liam . tales of us

La rentrée. Une plaie du quotidien comme une autre. Ça ne l'avait jamais dérangé, Liam, la rentrée des classes. A vrai dire il aimait bien cette nouveauté passagère, ce petit événement annuel qui marquait une année passée, presque plus que son propre anniversaire. Il entra dans la classe à la suite des autres gamins, le sac posé négligemment sur l'épaule dans une attitude qui se voulait un peu rebelle. Un peu canaille. « Ne vous asseyez pas tout de suite, j'ai fait un plan de classe. » Des grognements mécontents s'élevèrent dans la salle à l'accueil de la nouvelle, et même lui ne put s'empêcher de grimacer en lançant un regard déçu à son meilleur ami. Il était presque certain qu'il ne serait pas à côté d'Andy. Le mot avait du circuler entre les profs depuis l'an dernier : ne surtout pas les laisser à côté. Comme prévu, il se retrouva à côté d'une inconnue totale. Peut-être avait-il aperçu son visage au détour d'un couloir, mais ça ne lui revenait pas. Rory Hepburn, elle s'appelait. Une fille pas moche du tout, pensa-t-il tout de suite. Peut-être que c'était prévu, écrit, que c'était le destin. Il n'en savait rien. Dans les jours qui suivirent, il s'aperçut que ce plan de classe était sans doute la meilleure chose qui lui était arrivée dans sa courte et insipide existence. D'ami, ils passèrent amants. Baisers, caresses. Rory fut son premier amour, une des seules histoires qui le marqua, et la seule aussi profondément. Il ne l'oublia jamais vraiment, et comment l'aurait-il pu.

« C'est fini Rory ! » Liam abattit ses cartes. Ça le rongeait, le détruisait. Ça le bouffait de l'intérieur depuis des mois. Oui, il l'aimait, Rory était comme une évidence pour lui. Malgré leur jeune âge, il était profondément convaincu que leurs vies devaient être croisées. Et pourtant, c'est lui qui y mettait un terme, gravant une expression de surprise douloureuse sur le visage de sa belle. Elle se redressa, comme si elle croyait avoir entendu une blague. Pourquoi, semblait-elle demander.  C'est vrai, pourquoi fais-tu ça, Liam. Il était le seul à lui reprocher le moindre de ses faits et gestes. Le seul à la faire culpabiliser pour tout et n'importe quoi. À s'emporter pour des broutilles. Vraiment, ce n'était rien. Rien d'irréversible. Et comment allait-il faire sans elle, hein. Franchement il se le demandait. Et pourtant, il la quittait quand même. Au fond, il n'était pas certain de ne pas le regretter après, mais il sentait que c'était ce qu'il lui fallait. De la distance avec ce trop plein d'amour, loin de cette fille qui le rendait si dépendant, si jaloux, si possessif. Elle faisait ressortir à la fois le pire et le meilleur de lui-même. Elle le mettait face à des émotions qu'il haïssait, et il la détestait pour cela. Presque autant qu'il l'aimait. Au revoir, Rory.

« Il va falloir faire un choix, maintenant, Monsieur Buchanan. » conclut l'avocat. Liam tourna la tête vers ses parents, un de chaque côté, les deux s'efforçant de ne pas le regarder. Comme si ça allait l'aider à faire ce foutu choix. Un choix, mon cul, ce n'était rien d'autre qu'un traquenard. Un test pour savoir avec qui il s'entendait le mieux, sûrement. Une punition. Une bulle de colère enfla en lui, et il serra les dents. Après de longues minutes de silence, l'avocat commença à montrer des signes d'impatience. Sa mère posa une main sur la sienne et se pencha doucement vers lui. « Ecoutes chéri, quel que soit ton choix, ça ne voudra pas dire que tu ne verras plus l'un de nous. Rien ne changeras, tu le sais. » Non, non il ne savait pas. Ils avaient prononcé un serment inviolable sous le regard de Dieu il y avait des années de cela, et ils n'avaient pas été foutu de s'y tenir. Pourquoi alors seraient-ils capables de promettre une telle chose, que sa vie ne changerait pas ? C'était d'un culot ! Il suffisait de les regarder, tous les deux, en train de s'éviter du regard quand ils n'étaient pas tout simplement en train de s'assassiner avec leurs mots cruels. Sans se préoccuper de lui, au milieu. Après tout, il n'avait pas son mot à dire. Il n'avait qu'à suivre ce qu'on lui disait de faire. C'était bien à ça que ça servait, les enfants, pas vrai ? On les obligeait à prendre parti. Sans arrêt. Il retira sa main, pinça les lèvres. La rage bloquait les mots dans sa gorge. Mais ils finirent par sortir. « Ma mère. » Ce n'étaient que deux tous petits mots. Et pourtant cela changea tout. Le regard de son père, celui de sa mère, sa vie toute entière.

Liam serra fort la main de sa mère. Depuis qu'ils avaient déménagé, ses liens avec elle s'étaient resserrés. Et voilà qu'il fallait qu'on les sépare. Que ce quelque chose qui décidait de tout en ce bas monde décide de la lui enlever. Il voulut lui dire quelque chose, lui exprimer toute la force de sa douleur. Lui demander pardon, pardon d'avoir été aussi en colère toutes ces années. Mais il ne put rien dire. Juste serrer ses doigts dans les siens en espérant qu'elle comprendrait. Sa mère caressa le dos de sa main avec son pouce, le regarda intensément et se rendormit, assommée par les traitements et la maladie. Encore quelques jours comme ça, et ce serait fini.

Et puis la vie continua. Bien sûr, le monde ne s'arrêta pas de tourner quand sa mère trépassa. Il en avait douté, très sérieusement même, renfermé dans sa chambre loin de tout contact humain, loin du monde extérieur. Coupé de tout, centré sur sa douleur et ses regrets, ses doutes. Curieusement, ce fut dans l'obscurité de son deuil qu'il repensa furtivement à Rory, qu'il se demanda ce qu'elle était devenue, s'il la reverrait un jour, et il se sentit très bête. Que deviens-tu Rory, penses-tu encore à nous, à ce que l'on a été ?