(kylian) say something true i’m not brave enough to stay.

Tu entres dans la cuisine et tes parents se taisent immédiatement. Un sourire radieux se dessine sur le visage de ta mère en te voyant. Tu trouves la situation plutôt étrange, bizarre même. Mais tu ne fais aucun commentaire, tu leur adresse seulement un léger sourire avant de te servir un verre d'eau comme si de rien n'était, comme si tu ne gênais absolument pas tes parents. Ça fait déjà quelques jours que tu as remarqué que papa et maman se comportent bizarrement. Ils sont un peu plus distant que d'habitude et quand ils parlent, leurs voix sont basses comme s'ils ne voulaient pas que quelqu'un entende leur conversation, comme si une surprise se tramait ou qu'ils parlaient de quelque chose de secret, qui ne devait pas être révélé au monde entier. Le jeune garçon que tu es, est intrigué par tout ça. Tu as envie de savoir, tu as envie de comprendre. Tu es certainement trop curieux. Ce sont certainement des histoires de grands personnes mais tu t'en fous. Tu as envie de savoir et c'est tout ce que tu as en tête à cet instant. Tu les regardes à tour de rôle comme si tu pouvais deviner quelque chose en agissant ainsi, comme si le poids de ton regard les ferait parler à un moment ou un autre. Mais rien, pas un bruit. Tu pourrais presque entendre le bruit des mouches qui volent ou de la télévision du voisin. Quelque chose ne va pas ? Tu demandes quand même du haut de tes treize ans. Puis ça t'intéresse, tu dois bien l'avouer. Tes parents se regardent longuement jusqu'à ce que ton père se lève en se dirigeant vers toi. Ça va très bien Kylian, ne t'inquiète pas. Mais ta mère ne semble pas de cette avis. Elle regarde son mari d'un mauvais œil comme si elle voulait lui faire passer un message à travers son regard. Et ton père l'a bien vu, l'a bien compris. Elizabeth, il est trop jeune pour entendre ce genre de chose. Toi, tu ne comprends vraiment rien de quoi ils parlent. Pour quoi tu es trop jeune ? Qu'est-ce que tu ne dois pas entendre ? Savoir ? Tu regardes tes parents et tu as envie de demander ce que tu dois savoir. Mais rien ne sort. Tu ranges ton verre dans le lave-vaisselle sans sortir de la pièce. Tu attends sagement. Il le saura un jour ou l'autre de toute façon, autant que ce soit maintenant. Tu vois que les mots de ta génitrice énervent ton père. Et pourtant, il reste silencieux encore quelques secondes. Comme tu veux. Qu'il dit avant de quitter la cuisine et de s'enfermer dans la pièce qui lui est réservé. Le calme est de retour et de nouveau aucun mot ne sort de vos bouches. Ta mère se tourne vers toi et cherche visiblement ses mots. Ça t'inquiète un peu parce que tu te dis que c'est peut-être plus grave que tu ne le penses. Tu sais Kylian... Parfois il y a des choses dans la vie qu'on ne contrôle pas et qui nous tombe dessus sans que nous nous y attendions. Tu l'écoutes, tu ne sais pas où elle veut en venir, ça te travaille dans ta tête mais tu ne dis rien. Pas encore. C'est ce qui m'arrive actuellement. J'ai... Tu vois les larmes menacées de couler yeux de ta mère mais vous n'êtes pas des gens très tactiles dans la famille. Vous n'êtes pas du genre à vous prendre dans les bras et à vous réconforter de la sorte. Alors tu ne fais rien, tu restes face à elle, à la regarder et à attendre qu'elle t'en dise plus, qu'elle te dise enfin ce qu'il y a. J'ai effectué plusieurs examens et ils ont détecté un cancer. Et elle s'arrête. Elle ne dit plus rien. Tu ne t'attendais vraiment pas à cette annonce. Vraiment pas. Tu t'attendais à tout mais pas à ça. Pas une seule seconde ça a traversé ton esprit d'ailleurs. Parce que tu ne pouvais pas croire que ça puisse arriver à ta famille. Tu sais