Pour une fois qu’il faisait beau à Londres, j’étais bien décidé à rendre une petite visite à Eugenia. Jolie brunette, victime d’un accident, qui l’a condamné à rester en fauteuil jusqu’à une date indéterminée. J’avais entendu parler de la jeune femme par un ami travaillant à l’hôpital. C’est lui qui m’a donné envie de l’aider. Dans ce genre de situation, deux choses sont importantes : L’espoir et la volonté. L’envie de ne pas laisser tomber, de progresser était là, je le savais. Alors, moi, je m’occupais de lui redonner un peu d’espoir, de lui montrer coûte que coûte qu’elle pouvait encore faire du sport, que sa vie n’était pas terminée et que même si son état s’éterniserait, elle avait moyen de faire énormément de choses. Je ne comptais plus le nombre de fois où Eugenia m’avait envoyée paître. Persuadée qu’elle pouvait y arriver seule, qu’elle n’avait besoin de personne pour réussir. Sauf que non, elle était handicapée. Les faits étaient là, aussi difficiles à admettre. Pourtant, au fond de moi, je savais que si j’étais à sa place, j’aurais réagi de la même manière. Parce que perdre l’usage de ses jambes alors qu’on n’était même pas au quart de notre vie… C’était bien trop dur. Trop compliqué. Je sortais de mon immeuble et me dirigeai vers le sien d’un pas décidé. Mademoiselle allait prendre l’air, foi de Jasper Orwell. Si je me souvenais bien, elle habitait au rez-de-chaussée. Question pratique. Je sonnai à la porte en attendant que quelqu’un daigne m’ouvrir. Après tout, si la jeune femme était à l’autre bout de l’appartement, j’avais le temps. J’aurais bien aimé l’aider sauf que la porte était fermée. J’espérais juste qu’elle n’était pas coincée quelque part… Mon inquiétude se dissipa rapidement quand je vis la poignée de la porte s’ouvrir et qu’elle apparut dans mon champ de vision. « Surprise ! Il fait beau dehors alors que je me suis dit que ce serait dommage que tu ne profites pas du soleil et que tu restes enfermée dans ton appart, aussi beau soit-il. Alors partante pour aller au parc ? »
J’étais prêt à attendre très longtemps avant qu’elle se décide. Ça ne me dérangeait pas du tout. J’étais déterminé à l’embarquer avec moi pour une balade et lui remonter le moral par rapport à ses tentatives infructueuses. Même si notre relation se limitait dans le cadre professionnel, je n’étais pas du genre à laisser mes clients en pleine déprime ou ce genre de choses. C’était impossible d’arriver à quelque chose si l’humeur ne suivait pas. Une perte de temps. Après, un instant d’hésitation, la brunette se décida à me suivre. Sur le chemin qui menait au parc, je n’hésitai pas à virer tous les obstacles de sa route. A croire que l’idée de faciliter la vie aux handicapés ne venait à l’esprit de personne. C’était trop compliqué de faire don de soi, peut-être ? « Globalement, t’as l’impression que ta rééducation te sert vraiment à quelque chose ou pas ? » Je voulais m’assurer qu’elle n’était pas au bord du gouffre ou du désespoir concernant ses progrès. Ça mettrait à mal l’objectif que je m’étais fixé, sinon. On arriva assez rapidement au parc. Il y avait des gens par-ci, par-là mais, rien de très ennuyant. Je me tournai vers la jeune femme, tout en pensant à Scarlet au même moment. J’étais persuadée qu’Eugenia ignorait à quel point sa sœur semblait s’inquiéter sincèrement de son état et de cette fameuse rééducation qui ne semblait pas du tout fonctionner. Bien évidemment, je me doutais que c’était la culpabilité qui la faisait se sentir aussi concerné par les progrès de sa jumelle. N’empêche que ça n’enlevait rien au geste. « Dis-moi… Tu faisais quoi comme sport auparavant ? »
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J’avais simplement envie de reposer ma tête sur la table et m’assoupir. M’évader. Je poussai un profond soupir avant de bailler sans aucune gêne ; je finis par poser le crayon que je tenais dans ma main et m’étirer les bras. Un vague coup d’œil vers l’horloge de la cuisine m’indiqua que cela faisait exactement quarante-trois minutes que je travaillais sur mon devoir ; une part de ma conscience me chuchota que cela était inadmissible d’être si dissipée, tandis que l’autre partie me chuchoter que cela n’était pas bien grave. Qu’au pire je recommencerais l’année prochaine. Que, de toute manière, avec mes séances de rééducation et mon accident, j’avais déjà partie une trop grosse partie de l’année scolaire pour tenter de m’en sortir convenablement. Je finis par repousser mes livres, avant de plonger ma tête entre mes bras. Je fermai doucement les yeux. Je manquais de sommeil, oui. Sans doute beaucoup trop. Je pouvais facilement compter sur les doigts d’une main le nombre d’heures que je pouvais dormir par nuit ; j’étais également capable de donner une explication rationnelle à toutes les insomnies qui me maintenaient éveillée. J’avais peur de la nuit. J’avais peur de fermer les paupières. J’avais peur de mes souvenirs, de ces pensées qui se transformaient doucement en cauchemar. Alors, forcément, j’avais des terreurs nocturnes. Alors, forcément, en me retrouvant inlassablement coincée dans mon accident, je me réveillais en hurlant à m’en défaire les poumons. Je finis par me redresser, débloquant mon fauteuil roulant pour quitter la table où j’étais installée. Le pire, bien souvent, dans ces cauchemars, est que cela est sans doute les seules fois dans ma vie où je peux marcher. Courir. Mes songes m’offrent ce que je n’ai désormais plus ; pourtant, une partie de moi-même refuse de telles visions. J’avais l’impression qu’elles me faisaient bien plus de mal que nécessaire. J’avais l’impression qu’elles me blessaient par leur simple existence. Elles me rappelaient ce que c’était de courir. Elles me rappelaient ce que c’était de marcher. Alors, forcément, cela me faisait mal. J’étais sur le point de retourner dans ma chambre lorsque que j’entendis quelqu’un sonner à la porte de mon appartement. Je fronçai les sourcils, et hésitai durant un instant ; je n’avais pas envie de voir des personnes. Je n’avais pas envie d’affronter des visages. Pourtant, après une poignée de secondes à observer la pièce vide, je finis par faire rouler mon fauteuil jusqu’à la porte d’entrée, et l’ouvris doucement. Je découvris Jasper sur le pas de la porte, et je poussai un soupir, feignant le mécontentement. « Surprise ! Il fait beau dehors alors que je me suis dit que ce serait dommage que tu ne profites pas du soleil et que tu restes enfermée dans ton appart, aussi beau soit-il. Alors partante pour aller au parc ? » me lança-t-il. Je savais que je n’avais pas réellement le choix. Qu’il