(rose) Fragilité, ton nom est femme.

C'était à la tombée d'un soir d'automne, en ces dernières années en Angleterre. Vers le sombre faubourg, des voitures, allumées, roulaient, attardées après l'heure préconisée. L'une d'elles s'arrêta devant le portail d'un vaste hôtel, entouré de jardins séculaires. Les lourds battants s'écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C'était ton père. Tu étais à côté, ta petite main tremblante dans la sienne. Un silence de plomb planait au dessus de vous alors que vous essayez tout deux d'oublier, de vous remettre du mal qui vous habitait alors. La mort d'un proche. Celle de ta mère. Aujourd'hui, tu as vu ta génitrice s'éteindre. L'enterrement a duré quatre heures et tu as pleuré durant tout ce laps de temps. Il ne te reste plus de larme dans ton corps, tu es épuisée. Vide de toute émotion à présent. Tu sentis alors les bras de ton père te porter. Chancelant, il monta les escaliers blancs qui conduisaient à cette chambre où le matin même, la maîtresse de maison avait couché dans un cercueil de velours. En haut, la douce porte tourna sur le tapis; il souleva la tenture.

Tous les objets étaient à la place où la défunte les avait laissés la veille. La Mort, subite, l'avait foudroyé. Elle avait succombé à ce piège fatal qu'était la vie. Et ce matin là, ses lèvres s'étaient brusquement mouillées d'une pourpre mortelle. A peine avait-elle eu le temps de donner à son époux un baiser d'adieu, en souriant, sans une parole, que ses cils s'étaient rabattu sur son regard. Comme un voile de deuil. Et maintenant que la journée sans nom s'était écoulée, tu allais enfin pouvoir trouver du repos. Les bras de ton père te portèrent jusqu'à ton lit et t'y déposèrent avec soin. Doucement, il confia un baiser sur ton front et remonta la couverte sur ton corps mince et frêle. « Il faut que tu dormes maintenant. Nous avons eu une dure journée. » Il avait raison. Une bonne nuit de sommeil ne pouvait être que bénéfique à ton organisme. Et pourtant, comment trouver le sommeil dans des moments pareils ? Tu enroulas alors tes bras autour du cou de ton père en enfouissant ta tête dans ce creux réconfortant. Une larme roula sur ta joue anormalement pâle. Et c'est dans les bras de ton père que tu te réfugia pour trouver un minimum de réconfort. Tu en avais bien besoin, et lui aussi. Caressant ton visage enfantin, il essuya tes larmes à l'aide de son pouce en te murmurant quelques mots. « On surmontera ça ensemble ma princesse, je t'en donne ma parole. » Il se releva ensuite et quitta la pièce. La nuit s'annonçait longue et maussade, tu te retrouvais alors seule avec tes démons. L'homme allait certainement rejoindre son autre enfant, Jules, un garçon sourd et muet, jugé trop fragile pour assister à l'enterrement de sa mère.


Dans la vie, il y a des personnes que l'on préfèreraient oublier. Parmi elles se trouvent plusieurs catégories. Pour commencer, il y a celles qui ne sont tout simplement pas assez importantes pour figurer dans le roman de votre vie. Ensuite, il y a celles qui n'y feront qu'une brève apparition ; le temps d'un chapitre. Puis, il y a les autres. Celles qui vous font du mal, celles qui ne seront pas dans toutes les pages de votre vie, mais qui pourtant en fera partie intégrante. Ces personnes qui vous déçoivent, qui vous laissent en bouche un arrière goût amer, une grimace atroce. Beaucoup de tes proches te répètent inlassablement que les erreurs sont bonnes à prendre, elles aident à s'améliorer et nous rendent meilleure. Mais toi, tout ce que tu souhaitais, c'était être meilleure avec lui. Tu ne demandais pas la lune, simplement un semblant de bienveillance de sa part.

Si ta vie devait être un livre, la photo que tu tenais alors dans tes mains en était la couverture. La première page. Ce que l'on y voit en premier. Parce que c'était lui. Cet homme qui t'avait aidé à devenir quelqu'un. Cet homme dont tu étais tombée bêtement amoureuse. Où est passée la petite fille qui disait "Je ne serai jamais amoureuse, le seul homme de ma vie c'est toi, papa !" ? Il est où cet enfant qui était heureux d'un rien ? Tu t'étais jurée de ne jamais pleurer pour un homme. Il n'en valent pas la peine, que tu disais. Si tu avais su, tu aurais dis bien mieux. Il était donc impossible d'aimer et d'être aimé en retour. Pas lorsqu'on est comme Rose. Pas lorsqu'on est timide et qu'on bafouille devant un bel homme. L'amour est réservé aux personnes fortes, celles qui peuvent tout surmonter ; i compris l'adultère. Toi, tu étais de ceux qui ne pouvait pas te remettre d'une pareille trahison. Tu avais mal, très mal. C'était une épreuve difficile pour toi et pourtant tu aurais aimé ne pas te laisser abattre. Pour une raison inconnue, tu avais décidé de ne pas en parler à ton père. S'il apprenait qu'un homme t'avait fait du mal, il se mettrait dans une colère monstre. Tout irait mal ; il ne fallait jamais toucher à sa petite princesse.

D'un revers de la main, tu séchas la larmes qui coulait le long de ta joue, comme une perle de pluie. Ta meilleure amie t'avait conseillée de te venger, mais tu trouvais cela inutile. Tout ce que tu voulais, c'était l'oublier, penser à autre chose, aller de l'avant. Tu allais réussir ta vie, oublier ce connard, prouver au monde que tu n'avais pas besoin de lui pour être quelqu'un. Du bout des doigts, tu attrapas les extrémités de la photographie et tira dessus d'un coup sec. Le papier glacé se rompit pile sur le visage de ton ex amant. Même ainsi, le visage fracturé, tu le trouvais à tomber par terre. Peut-être que ta déception n'aurait pas été aussi grande s'il n'avait pas été exactement ton type d'homme. Tu avais eu beau chercher pendant des heures, tu ne lui avais trouvé aucun défaut. Jusqu'à maintenant du moins. Jusqu'à ce qu'il voit cette femme. Jusqu'à ce qu'il franchisse la limite du pardonnable. En voyant une autre femme, il t'avait humilié. Il t'avait trompé, tu l'avais quitté ; point. Tu aurais aimé que cela soit aussi simple. Aujourd'hui, tu ne te sentais pas seulement trahis, tu avais l'impression que le monde entier te jugeait. C'est comme si les personnes que tu croisais te pointaient du doigts chacun leur tour. Tu n'étais alors qu'une adolescente, et pourtant tu avais l'impression que tout ton monde s’effondrait autour de toi. Draven. Il était beau Draven. Il avait du succès Draven. Et malgré toi, tu en étais follement amoureuse de ce Draven.


Aujourd'hui, Rose est une femme. Elle a reprit sa vie en main et est devenue ce qu'elle a toujours rêvée d'être ; à l'image de sa mère. Tout comme celle-ci, elle est aujourd'hui une brillante avocate. Seulement avocat junior pour le moment mais elle est patiente et sait qu'un jour où l'autre, elle deviendra senior comme son mentor. Elle a abandonné l'idée de fonder un foyer et devenir mère. Elle ne vit que pour son travail, pour le plus grand malheur de son père qui aurait aimé avoir un petit enfant. Pour elle, sa famille se résumera à son père et son frère à tout jamais. Elle s'occupe d'ailleurs de son petit frère comme si elle en était responsable.