Order and law - Matthew J. Sullivan

Nous vous demandons un minimum de 500 mots pour votre histoire. Vous pouvez la présenter de la forme que vous le désirez (extrait de journal intime, RP, rendez-vous chez un psychologue, interview, ect...).


Vous avez déjà été contraint d’ouvrir totalement, sans retenue, votre esprit à un inconnu capable de déceler le moindre détail que vous-même ne soupçonneriez même pas ?
Vous avez déjà ressenti cette impression d’être totalement exposé, mis à nu, votre pensée décortiquée, analysée, interprétée ?
Vous avez déjà été voir un psy ?

« Monsieur Sullivan ? Nous allons pouvoir commencer. »
J’ouvrais soudainement les yeux, embués de quelques larmes. L’éclairage de deux néons dispersait sa lumière blanche dans toute la pièce, se reflétant sur les murs, vides, d’un blanc pur et clair. Les quelques secondes d’apaisement pendant lesquelles, les yeux fermés, j’avais tenté de calmer ma respiration, firent aussitôt place à un sentiment de malaise grandissant. La pièce circulaire était dépourvue de la moindre trace de décoration. Seuls deux fauteuils rouges installés face à face trônaient au milieu de la pièce, tandis qu’une simple étagère était clouée au mur derrière un imposant bureau en bois brut. Tout dans cette pièce était impersonnel, un moyen – paraît-il – de focaliser l’attention du « sujet » sur lui-même plutôt que sur son environnement.

Un léger frisson me parcourait le dos tandis que le Docteur McKay me fixait d’un regard qu’il voulait bienveillant. Tout ce qui m’entourait dans cette pièce, tout ce qu’elle représentait, c’était tout ce que je détestais. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de penser à quel point c’était paradoxal. Si ouvert, social et démonstratif que j’étais, l’idée de me montrer vulnérable face à la seule personne capable de comprendre qui j’étais vraiment me terrifiait. Je m’étais toujours montré confiant, sûr de moi, capable d’affronter toutes les situations avec un sang-froid que l’on m’enviait souvent. Quitte à faire preuve d’arrogance quelques fois. Pourtant, face à cet homme, dans cette pièce, je n’étais qu’un gosse apeuré, qui ne souhaitait que s’enfuir.

« Je sais que vous préfèreriez sûrement être ailleurs en ce moment même, mais je tiens à préciser que je ne suis pas là pour vous juger… »

Sûrement qu’il s’agissait d’une phrase toute faîte, qu’il racontait à tous ses patients avant de vampiriser tout ce que leur tête contenait. Une sorte de moyen de faire baisser leur garde aux plus récalcitrants d’entre eux. En l’occurrence, j’étais bien obligé de reconnaître que ça avait son petit effet.

« Le métier d’officier de police est exigeant, physiquement, moralement et psychologiquement… Il met à rude épreuve, chaque jour, les hommes et femmes qui veillent chaque jour à la sécurité des citoyens… c’est pour cela que nous sommes ensemble aujourd’hui, pour déterminer si vous êtes psychologiquement apte à exercer ce métier… »

Voilà de quoi il était question. Décider de mon avenir, décider de mes aptitudes à exercer le seul métier que j’avais imaginé faire. Tout à coup, je prenais réellement conscience du fait que je touchais au but, à cet objectif que je m’étais fixé et qui avait rythmé les dernières années de ma vie. Pourtant je n’avais pas toujours eu la certitude de savoir ce que je voulais faire de ma vie. Pendant longtemps, comme beaucoup d’autres à mon âge, je n’avais eu la moindre idée de la profession que je voulais exercer. Je ne m’étais jamais vraiment passionné pour quelque chose dans ma jeunesse. Je me contentais de suivre les modes, les tendances, essayant d’être ce mec suffisamment « cool » pour être aimé, pas trop prétentieux pour ne pas être détesté. Quand on est jeune, on essaye de plaire au plus grand nombre, avant de se rendre compte qu’on ne peut pas être aimé de tout le monde, et qu’il vaut mieux être qui l’on est, sans artifices, sans s’en cacher.
Depuis 8 ans que je vivais à Londres, ma vision des choses avait beaucoup changé. Les choses semblaient tellement plus paisibles ici, moins chaotiques que ne pouvait l’être la vie aux Etats-Unis. Il n’était pas rare en Californie, d’assister en pleine rue à des règlements de compte entre gangs, des rixes entre passants, de croiser des dealers en pleine rue qui ne se cachaient même plus pour refourguer leur cocaïne ou toutes autres merdes du même genre.

