"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Follow your instincts... choose the other path [Isolde, James & Moira] 2979874845 Follow your instincts... choose the other path [Isolde, James & Moira] 1973890357
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Follow your instincts... choose the other path [Isolde, James & Moira]

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() message posté Jeu 3 Nov 2016 - 11:47 par Invité

Elle laisse l'air vicié du Viper s'insuffler dans ses poumons en gardant les yeux résolument fixés sur la scène, épiant chaque détail que ses équipes pourraient négliger. Elle est tout juste parvenue à convaincre Wilde de laisser ses meilleurs éléments s'occuper du son et des lumières pour ce soir, victoire qu'elle savoure et qui la rassure, comme si elle récupérait un semblant de contrôle sur cet ouragan qu'elle a décidé d'embrasser. Elle tente d'en maîtriser les rafales depuis plusieurs semaines qui lui paraissent déjà une éternité. Le génie créatif de James est aussi capricieux qu'il est brutal, détruisant sur son passage la moindre entrave qu'il rencontre, mais faisant vibrer en Moira une corde qu'elle ne peut ignorer tant son chant est prégnant chaque fois qu'il s'abandonne à sa musique. Alors elle continue de lutter pour canaliser l'électron libre, use de toutes ses armes pour guider Wilde juste à la frontière entre la nature viscérale de son œuvre et les impératifs qui sont les leurs pour s'assurer qu'elle s'épanouisse malgré les carcans étriqués de l'industrie musicale. Ce soir, elle ne veut aucun défaut, aucune faille. Aujourd'hui, les Wild officialisent enfin leur retour sur la scène londonienne, et la suite de leur carrière se jouera certainement durant les prochaines heures que Moira craint autant qu'elle attend avec excitation. Ses exigences sifflent de temps à autre entre ses dents qu'elle peine à desserrer, pressant ses employés pour fignoler les derniers détails qui lui harassent l’œil et les tympans. Elle a beaucoup trop misé sur ce groupe pour permettre qu'un grain de sable ne vienne gripper cette machine si complexe qu'elle huile et bichonne depuis des semaines. Ses ingénieurs ne peuvent faillir. Les Wild ne peuvent faillir. Personne n'en a le droit.

- Plus qu'un dernier projecteur à régler. Ce sera bientôt prêt m'dame Oaks, lance le responsable des lumières en branchant un fil, perché en haut d'un grand escabeau.
- Parfait. Appelez-moi quand vous aurez terminé.
- Comptez sur moi.

Elle ignore consciemment la vague de soulagement qui semble s'emparer de son équipe lorsqu'elle s'éloigne vers le bar. Elle sait qu'elle ne les ménage pas aujourd'hui. Elle se fera excuser plus tard si leur travail se révèle payant. Dehors, le soleil est encore bien haut et la rue se baigne dans les couleurs chaudes d'automne. Le Viper est encore vide mais bientôt, Moira l'espère, tous peineront à respirer tant la foule se sera pressée pour entendre les premiers morceaux de cet album que l'on n'attendait plus. Elle trouve dans cette atmosphère si calme le silence lourd qui précède les grands moments d'une vie. Le mutisme de toute l'équipe du bar crie combien tous sont conscient de ce qui va se jouer ce soir. Oui, même Kaitlyn, qui frotte le même verre à bière depuis une dizaine de minutes, perdue dans des pensées que l'on espère profondes sans trop y croire. La productrice se rapproche du comptoir et s'installe sur un des tabourets hauts, ce qui semble réveiller la barmaid qui pose enfin son verre sur une des étagères et s'empare d'un autre.

- Je vous sers quelque chose, Moira ?

La quadragénaire croise les jambes et s’apprête à refuser. Mais après réflexion, un verre l'aiderait certainement à se détendre.

- Vous avez du Chardonney ? demande-t-elle.

Les yeux de la barmaid s'écarquillent comme si Moira venait de blasphémer devant une none.

- Un riesling ?

Tentative toute aussi peu fructueuse qui lui fait pousser un long soupir alors que son front vient se reposer sur la paume de sa main en un geste las.

- Un Chablis ? Un Sauvignon ? Un vin blanc quelconque !

