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« C’est la dernière caisse? » J’observais ma mère et confirmais simplement d’un signe de tête avant de m’asseoir sur les marches des escaliers. Pas le choix, il n’y avait de toute façon plus aucun meuble dans la maison.
« C’est quoi cette petite mine? C’est un peu tard pour changer d’avis… » Je n’avais pas changer d’avis, je n’étais juste pas très emballé à l’idée de déménager à Londres. J’allais être seul tout l’été et je ne retrouverais même pas mes amis à la rentrée, parce que je ne connaissais absolument personne là bas.
« On doit vraiment laisser Millie à tante Tracy? » Je prenais sur moi pour ne pas faire comprendre à ma mère à quel point tout ces changements ne me convenaient pas. Je n’aimais pas son nouveau copain, de ce que j’en avais vu je n’aimais pas Londres non plus et je ne voulais pas changer de maison. Mais je n’avais rien dit, parce que maman semblait heureuse pour la première fois depuis longtemps. Elle s’était assurée à plusieurs reprises que j’étais d’accord avec tout ça… Mais j’avais appris au dernier moment que notre chat ne pouvait pas venir avec nous.
« Le nouveau propriétaire n’accepte pas les animaux mais on reviendra souvent à Newcastle. Promis. » Elle déposait un baiser dans mes cheveux et je retenais ma respiration pour ne pas soupirer. Ou me mettre à pleurer.
6 a v r i l 2 0 1 5 ; Assis devant le dernier épisode de Flash, je sursautais lorsque la porte de l’appartement claquait. Prêt à râler, je m’abstenais en voyant ma meilleure amie et colocataire traverser le salon en furie sans prendre la peine de dire bonjour. La porte de sa chambre claquait dix secondes plus tard et je soupirais, mettant l’épisode sur pause. Ce n’était pas son genre de m’ignorer et je soupçonnais une nouvelle dispute avec son abruti, dont elle ne cessait de se plaindre mais avec qui elle restait pourtant. Sans prendre la peine de frapper à la porte, je pénétrais dans sa chambre et la trouvais sur le lit en larmes, comme je m’y étais attendu. La poussant pour pouvoir m’asseoir, je passais un bras par dessus ses jambes et l’observais en silence. J’aurais encore mieux fait de la laisser ruminer dans son coin, parce que dans ces moments là, j’avais de toute façon toujours tord. Parce que ‘je ne comprenais pas’, ou parce que ‘ça ne me regardait pas’. Toujours est-il qu’elle finissait toujours par me claquer l’une des deux options au visage et on finissait sur une dispute, dernière chose dont elle devait avoir besoin en ce moment. Je n’étais pas là pour en rajouter une couche, mais j’avais du mal à ne pas m’en mêler quand je la voyais dans des états pareils.
« J’veux plus rien savoir de lui. C’est fini, pour du bon. » J’arquais un sourcil sans faire de commentaire. Je ne comptais plus le nombre de fois ou elle m’avait tenu le même discours, pour courir au galop dans ses bras deux heures plus tard.
« Vas-y, dis-le. Tu m’avais prévenue. » Pour l’avoir prévenue, je l’avais fait. Cette relation était, selon moi, vouée à l’échec depuis le jour un. Les jours ou ils se prenaient la tête étaient bien plus nombreux que ceux ou ils passaient un bon moment mais pour une raison qui m’échappait, elle accourait toujours pour le reprendre.
« Pourquoi t’es aussi silencieux? » Je riais nerveusement et caressais son mollet d’un air réconfortant, pour alléger mes paroles.
« Parce que c’est fini pour la troisième fois cette semaine. Et que dans deux heures, quand ton clown va rappliquer, tu viendras me reprocher de t’avoir donner le fond de ma pensée. » Elle me rapprocherait de ne pas la soutenir assez, de me mêler d’histoire qui ne me regarde pas ou encore d’être jaloux de sa relation parce que je n’avais moi-même personne en ce moment. Je préférais encore signer pour cinq ans de célibat plutôt que de signer pour ce genre d’histoire, mais madame avait toujours raison, ça ne servait à rien d’essayer d’avoir le dernier mot.
« J’t’ai dit que c’était fini pour du bon. » Son ton était sec, agacée que je puisse douter de sa parole.
