Je ne comprenais pas avant. Je ne comprenais pas comment une simple date pouvait nous replonger avec autant de réalisme dans nos souvenirs, souvenirs qu'on aurait voulu enfouir au plus profond de nous même. Je pensais à lui. En permanence. Je ne pensais pas avoir besoin d'un calendrier pour me dire tiens, la date approche, ça va être de pire en pire. J'avais été stupide. Stupide de ne pas y croire, de ne pas m'y préparer. A présent, la date de sa disparition arrivait à grands pas, je mourrais d'envie de faire marche arrière, de m'enfuir dans l'autre sens. Au lieu de ça, je restais clouée sur place, emportée par le temps, n'ayant d'autre choix que d'y passer. Je comprends à présent. Petite, je me souviens d’un livre affirmant que les souvenirs étaient comme des poussières. Mais pas n'importe quelles poussières. Comme si elles étaient un peu magiques. Je me trouvais complètement stupide d’y croire avec le recul, mais il y avait des poussières de souvenir. Et puis il y avait le temps qui serait comme le vent. Le vent qui balaie tout doucement tous ces souvenirs, quand le temps commence à faire son travail. La plupart des poussières s'envolent loin, retombent au milieu de nulle part et on les oublie. Mais il y en a quelques unes qui se déposent, un petit peu plus loin, mais pas assez et, parfois, le vent les ramène, et tout revient. Je n'avais plus qu'à attendre que le temps passe et que le vent recommence son travail. « Vous pouvez vous asseoir à côté de moi, petite. » Je pose mes yeux sur le vieil homme en face de moi, absente, sans savoir si c’était bien à moi qu’il s’adressait. Les bras croisés contre ma poitrine, adossée de tout mon poids au mur, j’étais prête à m’endormir, bercée par les ronronnements des machines infernales, leurs bips insistants et la télévision en fond. En ce mois de juillet, la climatisation était sûrement en marche mais je me sentais moite, la tête lourde, des fourmillements dans le corps, complètement engourdie. Je tuerais aussi pour une canette de soda, un thé glacé ou simplement un grand verre d’eau glacée. Ayant raté mes deux dernières dialyses, je pouvais tirer un trait dessus ce qui ne faisait qu’attiser mon désir. Je me force peu à peu à sortir de ma léthargie. Le vieil homme me sourit doucement et je secoue la tête comme seule réponse, le regard sombre. Je ne voulais pas m’asseoir. Je ne voulais pas être là. J’avais l’affreuse impression qu’à la seconde où je m’éloignerais de ce mur, je m’écroulerais, sans dignité. Je ne ferais pas un pas. Mais je ne rêvais pourtant que d’une seule chose, m’enfuir d’ici. Et ne plus avoir à faire face à cet homme qui me regarde avec cette bienveillance que seules les personnes âgées pouvaient avoir face à l’insolence dont je faisais preuve. Je suis des yeux les tubes qui le relient à la machine. Il devait avoir 80 ans. « Ca fait … Depuis combien de temps êtes-vous … », je suis surprise d’entendre ma voix, surprise moi même de prononcer ces mots à haute voix. « Enfin, vous savez », finis-je en désignant distraitement tout l’attirail qui l’entourait. J’avais beau parlé bas, la pièce pouvait bien être remplie d’autres conversations anodines, j’avais le sentiment que l’on entendait que moi. « 8 ans déjà. » Il me le dit avec un sourire. Je fronce les sourcils. Comment pouvait-il sourire ? Cela faisait trois ans que je supportais cela et ce, simplement parce que je n’avais que 22 ans et toute la vie devant moi, selon mes charmants médecins. Comment pouvait-on s’infliger une fin de vie relié à des machines ? « Tu as déjà été pesée ? Allez, viens t’asseoir, ça va être ton tour. Ca ne me fera pas de mal d’être à côté d’une jeune pour une fois. » Oui, on m’avait pesé. Encore une fois, comme