Kaitlyn ouvre la bouche avant de la refermer, visiblement perdue comme si elle essayait de se remémorer la carte des boissons dans tous ses détails. Elle finit par balbutier :

- Je suis désolée, je crois que nous n'avons pas de vin blanc...

Quelle misère... Un nouveau soupir s'échappe par les narines de la productrice qui tente désespérément de calmer ses nerfs à vif.

- Dites à James que je veux une bouteille de vin blanc quelque part. Il doit bien y avoir une place dans les réserves pour me garder une pauvre caisse de vin. Pour tout ce que je me tue à faire, il peut bien m'accorder cela...

Ses yeux se baissent alors qu'elle se perd dans ses pensées et dans les souvenirs houleux qui ont suivi le gala de charité auquel elle était parvenue à obtenir de précieuses invitations pour les Wild ainsi que certains de ses plus fidèles collaborateurs envoyés pour assurer la bonne tenue de cette opération séduction... et surveiller James, un peu aussi. Avec lui, toute précaution est bonne à prendre comme pour un garçon trop turbulent. Les échos de la soirées lui étaient revenus bien vite, et l'avaient convaincue d'aller tirer les vers du nez de Gregory Wells qui n'avait pas résisté trop longtemps avant de lui avouer les quelques catastrophes évitées de justesse ainsi que le malaise en fin de soirée quand les organisateurs avaient demandé une photographie de groupe avec tous les convives et que seulement deux membres des Wild étaient toujours présents. Le lendemain, le cliché flou d'un rockeur anglais en smoking s'échappant d'un hôtel luxueux de la capitale en tenant par la main une jolie rousse au visage caché par sa chevelure flamboyante était apparu dans plusieurs magazines People, offrant aux vautours une nouvelle histoire à construire autour de l'identité de cette femme mystérieuse et la possibilité d'une nouvelle idylle pour le leader des Wild dont ils n'avaient pas oublié de rappeler le passé sulfureux entre deux passages si dégoulinant de romantisme que l'on ne pouvait que bénir son célibat. Moira avait longuement hésité sur l'attitude à adopter pour finalement glisser une simple pique à l'attention de James qui, malgré tous ses efforts pour que cette soirée soit inratable, était parvenu à lui donner un résultat radicalement différent de celui qu'elle espérait. Mais Gregory et Ellis avaient tenu la barque jusqu'au bout, et les frasques de leur chanteur n'avait finalement pas écorné davantage leur image, s'octroyant même les amours adolescentes de quelques jeunes filles rêvant de se faire ainsi enlever à leur quotidien morne par un sombre rockeur dans un costume trois pièces. On parlait des Wild, et plutôt en bien. L'objectif était rempli.

Son attention revient sur la serveuse lorsqu'elle la voit s'éloigner du bar.

- Vous allez où, comme ça ? lui demande la productrice qui hausse les sourcils de surprise.

La jeune barmaid se raidit, visiblement décontenancée par la question. Elle adopte un air de petite fille prise en faute et peine à articuler :

- Eh bien... Je vais prévenir James pour le... enfin... pour le vin ?

Cette fois, le soupir de Moira semble provenir du plus profond d'elle-même. Alors que sa tête s'appuie davantage encore sur sa main, l'autre fait un geste lourd pour indiquer à la jeune femme de revenir exactement là où elle était.

- Vous allez tout juste réussir à vous faire jeter dehors, à raison, et à nous foutre en l'air les dernières retenues de James... Il est déjà bien assez à cran, comme nous tous d'ailleurs. N'allez pas lui donner une bonne raison de repartir dans une de ses envolées. Pas aujourd'hui. Vu ce qui se joue ce soir, je vous conseille de rester bien sagement derrière votre bar et de surtout, surtout, vous faire oublier.

Kaitlyn semble réfléchir un instant, ne sachant visiblement plus quoi faire alors qu'elle revient vers le comptoir. Un silence gêné s'installe entre elles et, adoucie par l'air candide de la barmaid et son envie de bien faire qu'elle conserve toujours malgré sa personnalité creuse, Moira décide de l'aider un peu.

- Qu'est-ce que vous avez, là ? A côté de la vodka ?

Kaitlyn se retourne et lui répond avec empressement, comme pour rapidement faire oublier ses dernières bourdes.

- Du brandy.
- Parfait. Donnez moi ça...

