Gia Williams - Terminé

Le bureau sentait comme toujours la violette et la sueur. Drôle de combinaison. Le tableau représentant… quoi d’ailleurs ? Un cerveau ? Oui, ça devait être ça. De toute façon, dans le cabinet d’un psy, ça ne pouvait qu’avoir un rapport avec le cerveau, non ? Elle s’installe dans le profond fauteuil de cuir tandis que Gia s’étend sur le sofa. Ce putain de sofa qu’elle ne peut plus voir en peinture. Mais si elle veut retrouver son boulot, elle doit jouer le jeu. La seule chose qui lui reste, c’est son boulot. Alors, elle ne peut pas merder, non. Même si elle estime qu’on devrait lui foutre la paix. Elle en a marre de revivre ça. Elle veut passer à autre chose. Mais paraît que pour passer à autre chose, faut revivre ça… A devenir tarée comme raisonnement. Elle soupire.

Alors Gia, de quoi voulez-vous parler aujourd’hui ?

Rentrer dans son jeu, même si elle n’en a aucune envie.

Et bien, j’imagine que tout histoire a un commencement et que c’est lorsque tout est terminé qu’on repense à la façon dont cela avait commencé…

****** Irak – 2009 *****

Un merdier sans nom. Elle sent les gouttes de sueur perler le long de sa colonne vertébrale. Qu’est-ce qu’elle fout là bordel. Si loin de chez elle. Faire une guerre pour le président d’un autre pays. Les anglais ont toujours été proches des américains, bien plus que des européens. Ils partagent la même culture anglo-saxonne après tout. Et c’est pour ça qu’elle se retrouve embourbée avec ses hommes, à hurler des consignes pour se mettre à couvert. Il paraît que la guerre en Irak est terminée depuis 2003. Cette blague ! La guerre officielle est finie, ouais. La guerre officieuse, elle, continue. Et ce sont les soldats qui crèvent, pas les grandes huiles à Washington ou Londres. Gia est commandante de régiment. Elle a fait ses classes et monté dans la hiérarchie avec la niaque qui la caractérise. Mais aussi l’intérêt pour ses hommes. Elle est profondément altruiste. Elle connait chacun de ses hommes par leur prénom et connait leur histoire. C’est pour cette raison qu’il la respecte et la suive. Pour cette raison qu’ils lui font confiance. Et là, elle les a menés droit à la boucherie. Les rebelles irakiens ont tendu une embuscade. Qui ils sont, pour l’instant, elle en sait foutre rien. Et pour le moment, peu importe qui leur tirent dessus, tant qu’ils s’en sortent vivants. Elle s’est couchée à plat ventre et rampe pour essayer de rejoindre une planque convenable. Elle n’a que le temps de s’éloigner. Elle tourne le regard pour faire signe à ses hommes quand une gigantesque explosion transforme ses camarades en lambeaux de chair palpitant. Elle est projetée par le souffle de l’explosion et sent une douleur terrible lui déchirer la cuisse. Elle sombre dans l’inconscience….

*********
Vous vous êtes réveillé à l’hôpital, c’est bien ça ?
Oui. J’avais pris un éclat de bombe dans la cuisse et j’ai dû rester deux bons mois à l’hosto.
Très bien. Est-ce tout ?

Gia respire en fermant les yeux. Tant de souvenirs remontent. D’ordinaire, elle les aurait enfouis comme elle fait d’habitude. Mais si elle veut retrouver son job, elle doit jouer le jeu. Alors allons-y franco.

***** Londres – 2007******

Elle se jeta à plat ventre en rampant. Elle serrait son FAMAS contre elle tout en essayant de ses mettre à couvert. Elle arriva enfin à un énorme assemblement de parpaing et elle se jeta derrière. Son dos rencontra un obstacle et elle se retourna, prête à tirer. Son regard rencontra celui d’un homme. Elle savait qu’il était français d’origine. Jean. Un homme réservé et fort. Et un homme qui lui plut au premier regard. Ils restèrent tous les deux à se menacer pendant une fraction de seconde jusqu’à ce qu’il rompe le silence.

Je te couvre à droite.
Reçu.