on pèse les vaches pour les pointer et déterminer leur capacité laitière. On m’avait pesé et demandé d’attendre là qu’une machine se libère. L’infirmière était elle-même surprise que je me sois pointée aujourd’hui. A croire que je n’étais pas attendue. J'avais vomi toutes mes tripes ce matin encore et manqué de m'évanouir dans le métro, voilà pourquoi j'étais là. Je n'arrive pas à croire que je fais la queue maintenant. J’ai l’impression d’étouffer. J’ai besoin d’air et j’ai soif. Tellement soif. Et je meurs d'avance de penser que je vais passer les cinq prochaines heures ici, à côté de ce vieil homme qui a l’air ravi de son sort, comme si il n’y avait pas mieux à faire à l'extérieur. « Non merci, je suis pas là pour ça, j’attends quelqu’un, j’vais voir ce qu’elle fabrique. » Je décroise les bras, me décale du mur et me dirige vers la porte à grande enjambée. Plus d’énergie que prévu lorsqu’il s’agit de s’enfuir d’ici. Je ne regarde pas devant moi, je ne veux pas tomber sur l’infirmière et avoir à argumenter et me justifier. Je veux simplement partir. Tellement que je passe la porte avec empressement, tourne sur la droite et bute sur quelqu’un.
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(✰) message posté Mer 30 Juil 2014 - 21:13 par Invité
Hôpital , 14h17
J'avance... Je ne sais pas où je vais , mais j'avance. Peut-on se perdre sans l'être? Un bandage sur mon bras, j'avance l'âme sombre. J'ai mal, ces connards m'ont ôté le sang sous la peau. Une poche encore une. Je me suis cogné trop fort. Moi qui grimpait comme un singe aux docks et containers quand j'y bossais. Le plus rapide, le plus agile. je me suis pris des chutes phénoménales, j'ai sauté de bien plus haut des falaises dans la mer... Amateur de sensations fortes, et là je me retrouve réduit à me prendre une porte et en chier que le diable. Ce jour là, j'ai bien cru que j'allais défoncé le mec qui m'avait collé la porte en pleine poire. Si ça avait été le visage, j'étais bon pour les soins intensifs, il m'éclatait en beauté. Ma main frotte le pansement nerveusement. Je grimace en dépassant la grosse infirmière aux chaussettes bleues, qui me reconnait et me fait un grand sourire. Putain, elle, un jour, elle va me demander en mariage. Non. Je trouverai une excuse. J'essaie de la fuir par tous les moyens, mais elle a un focus malsain sur ma personne. Brr . Je crois que j'ai pas suffisamment été abstinent pour l'accepter comme une potentielle victime. Quelle ... hr....non. Ok , penser à autre chose. Je tourne à un couloir et voit un gamin déambuler entre les gens, avec un paquet de chips. J'avance, pensant que la mère n'est pas loin, après tout, qui aurait l'idée de perdre son mome dans un hôpital. Alors je passe à coté en enfonçant mes mains dans mes poches de jean, une main ayant remonté le col de mon cuir sur mon cou un peu marqué de mes veines à vif. Je suis malade c'est plus un secret et je commence à ne plus pouvoir le cacher. Même mes yeux commence à rougir par moment quand la pression du sang est trop violente. Je sillonne entre deux docteurs mais j'entends un reniflement. Je m'arrête et tourne la tête en arrière. Le gamin est toujours tout seul. Je regarde dans le couloir, aucune femme. Les hommes présents n'ont pas l'air très concerné par l'affaire. Je plisse les yeux et soupire en regardant par la fenêtre qui donne sur la route plus bas. Je déteste ce monde, la plupart sont des irresponsables. Ca me rappelle quand ma mère me laissait seul et qu'il a bien failli m'arriver de nombreux accidents si mon père ne débarquait pas à chaque fois au bon moment , et cela se finissait bien entendu en engueulade entre les deux. J’abhorre les parents irresponsables nom de