« On verra. » Je souriais et elle soupirait avant de me pousser avec ses pieds, m’invitant à quitter sa chambre ce que je faisais sans me faire prier. J’avais un épisode à terminer avant d’aller me préparer pour une soirée avec mes collègues. Entre mecs,
thanks god!2 j u i n 2 0 1 5 ;
« Owen?! Je dois te parler, c’est imp… » Judith entrait dans ma chambre, ne me laissant même pas le temps de nous couvrir, ce que je m’empressais de faire en me redressant, les yeux sortant pratiquement de mes orbites.
« Merde, fais chier… pardon, désolée. » Elle sortait de la chambre et je me laissais retomber dans le lit dans un soupire.
« Désolé. » Micah se relevait, rassemblant ses vêtements, visiblement bien plus énervée que moi par l’interruption impromptue. Elle m’avait déjà reproché à plusieurs reprises notre amitié ‘ étouffante ‘ alors qu’on se côtoyait depuis deux semaines à peine. De mon côté, j’étais surtout blasé et frustré. Même si on avait jamais été très doués pour frapper aux portes avant d’entrer, Judith avait l’art de débarquer au mauvais moment.
« Apprend à ta coloc à frapper aux portes, tu veux? » Même si y’avait toujours une pointe d’agacement dans sa voix, elle semblait se détendre et je me contentais d’un signe entendu de la tête. Elle se penchait pour m’arracher un baiser et se barrait, me laissant seule avec ma frustration. Après quelques minutes, on frappait à la porte de la chambre et la voix de ma meilleure amie me parvenait à travers celle-ci.
« C’est vraiment important Owen. » Je finissais par m’extirper du lit dans un grognement, enfilant un caleçon et un pantalon de training avant de sortir de la chambre. Je trouvais Judith à la cuisine, occupée à faire les cents pas un verre d’eau à la main.
« On s’étonne de mon célibat, mais avec tes entrées en scène, on comprend vite pourquoi. » Je lançais, narquois, avant d’aller au frigo pour me prendre une cannette de coca-cola.
« Je suis enceinte. » J’avais à peine eut le temps de reporter mon attention sur elle qu’elle me balançait sa bombe en plein visage. De but en blanc. Figé, je ne prenais pas vraiment conscience de l’importance de ses mots, comme si ces derniers venaient de me griller le cerveau.
« Je n'sais pas quoi faire. » Son regard paniqué cherchait le mien que je fuyais lâchement.
« Respire. Je suis de 10 semaines d’après la gynéco… C’est pas ton problème, abruti. » Je la sentais agacée mais aussi mal à l’aise d’avoir à le préciser. Egoïstement, un énorme poids dont je n’avais même pas conscience disparaissais de mes épaules. Y’avait jamais eut la moindre ambiguïté entre nous malgré notre complicité, Judith c’était mon double et mon opposé à la fois. Le petit bout de femme que je protégerais toujours, qui comptais parfois un peu trop sur moi, mais pour qui je n’avais pas la moindre attirance physique. Pourtant y’avait eut cette connerie. Cette foutue soirée de laquelle j’étais rentré bien trop alcoolisé pour la trouver dans un état presque semblable au salon. J’avais fêté la promotion d’un collègue, elle avait bu sa peine. Je n’avais pas énormément de souvenirs et ignorais sincèrement ce qui nous avait mener à finir dans le même lit, toujours est-il que c’était arrivé. Le classique, c’était pitoyable. On avait vite fait de se mettre d’accord à ne jamais mentionner cette nuit à nouveau mais elle n’avait pas trop eut le choix de le faire ce soir.
« Attend. T’as déjà eut un rendez-vous chez la gyné? Depuis quand t’as des doutes? Pourquoi tu ne m’en as pas parlé plus tôt? » Elle riait nerveusement et je fronçais les sourcils. J’étais toujours le premier à tout savoir et là, elle avait surement du s’inquiéter plusieurs jours sans oser en parler. Tout ça parce que j’avais eut le malheur sur 16 ans d’amitié de prendre le rôle d’amant une soirée.
« T’as vu ta réaction? J’voulais être certaine que c’était de Josh… Mais j’sais pas comment lui en parler, on s’est réconcilié y’a une semaine à peine. » Ok, j’avais prié pour ne pas être concerné, mais si ça avait été mon problème, je ne l’aurais pas laissée dans la merde pour autant. Elle savait parfaitement que je ne désirais pas être papa, ni aujourd’hui, ni dans dans dix ans mais je n’étais pas aussi lâche. Quoi que… Putain quelle erreur de merde! J’osais même pas imaginé le bordel que ça aurait pu être. Ni le bordel que ça allait être pour elle et son cher et tendre, mais ça, c’était pas mes affaires.
