Un bon dessert maison peut très bien ramener l'ambiance au beau fixe !

Lyon, capitale mondiale de la gastronomie.
Bonaventure travaille dans un fast-food du centre-ville, celui avec le personnage de Ça qui vous offre une figurine Hello Kitty pour l’achat de deux menus Happy Meal. Il a commencé à y bosser voilà quinze ans déjà. A l’époque il récurait les chiottes, poste modeste, certes, mais néanmoins bien plus important qu’il n’y parait quand on vend chaque jour des dizaines de Sundaes, même au beau milieu de l’hiver. Car non, l’odeur de friture ne couvre pas tout, quoi qu’on puisse en dire.
Puis ce fut l’irrésistible ascension : nettoyage du sol, nettoyage des cuisines, nettoyage du comptoir, nettoyage du bureau de la manager… Tout ça pour en arriver à la consécration suprême : responsable ketchup de toute la division Royal Bacon. Poste hautement stratégique qu’il occupe toujours aujourd’hui. La générosité au service de l’équilibre des saveurs.

L’ambiance dans le restaurant était excellente. Bonaventure était en quelque sorte le grand frère légèrement tardé que chacun de ses collègues rêvait d’avoir. Les blagues fusaient, la bonne humeur était omniprésente. Le conte de fée, le vrai. Jusqu’à ce qu’un minuscule grain de sable ne vienne perturber le fonctionnement jusqu’ici sans accroc de cette belle mécanique. Le cas d’école du cheveu sur la soupe. Ou du poil pubien sur le burger, comme aime à le dire Bonaventure avec cet humour si désopilant qui n’appartient à lui.

C’était un mardi, mais pour lui ça resterait à jamais le jour où il avait vu la vierge. C’était une militante altermondialiste, née un 13 septembre donc, qui s’était enchaînée aux portes du restaurant la veille au soir et qui refusait obstinément de leur dire où elle avait bien pu planquer la clé du cadenas qui l’arrimait.
Pour le reste elle était loin d’être taciturne. On l’entendait beugler à cent mètres à la ronde. Que c’était une honte de donner de la merde à bouffer aux gens, et de les faire payer en plus, qu’un bouchot vaut mieux que cent McDo tu l’auras, que Paul Bocuse devait se retourner dans sa tombe en voyant la tronche de leur 280, qu’attirer les gros avec une salade pour leur refiler un Double Beef BBQ en douce c’était vraiment dégueulasse… parmi bien d’autres revendication. Pour faire simple, tout le chapelet du parfait bouffeur de rutabaga y passa. Et aucun clown psychopathe en vue quand on en avait besoin.

Pour Bo ce fut un électrochoc. Cela ne pouvait pas continuer ainsi. On venait le brimer, on voulait étouffer sa créativité ? Lui, le Mozart du pressoir à ketchup ? C’en était trop ! Ça ne se passerait pas comme ça. Gâcher un tel talent, ça frôlait le criminel.
Il ne lui restait donc plus qu'une seule chose à faire : aller vendre de la malbouffe au pays de la viande bouillie et de la sauce à la menthe. Gordon Ramsay avait bien ouvert un estancot à Bordeaux, pourquoi ne ferait-il pas le chemin inverse ? La voilà l’idée de génie. Le contrepied parfait à tous ses faisans et à leur gastronomie délicate, leurs saveurs raffinées, qui vous laissent l’estomac dans les chaussettes-sandales et la mine fort dépourvue quand la note fut venue. Sa décision était prise : il filochait chez les rosbifs !

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il prépara son baluchon, y mit l'intégrale de Dora l’exploratrice qu’il emprunta à sa petite nièce pour la communication avec les autochtones, et il prit le ferry-boat en direction de la capitale britannique. En plus ça lui donnerait l’occasion de retrouver son cousin Will. Il avait eu l’air tellement euphorique quand il lui avait suggéré l’idée de la colocation… Sacré William. Sa pudeur l’empêchait de se livrer à des effusions d’allégresse, mais le cœur y était, à n’en pas douter !
Décidément, ce nouveau départ avait vraiment fière allure.