dieu. J'observe le ciel un court instant, accusant l'autre tout puissant de mes deux de ne pas avoir aider ce petit bout. A croire qu'il n'existe que pour les adultes. Et lui de repondre: Mais si regarde Aidan, tu vas l'aider cet enfant c'est ce qu'il faut. Ouais et si je veux pas? Sauf qu'il sait que c'est plus fort que moi. Et merde tiens. Je fais demi tour et m'approche du petit brun aux chemins mi longs. Je me frotte la tête, me racle la gorge et pose une main sur sa tête trés doucement. - Hey... Ma voix se fait calme et je m'accroupit en lui attrapant un peu le bras, sans serrer pour le retrouver. - Tu es perdu? Elle est où ta maman p'tit bonhomme...? - Je sais pas .....Mamannn.... Et là bien spur, vous connaissez tous la tête que fait un enfant à qui on fait remarquer qu'il est perdu et que sa maman n'est plus là. Ses joues, ses yeux et sa bouche se déforment pour pleurer, lui donnant une tête entre l'alien et le bébé qui vient de naitre, tout rouge et fripé. - Oh non non non! Chhh . Du calme, je suis un policier, tu aimes les policiers hein ! - Nannnn , ihnnnnn.... Je veux ma mamannnnn..... ihhnnnnn.... Oh putain. Bon euh... hum. J'agite une main , en souriant. Zen. Comment on fait quand on a l'instinct paternel? Comment on fait !!! Rah bordel , ok réfléchir. Je fronce les sourcils alors que le gamin continue de pleurer à voix basse. Oui non parce qu'un enfant vraiment malheureux , c'est pas celui qui fait une crise. Il se déforme la tête mais c'est plus un bruit de canard asthmatique qu'un hurlement de révolte en fait. - Ok ok , alors euh... je suis pas policier oublie. Tu te souviens plus où tu étais avant? Il vient d'où ce paquet de chips? - T'es un inconnu... hiiiiinnnnn Je vais me frapper la tête au mur... - Bah oui, j'en suis un mais toi aussi. On est deux inconnus voila. J'm'apelle Aidan . Et toi , tu t'appelles comment? - Peter... hiiiinnnnn On peut pas débrancher la sirène? Y'a un bouton. Je grimace, il me fait grincer les oreilles. Je regarde autour de moi et d'un coup , je lève un doigt avec une tête toute étonné. - Écoute ! Le gosse arrête de pleurer d'un coup et louche sur mon bras blessé. - C'est pas ta maman qui appelait là? T'as entendu ? Il fait non de la tête avec un visage poupon normale sous ses mèches noires en pétard. Ses petites mains serrent le paquet de chips, tout attentif, et il bouge plus. - Écoute, murmurai-je le doigt toujours en l'air. On la trouve ? Elle joue peut-être à cache cache dans l'hopital. Allez viens. Promis on sort pas de l’hôpital, on va la trouver. Il me serre la main et me suit. Je suis un peu agacé, mais il ne le voit pas. je suis inquiet pour ce gamin. Putain comment on peut aussi conne c'est pas vrai ça ! Perdre son gamin ! En plus, c'est pas comme s'il était dissipé celui là. Je croise quelques membres du personnel et leur demande mais personne ne sait , ce qui ne fait qu'accroitre mon stress. Je cherche du regard une femme inquiète, fait demi tour, passe de l'autre coté du service, pour finalement descendre sur les autres étages... Oh que ça me gonfle. Je finis par prendre le petit dans mes bras, ses jambes sont trop petites, il a du mal à suivre. Il s'accroche à mon cul et je pense soudainement que je ne pourrais jamais être père. Ma gorge se serre.... Ok , non c'est pas le moment de délirer , faut trouver cette irresponsable. - Ton bras a bobo, c'est un tueur qui a fait ça ? Je hausse un sourcil et le regarde. - Pourquoi tu dis ça? - Mon papa il est tueur. Il dit qu'il peut tuer les policiers, et que c'est des Plairots.... - je crois qu'on dit blaireau. Ton papa il est où? - En prison. C'est maman qui l'a dit. Je plisse les yeux et soupire. - Tes policier donc t'es un plairot? - Euh...