Elle ne put s’empêcher de lui adresser un sourire en coin et ils pivotèrent, se plaçant dos à dos pour viser et tirer. La formation qu’ils suivaient était complète. La sécurité. Terme très large. Et il y avait des travaux pratiques bien sûr. Ils restèrent ainsi ensemble pendant toute une semaine. A la fin de la semaine, ils étaient ensemble.

********

Jean a été l’amour de votre vie.
Si vous le dites…
Ce n’est pas moi qui le dis, c’est vous. Vous me l’avez confié, vous l’avez oublié ?
Un moment de faiblesse.
Et vous n’aimez pas être faible, n’est-ce pas ?
Non. Les faibles n’ont pas toujours quelqu’un comme moi pour les protéger.
Si nous enchaînions ?

La gorge de Gia se serre. Elle sait ce qui lui vient à l’esprit immanquablement lorsqu’elle pense à Jean. Elle doit le faire. Elle doit en parler. Elle doit le dire. Elle serre les dents, une boule énorme s’enfonçant dans sa gorge. Elle respire profondément pour desserrer l’étau qui comprime sa poitrine.

****** Londres – 2015******

La journée avait été épuisante. Gia avait intégré le MI5 après la fin de sa formation. Elle s’était installée avec Jean, et ils avaient un petit garçon âgé de 7 ans, Tom. Un petit ange aux cheveux noirs. Magnifique, doux et gentil. La prunelle de leurs yeux. Gia et Jean n’avait pas beaucoup de temps, la jeune femme était devenue directrice du MI5 après tant d’années en son sein. Elle faisait encore un peu de terrain mais très peu. Cette journée-là, elle savait qu’ils fêtaient leur 7ème année de mariage. Elle avait hâte de rentrer serrer son mari et son fils dans ses bras. Elle était enfin arrivée. Tom était chez son copain et Jean ne tarderait pas à rentrer, il était allé le chercher en voiture. Il n’arriva jamais… Elle entendit son portable sonner. Elle décrocha, sourire aux lèvres en reconnaissant le numéro de Jean.

Bonjour, mon amour ! Tu as récupéré Tom ?
Gi…

La ton de voix la glaça littéralement. Jean… pleurait ?! Elle n’avait jamais de sa vie vu son mari pleurer. Il se passait quelque chose de grave… Elle n’entendit que les débuts de sa phrase. Tom… Accident de voiture… Hôpital… Etat critique… Elle lâcha le téléphone et s’effondra de douleur au sol. Elle qui avait traversé les guerres. Tom est mort un samedi matin… Et son mariage avec lui.

********

Pardonnez-vous à Jean ?
Jamais je ne pourrais lui pardonner.
Pourquoi ?
C’est de sa faute si Tom est mort. S’il était allé le chercher comme prévu, jamais tout cela ne serait arrivé.
Il était allé chercher un cadeau et de quoi faire un bon repas pour votre anniversaire de mariage.
Vous croyez vraiment que je préfère qu’il ait pensé à notre anniversaire de mariage plutôt que mon fils soit en vie ???
Ce n’est pas ce que j’ai dit. Cela aurait pu arriver avec Jean au volant.
OUI, MAIS CE N’EST PAS ARRIVE, OK ?!!! C’EST ARRIVE PARCE QUE MON MARI A EU LA BONNE IDEE DE DEMANDER A KATE DE RACCOMPAGNER TOM A LA MAISON !!!! RIEN DE TOUT CELA NE SE SERAIT PASSE SANS CA !!!
La colère ne vous aider pas.
AH OUI ???? VOUS CROYEZ CA !!!

Gia se lève, en deux pas, elle est devant le bureau de la psy, folle de rage. Elle jette violemment tout ce qui se trouve dessus au sol et frappe sur le meuble de bois jusqu’à s’éclater les phalanges. Se retournant, elle s’approche de la psy qui se crispe, la peur marquée sur son visage. Elle l’attrape par le col, tâchant de sang son joli chemisier.

Dites-moi alors pourquoi ça me fait un bien fou de détruire des choses ???

Des secondes de silence passent. La psy est paralysée de peur. Elle sait que le moindre mot de travers peut faire exploser Gia. Elle la relâche finalement et se barre, claquant la porte.

Et merde…