take my revelations, make them your salvation

Léodagan. Les dessins semblent se mouvoir d’eux même sur le coin de feuille qui servait aujourd’hui de support à l’anglais. Le professeur parle, parle encore et encore, semble déverser sur la classe un flot de paroles ininterrompu que Léo connait par cœur. C’est facile, ce sont les mêmes mots qu’il a dit hier, et la fois d’avant, parce que ses élèves ne peuvent, ou ne veulent, assimiler ce qu’il dit. Ses voisins de table discutent à voix basse d’histoires de cœur qu’ils n’ont pas l’âge de comprendre. Tout est rythmé, rythmé par ce bruit dans sa tête. Ce bruit qui ne veut pas s’arrêter, mais qui n’est qu’une faible distraction dans le brouhaha ambiant de la salle de classe. Cette journée ressemble trop à la veille, qui elle-même était calqué sur celle de la semaine dernière. Tout recommence, tout se ressemble, tout est pareil. La seule chose qui change dans l’esprit de Léo, c’est qu’hier, il s’imaginait vivre les aventures d’un Elfe archer d’une forêt enchantée. Et aujourd’hui, il était le chevalier sans peur mais avec reproches. Aucune histoire ne se ressemble, sauf celle que l’on nous force à écouter, celle que l’on nous force à jouer dedans. L’histoire de la vie. Exactement comme dans le Roi Lion, mais en moins fun. En moins coloré. La vie, c’est triste, c’est morne, c’est gris. Tout le monde veut être original, mais au final tout le monde se ressemble. Léo voudrait être une tâche de couleur dans un monde terne et moche, mais il sait qu’il ne sera jamais rien qu’une autre nuance de gris. La cloche sonne, et tout le monde se lève, même si le prof n’a pas fini de parler. Plus personne ne fait attention à lui désormais, sauf Léo, qui lui lance un regard compatissant, avant de se lever à son tour. D’un geste mécanique, il porte sa main à ses écouteurs et les mets dans ses oreilles de manière naturelle. La musique démarre immédiatement, et d’un coup, l’univers de Léo bascule. Des couleurs s’ajoutent au monde, il ne voit plus les visages neutres mais les sourires. Tout lui semble plus heureux, et d’un coup il sourit, lui aussi. Jusqu’à la chanson lente et triste. D’un coup, il a l’impression que le monde pleut et pleure autour de lui, et son sourire s’efface graduellement de ses lèvres, il se sent presque coupable de sourire. Comme quoi, tout est une question de background. Son sac sur l’épaule, il rentre chez lui, son sac sur une épaule. Il passe la clef dans la serrure, tourne, et rentre dans une maison trop grande et trop vide. La sienne. Il ne dit rien, frappant sa cuisse avec sa paume au rythme de la musique qui passe actuellement dans sa tête. Dans un silence presque total, il gravit les escaliers jusqu’à sa chambre, et met la musique à fond. Ses parents ne rentreront que tard dans la nuit, voire le lendemain, et personne n’aurait à se plaindre. Il s’endort tard, après avoir fini le chapitre de son livre en cours. Et le réveil sonne, et il se lève, toujours sans rien dire. Il descend lentement les marches, débarque dans le salon et lit un mot venant de sa mère, lui disant qu’elle l’aime et qu’ils se verront ce samedi. Léo ne réagit même pas au papier, et se servit son petit déjeuner, avant d’aller bâcler ses devoirs, et réviser son contrôle de dans trois heures. Et la journée recommençait. Identique à celle d’hier.
Jusqu’au jour où le solstice d’été approche. Les cours sont de moins en moins soutenus. Les contrôles espacés voire inexistants. Il fait chaud, tout le monde sort les t-shirt et les shorts. Tout le monde est content. Ou tout le monde râle parce qu’il fait chaud. Ce sont les même qui se plaignent du froid en hiver. Léo se laisse vivre. Il suit la course du temps, et ne fait rien pour sortir du lot. Il sait qu’il n’a rien à y gagner, si c’est possible de le faire. Et puis finalement arrive ce jour où demain sera différent, ou demain ne sera rempli que de joies et de sommeil. Ou l’on verra ce que l’on fera au moment présent. A ce moment-là, on peut se dire que c’est une année qui se termine. Et le jour d’après, c’est l’année qui recommence. On ne se dit pas ça tous les jours. Juste tous les ans. Encore une boucle. Chaque jour forme une boucle plus petite que la suivante, mais au final tout se suit et se ressemble.
Jusqu’au jour où l’on commence une nouvelle boucle. On nous dit que l’on est trop vieux, qu’il faut se mettre au changement. On change de lieu, on change de niveau. On est désormais “lycéen“. Un statut comme un autre, mais qui apparemment serait synonymes de belles années, comme celles d’après. Bof. Pour Léo, ce sont des années qui se ressemblent beaucoup trop pour avoir quelque chose d’excitant. L’avenir est morne et inintéressant. S’il devait penser au futur, il se voyait salarié dans une entreprise moyenne, gagnant un salaire moyen, vivant dans un appartement. Léo ne possède aucune réelle ambition. Il ne se fait pas d’illusions, sa vie ne sera pas différente d’untel ou untel. Mais peu importe l’âge que l’on a, les jours se ressemblent, tous les mêmes et y en a pas marre. C’est la vie, c’est comme ça. On ne peut rien faire d’autre que de continuer à vivre. Tout sagement. En espérant vivre un jour de plus. Une année de plus. Une décennie. Rares sont ceux à inscrire leur nom dans l’histoire, et Léo sait qu’il n’en fera pas partie. Son nom ne sera jamais sur toutes les lèvres, et il s’éteindra avec lui. La vie n’est pas intéressante. La vie est prévisible. Demain, il prendra le métro, il ira dans son établissement, écoutera les cours d’une oreille et, avec un écouteur dans une oreille, il griffonnera. Il baillera. L’heure tourne. Finalement, le lycée est déjà fini, un cycle qui se termine. Une boucle de bouclée. Et on commence une autre boucle. Et on attend qu’elle se termine. Et on attend d’en commencer une autre. Encore, et encore, et encore. Non, sa vie n’a rien de palpitant. C’est juste celle d’un adolescent qui semble comme les autres à qui il ne s’est rien passé, et il ne s’en plaint pas. Il patiente, attendant que la journée se termine, que la seule chose qui change chaque jour arrive. Attendant de savoir quel monstre il allait défaire, quel héros il allait incarner. Attendant de savoir à qui il pourrait inventer une destinée hors du commun, magique et incroyable. Ou justement, de quel destinée sera-t-il le héros. Ses bouquins, ses consoles et son imagination sont les seules armes dont il dispose, mais ce sont pour lui les plus puissantes.