Enregistrement de la séance du 19 juin 2003. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 11 ans.
« Emery Celeste Nardovino. Née le 17 juin à Cardiff. Juste ? »
« Oui. »
« Enchanté Emer..»
« Emmy. »
« Bien. Enchanté Emmy. Je m’appelle William Harvelle, tu peux m’appeler Will. Toi et moi on se verra une fois par semaine à partir de maintenant et comme ça tu pourras me parler de tout ce dont tu as envie, d’accord Emmy ? Alors dis-moi, Emmy, pourquoi es-tu ici ? »
« Je ne suis pas une gamine. »
« Je sais. »
« Alors pourquoi vous me parlez comme si j’en étais une ? »
« Je ne te parle pas comme si tu étais une gamine Emm.. »
« Vous recommencez. »
« Hum, bien. »
« Qu’est-ce que vous écrivez ? »
« Je prends des notes. »
« Je n’ai encore rien dit, qu’est ce que vous pouvez être en train d’écrire ? »
« Mes observations. Bon, Emmy, mainte.. »
« Je veux lire. »
« Tu ne peux pas li.. »
« Ca ME concerne je veux savoir ce que vous avez écrit à MON sujet. »
« Emery, rassis toi s’il te plaît.. Emery, lâche ça ! »
« JE VEUX LIRE »
« Non, Emery ça suffit maintenant tu lâches ce cah.. AHHHH »
Cette première séance avec Emer.. Emmy a été un désastre. Elle semble très intelligente et perspicace pour son âge, elle a un vocabulaire déjà très développé mais ne tient pas en place. Je l’observais pendant qu’elle parlait, elle avait constamment un membre qui bougeait. Et il ne lui en a fallut que très peu pour qu’elle s’énerve, me saute dessus et me morde. Je recommande un traitement tout d’abord pour son hyperactivité qui finira par la mettre en danger à défaut de mettre son entourage en danger. Pour ce qui est de ses excès de colère, j’attends de voir comment les autres séances se passeront. Enregistrement de la séance du 4 mars 2005. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 13 ans.
« Alors Emmy, comment se passe l’école ? »
« Bien. »
« Juste, bien ? »
« A vrai dire, je m’ennuie. »
« Pourquoi ça ? »
« Je suis entourée d’une bande de gamins qui savent à peine calculer ou écrire sans faire de fautes. Les professeurs.. Eh bien n’en parlons même pas, c’est comme s’ils les encourageaient à rester dans ce tourbillon perpétuel d’ignorance. Je veux dire, ça les tuerait pas d’aller un peu plus vite, ce n’est pas comme s’il y avait des limites à la connaissance après tout, non ? Donc pendant qu’ils prennent honteusement leur temps à expliquer des évidences à des élèves qui visiblement ne comprennent absolument rien, eh bien moi je dois me contenter de rester assise derrière à attendre que ça se passe. D’ailleurs j’ai abîmé ma table à force de gratter dessus avec mon compas. Je m’ennuyais trop c’est pas ma faute et j’avais besoin d’occuper mes mains alors j’ai gratté gratté gratté gratté et maintenant il y a un trou. Le professeur a remarqué aussi et j’ai eu droit à une retenue. Puis tout le monde a rigolé aussi et ça m’a énervée. Non mais pour qui ils se prennent à rigoler comme des cons ? Est-ce que je rigole moi quand ils ne sont pas capables de citer les présidents des Etats-Unis ? Bon ok je me fous un peu de leurs gueules mais pas ouvertement quoi. En fait j’ai menti, ça ne se passe pas bien. Je déteste tout là bas. »
« Emmy, puis-je te poser une question ? »
