we are stardust stories, my darling; things like us only exist in dreams.

Les mots tournaient dans sa tête même après une semaine. Ils déménageaient dans trois jours et depuis le début de la semaine, tout ce que Rioja apercevait, c'était des boîtes qui s'empilaient l'une sur l'autre. Elle ne savait pas comment elle devait se sentir : heureuse ou triste ? Ses parents n’arrêtaient pas de lui répéter qu’elle allait aimer Londres, que c’était une ville géniale où elle pourrait grandir et devenir la femme dont ils rêvaient qu’elle soit. Le seul hic était que tout ce que Rioja connaissait, c’était Valence. Son coin de pays. Sa terre natale. Valence, c’était dix ans de son existence. Dix années de rires, de pleurs et de joies. Dix années où elle s’était bâti des amitiés avec les voisins d’à-côté ou encore avec les filles de son école privée. Valence, c’était son pays à elle. Londres, c’était le pays de sa mère. Celui qu’elle avait visité quelques fois, mais dont elle ne gardait pas le moindre souvenir et maintenant, elle devrait y vivre ? Rioja n’aimait pas le changement et celui-ci était de trop pour elle. Même si ça disait recommencer à zéro, Rioja n’avait pas la moindre envie de recommencer à zéro. Elle n’avait pas envie de commencer une nouvelle histoire, de devoir écrire sur une page blanche. Rioja voulait écrire dans le même livre, celui qui portait le titre : Valence, Espagne. Alors, contrairement à ses parents, Rioja n’avait aucune boîte de commencer. Elle repoussait au dernier moment en espérant que ses parents lui annoncent que finalement, ils restaient ici parce que c’était ce qu’elle voulait : rester ici. Ne pas partir. Dévalant les escaliers à toute vitesse, Rioja passait devant deux boîtes et lançait un regard de dégoût à celles-ci. Malgré le vieux casque sur les oreilles, Rioja arrivait à entendre ses parents s’activer dans la cuisine. Avant qu’ils ne l’arrêtent pour lui demander de faire des boîtes, Rioja se dirigeait vers la porte d’entrée, prête à partir pour aller rejoindre la voisine d’à-côté puis à la dernière minute, elle se ravisait de cette décision, tournait les talons prenant la direction de la cuisine où elle savait qu’elle trouverait ses parents, sourires aux lèvres, heureux de cette décision. « Je n’ai pas envie de déménager. Vous me forcez à quitter Valence et ce n’est pas très gentil de votre part. » Lâchait-elle très vite avant que la honte s’empare d’elle. Son regard passait de son père à sa mère alors que leurs yeux étaient braqués sur elle. Toujours dans ce même silence, Rioja tournait les talons, une seconde fois, et se dirigeait vers les escaliers qu’elle avait dévalé il y a quelques minutes et montait à sa chambre en claquant la porte de sa chambre derrière elle. Elle n’avait que dix ans et elle avait l’impression que le monde s’écroulait sous ses pieds.