resterait sur le pas de ma porte jusqu’à ce que je daigne par l’accompagner. Je l’observai, le regard sombre, tentant de lui montrer à quel point il pouvait être enquiquinant, et finis par attraper une veste du bout des doigts. Les poignées de porte étaient peut-être à ma taille. Cependant, les portes manteaux, eux, étaient encore bien trop hauts. « Je crois que je n’ai pas le choix. » lui répondis-je d’une voix grinçante. « C’est mal de s’en prendre aux plus faibles. » Je plaisantai à moitié. Je passai ma veste sur mes épaules, avant de me sortir de mon appartement. Je lui tendis les clefs pour qu’il verrouille la porte – exploitant ainsi sa présence, la mince revanche que je pouvais avoir – et je le suivis dans la rue. Je détestais sortir. Je détestais le regard des autres sur moi, ce regard à mi-chemin entre la pitié et le rejet. Pourtant, j’étais là. Pourtant, j’avançais. J’étais intimement persuadée que Jasper ne se rendait pas compte de ce que cela me coutait, une telle escapade – je n’avais jamais été habituée aux autres et je ne souhaitais pas que cela arrive un jour. Peut-être croyait-il que j’étais simplement mal lunée ; mais, la vérité voulait que je sois une véritable asociale. Une fille incapable de supporter la présence des autres. « Globalement, t’as l’impression que ta rééducation te sert vraiment à quelque chose ou pas ? » finit-il par me demander, tandis que nous avancions dans les rues. « Dis-moi… Tu faisais quoi comme sport auparavant ? » J’esquissai un petit soupir, observant le trottoir. Il s’arrangeait pour me faire de la place ; je trouvais ça gentil de sa part, même si je n’en avais pas besoin. Au moins, il ne tenait pas à me pousser. Et d’une certaine manière, je lui en étais reconnaissante. « Les médecins disent que c’est encourageant. » lui répondis-je en haussant les épaules. « Je crois que cela veut dire que ça ne sert à rien, dans leur langage. Je ne réussis toujours pas à supporter mon propre poids. Je ne réussis pas à bouger. Je tombe. Mais je me relève. » Je refusais de ne plus essayer, de m’avouer vaincue. Je refusais de lâcher prise, de baisser les bras. Je pris une profonde inspiration. « Je courrais beaucoup, avant. Tous les matins. Ca me permettait de me défouler. » lui répondis-je. « Je faisais aussi de la danse classique… Et j’étais amatrice d’arts martiaux. C’est bête, hein ? Tout ça c’est fini. » Mon ton n’avait même pas été ironique, acide, amer. J’avais simplement prononcé mes paroles sur le ton de la conversation. J’avais fini par l’accepter, par aller de l’avant. J’avais fini par m’y faire, même si au fond, on n’accepte jamais réellement.
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(✰) message posté Dim 20 Avr 2014 - 2:59 par Invité
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Jasper & Eugenia
Mélange d’amertume, de frustration et de déception constante. Voilà les mots qui me venaient à l’esprit quand j’entendais parler Eugenia. Je sentais le découragement dans chacune de ses paroles. Elle était blasée. En même temps, je pouvais la comprendre. Avoir l’impression de stagner n’était pas à se sentir mieux. Seulement, je n’étais pas d’accord avec elle. La jeune femme était forte. Elle avait beau être condamné à passer sa vie dans un fauteuil roulant pendant un temps indéterminée, faire croire que tout ça ne servait à rien. Quelque part, au fond d’elle, j’étais persuadé qu’elle y croyait encore. Elle m’aurait claqué la porte quand je suis venu la chercher tout à l’heure. Or, elle a accepté de me suivre. De mauvaise grâce, certes mais, je ne pouvais m’empêcher de me dire que c’était une petite victoire pour moi. « Tu m’as dit tout à l’heure que c’était mal de s’en prendre aux plus faibles… Sauf que tu n’es pas faible, Eugenia. Tu as l’impression de l’être puisque tu es coincé dans ce fauteuil, puisque tout le monde dans ton entourage est aux petits soins avec toi… mais, crois-moi, tu es forte. La preuve, tu n’as toujours rien lâché. Certains auraient tout abandonné depuis belle lurette à se morfondre sur leurs sorts. Pas toi. » C’était sorti tout seul. Comme si les mots avaient eu envie de sortir sans ma permission, comme si je ressentais le besoin de vider mon sac à propos de sa situation. Si j’étais à sa place, j’aurais aimé qu’on me dise ça. Même si je n’y croyais pas. Savoir que quelqu’un pensait ça de moi me permettrait sûrement d’aller un peu mieux. Je n’étais pas sûr que ça fonctionne pour la brunette mais, qu’importe, je l’avais dit. Je n’allais pas retourner sur ma parole. Je pris place sur le premier banc dans mon champ de vision. Il était presque en face de moi avant de repenser à ce qu’elle m’avait dit concernant les différents sports qu’elle avait eu l’occasion de faire. Il était évident qu’elle ne pourrait pas refaire de danse dans cet état, ni même d’arts martiaux… Pas dans cet état du moins. « Tu peux encore faire du sport, tu sais. Si les jeux paralympiques existent, c’est bien parce que la passion de sport peut être assouvie même si on a un handicap quelconque. Bien sûr, ce sera différent de ce que tu faisais avant mais, il y a toujours des possibilités. Il y a des épreuves d’athlétisme par exemple, la plupart des sports collectifs ont leurs alternatives pour les handicapés, l’escrime, la natation… Et encore je ne te cite que quelques exemples des différentes disciplines qu’on peut trouver aux jeux. En cherchant bien, je suis sûr qu’on peut en trouver d’autres. »
Tout ce que je voulais, c’était lui donner de l’espoir, lui présenter des solutions à son problème, lui changer les idées. J’étais prêt à tout pour ça. Après, tout ne s’arrêtait pas au sport. Il fallait juste que j’apprenne à mieux la connaître pour l’aider à trouver sa nouvelle voie. Quelque chose qui lui ferait oublier un instant son état, pendant une heure ou deux. Quelque chose de spécifique à cette fille qui n’avait rien fait pour se retrouver avec l’incapacité chronique d’utiliser ses deux jambes. « Et hormis le sport, il y autre chose que tu aimais faire avant ton accident ? Ou même des choses que tu rêves de faire mais que tu n’as pas encore eu l’occasion de tester ? » Ce serait l’idéal, ça. L’orienter vers une activité qu’elle a toujours souhaité faire sans réussir à saisir la moindre opportunité. Peut-être que, de cette façon, ça allégerait le poids de son handicap. Si il fallait que je passe deux heures sur un ordinateur pour lui payer des cours ou que je fasse des heures sup’ au Fitness First pour l’accompagner dans sa reprise du sport… Je le ferai. Je voulais qu’elle aille mieux. C’était tout ce qui m’importait.