« Sure. »
« Tu es une fille extraordinairement intelligente, tu le sais ? Mais pourquoi est-ce que ton dossier scolaire est si … mauvais ? »
« Ca fait deux questions, je dois répondre à laquelle ? »
« La seconde Emmy, la seconde. »
« Mon dossier scolaire est mauvais parce que j’ai des mauvaises notes. Ca va de soi, non ? »
« Pourquoi as-tu de mauvaises notes ? »
« Parce que je rate mes tests. »
« Mais tu connais toutes les réponses. »
« Oui, je connais toutes les réponses. Je connais même plus que les réponses mais je ne comprends pas, quand je suis devant ma copie je n’arrive simplement pas à me concentrer dessus. C’est comme si mon cerveau décidait soudainement que m’attarder sur ce test était une perte de temps alors je me mets à penser à un million de choses jusqu’à ce que le temps soit écoulé. Du coup j’ai une mauvaise note, alors que je connaissais tout. »
« Tes parents ont-ils déjà envisagé de te mettre dans une école pour les gens intelligents ? »
« Je t’ai déjà dit, Will, de ne pas me parler comme à une gamine ! Tu peux dire établissement spécialisé, je suis pas stupide je sais pourquoi j’arrive pas à me concentrer, c’est parce que je suis pas normale c’est tout. »
« Bien, Emmy, tes parents ont-ils déjà envisagé de te placer dans un établissement spécialisé où tu pourras mieux développer tes capacités ? »
« Je ne sais pas. Ils sont trop occupés avec tous mes frères et sœurs. Tu sais qu’ils ont oublié que j’avais une séance aujourd’hui ? J’ai essayé de leur demander de m’emmener mais ils couraient partout dans la maison. Je crois que c’est à cause du stupide mariage de Sybille. Il y en a que pour Sybille mais sérieusement on s’en fout qu’elle se marie. Bref, j’ai demandé au voisin chelou de me déposer mais je sais pas encore comment je vais rentrer. Je suis sure qu’ils ne se sont même pas rendus compte que j’étais plus là. »
« Emmy Emmy Emmy… Je te déposerai chez toi quand j’aurai fini mes consultations. »
« Oh yeah ! Ca veut dire que je vais pouvoir écouter ce que les autres ont à raconter ? Dis, tu préfères leurs histoires ou les miennes ? Et dis, la femme qui pleure tout le temps et qui louche, pourquoi elle vient tout le temps ? Jesuissûrequ’elleaassassinésonmari. C’estçahein ? »
« Emmy, retourne dans la salle d’attente. Et n’effraye pas les patients s’il te plaît. »
« Pff comme si j’étais du genre à effrayer les patients… Eh toi, pourquoi tu pleures tout le temps ? »
Les séances avec Emery semblent se passer de mieux en mieux. Elle commence à parler et parfois sans s’arrêter ce qui peut être bon signe. Mais cela relève plus de son hyperactivité que d’une réelle envie ou d’un réel besoin de se confier. Elle semble pleine de vie mais je n’oublie pas qu’elle est malade au sens clinique du terme. Ses parents souhaitent qu’elle commence des consultations chez un psychologue mais je m’y oppose formellement, elle doit continuer à être suivie par un psychiatre. Ca semble l’aider, mais ce n’est pas suffisant. Elle a vraiment besoin d’attention et je doute que son milieu familial puisse l’aider à combattre ses troubles. Enregistrement de la séance du 03 mai 2007. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 15 ans.
