jodie ≈ lesbian before it was cool

janvier 2009 Son sourire est magique, tellement qu'elle m'a l'air tout droit sortie d'un conte de fées. Eugh, si Oprah m'entendait, je n'aurais pas fini d'en entendre parler, de ce rendez-vous. Je ne suis jamais très à l'aise pendant ce genre de trucs et généralement, j'en sors déçue mais elle, Cassandra, elle a tout de suite fait s'envoler toute gêne. « Et Youtube, c'est à temps plein ? » demande-t-elle, son verre à la main. Son deuxième, alors que j'en ai déjà descendu trois. « Nope, not really, je suis étudiante aussi. Enfin surtout étudiante » Elle hoche la tête, les yeux rivés sur moi et je ne sais pas mais il y a quelque chose dans son regard qui m'attire plus que ça ne devrait. Elle n'a pas l'air de vouloir profiter de ma naïveté — qui, let's face it, en a pris un sacré coup depuis que je fréquente des filles pour autre chose que leur amitié — et elle n'est pas non plus égocentrique. Elle pourrait pourtant, parce que d'après ce que j'ai compris, elle n'est pas exactement une illustre inconnue. Je ne connais pas grand-chose aux comédies musicales et je ne passe jamais non plus à West End, trop animé, trop surchargé. Elle en a parlé avec des étoiles dans les yeux et un sourire dans la voix. Je ne suis pas idiote, c'est plus qu'important pour elle, c'est toute sa vie. Ceci dit, elle a rapidement orienté le sujet vers moi. C'est aussi facile de lui parler que de l'écouter et elle semble vraiment intéressée par ce que je lui raconte. Souvent, les gens se lassent dès le moment où je commence à raconter ce qui m'intéresse, moi, dans la vie. Non seulement c'est vexant mais aussi complètement rebutant. Avec Cassandra, ceci dit, tout est beaucoup plus simple. Je n'ai pas besoin de chercher mes mots, je ne balbutie pas et elle m'écoute vraiment. Elle m'écoute si bien qu'on se retrouve devant ma porte avant même que je le réalise. Là encore, elle me surprend et se contente d'embrasser ma joue avant de prendre la direction des escaliers. Peut-être que l'alcool m'influence mais je ne peux m'empêcher de la rattraper. « Attends ! » je lance à la hâte. Elle se tourne avec un sourire, un sourire si avenant que je ne combats pas une seule seconde mon envie de l'embrasser.

décembre 2012 Je ne suis pas nerveuse, je ne suis pas nerveuse, je ne suis pas— scratch that, je n'ai jamais été aussi angoissée de toute ma vie. Et pourtant, je dois continuer à sourire et à faire comme si de rien n'était alors que ce type, là, en face de moi, sait pertinemment que je suis morte de trouille. I mean, ce n'est pas n'importe quel entretien d'embauche. C'est la BBC, for god's sake. « You know, quand on m'a parlé de vous, j'étais un peu... sceptique » me confie-t-il, impassible. Oh, ça ne sent pas bon, pas bon du tout. « Vous avez quelque chose, c'est certain, mais aujourd'hui, se démarquer dans notre milieu est très compliqué. Je ne vous apprends rien, j'en suis sûr » il continue à ne rien laisser filtre, à garder un visage fermé. Je croise les mains sur mes cuisses pour les empêcher de trembler. Damn, je pensais avoir plus de self-control que ça. « C'est ma fille qui m'a convaincue, au final » Wait wait wait, qu'est-ce que ça veut dire ? Je fronce les sourcils, l'engageant à continuer. Autant qu'il aille jusqu'au bout, quelque soit l'issue. « C'est l'une de vos fans » précise-t-il. Oh, ok. Donc c'est plutôt bon, non ? « Et j'ai l'impression que vous pourriez apporter beaucoup à notre groupe, si on vous confiait le bon créneau. J'espère que vous réalisez la chance que vous avez. Généralement, les gens commencent ici au bas de la chaîne alimentaire » Oui, oui, oui. J'acquiesce vigoureusement. Mais pourrait-il développer ? I mean, je suis un peu perdue là et j'ai beau avoir hâte que ce rendez-vous s'achève, je ne sortirai pas sans une réponse précise. « Commencer en nocturne est une chance, miss Eastwood, mais ça va également être difficile. Vous vous sentez à la hauteur ? » J'ouvre de grands yeux devant sa question avant de me fendre d'un grand sourire. « Maybe not mais je ne vous décevrai pas » je réponds, enthousiaste.