que ça ravage tout, que c'est destructeur et que ça pourrit la vie de la personne et de son entourage. Tu ne voulais pas que ça arrive à ta famille. Un cancer de quoi ? Tu finis quand même par demander après un long silence de ta part. Ta mère te regarde, elle n'a pas cessé une seule seconde. Du sein. Qu'elle te répond seulement. Ça cogite un peu dans ta tête. Vous avez déjà parlé des cancers en classe, puis tu en attends beaucoup à la télé mais tu es loin d'être calé sur le sujet. Tu n'y connais pas grand chose et surtout tu ne comprends pas tout. Mais... Ça se soigne, non ? Cette fois, ta mère fuit ton regard. Ça veut dire que la réponse est négative ? Si le cancer est dépisté à temps, oui ça se soigne. Dans mon cas, il est peut-être trop tard pour le soigner. Ta mère est franche, elle n'essaie pas de te rassurer pour te faire plaisir ou de te cacher quelque chose pour que ce soit plus facile à avaler. Non, ta mère n'a jamais été comme ça et ça ne changera pas aujourd'hui. C'est ce que tu aimes chez elle d'ailleurs. Tu hoches un peu la tête, comprenant doucement ce qui allait peut-être arriver par la suite. Tu ne montres pas grand chose sur l'instant parce que tu ne sais pas vraiment quelle est la bonne attitude à avoir dans ce genre de moment. Alors tu lui adresses un tendre sourire. Un sourire qui se veut tout autant rassurant. Et tu t'approches d'elle pour poser ta main sur son épaule. Tu es forte maman, je suis sûre que tu vas réussir à vaincre ce foutu cancer. Tu l'aimes ta mère. Tu l'aimes d'un amour sans fin et d'une profondeur sans nom. Tu ne lui as jamais dit, jamais montrer mais tu es certain qu'elle le sait. Ce n'est pas dans tes habitudes de dire ou de montrer tes sentiments. Les mots n'ont jamais réussi à passer la barrière de ta bouche. Ta gorge se bloque quand tu essaies et c'est comme si tu perdais ta voix, que le son s'était mis sur off. Mais tu l'aimes à en crever.


Quelques années ont passé depuis que ta mère t'a annoncé son cancer. Cinq pour être plus précis. Tu te souviens encore de cette discussion que tu as eu avec elle ce jour là. Tu te souviens exactement des mots qu'elle t'a dit, de l'odeur qui régnait dans la cuisine, de l'heure qu'il était, de l'expression de son visage, de tout. Aujourd'hui, ce n'est qu'un souvenir. Et ta mère aussi. Elle est partie rejoindre les anges. Elle est partie dans un monde meilleur, un monde sans souffrance où son cancer n'est qu'un très lointain souvenir. Son cancer avait été diagnostiqué trop tard, les médecins n'avaient rien pu faire, ils n'avaient pas pu entreprendre quoi que ce soit. Alors tu as vu ta mère se détériorer au fil des mois, des années. Tu l'as vu s'affaiblir, s'amaigrir. Tu as vu ton père ronger par le chagrin dans le dos de ta mère et fort et amoureux en face d'elle. Tu as vu ta sœur emprunter un bon et un mauvais chemin. Le bon en s'engageant dans une association d'aide aux femmes atteintes d'un cancer du sein et aux familles de ces femmes. Tu penses que ça lui fait du bien et que ça lui a permis de mieux accepter l'avenir de ta mère et le quotidien de ta famille. Puis le mauvais en s'entourant de personnes mal intentionnées envers elle, de mauvaises fréquentations qui lui font faire des choses dont tu ne veux pas qu'elle fasse. Elle rentre à  quatre ou cinq heures du matin de boîte de nuit alors qu'elle n'est même pas majeure. Elle t'inquiète beaucoup. Tu en dors très peu parce que tu as peur pour elle. Tu as peur qu'il lui arrive quelque chose. Mais qu'est-ce que tu peux y faire ? Elle ne t'écoute pas ou plus du tout. Elle n'est plus la petite fille, la petite sœur que tu avais. Tu ne sais pas si tu la retrouveras un jour cette fille. Mais tu n'as pas envie