« Wow, qu’est-ce qui s’est passé Emmy ? »
« Il va falloir être plus spécifique Will. »
« Je parle de ton œil, Emmy. »
« Oh ça. Je me suis battue. »
« Pourquoi ? »
« C’est ce qui m’a semblé être la chose la plus naturelle à faire. »
« Pourquoi ? »
« Quoi, pourquoi ? »
« Oh come on Emmy ! »
« Okkk je vais te raconter relax ! Tu te souviens de Scarlet Lancaster ? La bitch du lycée ? Allez je t’ai déjà parlé de cette garce tu vas pas me dire que t’as oublié ! Bref, Scarlet Lancaster. On était en cours de chimie et on avait une stupide expérience à faire. C’était bidon, je comprends d’ailleurs pas pourquoi ils étaient tous excités en s’imaginant le résultat, c’est pas comme si on manipulait des produits vraiment dangereux ou quoi, on avait pour base un oignon. UN OIGNON. God ces crétins s’extasient devant n’importe quoi sérieux. Bref je m’égare. J’avais mon stupide oignon devant moi et Scar a dû capter que j’excellais dans les matières scientifiques alors elle s’est assise à côté de moi pour être ma partenaire de labo et aussi pour avoir une bonne note. Non mais genre elle a cru que j’étais aussi dupe ? Elle est vraiment trop conne que rien que d’y penser, ça m’énerve. Breeeeef. Sur le coup je m’en foutais tant qu’elle me laissait faire mon expérience comme je le voulais et bien sûr j’allais pas faire ce que le prof attendait de nous c’était tellement simple que ça en devenait offensant. Alors j’ai commencé à réfléchir à ce que je pourrais faire avec ce qu’on avait et j’entendais son piaillement insupportable à côté de moi donc je lui ai dit « ta gueule Scarlet, laisse moi faire. ». Et cette conne a ouvert sa bouche en mode « hamagad elle a osé me dire ta gueule ! ». Je l’ai ignoré et j’ai essayé de me concentrer sur autre chose et de canaliser la colère qui grimpait en moi. Et tu sais que dans ces moments là, je suis obligée de me gratter les plaques que j’ai sur les bras, j’y peux rien si je suis stressée bordel ! Et cette garce a vu mes plaques et a balancé devant toute la classe que j’étais dégueulasse et d’autres conneries encore mais je l’écoutais plus. Je lui ai sauté au cou et j’ai commencé à la frapper. »
« Emmy, tu sais que frapper te donne l’impression d’aller mieux, que ça va t’aider à gérer tes problèmes mais c’est faux, Emmy. Tu sais ce qui va se passer si tu continues à frapper tout le monde. On va être obligée d’intervenir. »
« Je sais. »
« Alors pourquoi tu continues ? »
« Je n’arrive pas à me contrôler, j’essaye Will je te jure que j’essaye mais j’y arrive pas, j’y arrive pas, j’y arrive pas. Et je suis censée faire quoi moi quand je vois tout le monde heureux, tout le monde normal et moi je suis la freak en plein milieu. Et soit on s’en fout de moi, soit on se moque de moi ! C’est pas parce que je suis pas normale que je ressens rien, ça me blesse d’être traitée comme ça. Et surtout par mes parents ! Genre ma mère, qu’est ce qu’elle foutrait d’une énième fille alors qu’elle en a déjà plein surtout quand celle là se comporte comme une cinglée ! Ou mon père ! Lui qui aurait tant voulu avoir un autre garçon il se croit marrant quand il dit « oh je n’ai pas eu de deuxième fils mais avec
Emeric, c’est comme si ! » Sérieusement ? Je les déteste, je les déteste tous ! »
« Pleure pas Emmy. »
Aujourd'hui j'ai vu Emery craquer et pleurer pour la première fois. Elle semble de plus en plus fragile, je commence à vraiment m’inquiéter pour elle. Ce n’est pas la première fois qu’elle se bat et je doute que ce soit la dernière fois mais j’ai vraiment peur qu’elle mette sa vie en danger sans même s’en rendre compte. C’est comme si elle n’avait aucune limite et aucun contrôle sur elle. L’efficacité de son traitement semble quant à lui stagner, les améliorations constatées auparavant s’évaporent et je doute que d’augmenter la dose soit une bonne idée. L’interner n’est pas non plus une solution, elle ne se remettra jamais de ça. Ce qu’elle a besoin c’est de sentir que quelqu’un est là pour elle, elle est seule malgré sa famille nombreuse mais eux-mêmes ne semblent pas se rendre compte qu’Emery a un réel problème. Je déplore l’attitude de ses parents qui ne se conduisent pas comme ils le devraient. Elle va commencer à tenter d’attirer l’attention sur elle. Et j’ai peur des moyens qu’elle va employer pour y parvenir.Enregistrement de la séance du 02 janvier 2008. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 16 ans.