Son regard avait encore croisé le sien. Depuis quelques temps, Rioja avait l’impression de le croiser partout. Peu importe où elle se dirigeait, il semblait se trouver sur son chemin comme si Dieu l’avait mis sur son chemin. Les premières fois, elle avait trouvé tout cela très étrange : constamment croiser la même personne, ce n’était pas commun. Ou alors peut-être que si et c’était juste elle qui virait folle. Puis, au bout de deux semaines, Rioja avait commencé à le chercher du regard, comme si elle attendait qu’il se trouve dans son champ de vision pour qu’ils échangent, encore, un sourire. C’était devenu leur marque de commerce : un sourire. Rioja ignorait son prénom. En fait, elle ignorait tout de lui. Elle ne connaissait même pas son prénom. Juste qu’il était étudiant parce que sinon, il ne serait pas sur les lieux quoique c’était encore drôle. Parfois, lorsqu’elle le croisait, Rioja avait l’idée d’aller lui parler, mais elle se retenait. Trop timide. Trop intimidée par lui. Lorsqu’il n’était plus dans son champ de vision, Rioja se faisait la remarque qu’un jour, ils allaient arrêtés de se croiser un peu partout. Un jour, il ne serait plus là ou même elle ne serait pas là et ce serait la fin. « Tu l’as encore croisé ? » Appuyée contre la porte, Rioja lançait un regard à son amie alors que ses lèvres s’étiraient en un sourire en coin. « Je ne sais pas de quoi tu parles, Chelsea. » Répondait Rioja tandis que Chelsea rigolait. Depuis que Rioja lui en avait parlé, Chelsea ramenait ce sujet sur la table. Chelsea s’intéressait trop à sa vie sentimentale parce qu’elle était certaine que Rioja ne méritait pas d’être célibataire. Chelsea voulait que son amie soit heureuse comme elle, elle l’était avec son copain. « Ouais, ouais ! Dis-le à ton visage, Rio. » Ses bras se resserrent contre les cahiers et sa tête se secouait dans tous les sens, ses yeux se levant au ciel. Qu’est-ce qu’elle en savait, elle, de toute manière ? « Mon visage ne dit absolument rien, ajuste tes lunettes, Chelsea. » Au tour de Chelsea de lever les yeux au ciel. « Tu devrais lui demander son prénom et son numéro. Tu n’y perds rien. » Préférant ignorer son amie, Rioja se décollait de la porte afin de tirer sur celle-ci et allant s’asseoir sur ce banc de cette université prestigieuse. Rioja entendait toujours le rire de Chelsea dans sa tête, cinq minutes après qu’elle se soit éloignée d’elle.

Soupir. Ça devait bien faire dix minutes qu’elle se trouvait devant ce miroir, à soupirer toutes les cinq secondes. Rioja ne supportait pas de contempler son reflet dans le miroir parce qu’elle avait honte. Honte que ce soit arrivé à elle alors que sa mère lui avait bien fait la discussion sur le sexe protégé. Mais c’était arrivé et Rioja ne s’imaginait pas se faire avorter. Si Bodevan décidait de tourner les talons et de partir, elle n’allait pas le retenir. Non, elle allait simplement savoir qu’il n’avait pas été le bon. Qu’il ne la méritât pas dans sa vie parce que Rioja méritait un homme qui serait toujours présent à ses côtés, malgré toutes les obstacles que la vie mettait sur son chemin. Soupir. Elle allait bien voir dans quelques minutes lorsqu’il viendrait toquer à la porte de la salle de bain pour lui demander si tout allait bien. Après tout, Rioja était la raison pour laquelle Bodevan était ici. Elle lui avait demandé de la rejoindre ici le plus rapidement possible. Sur le comptoir, traînait tous les tests de grossesse possibles. Tous étaient positifs ce qui avait encore plus terrifiée Rioja. Enceinte, voilà, elle était enceinte. Un mot tellement facile à prononcer et qui, pourtant, donnait des sueurs froides à Rioja. Elle ne pouvait pas lui annoncer comme ça, il fallait qu’elle lui annonce la nouvelle doucement. Finalement, son regard se relevait et croisait son reflet dans le miroir. Pendant quelques secondes, elle contemplait celui-ci en caressant son ventre. Ça lui semblait bizarre. De porter un enfant. Puis, elle poussait un millième soupir et déverrouillait la porte de la salle de bain en prenant la direction du salon où Bodevan se trouvait, assis. Naturellement, elle allait passer une main dans ses cheveux et l’embrasser sur la joue en lui souriant pour finalement s’asseoir devant lui, sur cette table basse qui servait à faire reposer les pieds. « J’ai un truc à te dire... » Commençait-elle en se tortillant les mains et regardant le sol sous ses pieds parce qu’elle était encore honteuse de cette situation. Rioja l’avait un peu acceptée, mais pas complètement. « Je veux juste que tu me promettes quelque chose… Ne soit pas fâché contre moi Bodevan. » Inspirant profondément, elle plantait – enfin – son regard dans le sien. Elle voyait bien l’inquiétude sur son visage. Il s’inquiétait et elle espérait qu’il resterait parce que Rioja n’avait pas envie d’être mère célibataire. Elle ne voulait pas se tromper sur sa relation avec Bodevan, elle voulait croire qu’elle aurait sa fin heureuse avec lui. Qu’ils seraient heureux et vivraient assez vieux pour se raconter leurs souvenirs dans des chaises berçantes. Elle voulait ce futur avec lui. Elle voulait vieillir à ses côtés. « Je… Hum… Je suis enceinte, Bo ! » Lâchait-elle après s’être raclée la gorge. Pour confirmer ses propos, elle s’emparait du test de grossesse qui était dans la poche arrière de son jean.