juillet 2013 Damn, mon cœur bat tellement vite que je m'attends presque à ce qu'il bondisse hors de ma cage thoracique pour vivre sa vie de son côté. Il faut que je me détende, que je respire. Le stress ne m'est pourtant pas étranger, mais ce soir, c'est autre chose. Cette nuit pourrait entrer dans l'histoire et nous avec. Je ne sais pas qui a eu l'idée de cette soirée Live Stream mais ça n'est pas pour calmer mes nerfs. Nous attendons désespérément des nouvelles des autorités dans une ambiance des plus électriques et ce, chez moi. Chez nous. Whatever. Une grande partie de la communauté Youtube britannique est là — pas grand-monde donc, onze personnes tout au plus — ainsi que les amis de West End de Cassandra. Mes parents sont présents également, ils discutent avec animation avec ma copine Oprah. Me remémorant les exercices de respiration qu'elle m'a apprise, j'inspire profondément, bloque et expire longuement mais rien n'y fait. Il faut qu'on sache, il faut que la nouvelle sorte. Le combat a été long et rien n'est encore fait. Le mariage gay est loin d'être légal chez nous, alors que les Français l'ont adopté depuis quelques semaines et c'est sans oublier les Américains — goddamn, les Américains sont en avance sur nous. « Shit, calme-toi » me souffle Cassandra, assise à mes côtés. La télévision est allumée mais il semble que personne n'ose monter le son, de peur d'entendre la mauvaise nouvelle. Chacun vérifie l'écran de son téléphone deux à trois fois par minute. On actualise les fils d'actualités, on rafraîchit les pages internet des principaux journaux du pays. Il faut qu'on sache avant d'exploser sous la pression. « Je peux pas, j'en peux plus ! I'm gonna diiiiie » je m'exclame dramatiquement, serrant les doigts de ma copine. J'ai l'impression que ça fait des heures qu'on patiente, à l'affût de la moindre nouvelle. La chambre des Lords a déjà rejeté la loi pour laquelle on s'est battu si fort, alors que se passera-t-il si jamais l'histoire se répète ? L'idée que ça puisse arriver m'arrache un frisson et je ne peux m'empêcher de penser que les choses ont bien changé en quelques années, avec l'arrivée de Cassandra dans ma petite existence. Avant, je n'aurais probablement pas accordé tant d'importance que ça à la légalisation du mariage homosexuel. Non pas que j'étais ignorante ou que j'avais honte de mes choix ou de mes goûts mais le mariage, à l'époque, n'était pas pour moi. Or so I thought. Cassandra a écrasé toutes mes craintes et mes idées reçues sur la vie de couple avec une aisance peu commune. Elle s'est installée dans ma vie avec ses albums de Barbra Streisand, ses comédies musicales et ses chats, et je m'y suis faite. Lorsque la question du mariage gay est arrivé jusqu'à Londres, on s'est engagées ensemble and here we are, expecting the worst yet wanting the best. « Drama queen » chuchote-t-elle contre ma peau. Ses lèvres s'attardent sur ma joue puis caressent ma bouche et si les battements de mon coeur redoublent d'intensité, ce n'est cette fois pas en raison du stress ou de l'appréhension. « Oh god, ça y est ! » crie quelqu'un, un ami de Cassandra je crois — il y a tellement de monde ici ce soir que j'ai un peu de mal à reconnaître les têtes. Le temps se fige, on arrête de respirer. Quoi ? Quoi ? « La reine approuve ! » Et en l'espace d'une seconde, la pièce explose sous la joie. Cassandra me force à me lever et je suis le mouvement, éberluée. Elle sautille, ses bras m'entourent, elle hurle tandis que quelqu'un se lance dans une réédition colorée de l'hymne national. Oh my god, j'ai du mal à comprendre. La reine approuve. Seriously ? « Baby il faut qu'on filme ça ! » je crie à Cassandra en agitant mon téléphone. Elle hoche vigoureusement la tête et après que nous nous soyons vaguement isolées — l'appartement est vraiment bondé, il y a du monde partout, inutile de dire qu'on ne peut pas s'isoler — elle se colle à moi alors que j'éloigne un peu l'appareil de nos visages, autant que je peux actually. D'un geste expert, je déclenche la caméra de mon téléphone devant nos larges sourires. « Hiiiiiii ! » dit-on ensemble, comme à chaque rare fois que Cassandra apparaît au début de mes vidéos. Ses apparitions sont plutôt rares, c'est vrai, mais c'est un petit rituel qu'on ne manque jamais. « Les enfants, ce sera très bref parce qu'il y a du monde partout et qu'on est sensé s'en occuper, puisqu'on est chez nous mais... GUYS C'EST FAIT ! WE WON THE QUEEN OVER WITH OUR CUTENESS ! » Je pense que tout le monde vient de m'entendre hurler but it's ok, personne ne fera de remarque. Ceux qui me connaissent ont l'habitude et ceux que je ne connais pas ne se permettront pas dire quoi que ce soit de désobligeant. Et puis let's face it, beaucoup ont déjà deux ou trois bières dans le nez, mes parents exceptés. Ils trouveront sans doute ça drôle et oublieront d'ici cinq minutes.  « I love youuu, be happy, and celebrate, c'est une nuit qui va rester dans les mémoires ! » je leur rappelle, en saluant l'objectif. Cassandra m'embrasse sur la joue, envoie des baisers à la caméra et je l'éteins rapidement. La qualité de l'image ne sera pas géniale, sans parler de celle du son, mais beaucoup seront heureux de regarder ça, dans les jours à venir. Ce n'est pas un combat que j'ai mené seule. D'abord parce qu'il y avait Cassandra à mes côtés, c'est vrai, mais aussi tous ces gens pas toujours à l'aise, parfois complexés, dont je ne connais que le pseudo, ces gens qui visionnent les vidéos postées sur ma chaîne Youtube et n'ont pas hésité, depuis le départ, à partager leur propre expérience, à me faire part de leur ressenti et à m'encourager.