« Ca recommence. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, je sais très bien que je n’aurais pas dû, mais c’était plus fort que moi. Papa et maman sont tellement en colère que je n’ose pas rentrer à la maison, cette fois j’ai vraiment dépassé les bornes. Et je ne sais pas pourquoi. Je veux dire, je sais très bien que c’était stupide et au moment même où je faisais ça, je savais que c’était stupide mais je ne sais pas, j’avais besoin de sentir cette montée d’adrénaline comme si soudainement je ne vivais que pour ça, j’en avais besoin. Et je ne regrette même pas de l’avoir fait et si c’était à refaire je le referai parce que cette sensation, Will, ça n’a pas de prix. »
« Sais-tu, Emmy, que tu aurais pu y laisser la vie ? »
« C’est peut-être ça le pire. Je le savais. Mais ça n’avait pas d’importance. »
« Es-tu en train de dire que ta vie n’a pas d’importance ? »
« Ohh je vois ! Maintenant tu vas me prendre pour l’ado suicidaire mal dans sa peau ? Désolée de te décevoir Will mais ce n’est pas comme ça qu’il faut voir les choses. Je savais que je risquais ma vie, mais la perdre n’était pas ma priorité. Je cherchais juste un peu de sensation forte et là Will, tu vois bien que ça ne fait pas de moi une ado suicidaire donc c’est bon tu peux te calmer, pas la peine de sauter sur le téléphone pour appeler l’asile. Je vais bien. »
« Quelle est ta définition d’aller bien, Emmy ? »
« On s’en fout de ma définition. »
« Hum, bien. Dirais-tu, Emmy, que cela a un quelconque rapport avec le départ de tes parents ? »
« Je t’ai dit, Will, que je n’avais pas envie d’en parler. Ils partent. Je reste avec Rachel. Fin de l’histoire. »
« Est-ce que tu te sens mise à l’écart, Emmy ? »
« On s’en fout je te dis, c’est pas important. »
« Tes parents qui s’en vont à l’autre bout du monde, c’est pas important ? »
« Nop. »
« Quelle a été ta réaction quand ils te l’ont annoncé ? »
« Je pense…Je crois qu’ils étaient horriblement déçus. Je ne comprends pas. Je pense qu’ils s’attendaient à une autre réaction de ma part. Ils s’attendaient à la même réaction qu’un enfant normal aurait pu avoir. Il aurait surement sauté de joie à l’idée de partir avec eux mais je sais pas, je n’arrivais pas. Je me suis contentée de les observer avant de déclarer simplement que je voulais rester ici. Je pense les avoir blessés involontairement. Et je pense aussi que ça les désespère d’avoir une freak comme benjamine. Parce qu’on va pas se mentir Will, tout le monde sait que je suis une freak. Et je suis désolée pour eux. »
« Tu n'es pas une freak Emmy. »
« J'ai plus 12 ans, je sais ce que je suis et ça ne rime définitivement pas avec normal. Sérieux Will, je suis sûre que tu fous des trucs illégaux dans les cafés que tu sers à tes patients, c’est pas humain de parler autant. »
Emery est allée beaucoup trop loin cette fois ci. Elle aurait pu mourir mais je ne sais pas ce qui est le pire dans l’histoire. Elle, qui se laisse submerger par sa maladie et qui prend des risques en ayant aucune notion du danger ou bien ses parents qui s’en vont à l’autre bout du monde en la laissant derrière. Je ne dis pas qu’ils devraient l’emmener avec eux, il est clair que ça la perturberait plus qu’autre chose. Je pense qu’ils devraient rester à ses côtés, leur absence ne va qu’empirer son cas.Enregistrement de la séance du 28 juin 2010. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 18 ans.
