life is life + Pierre

"-Maman, viens avec nous, il ne pourra plus rien te faire...
-Il ne me laissera jamais tranquille."
Je marque une pause. Toujours la même rengaine, mais aujourd'hui ça sera la dernière. Je ne veux plus avoir à redire ses mêmes propos, jamais. Je sais que cette fois j'ai trouvé le moyen d'être libre et d'emmener avec moi mon frère, et on ne verra plus ce père qui n'en a jamais été un.
"-On ira porter plainte et il ne pourra plus rien nous faire."
Elle ne me regarde pas, des larmes brillent dans ses yeux et elles ne tardent pas à couler sur ses joues. Ca a le don de me révulser davantage. Je lâche la main de ma mère et me lève de ma chaise.
"-Je t'aurai prévenue, et nous... On ne reviendra pas."
Je sais que ma mère pourra toujours nous joindre d'une façon ou d'une autre, c'est une personne intelligente elle a les moyens de faire ce qu'elle veut même si elle ne s'en rend pas compte. Mon père a le bras long je le sais, mais je sais aussi que y'a des personnes qui pourraient aider ma mère à s'en sortir.  

Nous refermons la porte derrière nous et d'un commun accord nous nous arrêtons une dernière fois pour jeter un coup d'oeil à la maison dans laquelle nous avons grandi. Pourtant je ne regrette pas de laisser tout ça dernière moi, pas même de passer du statut d'héritier à celui de quasiment SDF. Non que l'argent de mon père soit de l'argent sale, mais c'est lui que je quitte en arrêtant d'être de cette famille. Ma mère n'a pas réagi en apprenant la nouvelle, mais de toute façon elle ne réagit jamais. Mon père prend toujours soin de ne pas la marquer au dessus du col, et du coup elle est toujours tirée à quatre épingles ce qui la protège du regard des autres.


Pause entre deux services dans une ruelle. J'ai arrêté de compter le nombre de petits boulots que j'ai enchaînés depuis que je suis parti de chez moi, cependant je ne me suis jamais pris à avoir le moindre regret. On galère, mais on y arrive. Mon frère travaille dans une librairie qui lui permet de finir ses devoirs entre deux clients, et moi, et bien je prends tout ce que je peux faire. Franchement on ne roule pas sur l'or, mais on a fini par trouver un rythme et à nous deux on s'en sort. Nous aurions pu partir loin de Paris, nous aurions mieux gagné notre vie et nous aurions eu un niveau de vie plus agréable, mais aussi moins d'opportunités. En plus je n'en avais pas le courage, d'ici je me dis que j'ai toujours un pouvoir d'action sur les choses. Je n'ai pas eu de nouvelle de ma mère, parler d'elle me rebute toujours autant, mais je sais qu'un jour elle se retrouvera à l'hôpital à cause du coup de trop. Je n'ai jamais cherché à la joindre à nouveau après ses deux années mais dans cette ville nous ne sommes jamais loin.

Les autres gars sont tous en train de fumer leur clope, mais dans mon cas je me suis dit que ça serait une mauvaise idée de commencer, car il faut avoir l'argent pour suivre, moi je préfère économiser dans le but d'acheter un scooter qui me coûtera moins cher que tous ces déplacements en métro, surtout que je suis toujours obligé d'attendre le premier train le matin.


Finalement j'ai réussi à reprendre le chemin de l'école, même si ça ne semblait pas gagner. Depuis la rentrée je suis une nouvelle formation, et ce, grâce à un ancien patron qui a vu le potentiel que j'avais. Moi même j'ai revu mes ambitions à la hausse. Cependant ça n'empêche pas qu'en plus de l'école de pâtisserie, il faut que je continue à travailler à côté. Mes journées sont longues entre l'apprentissage et les petits boulots, mais la vigueur de la jeunesse dans ma poche, ça ne me semble pas si insurmontable.

Maintenant nous ne sommes plus seuls, nous sommes trois. Marine est entrée dans le cercle des gens, très fermé, qui partagent notre vie. Je ne pensais pas laisser rentrer quelqu'un d'autre un jour, et pourtant on m'avait prévenu que cette solitude que je m'imposais ne me conviendrait pas toute ma vie. Maintenant je ne peux plus faire la sourde oreille, je sais que la vie me réserve peut être autre chose que travail et rigueur. Autre chose qu'un couple qui se déchire en permanence. Je ne suis pas du genre à m'avancer,  à aucun moment je n'ai pensé que c'était pour la vie, mais... Ca fait du bien.


Les années passent mais elles ne se ressemblent pas. 6 ans que j'ai quitté le foyer qui était chez moi, et il s'en est passé des choses : les petits boulots, ma formation, l'embauche, Marine qui est passée et repartie comme elle est arrivée. Comme c'est l'été je prends un job de plus, bien que la galère des premières années est derrière nous.
C'est la que j'ai rencontré Lilly, dans un petit hôtel très réputé dans la capitale française. A l'époque je n'avais pas imaginé l'ampleur de cette rencontre, des touristes, j'en côtoyais plein tous les jours. Et pourtant celle là aura de l'importance pour la suite.

Pour ma part, petit à petit j'avance. Mes rêves ont changé, et l'idée d'avoir mon propre établissement est ma réelle motivation. En attendant j'ai trouvé une place, et un patron qui croit en mes capacités. Des années auparavant je n'aurais pas imaginé travailler sérieusement dans la pâtisserie, et maintenant je m'imagine pas faire autre chose.  


Je ne pensais pas quitter un jour Paris. Et pourtant tout arrive un jour non ? J'ai décidé qu'accompagner mon frère à la fac était plus important que de rester à Paris pour surveiller quelque chose sur laquelle je n'avais aucun pouvoir.
J'ai quitté ma place à Paris, et grâce à mon patron, j'en trouve une autre à Londres. L'avantage d'être français sans doute, et d'avoir une lettre de recommandation.

Je n'ai pas vraiment hésité à partir. Il n'y a plus rien qui me retenait à Paris, plus de famille, pas de copine, juste le travail et pleins de souvenirs, de bons souvenirs, mais aussi des mauvais. A Londres il n'y a rien de tout ça, une page blanche à écrire tout simplement.


Reparlons de Lilly. On s'est retrouvé par hasard il y a quelques mois. Par hasard, à une soirée où je travaillais. Les choses ont changé pour moi, maintenant tout est plus simple. J'ai un bon travail, mieux qu'en France, mon frère vit sa propre vie, et je n'ai plus que moi à gérer. Enfin Lilly en plus, rien à voir avec mon frère.