(✰) message posté Dim 20 Avr 2014 - 20:23 par Invité
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Nous finîmes par arriver au parc. Par arriver à mon rythme. Mes pensées se perdaient dans mon esprit, et je me retrouvais presque prisonnière de mes propres souvenirs. Apprendre à vivre avec mon fauteuil roulant n’était pas forcément le plus dur. Apprendre à vivre avec mon fauteuil roulant n’était pas forcément le plus difficile. Accepter son handicap relevait d’un tout autre défi ; accepter d’être dépendante des autres en était un autre également. Puis, il y avait les regards. Le comportement des autres. Toutes ces choses qui faisaient de nous des personnes à part. En tentant d’intégrer les personnes comme moi dans la société, les autres n’avaient fait que de les différencier encore plus. La discrimination positive n’était qu’une connerie supplémentaire. Un pourcentage donné d’employés handicapés dans une entreprise était une foutaise ; construire des caisses prioritaires également. N’avaient-ils pas encore compris que nous n’étions que des personnes comme les autres ? Que nous demandions qu’à être traité de la même manière que les individus capables de se servir de leurs jambes ? J’étais peut-être seule à penser de cette manière, mais constater au fil des jours que mon quotidien était transformé par d’autres faits que mes jambes inanimées, cela me faisait mal. Sans doute plus mal que nécessaire. Mais je me taisais, simplement parce que cela était plus facile d’ignorer cette douleur qui m’envahissait la poitrine. J’étais suivie par une psychologue, oui. Par un tas de médecins pour contrôler ma santé. Par des infirmières compatissantes. J’avais des amis que je rejetais mais qui m’épaulaient quand même ; pourtant, aucun d’entre eux ne me comprenait. Pourtant, aucun d’entre eux, malgré toute la bonne volonté du monde, ne réussirait à se mettre à ma place. Cela n’était pas ce que je leur demandais de faire, de toutes manières. Cela n’était pas ce que je voulais. J’aurais aimé que l’on me regarde comme une personne. Comme une femme. Et non pas comme une personne condamnée. « Tu m’as dit tout à l’heure que c’était mal de s’en prendre aux plus faibles… Sauf que tu n’es pas faible, Eugenia. Tu as l’impression de l’être puisque tu es coincé dans ce fauteuil, puisque tout le monde dans ton entourage est aux petits soins avec toi… Mais, crois-moi, tu es forte. La preuve, tu n’as toujours rien lâché. Certains auraient tout abandonné depuis belle lurette à se morfondre sur leurs sorts. Pas toi. » me déclara finalement Jasper. Je tournai la tête vers lui, tandis que ma gorge se serrait doucement. Ca me touchait, oui. Ca me touchait de constater qu’une personne s’était rendue compte de tous les efforts que je faisais. Jasper n’avait pas vu mes échecs, non. Il n’avait pas prêté attention au fait que je tombais sans cesse. Il avait préféré se focaliser sur chaque instant où je m’étais relevée. Sur chaque instant où j’avais recommencé pour retomber. Tomber sept fois, se relever huit fois. Je poussai un soupir, acquiesçant furtivement, baissant la tête pour qu’il ne puisse pas voir le rouge qui me montait aux joues. Il s’installa sur un banc, l’air pensif, et je calai mon fauteuil juste en face de lui. Je me redressai pour que mes yeux soient à sa hauteur ; une nouvelle fois, garder le silence avait été plus simple. J’étais comme cela. Je gardais pour moi les choses qui me touchaient le plus. Il finit par reprendre. « Tu peux encore faire du sport, tu sais. Si les jeux paralympiques existent, c’est bien parce que la passion de sport peut être assouvie même si on a un handicap quelconque. Bien sûr, ce sera différent de ce que tu faisais avant mais, il y a toujours des possibilités. Il y a des épreuves d’athlétisme par exemple, la plupart des sports collectifs ont leurs alternatives pour les handicapés, l’escrime, la natation… Et encore je ne te cite que quelques exemples des différentes disciplines qu’on peut trouver aux jeux. En cherchant bien, je suis sûr qu’on peut en trouver d’autres. » commença-t-il par dire, en se rappelant de ce que j’avais bien pu lui confier. « Et hormis le sport, il y autre chose que tu aimais faire avant ton accident ? Ou même des choses que tu rêves de faire mais que tu n’as pas encore eu l’occasion de tester ? » J’esquissai un sourire ; il n’était pas le seul à évoquer les Jeux Paralympiques. Mais étais-je réellement prête à accepter mon handicap pour changer mes habitudes ? Pour adapter ce que j’aimais faire ? J’avais l’impression que cela était comme rendre les armes ; que, si je venais à faire un sport conçu pour personnes handicapées, cela m’enfermerait forcément dans une bulle de défaitisme et d’amertume. Je poussai un petit soupir, avant de plonger mon regard dans le sien et poser mes mains sur mes genoux. « Tu vas rire. » lui confiai-je avec un sourire en coin. « J’adorais me fourrer dans les ennuis. Je suis une ancienne accro à l’adrénaline – en quelque sorte, on va dire. Je volais des dossiers dans les commissariats, je m’infiltrais dans les bureaux, je fourrais mon nez là où il ne fallait pas… Tout ça pour assouvir ma curiosité. J’adorais ça. Tu penses qu’on peut appeler ça une passion ? » Je me mis à rire doucement, avant de laisser planer un silence. Puis j’haussai les épaules. « Sauter à l’élastique. Aller en Australie. Faire du parapente. La liste est longue tu sais. » poursuivis-je. « Tout le monde a des rêves. Peu sont réalisés. N’est-ce pas le principe des rêves ? J’aime croire que c’est normal d’y songer tout en sachant que ce n’est pas possible. Je ne pense pas être prête à me lancer à corps perdu dans des activités… Conçues pour les personnes comme moi. » Ma voix se brisa au fond de ma gorge, puis je poussai un soupir, presque agacée par ma propre personne. Oh, j’en avais des rêves. Sans doute trop. Mais était-ce réellement important ? J’avais toujours été intiment persuadée que ce concept existait pour nous expliquer pourquoi certaines choses étaient réalisables. Parfois, je songeais à des choses. Impossibles, pour la plupart. Et je me disais que j’avais le droit de le faire, simplement parce qu’il s’agissait de rêves. « Je suis peut-être forte, comme tu le dis. Mais je n’ai pas l’impression que je le suis suffisamment. Pas encore. » Peut-être un jour. Peut-être demain, dans un an. Peut-être pas tout court ; pour l’instant, je me plaisais à croire que j’avais le temps de m’y faire. Que j’avais le temps de devenir suffisamment forte.
