(sofia) shape of you

Sofia s’assit sur son banc habituel dans le parc. Elle sortit une salade césar de son son sac, et commença à manger tout en fixant le parc face à elle. Une habitude. Elle était là tous les midis, quand sa patronne (et la dose de travail) le lui permettait. En tailleur et talons, elle a l’impression de faire un peu tâche ici. Mais c’était une habitude qu’elle n’échangerait pour rien au monde. C’était calme, tout du moins, pour elle. Elle entendait des enfants qui jouaient, des cris, des rires. Elle lisait sur les visages des sourires, du soulagement. Ça lui rappelait tout simplement les éclats de rires qu’elle avait connu toute son enfance. La maisonnée Cavendish avait été remplie de sourires et de fous rires du plus loin qu’elle s’en souvienne. Elle n’était pas restée bien longtemps enfant unique. Jake et Victoria avaient complété cette jolie famille. Elle ne se souvient pas réellement de tout, les photos des albums faisant plus souvent offices de souvenirs. Elle avait du mal à se souvenir de tout. Mais elle n’avait pas trouvé une seule photo ou quelqu’un semblait malheureux. Son fond d’écran étaient d’ailleurs une photo de la fratrie en vacances à la plage (ne lui demandez pas laquelle, elle serait bien incapable de s’en souvenir), lui permettant de sourire et de penser à quelques choses d’autre pendant une poignée de seconde. Son téléphone était d’ailleurs accroché à sa main, comme collé avec de la glue, comme d’habitude. La brunette commence à observer les bancs qui entourent le parc de jeux, et voit ce couple de parents qui surveille avec bienveillance leur progéniture. Les Cavendish avaient été pareil ; sa mère et son père lui avaient toujours semblé être le couple parfait. Ils étaient l’image même qu’elle se représentait de la parfaite vie de famille. Sofia voulait avoir le même couple, la même magie qui avait toujours brillé entre Helen et Richard. Parce que sa mère avait toujours rayonnée, qu’ils avaient réussi à élever trois merveilleux enfants et qu’ils semblaient parti pour finir leurs jours ensemble : comme dans les films. Sofia baissa le regard, se rappelant cette fois-ci du jour où elle avait appris l’infidélité de son père. Elle avait vingt ans. Elle était rentrée de sa cité universitaire ce week-end là, et ils leur avaient annoncés ça comme on aurait pu annoncer l’achat d’une nouvelle voiture. C’était le souvenir qu’elle en gardait. Elle n’avait rien vu venir. Elle se souvient d’avoir vu Jake serrer les points, une larme couler discrètement le long de la joue de Vicky. Elle se souvient s’être sentie impuissante. Et puis elle se souvient de la colère qui avait tout simplement pris possession d’elle ce soir-là, comme si c’était quelqu’un d’autre qui avait pris le contrôle de son corps. Elle en avait voulu à son père d’avoir brisé ce tableau familiale qu’elle avait temps idéalisé.
 « Jolie bague running girl. »
La voix d’une collègue la sort alors de ses pensées. Elle lève la tête et ne voit qu’une secrétaire passer.
 « Merchi » tente-t-elle d’articuler la bouche pleine.
Ses yeux s’accrochent alors eux aussi au solitaire qu’elle portait à l’annulaire. Elle était plus fière de la bague en elle même que de la signification de celle-ci. Sofia était fiancée. Depuis une année, elle venait d’y penser.  « Ça devait arriver » avait alors hurlé sa mère quand son aînée avait fini par lui montrer le ‘cadeau’ qu’on lui avait fait. Elle avait rougi et avait commencé à parler de la bague plus que de la demande en elle-même.  « C’est un bon gars » avait acquiescé Jake quand elle le lui avait annoncé.  « C’était romantique ? C’était forcément romantique, venant de lui. » avait alors dit Victoria, même si à l’heure actuelle, elle ne pouvait pas s’en souvenir. La demande n’avait en réalité rien de romantique et elle s’en était d’ailleurs voulu d’avoir menti à ses proches. Non, son petit-ami depuis 6 mois à l’époque ne l’avait pas emmené pour un diner sur la Tamise, n’avait pas posé un genou à terre et n’avait pas dit qu’il n’aurait jamais du attendre si longtemps pour la demander en mariage. Non. Mais quand Helen Cavendish avait pris son futur gendre dans ses bras en lui disant qu’elle savait qu’ils étaient des âmes soeurs avec les larmes aux yeux, Sofia s’était dit que cette version de l’histoire rendrait tout le monde heureux. La demande n’avait rien de réellement romantique, quand on y pensait. Ils avaient dix sept ans, quand il lui avait annoncé son homosexualité. Elle le connaissait depuis son entrée en école maternelle, et n’avait jamais pu imaginer sa vie sans lui. Alors il lui avait demandé l’impensable. Il avait demandé à sa meilleure amie de bien vouloir jouer le jeu. Ce fichu jeu de l’homosexuel refoulé qui n’osait pas avouer à des parents conservateurs qui il était vraiment. Et Sofia avait dit oui : elle avait dit qu’elle voudrait bien se marier avec lui si jamais ses parents étaient toujours en vie lors de leur 32ème anniversaire. Elle avait dit qu’elle jouerait le rôle de couverture pour lui. Parce qu’il était, d’une façon bien tordue comme la vie le voulait souvent, son âme soeur. Et au final, ils étaient heureux ensemble. À leur façon, mais heureux.
Son téléphone se met alors à sonner. Elle ne prit même pas la peine de regarder qui c’était, et décrocha aussitôt.
 « Sofia Cavendish » dit-elle en remballant vite fait sa salade.  « Oui Mrs. Hamilton, je… je suis en chemin, je vous apporte les dossiers sur le… le vote c’est ça ? »
Sofia prit son sac et commença à courir, laissant derrière elle ce parc qui l’apaisait tant. De toute façon, elle reviendrait demain.