Que répondre à ça si ce n'est que j'ai envie de m'énerver autant que rire. Voila autre chose je suis un plairot. Ok , je suis pas policier mais faut bien lui dire un truc à ce gamin. Le pauvre. Je vais lui dire quoi? Que je suis un étranger, que je vais finir clodo et que je vais mourir? Pas crédible. - Dis pourquoi tu dis pas? Et pourquoi tu as pas de pistolet? - Je suis pas en service. On dort pas avec tu sais. Je pousse une porte du dos, et il sert encore plus son paquet de chips. Il devrait pas, il va tout nous faire péter à la tronche avec ses idées là. - Fais attention , tes chips, ça va être de la purée après. Ça a au moins le mérite de le faire rire. Je me retourne et avance dans un morceau de couloir, passe devant les ascenseurs, quand quelqu'un me rentre dedans . Alexandra? Mais elle fait quoi ici? Elle est venu cette fois-ci? Le petit la lorgne comme si elle débarquait de Mars. Elle courrait. Quoi elle s'enfuit encore? Pas de bol , fallait choisir un autre jour. Je prends mon air théâtral et grand smile. - Alexandra ! Quelle surprise ! Quoi tu vas me quitter si ? Tiens, aide moi, j'ai trouvé ça. Je lui pose le petit garçon de six ans environ dans les bras, de force. - Ça s'appelle un enfant. Il est interdit de l'abandonner, il a perdu sa maman. Son nom c'est Peter. Peter écoute-moi bien , tu vas rester avec cette dame, elle est très gentille, elle adore courir partout et cueillir des fleurs, et elle aime aussi les dragons et les docteurs qui soignent les petits chats. Tu bouges pas, je vais chercher ta maman ok ! Vous bougez pas!
Qu'est-ce que je raconte? j'en sais trop rien de ce qu'elle aime vraiment en fait mais on s'en fout, l'essentiel c'est que lui il y croit. Et d'ailleurs: - C'est vrai , t'aime les dragons qui mangent les docteurs qui soignent les bébés chats? Ma maman, elle dit que les chats ça peut donner plein de maladies et qu'il faut les tuer. Alors papa, il le faisait. Woh. Je grimace en levant les mains, genre: oui je sais il est particulier, c'est peut être bien les dragons qui mange les docteurs non? Un bref sourire, et je cours vers les ascenseurs en criant : - Tu me détesteras plus tard , vous bougez pas je reviens! - Au revoir monsieur Plairot ! gueule le mome en agitant son paquet de chips alors que je prends un ascenseur au vol, direction l'accueil de l'hopital. Tu parles d'une histoire, ils vont tous me tuer, mais bon. Je le fais. Et c'est tout ce que j'ai trouvé pour empêcher Alexandra de fuir. Elle , je m'occuperai de son cas après.