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(✰) message posté Dim 20 Avr 2014 - 21:37 par Invité
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Jasper & Eugenia
A mesure qu’elle parlait, le sourire qui naquit sur mon visage s’agrandissait. Jamais je n’aurais pensé qu’Eugenia était le genre de fille à s’infiltrer dans les bureaux de police, à fouiner un peu partout pour déterrer des secrets. Une véritable détective privée en herbe. Je ne pouvais qu’approuver ses propos. Frôler le danger, c’était vraiment cool. Inconscient mais, tellement génial. Même si, dans son cas, c’était juste une curiosité insatiable à assouvir. Alors que, de mon côté, il m’était déjà arrivé de franchir la ligne avec mes conneries, de manquer de finir dans une housse en plastique tout ça pour sentir l’adrénaline dans mes veines. Ça paraissait stupide dis comme ça. Complètement con, même. Sauf que c’était ma philosophie de vie. Plus de fun, moins de sérieux. Je fermais les yeux un instant comme si je prenais conscience de faire du grand n’importe quoi avant de les rouvrir avec cette lueur amusée en arrière-plan. « J’aurais aimé te connaître à cette période. Ça devait être carrément excitant d’entrer par effraction dans les locaux des flics. Je t’aurais suivi sans aucuns soucis. Maintenant, je ne sais pas si ça peut vraiment être considéré comme une passion. C’est plutôt illégal ton truc. Je te comprends, en tout cas. Vivre dangereusement, c’est classe. » Je me demande comment je n’avais pas pensé à faire ce genre de trucs. Il faudrait que je rattrape cette erreur. Je trouverais bien quelqu’un pour m’accompagner… « Tu viens de me donner une idée qu’on qualifierait de folle avec ton histoire de cambriolage administratif. Je te revaudrai ça ! » Enfin, si je ne me faisais pas choper avant. Je ne connaissais pas les lois sur le bout des doigts mais, j’avais un doute qu’entrer sans autorisation dans un local de police se réglait à l’amiable. Surtout s’il y avait des papiers importants à la clé. Je laissais mes pensées tranquille avant de me reconcentrer sur mon vis-à-vis.
Encore une fois, elle m’impressionnait par le nombre de trucs qu’elle rêvait de faire. Tellement d’envies, tellement de souhaits… Pourquoi c’était toujours les personnes qui le méritaient le moins qui se retrouvait dans un fauteuil roulant ? C’était injuste, vraiment. Si un dieu existait vraiment sur cette terre, c’était un sacré sadique. « On se ressemble pas mal quand même. Le parapente, j’ai toujours rêvé de faire un truc pareil… ça doit être énorme d’avoir l’impression de voler. Tellement grisant. T’as vu le film Intouchables ? Le mec en fauteuil roulant, il l’a bien fait. Certes, c’est à cause du parapente qu’il a fini dans un fauteuil mais, c’est qu’un détail. A mes yeux, ce film… Il porte un message… Quelque soit ton état, tu dois toujours croire en rêve, te dire que rien n’est impossible, même si tu penses que ça l’est. L’Australie, par exemple, tu peux encore y aller. Voir les kangourous, faire un safari… te remplir la tête de superbes souvenirs. Ce pays fait tellement rêver. Si j’ai l’occasion d’y aller, promis, je t’embarque avec moi. » Je savais que par cette phrase, je lui redonnais une bouffée d’espoir et que ce n’était peut-être pas une bonne chose. Parce que, si on espérait trop quelque chose et que ça n’arriverait jamais, la déception serait forcément plus grande. Or, je ne voulais pas lui faire vivre de nouveaux échecs. Elle en avait déjà assez bavé comme ça. Sa dernière phrase était encore gravée dans ma tête, comme suspendu dans les airs et je plongeai mon regard dans le sien avant de lui répondre. « Peut-être que tu ne te penses pas assez forte pour le moment et c’est normal, après tout ce qui t’es arrivé, mais tu vas le devenir et ce jour-là, tu seras vraiment fière de toi. A partir d’aujourd’hui, retiens tout ce qui t’arrives pendant tes rééducations. Parce que même la plus infime des progressions peut tout changer si tu y fais bien attention. Retiens juste le meilleur, Eugenia. » Et envoie paître les médecins qui te semble incompétents, qui en ont rien à foutre de ton handicap. Fais tout péter. Mais, ce conseil, je le gardais pour moi. Pour le moment.
