard se pose sur la tâche marron, sur mon t-shirt à l'effigie de mon université. Mon souffle se coupe, mes doigts se resserrent et je lâche un gémissement de douleur.
"J'suis vraiment vraiment vraiment désolé ! Putain quel con !", que j'entends et lorsque la douleur s'atténue un peu, mon regard se pose sur un jeune homme, d'environ mon âge, penché vers moi, l'air désolé. Il est plutôt mignon, je dois bien l'avouer, mais sur le coup, c'est pas vraiment sa beauté qui me frappe, mais plutôt le café qu'il vient de me renverser dessus.
"Ça va ? Vous avez mal ? Vous voulez que je vous emmène à l'hôpital ?". Je lâche un petit rire, la voix encore serrée par la douleur de la brûlure. J'attrape un mouchoir et tapote la tâche doucement.
"Non, non, ça va aller, merci.". J'crois que ça lui suffit pas, parce qu'il reste planté devant moi.
"J'suis vraiment le roi des cons, j'suis désolé, je regardais pas où j'allais ! Votre t-shirt est ruiné à cause de moi...". Il n'a pas tord, mais en même temps ce t-shirt n'a aucune valeur sentimentale. Il n'est même pas beau. Alors, je finis par relever le visage vers lui, haussant les épaules.
"C'est pas une grosse perte, de toute façon...", que je lâche avec un sourire... Auquel il me répond. Y a pas à dire, il est vraiment mignon, si bien que je sens mes joues prendre feu.
"Laissez-moi vous offrir un café, pour me faire pardonner... Enfin, un vrai café dans une vraie tasse et pas renversé sur votre t-shirt !". Je lâche un petit rire et... finis par accepter.
"Au fait, je m'appelle Ethan... Ethan Lawford.".
The greatest thing you’ll ever learn is just to love and be loved in return.
"Allez au lit !". Je ris aux éclats lorsqu'Ethan me jette sur le lit, délassant les lacets de ses chaussures par la suite. Les yeux pleins d'étoiles, je relève ma main au niveau de mon visage et observe la bague qui trône sur l'un de mes doigts. Un bel anneau en or, preuve de notre amour.
"Elle est trop belle...", que je lance, incapable de lâcher mon alliance du regard. Soudain, je sens le matelas s'affaisser et le regard de mon mari se poser sur moi.
"Pas autant que toi...". Je pouffe de rire et tourne la tête pour regarder Ethan, encore vêtu de son costume. Il est tard, la fête a duré longtemps, les gens se sont amusés, je crois et cette journée a été riche en émotions, mais peu importe. Lui comme moi ne voulons pas dormir. Il me lance un sourire auquel je réponds immédiatement et l'un de ses bras se pose sur ma hanche, encore couverte de ma robe de mariée.
"Alors, ça fait quoi d'être devenue madame Lawford ?". Mon coeur s'agite à l'entente de ses paroles. On est mariés. Ça me semble encore irréel.
"Bradshaw-Lawford, s'il te plaît !". C'est à son tour de rire et je le sens se rapprocher un peu plus, son souffle balayant mon visage. J'dois être horrible. Ma coiffure part dans tous les sens, mon maquillage a dû couler... Mais l’étincelle dans le regard de mon mari me prouve que c'est tout le contraire.
"C'est juste un détail...", qu'il me lance, ses lèvres frôlant les miennes. Je crève d'envie qu'il m'embrasse mais ne bouge pas et reste silencieuse. Nous sommes seuls... Enfin ! J'ai aimé mon mariage, voir mes proches et ma famille, célébrer notre union... mais être seule avec Ethan... c'est la meilleure partie de la journée.
"Je t'aime", me souffle-t-il et je n'ai même pas le temps de répondre que ses lèvres se posent sur les miennes.
J’aurais jamais cru qu’on pouvait se faire du mal en s’aimant trop. Mais peut être que si.
"J'suis rentré !", que j'entends au loin, sans pour autant bouger de la salle de bain où j'ai élu domicile de longues minutes auparavant. Ou peut-être heures ? J'ai perdu la notion du temps.
"Gipsy ?". Je l'entends monter les escaliers, ouvrir la porte de la chambre... pour enfin pousser la porte de la salle de bain et que son regard se pose sur moi, là, assise sur la cuvette fermée des toilettes.
