claes ➸ you can't judge a book by looking at the cover.

She cames alone to build her story; she was a girl hiding in herself
but she stays a boy, she knews that everyone was saying it...
C'est l'histoire d'un It-Boy qui disposait d'une couverture médiatique sans lien ou disproportionnée par rapport à ses mérites personnels. Il avait mené à bien des études de musicologie à l'université de Tromsø et sa famille comptait parmi les plus grandes richesses de Norvège, grands industriels du pays. C'était peut-être cela qui lui donnait une telle notoriété dans les médias. C'était un playboy, riche et oisif, un homme à femmes. Bien sûr cette célébrité était éphémère, ou serait un jour ternie. Mais il n'en avait cure. L'homme s’appelait Niklaas Blømkvist, et avait tout pour être heureux: sa famille était une des plus riches et médiatisée de Norvège, disposant d'une entreprise comprenant 40 000 employés qui regroupait des scieries, des forêts, des mines, des aciéries, des usines métallurgies et textiles, des usines fabrications et comptoirs d'exportation.

Mais la famille Blømkvist est une famille mystérieuse et difficile à comprendre par ses nombreux membres aux personnalités très différentes. Guerre entre actionnaires issus de la famille, problèmes d'image d'une famille de riches bourgeois aux dents longues... Niklaas grandit sans réelle autre chaleur que l'affection de son grand-frère Anders, qui le couvait. Sa sœur Solvi était trop jeune pour le soutenir dans sa tourmente. On disait partout qu'il avait tout pour être heureux.

Mais ce n'était pas le cas, comme l'on s'en doute. Le problème de Niklaas était tout autre. Il se disputait souvent avec son père, avec son frère. Cela n'avait rien à voir avec sa réputation de bourreau des cœurs. Le véritable sujet était enfouie dans les méandres de son enfance, ses secrets personnels, son intimité. Et s'il fréquentait toute ces femmes, c'était parce qu'il ne savait être homme. Éphèbe maniéré malgré lui, Niklaas n'avait jamais su composer avec sa virilité qu'il détestait, sans oser l'avouer à quiconque: il n'avait jamais voulu être un homme; en réalité, il se sentait femme, depuis longtemps. Depuis le début.

Le monde de sa sœur, Solvi, ce monde de dentelles et de confidences, était pour lui un univers fantasmé où jadis les petites filles portaient des robes de princesses aux anniversaires auxquels il était convié, jouaient à la dinette ou s'inventaient toutes sortes d'histoires d'amour. Lui les regardait sans avoir le droit de les accompagner dans leurs jeux même lorsque sa sœur lui mettait du rouge à lèvres, par jeu. Pourtant Niklaas n'avait jamais oublié le goût du rouge à lèvres, tellement savoureux. Il aurait aimé être une petite fille pour suivre la horde de princesses de pacotille dans leur royaume à trois sous.

Mais Niklaas était un garçon, et pas de n'importe qui. Il avait un père dur, fondant ses principes de vie sur une certaine forme de misogynie, sensé prouver la qualité masculine. Lui souffrait de devoir devenir l'ennemi des femmes, comme son père. Il ne supportait pas de voir son corps se modifier, atteindre bientôt le seuil critique de la masculinité: se couvrir de poils, sentir sa voix qui change et mue. Devenir autre chose qu'un enfant et avoir un sexe, finalement. Un sexe qui ne lui plaisait pas. Alors il fréquentait les femmes, s'abreuvait de leurs délicatesses, volant un instant l'image de leurs corps. Il ne les aimait pas réellement: il voulait être elles. C'était bien tout.

Le mal de vivre le fit souvent penser au suicide, mais jamais il ne passa à l'acte. Il n'avait pas envie de mourir; lui ne voulait que ressentir le goût du rouge à lèvres, et pas en embrassant une femme. Il pensa à se détruire, à détruire tout ce qu’il touchait: conduite excessive, prise de cocaïne, tout était bon pour tenter de fuir sa souffrance; Niklaas enchaina les filles comme pour leur voler leur féminité, par jalousie, pour leur briser le cœur.

Un soir qu'il avait consommé de la drogue avec sa clique habituelle dans le chalet familial où il avait coutume de faire de grandes fêtes, Niklaas coucha avec une jeune femme prénommée Kirstin, qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Elle l'accusa plus tard de viol et le père de Niklaas, hors de lui, étouffa l'affaire à grand coup d'argent. Niklaas ne sut jamais réellement si Kirstin avait été consentante ou pas mais lorsqu'elle tomba enceinte et lui dit que sa famille -très catholique- refusait qu’elle avorte; il se sentit coupable et reconnu l'enfant.