« Toutes mes félicitations Emmy pour ton diplôme ! »
« Merci Will. God, j’ai cru que le lycée ne se finirait jamais. C’est bizarre quand j’y étais j’avais hâte que ça se finisse mais maintenant que c’est fini je pense que je vais vraiment regretter cette époque. »
« Sérieusement Emmy ? »
« Bien sur que non Will. Est-ce que j’ai l’air d’une prom queen qui pleure son heure de gloire parce qu’elle se rend compte que sans son royaume le lycée, elle n’est rien ? Le futur m’appartient. »
« Est-ce que tu as peur ? »
« Ca dépend. »
« Ca dépend de quoi ? »
« Ca dépend de mon humeur. »
« Tu veux dire que ta peur dépend de ton humeur ? »
« Oui. »
« Ce n’est pas possible. »
« Si. »
« Non. Soit tu as peur, soit tu n’as pas peur. »
« Non. »
« Bien, explique-moi dans ce cas. »
« C’est logique Will. Si je suis de bonne humeur je n’ai aucune raison d’avoir peur mais si je me mets à me remplir la tête d’ondes négatives, ben là je peux te dire que je suis carrément effrayée. »
« Je pense que tu as peur mais quand tu es de bonne humeur, tu t’autorises à oublier ce détail. »
« Je pense que tu dis n’importe quoi. »
« Je pense que tu es vraiment trop têtue comme patiente. Bref, comme ça se passe avec ta sœur ? »
« Ca se passe toujours aussi bien. En fait, depuis que mes parents ne sont plus là je dois avouer que tout se passe mieux. Genre avant je me sentais seule parce qu’ils étaient trop occupés avec tout le monde mais là ça fait deux ans qu’on est que toutes les deux et je n’ai jamais été aussi heureuse parce que pour la première fois j’ai l’impression qu’il y a réellement quelqu’un pour qui je compte. Rachel c’est un peu devenu mon modèle, vraiment, elle est parfaite. Je ne pensais pas que je pourrais découvrir une telle complicité avec elle mais quand je vois où en est notre relation, je ne regrette pas un seul instant que mes parents soient partis. Je me sens vivante avec elle. J’ai plus l’impression d’être la freak de service. En fait, il n’y a qu’elle qui me comprend. Et toi aussi. Mais c’est pas pareil. Toi, t’es payé pour me comprendre alors t’as intérêt à faire travailler tes méninges. »
« Emmy, je dois avouer que quand tes parents ont annoncé qu’ils déménageaient et te laissaient chez ta sœur, je me suis imaginé le pire pour toi. J’ai vraiment cru que tu allais dérailler et faire des conneries, de grosses conneries. Mais je suis heureux de constater que je me suis trompé et que tu vas bien. Et ça fait plaisir de voir un sourire sur ton visage, Emmy. »
« Je suis heureuse, Will. Et j’ai vraiment l’impression que pour la première fois, les choses ne peuvent qu’aller bien. »
Cela fait 7 ans désormais que je suis Emmy et je dois dire que c’est la première fois que je la vois aussi heureuse. Elle est toujours malade, mais j’ai l’impression qu’elle se contrôle de plus en plus. Elle était radieuse aujourd’hui. Le bout du tunnel se rapproche et j’ai vraiment dans l’espoir qu’un jour, ses troubles ne lui gâchent plus la vie. Je pense sincèrement que c’est possible.Enregistrement de la séance du 14 novembre 2011. Dr William Harvelle et la patiente Emery Nardovino, 19 ans.
« Emmy ?
Emmy, pourquoi ne parles-tu pas ?