"T'es toute pâle... ça va ?". Je me gratte la joue, j'ai peur de parler tant je ne fais pas confiance à ma voix à cet instant précis. Mon regard remonte vers le visage d'Ethan et l'inquiétude que je perçois dans ses iris me donne la force de me lever et de parler.
"J'suis enceinte !", que je balance, le sourire aux lèvres. Ça fait un an qu'on attend ça. Une longue année à essayer et ne pas arriver à tomber enceinte. Les médecins ne me trouvaient aucuns problèmes d'ordres physiques.
Ça arrive, me disaient-ils. Il fallait du temps. Et enfin, après de longs mois d'attente et d'incertitude, je suis enceinte.
"Qu... Com... Hei....". Il perd ses mots et je crois que c'est la toute première fois que je le vois dans un état pareil. Ethan met cinq bonnes secondes à réagir et, enfin, un sourire radieux illumine son visage. Je ne peux m'empêcher d'en faire de même et il s'approche rapidement de moi, entourant mon corps de ses bras musclés. J'ai presque envie de pleurer tant je suis heureuse.
"On va être parents", me souffle-t-il à l'oreille, comme pour s'en persuader lui-même.
"Je vais être papa...", continue-t-il, alors que je glisse l'une de mes mains dans ses cheveux bruns. Je sens ses lèvres se poser dans le creux de mon cou, sur l'arrête de ma mâchoire. Enfin, son visage s'éloigne et ses lèvres se posent brusquement sur les miennes. Je ferme les yeux et souris contre ses lippes, laissant échapper un rire lorsqu'il me soulève du sol froid de la pièce pour me faire tourner avec lui. Cet instant est parfait.
J’aurais jamais cru qu’on pouvait se faire du mal en s’aimant trop. Mais peut être que si.
"Tu veux une autre part de gâteau ?". Mon fils s'agite sur sa chaise et répond positivement. Je suis adossée à l'encadrement de la porte donnant dans la cuisine de la maison de mes parents, observant la scène avec attention. Ma mère sourit de toutes ses dents, posant une assiette devant mon fils, qui commence à dévorer sa portion de gâteau au chocolat.
"Il est aussi gourmand que toi quand t'étais petite !", me lance ma mère, visiblement heureuse de passer du temps avec son petit-fils. Je lâche un léger rire, les bras croisés sur ma poitrine. Ethan discute avec mon père dans le salon. La dernière fois que je m'y suis rendue, ils parlaient football. Autant vous dire que je suis vite partie.
"Tu devrais l'appeler.", que je sors de nul part. Je déteste cette situation. Je la déteste vraiment et ma mère le sait pertinemment.
"Non.". Ça a le mérite d'être clair et je me fais violence pour ne pas hausser le ton, ne voulant pas effrayer Milo.
"Tu penses pas que c'est stupide de la renier juste parce qu'elle est amoureuse d'un mec plus vieux qu'elle ?". Je perds un peu mon sang froid, mais cette situation est absurde. Linaëlle est grande. Elle peut se mettre en couple avec qui elle veut, non ? Mais non, mes parents ne comprennent pas ça et préfèrent renier leur fille. C'est stupide.
"C'est pour son bien ! Le jour où elle comprendra que ce type n'est pas fait pour elle, elle pourra revenir !". Je soupire, cette histoire me donne la migraine.
"Pour son bien ? C'est la meilleure !". Milo me regarde, les sourcils froncés. Il a bien conscience que quelque chose ne va pas et je souffle un bon coup pour tenter de me détendre. Linaëlle ne parle plus à nos parents. Ou c'est plutôt le contraire. Elle a habité quelques temps à la maison, mais c'était pas facile à gérer avec un gosse en bas âge. Du coup, elle a fini par vivre avec son mec... mes parents étant de moins en moins contents.
"Ecoute Gipsy, on passe un bon dimanche en famille là, alors gâche pas tout...". Je plisse les lèvres, m'approchant de mon fils pour lui essuyer la bouche avec un morceau de papier.
"Tu trouves ça normal de faire des repas de famille sans Lin, toi ?". Et après un soupire, ma mère sort de la pièce sans un mot. Suis-je allée trop loin ? Non. Vraiment pas.