Son père l'envoya en cure de désintoxication, estimant que c'était sa dernière connerie. Durant six mois, Niklaas eut le temps de réfléchir sur lui-même, sur son esprit de femme piégé dans un corps d'homme et sa manière de se conduire, de se détruire, et de tout gâcher; l'histoire avec Kirstin avait comme perturbé quelque chose en lui, tout en lui ouvrant les yeux: il ne fut jamais plus le même.

Niklaas choisit alors d'oser chercher qui il était en se glissant dans des robes qu'il avait fait acheté par une amie et ancienne conquête, Erika Wennerström. Elle lui ramena du maquillage, des jupes, des chemisiers fins; elle fit de lui la personne qu'il rêvait désespérément d'être. Erika lui apprit à se maquiller, à marcher avec des talons; elle lui offrit la féminité autrement que subrepticement volée: la féminité qui était en lui et qui poussait aux bords de sa conscience pour sortir.

Ainsi paré, monté sur hauts talons, Niklaas se sentait beau -belle- et enfin lui-même: cette femme qu'il ne connaissait pas mais qui avait toujours été lui, toujours été en lui. La seule personne qu'il voulait être et devenir, et en laquelle il se sentait bien. Lorsqu’il sorti de l'université, Niklaas coupa les ponts avec sa famille: seule sa grand-mère et sa sœur Solvi le soutirent, jusqu'à ce qu'il décide de se travestir régulièrement, puis tout le temps. Et jusqu'à ce qu'il découvre que porter des vêtements de femme ne faisait pas de lui ce qu'il aspirait à être. Son père, choqué par la démarche du jeune homme, le repoussa; son grand-frère ne comprit pas, pensant qu'il était un homosexuel refoulé. Sa famille lui tourna finalement le dos et Niklaas -Claes- se retrouva mit à la porte de la demeure familiale.

Ce fut alors qu'il travaillait comme conseiller musical pour le groupe d'Electro Röyksopp qu'il prit sa décision, soutenu par son ami Erika et un membre du groupe qui était devenu proche de lui: Niklaas était une femme, et l'avait toujours été mais n'avait pas le corps qui correspondait à son identité véritable. Il fit alors, déterminé comme jamais, les démarches nécessaires et commença les traitements hormonaux dès qu'il fut jugé apte psychologiquement à changer de sexe. Il subirait une transformation hormono-chirurgicale puis un changement d'état civil; c'était décidé.

Mais les années qui suivirent mirent sa volonté à rude épreuve: entre les crises d'angoisse et de d'humeurs qui lui occasionnait la prise quotidienne d’œstrogènes, de progestérone et d'anti-androgènes, les multiples interventions furent également éprouvantes, de même que les régimes à suivre. Mise en place d'implants mammaires et d'une correction de la pomme d'Adam, plastie augmentant la taille de des hanches et des fesses avec des implants ou des injections de silicone ou du remodelage de corps par liposuccion, il du supporter non seulement la lourdeur des opérations, mais également le changement progressif et très lent de son identité sexuelle, le laissant pendant des années comme un être inachevé, ni vraiment plus homme mais pas encore femme.

La douleur des effets secondaires le fit perdre son emploi pour cause de trop d'arrêt maladie, même si globalement le groupe l'encourageait dans sa démarche. Il fut aidé par sa grand-mère, hébergé par son amie Erika et parfois par Solvi. Souvent alité, fiévreux durant cette période, il fit de son mieux pour surveiller son poids et la redistribution de la graisse, de même que de retravailler sa voix pour la rendre plus clair et flûtée. Durant cette période, la télévision fut une de ses distractions favorites, de même que la lecture et les jeux vidéos, car il ne pouvait travailler.

Pourtant les changements étaient là, fructueux: sa peau s'adoucissait, perdait sa pilosité; son tonus musculaire se modifiait, et les opérations couteuses lui donnaient de plus en plus la silhouette tant rêvée. Il fit retoucher plusieurs fois son visage jusqu'à obtenir ce qu'il désirait, manquant de se ruiner. Il voulait le meilleur: il voulait être belle. La femme la plus femme, conformément à son idée un peu faussée de la féminité. Une femme féminine, coquette, délicate. Une belle bouche et un nez grec. Finalement, il ne manqua plus que le plus particulier.

Car malgré toutes les interventions, les cachets et gels pris quotidiennement, il restait la question de son sexe anatomique qui devait disparaitre et être reformé. Niklaas, qu'on appelait Claes à présent, avait peur de la vaginoplastie comme il la désirait, comme beaucoup de transsexuels. Il prit un temps fou pour choisir un chirurgien et parti pour l’Angleterre sur les conseils de quelques amies transsexuelles, pour rencontrer un des spécialistes de la technique, le docteur Rupert Braunstein, à Londres.