C’est lorsque mon père s’était retrouvé mêlé bien malgré lui à un braquage à main armé dans une petite épicerie à deux rues de chez nous, qu’on a réalisé à quel point le pays dans lequel nous vivions était dangereux, à quel point il était simple de se procurer une arme et de la pointer sur quelqu’un pour obtenir tout ce qu’on voulait. Ce jour-là, ma famille avait décidé de déménager. Je leur en ai voulu. Plus que de raison. Perdre mes amis, mes repères, ma ville que j’aimais même si elle ne me le rendait pas toujours. Je ne comprenais pas.

Pourtant, quelques mois à Londres avaient suffi à me sentir protégé, du moins autant que cela semblait possible, tant la paix et la sécurité étaient fragiles. Ici, il n’y avait pas de gangs dans les rues. Ils se contentaient de s’entretuer dans des entrepôts vides. Les dealers se cachaient, craignaient les forces de l’ordre, et on ne les voyait que lorsque l’on savait exactement ce que l’on cherchait. Là était toute la différence : si on savait que les menaces existaient, elles étaient assez discrètes pour qu’on les oublie. Cette nuance je l’avais saisie. Les menaces n’étaient pas moins nombreuses ici, à Londres : elles étaient seulement plus cachées. Mais elles restaient les mêmes. Le climat d’insécurité dont j’avais alors pris conscience, avait fait germé dans mon esprit qu’il était de la responsabilité de personnes comme moi, de protéger et servir le pays, contre ces menaces invisibles qui existaient bel et bien. Depuis ce jour, j’avais fait le serment de devenir flic. Et c’est exactement ce que j’expliquais en ce moment même au docteur McKay.

La suite de l’entretien continuait sur le même rythme. Des questions, des réponses, accompagnées de quelques notes notées en vrac sur le bloc note de mon interlocuteur. Et aussi sceptique que j’avais pu l’être au début de l’entretien, je me surprenais à me livrer, spontanément, presque avec plaisir. Finalement, pouvoir expliquer ma motivation, mon parcours, pouvoir extérioriser ces émotions et ressentis qui m’avaient poussé à faire ce choix.

Je parlais de mon enfance, une période où je n’avais jamais eu à me plaindre, au sein d’une famille unie, issu d’une classe moyenne. On ne vivait pas dans le luxe, mais on vivait bien, sans trop se priver, sans non plus basculer dans l’excès. Mes parents s’étaient rencontrés au fur et à mesure de soirées entre amis, par quelques amis en commun. Puis il y avait eu des affinités, et depuis ils semblaient n’avoir jamais cessé d’éprouver des sentiments de plus en plus forts l’un pour l’autre. C’est naturellement qu’ils se sont mariés, puis eu des enfants. Moi, le premier, puis ma sœur, 2 ans plus tard. Nous n’étions rien de plus qu’une famille normale, avec des tensions parfois, quelques problèmes aussi, mais toujours avec amour. Une famille comme il en existait beaucoup, sans rien qui les distinguait vraiment de la masse.
N’allez pas chercher dans mon enfance ou mon adolescente un quelconque drame, il n’y en a pas. J’étais ce gosse, parfois un peu paumé, qui avait besoin d’être guidé, mais qui tentait d’exister dans un monde qui était parfois hostile.

Les questions et les tests s’enchaînaient, alternant entre vie privée et mise en situation. Je répondais, avec le plus de sincérité possible, retraçant mes études d’un côté, expliquant où je me voyais dans 5 ans ou même 10 ans. Peut-être inspecteur, vivant dans une maison en banlieue, achetée avec mes économies et celles de ma petite-amie – femme ? – dans laquelle nous élèverions nos jeunes enfants. Je voulais vivre ce que mes parents avaient vécu. Une vie rangée, peut-être pas la plus trépidante, mais une belle vie.

« Vous semblez en tout cas être préparé à ce à quoi vous aspirez Monsieur Sullivan. Je pense que nous avons évoqué l’essentiel ensemble, je vous propose donc d’en rester là pour cet entretien. Les résultats de vos tests écrits vous seront communiqués en même temps que le résultat de notre entretien… »

Je me levais, le corps légèrement engourdi par les 3 heures que nous avions passées assis dans les fauteuils qui commençaient à subir le poids des années. Sans rien laisser transparaître, le docteur McKay me tendait sa main, que je serrais vigoureusement. Je ne savais pas ce qu’il en était, mais je savais aussi que j’avais fait ce qu’il fallait.

A l’instant où j’écris ces lignes, je sais déjà que rien de tout ce que j’avais imaginé ne s’est réellement passé. Est-ce mieux, est-ce pire ? La seule chose à savoir, c’est que la vie nous réserve parfois d’étranges surprises, et qu’elle est souvent différente de l’idée qu’on s’en était faîte. J’en ai été le témoin. Et à partir d'aujourd’hui, vous en êtes témoin aussi.