La barmaid semble retrouver des gestes sûrs alors qu'elle revient dans son élément. Elle a à peine le temps de déposer le verre sur le comptoir qu'une voix rauque lance depuis la scène.

- M'dame Oaks ? Tout est prêt si vous voulez venir voir.
- J'arrive.

Elle porte le verre à ses lèvres et le boit d'une traite, plissant les yeux sous la puissance délicieuse de l'alcool. Puis elle se coule en bas du tabouret pour rejoindre son équipe.

₪ ₪ ₪

Le Viper résonne des voix fébriles d'une foule qui semble prête à imploser. Critiques musicaux et journalistes triés sur le volet se noient une marée de fans qui gardent les yeux rivés sur la scène encore vide, comme si James Wilde et son groupe pouvaient y apparaître à tout moment. Moira se réjouit de cette première victoire qu'elle ne doit qu'aux trois musiciens et à leur idée magistrale lancée sur les réseaux sociaux : un immense puzzle à reconstituer avec de nouveaux indices disséminés chaque jour, dessinant il y a seulement quelques heures le chiffre « 6 », numéro de ce nouvel album enfin lancé, ainsi qu'une date et une heure. Le lieu du concert est une évidence pour tous leurs fans, et plus d'une centaine qui se sont pressés à l'intérieur du Viper Room, cent privilégiés qui ont eu la bonne idée d'arriver avant que la nouvelle ne se répande dans les rues de Londres et que les portes du bar ne se referment face au gros de l'arrivage, privant ainsi les infortunés retardataires de la première représentation officielle des Wild à Londres depuis trois ans.

Elle observe, Moira. Elle aimerait boire, mais s'y refuse. Elle veut garder les idées claires. Seul son cœur se fait lentement gagner par l'effervescence de la salle, ses battements s'accélérant à chaque cri dans cette marée d'anonymes venue célébrer le retour des Wild chez sa Majesté la Reine. Que la couronne bénisse ses trois protégés. Ils en auront tous bien besoin...  
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() message posté Jeu 3 Nov 2016 - 21:49 par Invité

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Ses doigts s’attardaient, pensifs et évasifs, sur la surface cartonnée aux lettres ciselées qui se modelaient pour son regard voilé. « Venez. 19h. Vendredi soir. » Le message était concis, efficace. Elle supposait qu’il y avait laissé sa signature comme la pression d’une main laisse sa trace fugace sur l’épiderme. L’emploi du « vous » pour l’invitation indiquait sans doutes que Leela était conviée, elle aussi, pour cette soirée dont elle ignorait les enjeux et revers. La musique aurait son rôle à jouer, c’était une évidence, et dans le tumulte des sonorités éclectiques se mêleraient toutes ces âmes grisées par leur présence, leur jeu, sa prestance à lui aussi, certainement. Isolde hésita longuement avant de plier le carton, et de le laisser tomber au fond de la corbeille de papiers. Chimère de plus qui rejoignait celles chiffonnées. Sa mémoire la rappelait aux souvenirs vaporeux de cette soirée dans les myriades du gratin londonien. Du point de vu de la bienséance, cette aventure avait été un échec total. Quant au reste … Lui revenait en bouche une douceur amère, presque coupable, qu’elle n’était pas sure d’avoir envie de renouveler. Depuis lors, elle n’avait d’ailleurs pas donné le moindre signe de vie, se terrant dans son quotidien sans aspérités pour se rappeler l’essence de ses décisions, s’infligeant une solitude exsangues de sentiments résolus, afin de retrouver une constance dans ses émotions galvaudées.