C'est à cette période que Claes fit la connaissance d'une américaine nommée Julia. Elle travaillait dans un magasin que la norvégienne fréquentait et les deux jeunes femmes devinrent rapidement amies, partageant le goût des jeux vidéos et des sorties. Bientôt Claes fut tout le temps fourrée chez Julia, sans jamais lui dire la vérité. Car elle ne la concernait qu'elle, et elle avait encore du mal à en discuter. De plus elle avait peur d'être rejetée, comme ce fut parfois le cas. Alors elle n'en parla juste pas.

Les rendez-vous chez le docteur Braustein n'en finissaient plus; l'attente était de plus en plus douloureuse. Sa famille revenait parfois à la charge, la rejetant tout en l'accablant car elle ne s'était pas encore mariée. La pression familiale venant aussi de son frère Anders et de Solvi, Claes ne supporta bientôt plus cette situation et demanda à Julia si cette dernière accepterait de l'épouser pour que sa famille la laisse tranquille; il fut surprenant que cette dernière accepta mais ce fut le cas: Julia était une fille très ouverte d'esprit et elle s'entendaient relativement bien, même s'il n'y avait pas d'amour entre elles.

La blonde prit un appartement dans le même immeuble que sa femme. Tout s'arrangea bien étrangement, mais fonctionna à merveille durant une année entière jusqu'à ce que Claes se retrouve d'urgence à l’hôpital pour des complications d’une ancienne opération. Elle y passa un mois complet, puis fut interdite de se lever deux semaines durant: Julia vint l'aider à faire les petites choses de la vie quotidienne et Claes en échange devint plus proche de sa femme, l'écoutant parler de ses tracas. Les deux jeunes femmes se rapprochèrent un peu plus, devenant complices et plus amies que jamais, passant de plus en plus de temps ensembles. Claes trouva un petit boulot en tant que DJ dans une boite branchée; ce qui lui convint parfaitement pour l'instant. Elle reprendrait plus tard ses fonctions de musicologue.

Ce fut Julia, sans le savoir, sans savoir ce que Claes était, qui donna à la norvégienne la force de se remettre de sa nouvelle opération, et d'envisager la dernière étape de sa longue transformation identitaire, la vaginoplastie, enfin. Et même si cela faisait peur, elle prit un rendez-vous... qu'elle décommanda le lendemain, transie de peur. Claes ne savait plus trop ce qu'elle voulait, craignant de franchir l’ultime limite, celle qu'elle avait pourtant toujours ardemment voulu traverser. Mais il n'y aurait pas de retour en arrière et elle craignait de devenir pleinement une femme: une femme qui ne lui plairait pas.

Pourtant, elle savait bien qu'elle ne pourrait pas indéfiniment mentir à Julia, lui cacher son passé, son parcours et même le fait qu'elle était père d'une petite Liese, quelque part en Norvège. Une enfant qu'elle n'avait jamais vu autrement que sur le facebook de Kirstin, à laquelle elle versait une pension alimentaire volontaire par culpabilité. Ce fut à cette époque qu'elle sauva un jeune SDF d'une agression visiblement homophobe -c'était un travesti- et accepta de l'héberger pour l'aider à s'en sortir. Bradley, qui préférait qu'on l’appelle Daisie, eut un peu du mal à trouver ses repères mais deux mois de ce régime en avait fait de bons amis.

Un jour, Claes prit son courage à deux mains et avoua toute la vérité à Julia, qui après un temps d'adaptation l'accepta comme elle était, avec son passé, ses secrets et sa transition. Cela se fit progressivement, tout comme les sentiments qui purent naitre entre Claes et son colocataire. Une relation sexuelle après une soirée particulièrement arrosée complexifia leur relation et mit en route un long chassé croisé qui se solda finalement par un amour sincère. Singulier et sincère.

Julia, qui était la meilleure amie de Claes, ne vit pas d'objection à divorcer. Elles restèrent en bon terme après cela et la blonde épousa Daisie quelques mois plus tard, quand l'acceptation du mariage pour les individus du même sexe fut accepté par le gouvernement et la Couronne; car aux yeux de la loi, Claes était toujours Niklaas, un individu de sexe masculin et sa relation avec Daisie était une relation "homosexuelle". Ils se marièrent alors en fin Mai, revenant sur Londres après une longue lune de miel. Daisie évolua dans son emploi alors que Claes du se mettre un long moment en arrêt maladie, des suites d'une seconde rhinoplastie. Tout semblait parfait pour le petit couple des plus atypique dans le regard des autres, mais parfaitement normal quand on y regarde de plus près...