« Elle est malade. »
« Qui est malade ? »
« Rachel. »
« Ohh. De quoi souffre-t-elle ? »
« Je ne sais pas. Je ne me souviens plus. »
« Est-ce que ça va Emmy ? »
« Elle est mourante, Will. Elle va mourir et je serai de nouveau, seule. »
« Ne dis pas ça Emmy, ce n’est peut-être pas aussi grave. Et tu n’es pas seule, je suis là moi. »
« Je déménage, Will. »
« Comment ça tu déménages ? »
« Sierra a insisté pour qu’elle se fasse soigner dans la stupide clinique où son stupide mari travaille. Et je dois les suivre. »
« Où ? »
« A Londres. »
« Ce n’est peut-être pas si mal, si elle peut se faire soigner là bas.. »
« Elle peut se faire soigner ici. Le problème c’est que Sierra n’est rien d’autre qu’une garce incapable de se déplacer pour profiter des derniers instants qu’elle peut avoir avec sa petite sœur mourante. Au lieu de cela, elle fait chier son monde pour la ramener près d’elle et elle en a rien à foutre de savoir si c’est ce qu’elle veut ou si c’est ce que JE veux. Bordel ça fait trois ans qu’on vit que toutes les deux et que les autres donnent des nouvelles que quand ils en ont envie, j’étais là moi, pour elle, j’étais la seule à me préoccuper d’elle tout comme elle était la seule à se préoccuper de moi et maintenant Sierra veut jouer les grandes sœurs mais c’est trop tard parce que Rachel va mourir ! Et je les vois venir les autres, ils vont tous débarquer et faire semblant d’être triste deux minutes puis ils retourneront tous à leur petite vie tranquille sauf moi ! Parce que ma petite vie tranquille c’était avec Rachel mais il n’y aura plus de Rachel alors comment je peux avoir une petite vie tranquille moi s’il n’y a plus Rachel ? Je vais être toutes seule parce qu’il n’y aura personne, parce qu’ils ne se sont jamais inquiétés pour moi alors pourquoi ça devrait commencer maintenant ? Et toi aussi tu seras plus là parce que je serais dans une putain de ville que je connais pas et je pourrai même plus te parler ! Je pourrai ni parler à Rachel, ni à toi, j’aurai personne et j’ai peur parce que je sais que je vais pas savoir gérer, je les déteste, je les déteste, JE LES DETESTE, JE LES DETESTE TOUS ! »
« Emmy lâche ça ! Viens Emmy, chuuut. N’ais pas peur. Ca fait huit ans que je te connais, je sais que tu vas pouvoir gérer la situation, j’ai confiance en toi. Quand tu seras au plus bas, souviens toi qu’un jour tu as été heureuse, souviens toi que tu pourras l’être à nouveau Emmy. Rappelle toi qu’un jour tu as su te contrôler, que pendant deux ans, tu contrôlais. Rappelle toi de cette sensation, celle que tu as ressenti en réalisant que tu pouvais te contrôler. Rattache toi aussi fort que tu le peux à ce souvenir. Et tu pourras reprendre le contrôle. Tout se passera bien Emmy. »
« Tu vas me manquer, Will. Pardon de t’avoir mordu le jour de notre première séance. Tu vas me manquer. »
Aujourd’hui c’était la dernière séance avec Emmy. Je m’en veux de ne pas pouvoir l’aider davantage, je me sens mal de l’abandonner après huit ans de thérapie. J’ai peur pour elle. J’ai peur pour sa sœur. Et elle aussi a peur. Elle a fait une rechute aujourd’hui et a tout cassé dans mon cabinet avant de pleurer dans mes bras pendant une vingtaine de minutes. J’espère sincèrement que sa famille saura être là pour elle parce que maintenant, elle en a besoin plus que jamais. Enregistrement d'Emery Nardovino, 31 mai 2012
