CALESSIA ❝ the music feels better with you ❞

« Juanes : La camisa Negra. » L'animateur l'annonce et je saute pratiquement de mon siège en levant la main. Dieu que l'Espagne me manque, s'il y a bien une chanson pour laquelle je me dévoue ce soir, c'est celle-ci. Je la connais sur le bout des doigts au moins, bien qu'à l'époque elle me soûlait tant on y avait droit à la radio. Maintenant, parler ou chanter en espagnol apparaît comme un cadeau d'anniversaire. Je tape dans la main de Luca, le barman, et prends le micro timidement. C'est bête, je suis sur scène tous les soirs et doute rarement de mon talent mais lorsqu'il s'agit de chanter seule et pire, devant des amis, je me sens bien plus stressée qu'accompagnée d'une troupe devant 1500 inconnus. Je ne peux m'empêcher de danser en même temps, c'est naturel et vital chez moi, ondulant mon bassin non sans un regard vers Caleb à qui j'adresse un clin d’œil. Il est mignon, je ne manque pas de lui faire savoir qu'il me plait même si c'est plus devenu un jeu qu'autre chose entre nous. Enfin, c'est l'impression qu'on donne je pense, mais ça n'en est pas vraiment un. Soyons franc, la seule chose qu pourrait me faire dire non au jeune homme est ma carrière, qui sera bientôt entre les mains de son père. Une légère révérence pour saluer mon " public " de manière amusée et je rends le micro, passant par le bar chercher la boisson qui m'est offerte pour avoir chanter. Je parle vite fait à Luca et fini par me tourner pour crier et applaudir les deux jeunes femmes qui terminent leur duo. C'était un massacre mais on est là pour s'amuser, pas pour sortir un disque! Même si bien sur, je m’efforce quant à moi de chanter juste histoire que ces personnes présentes ne pensent pas à une grosse blague quand j’annoncerai la sortie de mon premier single. Puis quand vous savez chanter, quel intérêt à le faire mal? Je me dirige vers Caleb et lui tend mon verre s'il en veut une gorgée, je suis d'humeur partageuse. « T'as aimé ma prestation? » Sourire angélique et amusé accroché aux lèvres, je ne me prends pas vraiment au sérieux ce soir, c'était loin d'être grandiose. « Don't go breaking my heart... Qui pour la suivante? Allez un couple! Alessia? » Je me tourne choquée et Luca m'adresse un clin d'oeil amusé. « Prends ton petit copain avec toi et ne râle pas baby. » Je l'aime, vraiment. J'ai toujours aimé l'idée d'avoir un ami gay et, avouons le dans son cas, grande folle, qui peut mater avec moi, c'est tellement sympa... mais il me connait et n'a pas raté les regards que j'ai lancé à Caleb plus tôt. Je le regarde l'air de dire tu te fous de moi et fini par me mordre la lèvre inférieure en me tournant vers Caleb à qui je tends la main. « J'te laisse pas le choix, interdiction de m'abandonner! Qui sait ce qu'il va me trouver comme partenaire si tu refuses. » Pour appuyer mes dires, j'attrape sa main et le tire sur la mini estrade qui est mise en place dans le bar. Un fils de producteur, je suis sure qu'il a tout autant de talent que moi si ce n'est plus, il baigne dans la musique depuis sa naissance. « M'en veux pas. » Une petite moue se dessine sur mes lèvres alors que je lui tends son micro. Je me sens déjà beaucoup mieux avec quelqu'un à mes côtés pour se ridiculiser... et en plus, ce n'est pas n'importe qui.

❝ Calessia ❞

Il existait plusieurs inconvénients à passer une soirée dans un karaoké. Le plus évident était qu’il ne fallait pas s’y pointer quand on n’avait pas franchement envie de se donner en spectacle. A croire que j’étais maso. Alessia m’avait décidé à l’accompagner. Elle avait le pouvoir de me faire faire tout un tas de choses en me fixant simplement de ses grands yeux noirs. Et dire que nous n’étions même pas en couple. Je me mets à rire lorsque je vois Alessia bondir de son siège en entendant le titre du single de Juanes. Elle a l’air tellement heureuse à cet instant que c’en est presque déroutant. Je la suis des yeux jusque sur la scène, où elle entonne le premier couplet avec une véritable ferveur nationale. Elle rayonne tout bonnement, ce qui me conforte dans mon opinion ; elle ne mérite pas seulement d’être solo, elle est née pour ça. Il suffit simplement d’un regard pour comprendre qu’elle y met tout son cœur et tout son talent, avec ce que peut posséder de plus pur la volonté simple de chanter pour les autres en plus de soi-même. Elle m’adresse un regard de ses yeux noirs et me lance un clin d’œil amusé. Je lui fais un signe en retour de mon verre, comme deux vieux amis qui ont tout vécu ensemble. A croiser le regard d’autres personnes autour de notre table, il n’est pas difficile de comprendre ce qu’ils s’imaginent sur notre compte. La chanson se conclut et Alessia descend de la scène pour rejoindre notre table, dégageant un mélange d’excitation et de soulagement. « T'as aimé ma prestation ? », demande-t-elle avec un immense sourire. Je lui rends son sourire. « Evidemment que oui », je réponds en roulant des yeux. J’avale une gorgée de ma boisson tandis qu’on annonce Don't go breaking my heart.  «  J'te laisse pas le choix, interdiction de m'abandonner! Qui sait ce qu'il va me trouver comme partenaire si tu refuses. », me défie Alessia, une fois désignée, en m’attrapant par la main, me forçant à me lever. « Heu ouais mais… d’accord », je soupire tandis qu’elle m’entraîne vers la scène improvisée. En un rien de temps je me retrouve devant tout le monde, un micro à la main, tandis que les premières notes de la musique raisonnent et qu’Alessia s’excuse une dernière fois, l’air pas désolé du tout. Ne pouvant me défendre d’une légère appréhension, j’inspire brièvement avant de laisser la magie opérer. Instantanément, dès que les paroles franchissent mes lèvres, je me sens plus confiant ; c’est comme si j’étais chez moi. Jamais je n’ai prétendu être un chanteur doué, ni même être un chanteur convenable ; certes mon père m’avait un temps poussé, dans mon adolescence, vers la musique, en me disant que j’avais du talent. Mais il ne suffisait pas du talent — encore fallait-il que j’en possède un, véritablement — pour réussir, il fallait encore avoir l’envie de réussir ; et moi, ce qui me passionnait, c’était la gestion et la production, plus que le fait de chanter et de se produire. Mais parfois, comme ce soir-là, j’ai l’occasion de chanter un peu, et la musique m’apparait comme un élément de ma vie incontournable ; je baigne dedans depuis que j’ai commencé à grandir dans le ventre de ma mère, difficile de passer à côté. J’adresse un sourire en coin à Alessia tandis que nous chantons en chœur. La musique s’achève finalement et je rends le micro avec un certain empressement tandis que quelques personnes applaudissent. Sans vraiment faire attention, je lui prends la main pour mimer une révérence ampoulée. « La prochaine fois que tu t’excuses, essaye de ne pas avoir l’air aussi satisfaite juste après », je réplique, faussement boudeur sur le chemin du retour jusqu’à notre table. Je finis par réaliser que je lui tiens toujours la main, sans éprouver de gêne pour autant. Les gens doivent définitivement nous penser en couple, je songe tandis qu’on s’assoit et que je finis par lâcher sa main. « Commande un truc si tu veux, c’est moi qui paye », je décrète, une main sur le cœur dans un geste théâtrale. Je me sens envahi par l’atmosphère légère.