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Je n’étais pas agressive. Pas avec Jasper. Pas à ce moment-là. Je savais qu’il voulait simplement m’apaiser ; j’avais passé bien trop de temps à le rejeter pour continuer de le faire sans aucune raison apparente. Pour continuer de lui en vouloir. Pour continuer d’agir comme si je me fichais de sa présence. Je savais que je n’étais pas une personne facile ; que j’érigeais entre moi et les autres des murs impénétrables. Je n’avais jamais aimé le contact avec l’être humain, je n’avais jamais été habituée à parler de moi, à parler de ma vie. J’avais toujours été la fille étrange, assise seule à la table de cafétéria. Cette fille à qui on ne parlait pas. Cette fille qu’on ne remarquait même pas. Cette fille qu’on laissait dans son coin, cette fille qu’on laissait simplement parce que cela était plus simple de ne pas lui parler plutôt que de tenter une approche quelconque. A quoi bon se fatiguer à lui parler si elle ne voulait rien entendre ? A quoi bon se fatiguer à tenter de la connaître si elle se tuait à faire la sourde oreille ? Il fallait que j’apprenne à tourner la page. A me dire que cela n’était plus le cas aujourd’hui. Que j’avais changé, au-delà du fait que je ne pouvais plus marcher. J’avais passé temps de temps à rejeter les autres que je ne m’étais jamais réellement demandé si cela avait valu la peine. Si cela avait valu le coup. Doucement, je déglutis, et je finis par pousser un soupir. Je les avais rejetés, mais peut-être avaient-ils cherché à me connaître avant que je ne devienne handicapée. Je les avais rejetés, mais peut-être cela n’avait été qu’une bêtise de plus. J’avais gâché une partie de mon existence à vouloir être seule ; désormais, je me retrouvais coincée. Je me retrouvais solitaire, incapable d’aller vers les autres sans lancer des répliques acerbes. Pourtant, j’avais besoin d’eux. Pourtant, j’étais humaine. Même si je peinais à m’en rendre compte. « J’aurais aimé te connaître à cette période. Ça devait être carrément excitant d’entrer par effraction dans les locaux des flics. Je t’aurais suivi sans aucuns soucis. Maintenant, je ne sais pas si ça peut vraiment être considéré comme une passion. C’est plutôt illégal ton truc. Je te comprends, en tout cas. Vivre dangereusement, c’est classe. » me dit-il, et je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire en me disant qu’il était bien le seul à penser de cette manière. « Tu viens de me donner une idée qu’on qualifierait de folle avec ton histoire de cambriolage administratif. Je te revaudrai ça ! » Je me mis à rire doucement en haussant les épaules. Lorsque j’étais au lycée, les personnes m’avaient toujours regardé de travers ; personne n’avait jamais réellement adhéré à ma manière de faire. A mes façons de procéder. Peut-être aurait-il pensé la même chose s’il s’était retrouvé face à moi ; peut-être disait-il cela juste pour me faire plaisir. Je n’en savais rien. Et je ne pourrais jamais savoir. « On se ressemble pas mal quand même. Le parapente, j’ai toujours rêvé de faire un truc pareil… ça doit être énorme d’avoir l’impression de voler. Tellement grisant. T’as vu le film Intouchables ? Le mec en fauteuil roulant, il l’a bien fait. Certes, c’est à cause du parapente qu’il a fini dans un fauteuil mais, c’est qu’un détail. A mes yeux, ce film… Il porte un message… Quel que soit ton état, tu dois toujours croire en rêve, te dire que rien n’est impossible, même si tu penses que ça l’est. L’Australie, par exemple, tu peux encore y aller. Voir les kangourous, faire un safari… te remplir la tête de superbes souvenirs. Ce pays fait tellement rêver. Si j’ai l’occasion d’y aller, promis, je t’embarque avec moi. » me lança-t-il doucement, tandis que je l’écoutais d’une oreille, perdue dans mes pensées. « Peut-être que tu ne te penses pas assez forte pour le moment et c’est normal, après tout ce qui t’es arrivé, mais tu vas le devenir et ce jour-là, tu seras vraiment fière de toi. A partir d’aujourd’hui, retiens tout ce qui t’arrives pendant tes rééducations. Parce que même la plus infime des progressions peut tout changer si tu y fais bien attention. Retiens juste le meilleur, Eugenia. » Je fus incapable de soutenir son regard plus longtemps. Je détournai la tête, observant les feuilles qui naissaient sur les autres. Mon cœur battait trop vite. Ma vision était confuse. Mes pensées se bousculaient. On me disait rarement de telles choses ; peut-être simplement parce que je me confiai que trop rarement. Je finis par prendre de profondes inspirations, avant de reporter mon regard sur Jasper. Je ne réussis même pas à lui offrir ne serait-ce qu’un sourire ; j’étais touchée, au plus profond de moi-même. Je ne savais même plus quoi dire. On m’avait toujours dit d’être forte, de ne pas me laisser faire. Mais jamais de cette manière-là. « Quel est ton intérêt, Jasper ? » finis-je par lui demander d’une voix tremblante. « Pourquoi est-ce que tu as commencé à t’intéresser à moi de cette manière ? A vouloir me faire sortir ? A vouloir m’aider ? Je… Ce n’est pas normal. Normalement, les personnes me fuient. Normalement, les personnes détournent les yeux. Normalement, on ne vient pas frapper à ma porte pour m’emmener faire un tour au parc. Normalement, on ne me dit pas des choses comme ça, on ne m’encourage pas parce que personne ne se soucie réellement de comment je me sens, au fond… » Les mots se précipitaient dans ma bouche, dans mon esprit. Je perdais le fil dans ce que je pensais, je sentais l’émotion me serrer la cage thoracique. D’après ce qu’on m’avait dit, j’étais beaucoup plus sensible depuis l’accident. Mais je n’avais pas l’impression que cela avait un rapport. Je ne comprenais pas. Je n’arrivais pas à me dire que cela était normal. « Pourquoi tu ne détournes pas le regard quand je te parle ? » finis-je par ajouter en le regardant dans les yeux. « Je… Je… Je n’arrive pas à comprendre. Tu me donnes de l’espoir, de l’aide, sans rien demander en échange, et ça me perd. » Je me tus, finalement, me maudissant presque intérieurement d’avoir laissé échapper toutes ces paroles. Je m’en voulais, oui. Je m’en voulais de ne pas avoir poursuivi notre conversation sur le même ton enjoué. Je m’en voulais de ne pas avoir repris ses paroles pour lui répondre avec défi, presque. Mais cela avait été plus fort que moi. Tout simplement parce que je ne réussissais pas à m’y faire.