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(✰) message posté Jeu 31 Juil 2014 - 15:00 par Invité
Alexandra ! Quelle surprise ! Et mer-credi. Je regarde derrière moi comme une fugitive qui craint de se faire rattraper par ses geôliers, j’ai envie de lui dire de baisser la voix, on va nous entendre. Cette fichue infirmière va rappliquer, me faire la morale comme si j’étais une gosse, m’attacher au siège et me collera ses tubes de malheur dans le bras avant même que je ne puisse cligner des yeux. Je m’attarde une seconde sur Aidan, histoire de ne pas le planter là sur le champ et de déguerpir comme une voleuse, comme si j’avais quelque chose à me reprocher. Mes sourcils se froncent instantanément tandis que mon regard fait des va-et-vient entre lui et l’enfant dans ses bras. Allons bon … Qu’est-ce que j’ai raté dans son histoire pour ne pas avoir compris qu’il avait un fils en plus de tout … Je suis d’une humeur massacrante. A quelques secondes près, j’aurais pu être dehors. Mal en point certes, et ça n’aurait fait que s’aggraver, mais dehors tout de même. Loin de cet environnement qui m’oppresse. Je pouvais indiquer précisément où j'avais mal, mesurer la longueur, l'épaisseur, le diamètre de la barre qui m'écrasait le plexus et m'empêchait de respirer convenablement. Le médecin me dirait que ces symptômes sont dus aux dialyses que je manque, que je fiche en l’air mon cœur en plus de mes reins, mais je persiste à penser que tout irait mieux si je sortais d’ici. Il me tend l’enfant. « Quoi ? Non, attends, Aidan … » Disons plutôt qu’il me le fourre dans les bras, je flanche et je n’ai comme seul choix de l’agripper pour ne pas le laisser tomber. Je n’avais pas évalué son poids, ça doit être une blague … J’aurais préféré le porter à bout de bras, un peu comme un paquet qui a trainé partout et qu’on ne voudrait pas coller contre soi mais l’enfant accroche ses bras autour de mon cou comme un paresseux s’accroche à sa branche. Je grimace et Aidan doit remarquer mon agacement puisqu’il continue, fier de lui. « Ça s'appelle un enfant. Il est interdit de l'abandonner, il a perdu sa maman. Son nom c'est Peter. Peter écoute-moi bien, tu vas rester avec cette dame … » « Cette dame ? », je l’interromps sans ciller et complètement blasée. « … elle est très gentille, elle adore courir partout et cueillir des fleurs, et elle aime aussi les dragons et les docteurs qui soignent les petits chats. Tu bouges pas, je vais chercher ta maman ok ! Vous bougez pas! » Le petit a l’air ravi, cette description finit, moi, de m’achever. Je n’étais décidément pas faite pour les enfants. Je n’arrivais pas à faire semblant, je n’arrivais pas à me mettre à leur niveau, à les faire sourire, ils finissaient, en pleurs une fois sur deux pour les plus sensibles, à me détester pour le reste. Je n’ai pas l’esprit maternel, je ne l’aurais sans doute jamais et je n’en avais pas honte, je me retrouvais très rarement en leur compagnie, personne n’en souffrait. Il ne fallait juste pas me coller des spécimens dans les bras comme ça, sans prévenir. « C'est vrai, t'aime les dragons qui mangent les docteurs qui soignent les bébés chats? Ma maman, elle dit que les chats ça peut donner plein de maladies et qu'il faut les tuer. Alors papa, il le faisait. » J’écarquille les yeux et fixe Aidan tandis que j’articule un juron silencieux. J’ai presque envie de le supplier pour ne pas me laisser seule avec lui, je suis sans doute la plus effrayée des trois. « Aidan, t’as pas intérêt, attends ! » Mais il s’éloigne déjà et je laisse échapper d’une petite voix, nettement moins déterminée que ce que j’aurais souhaité « Nous laisse pas comme ça … ! ». « Au revoir monsieur Plairot ! » Je grommelle en regardant l’ascenseur se refermer sur lui. « C’est blaireau, Peter. Le mot qu’on cherche est blaireau. » « Et c’est quoi ton nom à toi ? », me demande-t-il d’une voix fluette et enjouée. Pour la première fois, je pose mon regard sur l’enfant cramponné à moi. Intérieurement, je me demande combien de temps je réussirais à donner le change