de penser à ça aujourd'hui. Parce qu'aujourd'hui, tu enterres ta mère. Tu n'avais pas envie d'être à ce jour. Si tu avais pu le passer d'un claquement de doigts, tu l'aurais fait sans te poser de question. Tu n'avais pas envie de voir toutes ces personnes que tu connais ou non et qui te balancent leurs pitiés et leurs condoléances en pleine gueule. Tu n'avais pas envie de ça. Et tu n'avais pas besoin de ça. Tu es assis au premier rang de l'église, le cercueil où repose à présent ta mère à ta droite. Tu évites de trop tourner la tête parce que tu n'as pas envie de le voir et d'imaginer ta mère dedans. Même si tu n'as pas besoin de le regarder pour ça. Ça t'obsède, c'est horrible. Tu entends le prête parler, sa voix résonne dans toute l'église mais tu écoutes à peine. Ton livre est ouvert devant toi mais tu ne sais même pas si tu te trouves à la bonne page. Tu es totalement ailleurs. Tu as envie de quitter cet endroit et que la journée se termine pour être à demain. Tu ne montres rien mais cette journée est trop dure à surmonter pour toi. Ta sœur quitte sa place à tes côtés pour monter sur l'estrade et ça te fait sortir de tes pensées. Elle a absolument tenu à faire un discours durant cette cérémonie. Toi ? Tu as refusé parce que tu n'as rien à dire aujourd'hui. Tu as déjà tout dit à ta mère il y a quelques jours dans une lettre qui lui était adressée. Pas besoin qu'une foule de personnes, pour la majorité des inconnues, entende ce que tu avais à lui dire avant qu'elle ne quitte ce monde. Tu es un garçon plutôt pudique quand tu daignes exprimer tes sentiments. Ta petite sœur se racle la gorge et d'un coup, tu es la personne la plus attentive de l'église. Tes yeux sont rivées sur ce bout de femme qui ressemble tellement à la femme qui t'a mis au monde. Tu sais maman, je t'ai toujours admirée secrètement. J'ai toujours admiré ton courage, ta force, ta détermination. J'ai toujours admiré ta façon de nous aimer, de prendre soin de nous. Secrètement. Efficacement. Aimant. Tu n'étais pas la mère la plus démonstrative, la plus câline ou la plus présente mais à mes yeux, tu étais la meilleure mère du monde. Tu étais la mère que tous les enfants rêvent d'avoir. Tu t'es battue pour nous, pour qu'on vive convenable et qu'on ne manque de rien avec Kylian. Toi et papa, vous vous êtes battus ensemble pour nous. Je vous admire tous les deux pour ça. Vous avez toujours fait passer notre bonheur avant le votre, nos besoins avant les votre. Sans jamais vous plaindre, sans jamais baisser les bras. Je prends exemple sur vous, je veux être aussi courageuse et aussi forte que vous. Je ne sais pas si je m'en sors bien mais j'espère que de là où tu te trouves actuellement, tu vois mes efforts pour vous ressembler. Je n'ai pas été la petite fille parfaite ces derniers mois et je m'en excuse maman. Papa aussi. Je crois que j'avais besoin de me prouver que la vie n'était pas terminée, qu'elle était toujours présente en moi. Mais bref. Je te l'ai très peu dit maman mais... Je t'aime. Et je t'aimerais toujours. J'espère que tu le sais et que durant ton passage sur terre, tu as pu le sentir et le voir. Je t'aime et ça ne cessera jamais. Les larmes inondent les joues de ta sœur. Ses paroles étaient magnifiques, malgré les sanglots à chaque mot. Tu n'aurais jamais fait mieux qu'elle si jamais tu avais accepté de dire quelques mots aujourd'hui. La jeune femme revient s'asseoir à tes côtés et tu l'attires contre toi, embrassant sa joue avant de murmurer quelques mots à son oreille. Je suis sûre que maman a adoré ton discours. Elle n'a jamais douté que tu l'aimais. C'est réciproque, crois-moi. Elle t'adresse un sourire et reporte son attention sur la cérémonie jusqu'à la fin.