J’avais l’impression que quelque chose m’échappait en voyant Eugenia en train de craquer, littéralement. Où était passé la fille qui me parlait de choses à mille lieux de son handicap ? A l’origine, j’étais là pour ça. Lui faire oublier sa situation momentanément. C’était ma solution pour qu’elle aille mieux. Se rendre que même handicapée, elle n’était pas différente des autres. C’était le regard d’autrui qui la faisait se sentir ainsi. Ces personnes qui jugeaient les autres sans comprendre, qui se contentaient de jeter des regards emplis de pitié pensant que ça les aiderait. C’était faux. Les handicapés ne voulaient pas de pitié. Ils voulaient qu’on les aide, certes, mais pas comme ça. Pas comme si ils étaient infirmes et qu’ils n’étaient plus qu’un poids pour la société. Je m’énervais tout seul sans m’en rendre compte. J’adressai un sourire d’excuse à la jeune femme en voyant dans quel état étaient mes poings. « Ce n’est pas ta faute, t’inquiète pas. C’est juste que je pense à des trucs révoltants et voilà, le résultat. » Pendant un instant, je me laissais bercer par le bruit du vent dans les arbres. J’avais bien l’intention de répondre à toutes les questions d’Eugenia qui continuait à parler comme si je ne l’avais jamais parlé. Elle semblait paniqué, complètement perdu et je ne pus m’empêcher de la prendre dans mes bras « Calme-toi… Je vais t’expliquer mais, s’il te plait… Calme-toi… » Etreinte fugace que je brisais aussi vite que je l’avais créé. Comme si elle n’avait jamais existé. Comme si cet acte de tendresse n’avait été qu’une hallucination. Je repris ma place sur le banc, soufflant un bon coup avant de regarder la brunette. J’avais peur qu’elle craque de nouveau… « Si je t’aide, c’est parce que pour moi, c’est ça un comportement normal. C’est te faire comprendre que ta vie ne s’arrête pas parce que tu es dans ce fauteuil. Je t’aime bien même si ça fais peu de temps qu’on se côtoie, même si tu n’as pas arrêtée de m’envoyer balader au début, même si ça a été très compliqué de t’amener à me faire confiance. Te voir là dans ce parc avec moi… C’est une victoire à mes yeux. Parce qu’au début, j’étais loin de m’imaginer qu’on n’arriverait à là. Alors, oui, je ne te regarde pas comme une extraterrestre ou comme une charge. Mon attitude diffère de la masse. Je m’en fous complètement, d’ailleurs. Parce que si se conformer aux normes, c’est t’ignorer, faire comme si tu n’existais pas, ne pas prendre en compte tes états-d’âmes. Tant pis. Si c’est ça les règles, je les emmerde. »
Ça faisait un bien fou de dire ce qu’on avait sur le cœur. Je n’étais pas sûre que mes réponses soient satisfaisantes à ses yeux mais, c’était tout ce qui me venait à l’esprit. Je ne voulais pas lui mentir. Je voulais être sincère avec la Lancaster. La voir si désemparée face à mon comportement me tuait intérieurement. Se dire qu’elle imaginait mon comportement anormal me semblait hallucinant. On vivait dans quel monde, bordel ? « Tu n’as que deux ans de moins que moi. Si ça se trouve, on était dans le même lycée… Quoique non, je pense que je t’aurais remarqué si c’était le cas. T’as eu l’impression d’être invisible tout au long de ta scolarité à cause de ta sœur, je suppose ? Je ne connais pas vraiment Scarlet mais, je la vois difficilement comme restant de côté au lycée. Je suis sûre que c’était la reine des abeilles ou un truc dans le style. Alors, forcément, même si t’es aussi jolie qu’elle, tous les regards convergeaient vers ta jumelle parce qu’elle les attirait. » Je n’étais pas psychologue. Heureusement d’ailleurs, mais je pensais avoir visé juste en parlant de Scarlet. J’avais beaucoup de mal à l’imaginer autrement. La traduction de son prénom parlait pour elle… Ecarlate. Jusqu’à présent ce genre de couleur ne passait pas inaperçu. « Bon, sinon, tu veux savoir autre chose sur mon comportement étrange à ton égard ? Je suis prêt à répondre à toutes tes questions » Déclarai-je avec un grand sourire.
you are so brave and quiet i forget you are suffering.
jasper orwell and eugenia lancaster.
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Disparaître. J’aurais aimé que cela soit le cas, au lycée. J’aurais aimé pouvoir le faire. Pouvoir disparaître aux yeux des autres. Pouvoir disparaître aux yeux de tous. Cela n’avait jamais fonctionné ; les personnes en bas de l’échelle sociale n’étaient pas que des personnes oubliées, non. C’était également des victimes. Des personnes que l’on pointe du doigt. Des personnes dont on parle sans cesse, dont on critique les moindres faits et gestes. Des personnes que l’on dégrade, simplement parce que c’est drôle, simplement parce que cela fait sourire, simplement parce que c’est plus facile de s’en prendre à eux. Je déglutis en repensant à toutes ces choses que j’avais bien pu subir au cours de ma scolarité. Au fond, ma situation n’était pas si différente, désormais. Au fond, les autres continuaient de me regarder de la même manière. Pire encore ; on m’ignorait. On me faisait disparaître simplement parce que je ne convenais à plus un seul moule, plus un seul modèle. Ma gorge se serra. En quittant le lycée, j’avais espéré que cette différence cesse. Mais elle n’avait que s’accroitre d’avantage. Je tremblai presque. Jasper, lui, serrait les poings, si fort que ses jointures blanchissaient sous sa peau bronzée. Mon regard vrilla sur ce geste, et il m’adressa un léger sourire d’excuse. « Ce n’est pas ta faute, t’inquiète pas. C’est juste que je pense à des trucs révoltants et voilà, le résultat. » expliqua-t-il. J’hochai la tête, incapable de l’observer. Incapable de montrer à quel point je pouvais me montrer faible. Incapable de lui prouver que je n’avais peut-être pas d’espoir, au final. Il avait vanté mon courage et ma force, mais au fond, qu’en savait-il réellement ? Je ne lui donnais à voir que ce que je souhaitais qu’il sache. Mes pensées étaient confuses, mon corps entier semblait se perdre. Je n’avais pas l’habitude d’attirer l’attention sur moi. Je n’avais pas l’habitude à ce qu’une personne s’impose de cette manière dans mon existence. Sous mes airs de force de la nature, sous mes airs de fille difficile, j’étais touchée. Touchée au plus profond de mon être par ses gestes qui me paraissaient irrationnels. Touchée. Mais je ne savais pas si cela était dans le bon ou le mauvais sens. Je déglutis avec difficulté, tentant de me calmer. Puis Jasper se leva simplement du banc où il était installé pour passer ses bras autour de mes épaules dans un geste qui se voulait rassurant. Dans un geste