« Au passage, c’est aussi mon problème. J’ai pas signé pour que le bureau devienne une chambre de bébé. » J’essayais de m’en sortir avec de l’humour, comme toujours, mais vu son regard revolver, ça ne fonctionnait qu’à moitié aujourd’hui.
« T’inquiètes on restera pas bien longtemps dans tes pieds. » Pourquoi j’avais cette horrible impression d’être le méchant de l’histoire quoi que je dise? Je roulais des yeux et allait écraser un baiser sur son front.
« Je plaisante! Misère… Me dis pas que les hormones vont te rendre encore plus susceptible qu’avant. » Bon la chercher alors qu’elle était complètement paniquée n’était peut-être pas l’idée du siècle, mais puisque ‘ce n’était pas mon problème’ pour reprendre ses mots, je ne voyais pas trop ce qu’elle attendait de moi.
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« Tu peux me laisser faire mon travail trois minutes? Aux dernières nouvelles, c’est moi le médecin ici. » Je riais nerveusement, et la douleur m’arrachait une grimace. J’oubliais parfois à quel point ça pouvait caresser leurs petits égos de nous rappeler qu’ils étaient au dessus de nous, pauvres petits infirmiers. Comme si le fait d’avoir choisi cette voie était question de facilité, pas de réelle volonté.
« Au temps pour moi, boss. » Narquois, je n’en étais pas moins exaspéré mais tentais de relativiser. Au plus vite il en avait fini avec mes plaies et ses examens, au plus vite je serais autorisé à rentrer chez moi. Une victoire contre Tottenham nous avait menés droit au pub, comme d’habitude, si ce n’est que quelques uns de leurs supporters avaient décidés de nous chercher misère. Je n’étais pas du genre bagarreur et avait plutôt tenté de calmer le jeu, mais lorsque j’avais reçu un coup en tentant de séparer mon pote et un gars, je n’avais pas réfléchi avant de foncer dans le tas. Si l’alcool rendait malin, ça se saurait depuis longtemps.
« Essaye de rester tranquille en attendant tes résultats. » Il lançait, sur un ton à la fois paternel et blasé, tout en pressant légèrement mon épaule.
Les minutes étaient des heures. J’avais un mal de crâne insoutenable et tout l’alcool ingurgité au court de la soirée commençait sincèrement à se faire sentir. L’adrénaline était retombée et j’avais juste besoin de m’écrouler dans mon lit… Je luttais contre le sommeil, réfléchissant à tout et n’importe quoi pour me garder éveillé. L’idée même de rentrer en métro m’abattait. Tant pis, ça allait me couter un bras mais Uber serait mon meilleur ami ce soir. Je piquais du nez quand Ryan revenait -enfin- avec les résultats.
« Le poignet gauche est foulé, on va te poser un plâtre. Et t’as une commotion. » Un plâtre, génial. Là, tout de suite, l’idée d’avoir quelques jours de congés imposés semblait être la meilleure chose qui puisse m’arriver tant j’étais fatigué, mais je savais que demain j’allais regretter amèrement l’épisode de ce soir.
« Je rentre chez moi une fois le plâtre posé. Je reviendrai si y’a le moindre problème. » Ce n’était pas une question mais une affirmation. Je connaissais suffisamment les symptômes d’une commotion qui tournait mal et ne tenais pas à passer la nuit à l’hôpital. Une infirmière que je ne connaissais pas arrivait me poser mon plâtre et Ryan réapparaissait pour signer les papiers qui m’autorisait à rentrer dés qu’elle terminait.
« Je peux passer à la fin de mon service pour m’assurer que tout va bien. » Je ne pouvais m’empêcher d’avoir un sourire en coin que je masquais en baissant la tête alors que je me redressais du lit.
« Ça ira. Judith est à la maison, je suis sur qu'elle sera ravie de jouer aux infirmières pour changer. Mais merci pour la proposition. » Hors de question qu’on remette le couvert… Et autant dire que s’il passait la porte de l’appartement, c’était mort. Quoi que… avec un poignet foulé, 4 points de sutures à l’arcade et plusieurs hématomes sur le corps et au visage - sans compter mon état de fatigue - y’avait peu de chance qu’il arrive quoi que ce soit. Toujours est-il que j’avais envie de m’écrouler dans mon lit, pas de le partager.