avant qu’il ne se rende compte avec qui il est resté coincé, qu’il se mette à pleurer et alerte tout l’établissement. « Alexandra, tu peux m’appeler Lexie. Alors comme ça, tu t’es fait la malle et t’as réussi à semer ta maman ? » Je repose l’enfant à terre avant qu’il ne colle ses mains poisseuses de chips sur mon visage pour je ne sais quelle raison. Ils sont imprévisibles à cet âge là. « Chanceux va, moi aussi j’essayais de m’échapper, tu sais. » Il me regarde, les yeux gros comme des soucoupes, comme si j’allais lui raconter une histoire formidable. Mais non, ça s’arrêtait là. « Le monsieur, il t’aurait retrouvé toute façon. C’est un policier ! Il a pas de pistolet mais il a dit qu’il allait retrouver ma maman alors il t’aurait retrouvé aussi. » J’attrape sa main et je m’éloigne avec lui de ce couloir bien trop risqué pour moi. Je sais qu’Aidan m’a demandé de ne pas bouger mais je n’étais pas prête à lui faciliter la vie non plus après le piège qu’il venait de me tendre. Pourquoi était-il encore à l’hôpital ? Tout ça devenait bien trop compliqué si il se rajoutait à la liste des trop nombreuses personnes désireuses de me pousser à prendre à les bonnes décisions. Surtout que lui n’avait pas l’air de se soucier un tant soit peu des bonnes manières … « Si tu veux mon avis, il n’a pas l’air d’un vrai policier, je m’enlèverais ça de la tête. T’as déjà vu un policier sans pistolet toi ? » Je m’arrête avec lui au couloir d’après et me laisse glisser sur une chaise en désignant celle d’à côté pour Peter. C’est à ce moment que je lis la déception sur son visage et il me faut quelques minutes avant de réaliser que celle-ci est causée par ma faute. Je venais de lui enlever le seul petit réconfort que Aidan avait réussi à lui donner. Qui allait retrouver sa mère si Aidan n’était pas flic ? Quelle idiote. Je toussote, mal à l’aise, et change de conversation. « Et donc, ton papa il tue des chats ? » Mais oui, quelle bonne idée pour un nouveau sujet de conversation, pointer du doigt la sociopathie de son père. « Tu tues bien les gentils docteurs toi ! » Quelle insolence. Je lève les mains en signe de capitulation devant cette nouvelle version de l’histoire. Etrangement, il semble se calmer et j’aperçois même un sourire se dessiner sur ses lèvres tandis qu’il hoche de la tête avec ferveur et se hisse sur la chaise à côté de moi. « Seulement ceux qui venaient nous embêter chez nous, hein », rajoute-t-il. « Oui, c’est ce qui me paraît le plus logique … », répliquais-je avec lassitude. Mais que font les services sociaux ? « Je peux te piquer une chips ? » Il rigole, fait exploser le paquet entre ses mains et me le tend, heureux comme tout. Je n’en prendrais qu’une seule, je le regretterais plus tard. J’attrape le paquet et lui adresse mon premier vrai sourire de la journée. Il ne pleurait pas. Dix minutes seule avec lui et il ne pleurait pas. Certes, cet enfant était spécial et son visage s’éclairait lorsqu’on lui parlait du meurtre de petits chatons mais tout de même, je me contentais de victoires simples. « C’est quoi ça ? » me demande-t-il en pointant du doigt la fistule que l’infirmière avait installé sur mon avant-bras gauche. Je plisse le nez. Je pourrais inventer une multitude d’histoires farfelues comme l’avait fait Aidan quelques minutes plus tôt. Mais je pense avoir prouvé à de multiples reprises que je n’étais pas douée pour faire rêver les enfants, je n’avais aucun problème à les confronter aux réalités, aussi dures soient-elles, ce qui les amenaient inévitablement à geindre. « C’est ce qui sert à me soigner. On enlève toutes les mauvaises choses de mon corps par là et on les remplace par du bon. » Il semble obnubilé, et murmure dans sa barbe un « trop fort » qui force une nouvelle fois mon sourire. Il avance sa main pour caresser doucement de ses petits doigts l’objet de son attention quand je relève les yeux sur Aidan qui revient en prenant son temps. Depuis quand était-il là ? « Tiens, revoilà monsieur Blaireau », je raille. « Cours lui dessus, apporte moi de bonnes nouvelles. »