Son monde s’était écroulée sous ses pieds. Rioja avait constamment l’impression qu’on lui exerçait une pression sur son torse assez longtemps pour que ses poumons manquent d’air et que cette personne relâchait cette pression au dernier moment afin de lui donner l’impression qu’elle respirait toujours. Qu’elle fût toujours sur cette Terre alors que sa fille ne l’était plus parce que c’était sa réalité. Rioja était toujours en deuil, un an après le décès de son unique enfant. Maintenant, la vie lui semblait sans goût, terne. Même cette tasse de café ne goûtait rien. Par contre, la fumée qui s’en émanait réchauffait le visage de Rioja. C’était le seul réconfort qu’elle avait depuis un an. Cette tasse de café. Le reste n’avait plus d’importance. Café en main, elle écoutait une jeune femme parlé de ses expériences avec l’alcool. Malgré tout ce temps dans ces réunions, Rioja se demandait toujours pourquoi elle continuait de venir et à chaque fois, elle se remémorait cette fois où elle avait été à deux doigts d’y passer. Au fond, est-ce que ça aurait fait une différence ? Rioja l’ignorait. La vie n’était pas identique sans son enfant près d’elle. C’était plus difficile. On lui avait dit qu’un jour, elle irait mieux. Ce jour n’était toujours pas arrivé. Elle allait toujours mal et Rioja avait essayé de dissimuler son désespoir avec l’alcool. Elle avait essayé de surmonter cette pente seule, en s’éloignant de son mari. Pendant un temps, l’alcool avait été la raison de son réconfort. Peu importe l’heure, c’était le bon moment pour Rioja de boire un peu d’alcool. Ça lui donnait l’impression d’être vivante pendant quelques heures. Puis, un jour, on lui avait fait comprendre qu’elle ne pourrait plus toucher à la moindre goutte d’alcool. On lui avait dit qu’elle devait arrêter avant qu’il ne soit trop tard parce qu’elle avait survécu. « Rioja ? Que pensez-vous de partager votre histoire aujourd’hui ? Ça fera bientôt un an que vous êtes avec nous et vous n’avez toujours pas dit le moindre mot. » Est-ce que c’était la fin du monde ? Non. Mais pour cette femme, il semblait que ce soit le cas. Rioja trempa ses lèvres dans le café tiède, grimaçait intérieurement du goût. « Non. » Répondait Rioja en essayant d’afficher une expression désolée. « Pas ce soir. Une autre fois. » Rioja n’avait pas envie de partager son histoire avec des étrangers. Parce que même s’ils se retrouvaient depuis un an, ils étaient toujours des inconnus à ses yeux. À la fin de la réunion, Rioja rentrait chez elle. Dans cette appartement vide et froid. Pourtant, elle y était bien dans cet appartement. Certes, ce n’était pas la même chose que de vivre aux côtés de Bodevan, mais depuis l’incident, Rioja n’avait pas la force de cohabiter avec son mari. Ils avaient tous les deux perdus la même personne. Ils souffraient tous les deux, mais ils s’étaient éloignés. Sans retirer le moindre vêtement, Rioja se laissait tomber sur son lit avant d’inspirer profondément et d’expirer. Son regard se portait sur la photographie de sa table de chevet. Kala. Rioja se demandait toujours pourquoi cette photo était là puisqu’à chaque fois qu’elle y déposait son regard, Rioja avait envie de pleurer. Non, elle pleurait, en fait. Comme en cet instant, elle pleurait. Pleurait jusqu’à s’endormir. Demain, elle irait bien, se disait-elle dans sa tête. C’était un mensonge. Même elle savait. Alors, Rioja se convainquait qu’un jour, elle irait bien.