Cinq années se sont écoulées depuis la disparition et l'enterrement de ta mère et depuis que tu as quitté la maison familiale. Ta sœur t'en a longtemps voulu d'être partie au pire moment qu'il soit. C'est vrai que ce n'était peut-être pas le meilleur moment que tu as choisi mais tu ne voyais pas d'autre moment pour le faire. Tu en avais besoin. Tu ne pouvais plus rester dans cette maison et avoir cette impression d'être prisonnier entre les murs de ton enfance et de ton adolescence. Il te fallait prendre ton envol et gagner ta vie pour survivre dans ce monde cruel. Et avant ça, tu as poursuivi tes études parce que c'est ce que tu voulais et c'est aussi ce que ta mère voulait. Elle voyait un grand avenir pour ta personne, elle voyait ce qu'elle avait rêvé pour elle. Elle ne t'imposait rien, seulement de faire ce que tu aimes et ce que tu veux faire. Elle n'a jamais jugé tes choix, pas une seule fois. Tu te sens chanceux de l'avoir eu à tes côtés autant de temps. Tu sais qu'elle est toujours là, prêt de toi à te guider dans tes choix. Ta sœur a fini par te pardonner et vous avez retrouvé votre complicité et votre relation d'avant. Comme si rien ne s'était passé. Ce soir est une soirée comme une autre. Tu es assis à une table, entouré de tes amis dans votre bar préféré. Aujourd'hui, vous avez quelque chose à fêter. L'anniversaire de ton meilleur ami et accessoirement colocataire. Et même sans cet anniversaire, ce n'est pas ce qui vous aurez empêché d'aller boire un verre en cette fin de soirée. Vous n'avez pas besoin d'une raison particulière ou d'un événement spécial pour ça. Vous trinquez tous en même temps, souhaitant en même temps un bon anniversaire à votre ami. Vous êtes très soudés tous les cinq. Vous êtes toujours présents les uns pour les autres quoi qu'il arrive. Vous vous soutenez dans les épreuves de la vie. Vous vous aidez quotidiennement. Vous partagez une passion commune, les jeux vidéos. Vous riez de tout et n'importe quoi quand vous êtes ensemble. On ne vous arrête plus. Tu te sens bien quand tu es avec eux. Tu te sens mieux. Votre amitié est belle et est enviée par certaines personnes de votre entourage. On a souvent essayé de vous monter les uns contre les autres, sans succès. Ça ne marchera jamais parce que vous avez confiance les uns en les autres et vous savez que si quelqu'un a quelque chose à dire, il le dira sans passer par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre. Je vais fumer, je reviens. Tu annonces au milieu de la soirée. Personne ne te suit, tu n'es même pas sûr qu'ils t'aient entendu. Certainement que la conversation est trop intéressante pour qu'ils ne l'arrêtent. Tu sors du bar ainsi qu'une cigarette et un briquet de la poche de ta veste en cuir que tu as récemment trouvé dans une friperie. Cigarette que tu portes rapidement à la bouche avant de l'allumer et de te délecter de ce poison auquel tu es accro depuis des années. Tu laisses la fumée s'échapper de ta bouche. La fraîcheur londonienne te frappe en plein visage. Tu frissonnes un peu mais ça te fait plus de bien qu'autre chose. Pour rien au monde tu ne quitterais la capitale anglaise. Pas même pour un pays où il fait plus chaud ou un pays moins cher. C'est ici que tu as grandi. C'est ici que tu as fait ta vie. C'est ici que tu as tes souvenirs et tes moments les plus beaux. C'est ici que ta mère est enterrée. Et c'est important pour toi. Tu veux rester. Tu dois rester. Tu prends plusieurs bouffés de nicotine avant de recracher la fumée. Et avant de l'apercevoir, elle. Une jeune femme blonde qui se dirige à l'intérieur du bar. Tu te demandes bien ce qu'elle vient faire dans un endroit pareil. Elle ne ressemble pas au genre de personne qui fréquente cet endroit. Elle ne ressemble pas au genre de personne que tu as envie de voir dans ce bar. Elle est même tout le contraire. Petite fille modèle qui n'a jamais enfreint une règle. Pas même pour un compte en banque plus gros que ce qu'elle a déjà. C'est en tout cas ce qu'elle semble être en apparence. En vérité, c'est peut-être bien différent de ce que tu peux penser. Les apparences sont parfois trompeuses, tu devrais le savoir depuis le temps. Tu termines ta cigarette et tu l'écrases par terre avant de rejoindre ton groupe d'amis toujours aussi animés par la conversation. Tu te réinstalles et elle est là, dans ton champ de vision. Tu ne peux pas la louper. Elle est seule et tu ne sais pas vraiment ce qu'elle fait là, si elle attend quelqu'un ou bien si elle est seulement venue boire un verre pour repartir. Mais tu t'obstines à penser que tu ne veux pas voir ce genre de filles dans ce bar, dans ton bar. Elles font carrément tâches dans le décor. Tu n'en veux pas, il n'y a rien de plus à dire. Tu es bien décidé à lui faire comprendre qu'elle n'est la bienvenue ici et qu'elle ne devrait pas y remettre les pieds une seconde fois. Alors, tu abandonnes une nouvelle fois tes amis pour aller la rejoindre. Mais pas avant d'avoir rempli de nouveau ton verre. Tu ne trouves pas qu'il y a quelque chose qui cloche ? Que tu lui dis. Tu es déterminé comme jamais à la faire quitter ce lieu. Et c'est de cette phrase, de cette conversation que tout a commencé entre vous. Tu ne sais pas où ça va vous mener mais tu te laisses guider sans quitter ton principal objectif. Ne pas t'attacher.