Rachel est morte. Je pensais que la nouvelle allait m’anéantir mais rien, je ne ressens absolument rien. Je crois que c’est encore à cause de ces putains de troubles. J’attends juste le moment où je vais exploser. Oh et j’ai revu papa et maman aujourd’hui à l’enterrement. Je leur à peine parlé, ça fait longtemps que j’ai perdu toute trace de considération à leur égard. Il y avait tout le monde en fait. J’ai aussi revu Sybille, son mari et ses trois enfants. Ella et son fils Harry, Everleigh et son mari que je connais à peine. Sierra bien évidemment. Avec Benedikt et Bindy. Je l’aime bien Bindy. Mais ça me fait bizarre de me dire que Benedikt est psychiatre lui aussi. Ca me fait aussi penser que Will me manque et que j’aimerais bien lui parler. Je me demande ce qu’il me dirait. Et il y avait aussi Ashley. Et plein de tantes, oncles, cousins, cousines. C’est aujourd’hui que je me suis rendue compte que ma présence était loin d’être essentielle. C’est marrant de constater que je suis celle qui a passé le plus de temps avec Rachel et pourtant j’ai l’air d’être la moins triste. Je n’ai pas réussi à l’être, pas entourée d’une bande d’hypocrite qui m’inspirent rien de plus qu’un profond dégoût. Je ne devrais pas les détester, c’est ma famille, mais je n’arrive pas à faire autrement. Je ne veux pas leur parler. J’ai peur de les entendre dire quelque chose de travers et de péter un plomb. Je veux me contrôler. Je ne veux pas décevoir Rachel.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 17 juin 2012
Aujourd’hui j’ai 20 ans. Rachel et moi on avait prévu de passer la semaine dans les Alpes avec ses amis pour fêter ça. Ca aurait dû être mémorable, on préparait ça depuis mes 16 ans quasiment. Mais Rachel est morte. Et moi je vis chez Sierra parce qu’elle s’inquiète pour moi et qu’elle veut pas me laisser seule. Je me sens mal pour elle. Elle essaye de se rattraper mais je n’arrive pas à faire des efforts. C’est terrible à dire mais j’échangerais bien sa vie contre celle de Rachel. Rachel au moins n’aurait pas oublié mon anniversaire. Ah oui j’oubliais. J’ai eu une nouvelle crise hier soir et j’ai brisé le miroir de ma chambre avec mon poing. Heureusement que personne n’a remarqué. Sierra et Benedikt étaient trop occupés à se disputer en bas et Bindy a fait le mur. Je crois bien que je devrais aller à l’hôpital. Pas que pour ma blessure à la main. Je crois bien que j’ai besoin d’aide. Will m’avait dit que je devrais continuer mes séances avec quelqu’un d’autre mais je n’en avais pas envie. Je ne voulais que lui. Mais je dois me rendre à l’évidence, j’ai vraiment besoin de parler à quelqu’un.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 22 juillet 2012
J’ai passé une semaine bizarre. Je n’avais plus la foi de faire quoique ce soit, je ne comprends pas pourquoi. D’habitude j’ai plein d’énergie, trop d’énergie, tellement d’énergie que ça me tue à petits feux mais en ce moment j’ai des phases étranges où je me couche dans mon lit et je ne fais rien. Je n’arrive à rien. Mis à part fixer le plafond et ne rien faire. Intérieurement je me sens détruite mais extérieurement j’ai toujours l’air d’une freak. C’est Benedikt qui a remarqué que quelque chose n’allait pas chez moi. Du moins, en plus de tout ce qui ne tourne déjà pas rond chez moi. Je suis allée faire un jogging avec lui ce matin et je dois avouer que je me sens un peu mieux maintenant. On a pu bavarder un peu. Mais j’ai du mal à lui parler, ça me perturbe qu’il soit psychiatre. Je ne sais pas si je parle à mon beau frère ou à un médecin alors je me contente du strict minimum. Je me demande aussi s’il me considère comme sa belle sœur ou comme une patiente. Je penche pour freak.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 12 septembre 2012
