Ad mortem invicta

Anastasia est née à Moscou, dans une famille plutôt heureuse. Elle n'y manquait de rien et certainement pas d'amour, bien entourée par sa mère et son père. Dès son plus jeune âge elle démontra sa passion pour la musique et en particulier le violon, pour lequel elle avait un véritable talent qui ne tarda pas à éclore. Elle prit des cours, qu'elle suivit avec beaucoup de sérieux, en parallèle de sa scolarité pour laquelle elle se montrait tout aussi brillante. Anastasia était promise à un très bel avenir.
Il y avait bien son père, qui rentrait tard et qu'elle voyait de moins en moins, mais elle supposait qu'il devait travailler très dur. Les cours de violon coûtaient cher, et il n'y avait pas que ça : leur appartement, les dépenses quotidiennes, mais aussi les soins pour la mère d'Anastasia qui était tombée gravement malade. La demoiselle s'occupait du mieux qu'elle le pouvait de sa mère, aidée aussi par une tante, et avant tout persuadée que leur famille surpasserait cette épreuve et en sortirait encore plus soudée.
Ce ne fut pas le cas. Sa mère décéda peu après, quand Anastasia n'avait que 15 ans. Ce fut un terrible drame pour elle, même si elle tenta de se persuader que vivre et souffrir n'aurait pas été mieux pour elle. La seule chose qui lui permit de surpasser cette dure épreuve fut sa passion pour le violon, qui commença d'ailleurs à lui ouvrir quelques portes. Elle participa à des concerts qui se firent de plus en plus nombreux, dans toute la Russie. Elle devenait une personne de plus en plus connue dans le milieu toutefois plutôt secret de la musique classique russe. Ses études se déroulaient très bien aussi. Le bel avenir d'Anastasia semblait toujours pouvoir naître, même après la mort de sa mère. Mais non.
Son père, très fier d'elle et ne voulant que la rendre heureuse, la couvrit de cadeaux dont un magnifique violon. C'était parfait. La situation semblait stable. Il s'écoula des années pendant lesquelles Anastasia crut finalement à sa bonne étoile
. Jusqu'au jour où son père rentra à la maison plein de sang, visiblement le sien d'ailleurs, provenant de son nez brisé et de quelques blessures qu'il n'avait pas pu se faire par accident. La révélation ne se fit pas attendre : il s'était lié à une bande de malfrats dans sa recherche d'argent, ce qui expliquait pourquoi au fur et à mesure des années il avait pris de grandes distances avec sa famille. Au début il ne s'agissait que de rendre quelques services de temps en temps, contre rémunération, mais il avait fini par trop bien s'intégrer et devenir un véritable membre. Seulement, des divisions internes dans le groupe au sujet d'une sinistre succession de dirigeant le mettaient en danger de mort. On l'accusait de faire preuve de trop d'ambition, ou même de trahison. On lui demandait de prouver sa fidélité au nouveau dirigeant, en faisant des choses bien trop horribles pour qu'il puisse s'y résoudre. Il donna le change quelques jours, à peine quelques semaines. Il était difficile de faire mieux. Impossible peut-être. Les nouvelles menaces furent bien plus cruelles qu'un nez cassé et des vêtements plein de sang: elles concernaient sa fille unique, Anastasia. La décision fut rapidement prise : elle allait partir. Mais où? Il ne fallait qu'ils puissent la retrouver. Elle supplia son père de venir avec elle, mais il n'accepta jamais, préférant régler ses comptes avec les bandits que de vivre en cavalle.
Adieu les concerts pour Anastasia, adieu la Russie aussi d'ailleurs. Elle entra en Angleterre, officiellement pour des vacances, mais lorsque son visa fut terminé elle ne remonta pas dans l'avion. Des dizaines de billets d'avion à son nom furent pris par son père, faisant croire qu'elle voyageait à travers le monde pour brouiller les pistes. Et la voilà, clandestine à Londres. Destinée à faire des petits boulots, sans papiers, loin de chez elle.