qui me calma presque, mais qui ne parvint pas à taire toutes les pensées qui fourmillaient dans mon esprit. « Calme-toi… Je vais t’expliquer mais, s’il te plait… Calme-toi… » murmura-t-il avant de se rasseoir, son geste s’évaporant dans mes souvenirs. « Si je t’aide, c’est parce que pour moi, c’est ça un comportement normal. C’est te faire comprendre que ta vie ne s’arrête pas parce que tu es dans ce fauteuil. Je t’aime bien même si ça fais peu de temps qu’on se côtoie, même si tu n’as pas arrêtée de m’envoyer balader au début, même si ça a été très compliqué de t’amener à me faire confiance. Te voir là dans ce parc avec moi… C’est une victoire à mes yeux. Parce qu’au début, j’étais loin de m’imaginer qu’on n’arriverait à là. Alors, oui, je ne te regarde pas comme une extraterrestre ou comme une charge. Mon attitude diffère de la masse. Je m’en fous complètement, d’ailleurs. Parce que si se conformer aux normes, c’est t’ignorer, faire comme si tu n’existais pas, ne pas prendre en compte tes états d’âme. Tant pis. Si c’est ça les règles, je les emmerde. » J’esquissai un vague sourire, tentant d’assimiler que c’était normal. Que je me faisais des idées. Que je ne connaissais pas encore suffisamment bien l’être humain pour avoir un véritable avis sur la question. Que tout le monde aurait dû imiter Jasper, et non pas l’inverse. Je déglutis, tandis qu’il poursuivait. « Tu n’as que deux ans de moins que moi. Si ça se trouve, on était dans le même lycée… Quoique non, je pense que je t’aurais remarqué si c’était le cas. T’as eu l’impression d’être invisible tout au long de ta scolarité à cause de ta sœur, je suppose ? Je ne connais pas vraiment Scarlet mais, je la vois difficilement comme restant de côté au lycée. Je suis sûre que c’était la reine des abeilles ou un truc dans le style. Alors, forcément, même si t’es aussi jolie qu’elle, tous les regards convergeaient vers ta jumelle parce qu’elle les attirait. » me déclara-t-il. « Bon, sinon, tu veux savoir autre chose sur mon comportement étrange à ton égard ? Je suis prêt à répondre à toutes tes questions. » Mon sourire s’élargit, tandis que mes yeux s’obstinaient à observer mes mains. Il avait facilement deviné les rôles que nous avions eus avec ma sœur jumelle au lycée ; si Scarlet avait la vocation pour être une leadeuse, je me demandais comment il avait bien pu faire pour comprendre ma position dans l’équation. Pour comprendre que je n’avais été qu’une inconnue de plus. Qu’une victime. Qu’une personne en bas de l’échelle. Je ne m’étais jamais plainte de mon statut. Je n’avais jamais rien trouvé à redire. Je n’avais jamais été révoltée par la manière dont se passaient les choses au lycée ; cependant, je me rendais compte, désormais, que cela me faisait mal d’y penser. Mal parce que je n’avais jamais eu la chance d’être heureuse. « La reine des abeilles, oui. » confirmai-je en levant finalement les yeux. « D’après ce que j’ai compris, j’étais bien trop acide pour que les personnes acceptent de m’approcher ne serait-ce de quelques pas. Je peux facilement te dire combien d’amis j’avais parce qu’ils sont facile à compter – je n’en avais qu’un. » J’haussai les épaules, vaguement, avant de prendre une profonde inspiration. Ma voix était encore légèrement tremblante sur le coup de l’émotion ; je tentai de me calmer, mais je n’y réussissais pas encore. « Ne le prends pas pour toi, mais je n’ai jamais été très douée avec le relationnel. L’être humain et moi, ça fait dix. Cent. Trois milles. » ajoutai-je, avant de laisser planer un léger silence. « Je suis vraiment désolée. Je n’aurais jamais dû te poser toutes ces questions… C’est juste que je n’ai pas l’habitude, tu vois. Je n’ai jamais eu l’habitude. Dans mon esprit, dès que quelqu’un vient à ma rencontre, me montre de l’intérêt… C’est qu’il y a quelque chose derrière. Des attentes, une opportunité. Pourquoi pas un plaisir malsain, qui sait. Je… » Je pris une profonde inspiration. « Ca fait déjà un an mais je ne m’y suis pas encore faite. Désolée, je ne sais plus où j’en suis. » Je m’arrêtai de parler, en lui adressant un sourire d’excuse. Je lui étais reconnaissante, quelque part. Je pouvais bien l’envoyer balader. Mal lui répondre. Mais, au fond, j’étais simplement contente qu’il continue de s’accrocher. Contente qu’il soit aussi patient, même pour une personne qui ne le méritait. Même pour une personne comme moi.
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(✰) message posté Mer 23 Avr 2014 - 15:22 par Invité
Impossible is nothing
Jasper & Eugenia
La reine des abeilles, oui. Ses propos confirmèrent mes soupçons d’enquêteur méconnu et je ne pus m’empêcher de sourire. Sourire qui s’effaça bien vite quand elle me parla de sa solitude apparente. Une seule personne sur qui compter… C’était toujours compliqué. Je n’ai jamais supporté d’être seul. J’étais toujours entouré d’une multitude de gens autour de moi. Bien sûr, je n’étais pas naïf au point de tous les compter comme de vrais amis. Il y avait un peu de tout. Les meilleurs, je suis toujours en contact avec. Et certains avec qui, j’étais moins proche, ont fini par me prouver leurs valeurs. A mesure que j’écoutais la brunette parler, je me rendais compte que le lycée n’avait pas dû être les meilleures années de sa vie. Plutôt les pires. Je me demandais quel était le rôle de sa sœur dans le cauchemar continuel qu’avait vécu Eugenia. Même si, aujourd’hui encore, il ne semblait pas être terminé. J’avais envie de savoir mais, je me taisais. Quelque chose me disait que ça rouvrirait des blessures chez la jeune femme et je ne voulais pas la plonger davantage dans ses mauvais souvenirs. J’en faisais déjà un peu trop. « Désolé de remonter les mauvais souvenirs à la surface… Ce n’était pas mon intention. Je sais ce que c’est les relations difficiles dans la famille. Entre mon frère aîné et moi, c’est loin d’être tranquille. Déjà, tout gosse, il jouait au petit chef, voulant dicter sa loi et en grandissant, c’est devenu un véritable manipulateur. Mon père l’a toujours mis sur un piédestal et n’a jamais rien vu. Il n’y a que moi qui voyais clair dans son jeu. Sauf qu’il me connaissait trop bien et a accumulé pas mal de trucs sur moi, au cas où. Ce n’est que maintenant que je vais sur mes vingt-quatre ans qu’il joue au grand frère modèle et surprotecteur. Une vraie plaie.» C’était la première fois que je parlais de ma relation complexe avec mon frangin à quelqu’un. Je ne savais pas pourquoi je m’étais lancé dans une telle confidence. Néanmoins, ça faisait un bien fou.