Je ne supporte plus l’ambiance ici. Sierra et Benedikt passent leur temps à se disputer et ça me rend folle. Du genre, littéralement folle. J’ai déjà du mal à rester calme en temps normal mais avec eux qui crient dans la maison, je jure que je vais péter un câble. J’ai pas d’argent mais tant pis, je m’en vais ce soir. Je vais reprendre l’appartement que j’avais avec Rachel. J’ai peur d’être seule, mais je n’en peux plus d’être ici. J’ai entendu qu’Ash venait en ville, je suis quasi certaine que c’est une idée de Sierra. Elle en avait marre de moi elle aussi alors elle refourgue la freak à quelqu’un d’autre. Et ils s’étonnent que je sois déséquilibrée alors que mon environnement en lui-même est instable ? Putain j’en ai vraiment marre d’eux. Je me demande si c’est pas de leur faute si je suis complètement tarée. J’ai l’impression d’être une carte pokémon qu’on s’échange au gré des envies. Fuckoff.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 17 janvier 2014
Ash est parti aujourd’hui. On a vécu ensemble pendant deux ans jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il avait besoin d’espace. Et qu'est ce qu'il a trouvé de mieux à faire ? Partir faire le tour du monde avec sa copine aux cheveux multicolores. Je lui ai dit que j’étais d’accord, que son idée était géniale, mais je dois avouer que je me sens une nouvelle fois abandonnée. Bordel je comprends même pas pourquoi je ressens ça, j’ai 21 ans, c’est normal qu’ils aient tous une vie. Mais c’est pas normal que je n’en ai pas. Je comprends pas pourquoi, j’y arrive pas. Tout le monde va de l’avant, et moi j’ai l’impression d’être toujours cette gamine hyperactive qui arrivait pas à se concentrer à l’école, qui frappait tout le monde et qu’on bourrait de médocs avant de la déposer chez le psy. Je suis pas normale. J’ai perdu l’espoir de le devenir un jour. Je ne le serai jamais. J’ai peur. Je me sens seule. Je dois faire quelque chose mais je ne sais pas quoi. Je ne sais pas quoi faire.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 02 avril 2014
Je crois que je suis bien partie pour entrer en master. Je suis certaine d’avoir cartonné. Et je suis bien partie pour enchaîner avec un doctorat d’ici quelques années. Les études m’ont permis de combler ce vide affectif que j’ai ressenti le long de ma vie et je dois avouer que je suis arrivée à un stade où je ne suis plus la seule freak en cours. A croire que ce que je fais c’est réservé justement à ceux qui ne sont pas normaux. J’ai lentement appris à me contrôler, je prends de plus en plus conscience de mes capacités. J’ai appris que j’avais un QI de 171. Les gens disent que c’est parce que je suis malade que je suis intelligente et que je ne mérite pas mes excellentes notes. Je me rassure en me disant que c’est l’inverse. Je ne parviens toujours pas à contrôler mes crises, j’en ai toujours de temps en temps. Mais je fais du jogging, ça m’aide à évacuer. Et quand je ne suis pas en train de courir je me concentre sur de la musique ou sur des livres. Et j’essaye, j’essaye vraiment de me contrôler. Peut-être qu’un jour j’y parviendrai. Mais aujourd’hui ce n’est plus ma priorité. Aujourd’hui j’ai décidé de vivre, malgré mon esprit qui s’obstine à faire de ma vie un enfer. Aujourd’hui j’ai décidé que je serai heureuse.
Enregistrement d'Emery Nardovino, 07 avril 2014
Note à moi-même : La prochaine fois que je cherche un appartement, rencontrer ceux qui y habitent avant de signer le contrat.
Je n'arrive pas à croire que je vais emménager avec
Scarlet Lancaster et sa soeur jumelle, Eugenia.
Ma vie est un enfer.