L’être humain et moi, ça fait dix. Cent. Trois milles. Je la vis me faire un sourire d’excuse suite à sa tirade sur le sujet, mais je ne pouvais pas lui en vouloir de se comporter ainsi. Pas après ce qu’elle avait vécu. Je n’avais pas besoin qu’elle m’explique tout ce qu’elle avait enduré. Les sous-entendus suffisaient à eux-mêmes. Les gens étaient vraiment tordus parfois. Sadique même. L’être humain actuel était un barbare moderne. « Tu n’as pas à t’excuser, tu sais. Tu n’y peux rien si les gens ne vivent qu’à travers la souffrance des autres… C’est plutôt eux qui devraient te demander pardon de t’avoir fait vivre un tel enfer. Parfois, l’ignorance est pire que les coups. Dommage que tu n’étais pas dans mon lycée. J’aurais fait en sorte que tes souvenirs soient excellents. Je suis tenace, t’as dû le remarquer. Alors, crois-moi, ce n’est pas ton comportement à cet époque qui m’aurait arrêté. On aurait fait les cascadeurs amateurs en herbe. » Mes années-lycées auraient été encore plus excellentes avec une fille comme elle pour me suivre dans mes délires. J’avais déjà des potes à la recherche de sensations de plus en plus fortes mais, j’étais sûr qu’avec Eugenia, c’était d’un autre niveau. « Tu savais qu’on pouvait customiser des fauteuils roulants ? En faire un truc classe, à ton image ? Je sais plus où j’ai vu un truc pareil… Je suis sûr que l’idée doit venir des Etats-Unis ou du Japon… Ils inventent toujours des trucs totalement taré… » Faudrait que j’aille faire un tour là-bas rien que pour voir les œuvres d’arts qu’ils font avec les véhicules. Juste pour le plaisir des yeux.«Blague à part. Si je pouvais revenir en arrière, je ferai en sorte d’être dans le même lycée que toi. »
(✰) message posté Sam 3 Mai 2014 - 19:01 par Invité
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Je n’avais jamais pensé que revivre mes années lycée dans mon esprit me ferait aussi mal. Je n’avais jamais pensé que cela puisse autant m’atteindre, autant me blesser, autant me faire souffrir. Parce que, sur le coup, j’avais su garder la tête haute. J’étais restée fière, je ne m’en étais pas faite, j’avais agi comme si tout cela ne m’avait jamais concerné. J’avais agi comme une personne détachée de tout, détachée de la situation, détachée de ces choses ; j’avais été loin d’imaginer le nombre de blessures que j’avais bien pu accumuler au fond de mon être. C’était seulement maintenant, là, tout de suite, que toutes ces choses se réveillaient. Je resongeais au nombre de fois où ma sœur n’avait rien fait lorsque l’on m’avait insulté sous ses yeux. Je resongeais à toutes ces fois où j’avais été bousculée dans les couloirs. Je resongeais à tous ses jours où je m’étais levée avec un mal de ventre, de peur qu’on m’enferme une fois de plus dans les toilettes lorsque je passerais les portes du lycée. De peur que l’on ricane sur mon passage. Cela me hantait, quelque part. Cela me hantait bien plus que lorsque j’étais encore lycéenne. Le temps avait passé. Mais les souvenirs étaient restés. Bien trop vifs, bien trop sanglants. Et j’avais mal. Je m’en voulais de dire toutes ces choses à Jasper, quelque part. Je m’en voulais de partager mon mal de cette manière. Je m’en voulais de lui infliger un fardeau dont il ne voulait peut-être pas. « Désolé de remonter les mauvais souvenirs à la surface… Ce n’était pas mon intention. Je sais ce que c’est les relations difficiles dans la famille. Entre mon frère aîné et moi, c’est loin d’être tranquille. Déjà, tout gosse, il jouait au petit chef, voulant dicter sa loi et en grandissant, c’est devenu un véritable manipulateur. Mon père l’a toujours mis sur un piédestal et n’a jamais rien vu. Il n’y a que moi qui voyais clair dans son jeu. Sauf qu’il me connaissait trop bien et a accumulé pas mal de trucs sur moi, au cas où. Ce n’est que maintenant que je vais sur mes vingt-quatre ans qu’il joue au grand frère modèle et surprotecteur. Une vraie plaie. » me confia-t-il. J’esquissai un léger sourire, guère amusé, mais plutôt touché, touché qu’il me confie une chose pareil à moi. Doucement, je vins poser ma main sur son avant-bras dans une pression que j’aurais voulu rassurante. Chacun avait son histoire, au final. Chacun vivait des épreuves différentes. Chacun avait ses raisons d’être malheureux ou heureux. Chacun avait sa part d’ombre, ses démons. Je pris une profonde inspiration. Mais je ne parvins pas à me calmer. « Tu n’as pas à t’excuser, tu sais. Tu n’y peux rien si les gens ne vivent qu’à travers la souffrance des autres… C’est plutôt eux qui devraient te demander pardon de t’avoir fait vivre un tel enfer. Parfois, l’ignorance est pire que les coups. Dommage que tu n’étais pas dans mon lycée. J’aurais fait en sorte que tes souvenirs soient excellents. Je suis tenace, t’as dû le remarquer. Alors, crois-moi, ce n’est pas ton comportement à cet époque qui m’aurait arrêté. On aurait fait les cascadeurs amateurs en herbe. » enchaina-t-il pour me remonter le moral, sans doute. « Tu savais qu’on pouvait customiser des fauteuils roulants ? En faire un truc classe, à ton image ? Je sais plus où j’ai vu un truc pareil… Je suis sûr que l’idée doit venir des Etats-Unis ou du Japon… Ils inventent toujours des trucs totalement taré… Blague à part. Si je pouvais revenir en arrière, je ferai en sorte d’être dans le même lycée que toi. » Mon sourire se fit plus franc, plus sincère. Ma main abandonna son avant-bras, et je me redressai en inspirant profondément. Il était adorable, Jasper, dans son genre. Je peinai encore à comprendre pourquoi il me portait cet intérêt mais avoir une personne comme lui à mes côtés m’apaisait presque. Je m’éclaircis la gorge. « Il faudrait que je me renseigne pour ces histoires de fauteuil qu’on customise. Je trouve le mien un peu trop standard – et puis, j’aimerais bien faire pâlir d’envie, vous, les personnes qui peuvent marcher sur deux jambes. » lançai-je avec un air taquin au visage. « Oh, ne dis pas ça. Mon lycée n’était pas si terrible que ça, tu te serais ennuyé. » Quelque part, j’étais heureuse qu’il me dise une chose pareille. Flattée, même. Cependant, j’étais bien trop réservée pour lui faire comprendre ; alors, je prenais la situation à ma manière. Alors, j’adoptai un ton enjoué simplement pour ne pas m’attarder dans des remerciements qui seraient gênants. Je repensai à ce qu’il m’avait confié à propos de son frère, et mes pensées se perdirent. Se perdirent à propos de cela. Je le comprenais, quelque part. Je comprenais cette relation conflictuelle, ces choses pas facile, ces compétitions qui existaient toujours entre deux personnes d’une même fratrie. Je n’avais jamais imaginé que Jasper puisse être rongé par son frère de cette manière ; à vrai dire, je l’avais toujours imaginé fort. Fier. Insondable. Impénétrable. « Je suis désolée pour ton frère, tu sais. » lui lançai-je alors. « Les frères et sœurs… Ce n’est jamais simple. Mais vous avez le même sang. Je suis persuadée vous finirez par trouver un équilibre – cela sera peut-être dans cinq ans, dix, quinze, vingt, mais vous le trouverez. J’espère juste que ça sera autrement que Scarlet et moi… Autrement qu’avec un accident. » Parce qu’après tout, c’était cela qui nous avait rapprochées. Cela qui nous avait rappelé que nous étions deux. Que nous étions censées nous aimer et nous soutenir. Nous étions nées à deux et nous avions failli mourir seules. Cela nous avait ramené sur Terre. Mais j’aurais aimé que cela se soit passé autrement.