« (…) Mais tu sais, je sais pas trop. Des fois, on dirait que dans les histoires, ils disent pas tout. Pour Tallulah, pourquoi elle s’en va à la fin avec le beau monsieur ? Il est pas beau en vrai. Enfin si. Mais non. Il est beau mais pas gentil. Alors que le petit voleur, avec la marque sur la joue, il était beaucoup mieux ! Enfin … Il avait l’air plus gentil avec elle, et puis, il lui dessinait des histoires. Moi je préfèrerais me marier avec un tout moche qui dessine de belles histoires, qu’un beau qui a trop de sous et des collants de fille. Dis … Est-ce que Papa il te dessinait des histoires ? » ne cessait de murmurer d’une voix fluette la petite fille dans un flux incessant depuis dix bonnes minutes, en même temps concentrée pour entrer son pied dans son pantalon à l’envers, raison pour laquelle elle avait tant de mal à s’y insérer facilement. « Raaah, le pantalon il veut pas rentrer dans mon pied ! » pesta-t-elle alors que sa mère, entrain de se sécher les cheveux pensivement, venait à sa rescousse avec calme.  « Arrête de gigoter … » murmura-t-elle en se baissant à son niveau, constatant de ses mains les dégâts. Non mais non seulement il était à l’envers, mais retourné qui plus est. Elle leva les yeux au ciel de dépit, esquissant un sourire fugace. « Alors ? » - « Alors quoi ? » - « Papa il te racontait de belles histoires des fois ? » Ses lèvres se pincèrent légèrement, se voilant d’un sourire pensif. « Bien sûr. » - «  Quoi comme histoires ? » s’enquit immédiatement la petite avec de grands yeux ronds, se maintenant à ses épaules alors qu’Isolde parvenait enfin à lui faire remonter son pantalon plus haut que le bas des fesses. « Hmm … Par exemple, quand tu étais encore bébé, il me disait souvent qu’à ses yeux, tu étais comme une petite perle nacrée, précieuse et fragile à la fois. Et que s’il avait dû briser tous les coquillages de l’océan pour te retrouver, il l’aurait fait sans la moindre hésitation. » - « Ça fait beaucoup de coquillages ça, tout l’océan entier ! » - « Tu l’as dit. » Répondit-elle en écho, venant embrasser sa tempe en souriant. « Bon, tu es prête ? » s’enquit-elle enfin, alors que Leela répondait d’un « Ouii ! » enthousiaste.  « Laquelle je mets, rouge, ou bleu ? » lui demanda-t-elle en soulevant tour à tour deux robes, à peu près du même style, cache-cœur, pas vraiment extravagantes, mais de textures différentes pour l’aider à dissocier les couleurs. « La rouge ! » - « C’est pas un peu … Voyant le rouge ? » - « Ben non, c’est rouge. » Une évidence, à n’en point douter. Isolde pouffa de rire, se glissant dans le vêtement comme une anguille en nouant négligemment la ceinture en tissus dans son dos, relevant en un tour de mains ses cheveux en un chignon négligé.

Devant le Viper, il y avait un monde fou. Plus que tout ce qu’elle aurait pu imaginer. Ça se pressait, s’agglutinait, et il s’en était fallu de peu pour qu’un grand gaillard d’un bon mètre quatre-vingt ne vienne écraser le pied de Leela, qui se collait à sa jambe en lui tenant fermement la main. Cela lui donnait presque envie de repartir, et d’oublier ce changement d’avis soudain qui l’avait animée dans l’après-midi. Mais avant qu’elles n’aient le temps de tourner les talons, le vigile l’avait semble-t-il reconnue, et avait eu la courtoisie de leur frayer un chemin à peu près sécurisé jusqu’à l’intérieur. « Bon, tu ne t’éloignes pas d’accord ? Je ne veux pas te perdre, parmi tout ce monde … Quel monde d’ailleurs … » se fit-elle la remarque en écarquillant les yeux. Était-elle la seule à totalement ignorer les enjeux de cette soirée ? En même temps, un concert, à 19h, surtout au Viper, c’était surprenant. Presque … Familial, aux vues de l‘horaire, même si très peu d’enfants étaient présents, voire aucun à part Leela. Se glissant jusqu’au comptoir du bar, elle souleva la petite d’un revers de bras pour l’aider à s’asseoir sur l’un des hauts tabourets. « Bonsoir … Kaitlyn. » glissa-t-elle à l’intention de la barmaid dont elle avait reconnu la voix alors qu’elle s’adressait à un autre client juste à côté. « Coucou ! » fit Leela en posant ses coudes sur la surface lisse du comptoir, regardant les verres défiler avec une sorte d’émerveillement tacite. Son attention était particulièrement accaparée par les pompes à bières, dont elle détaillait le fonctionnement avec avidité. « Qu’est-ce que tu veux boire ? » - « De ça, ça a l’air trop bon, et ça fait des bulles toutes dorées ! » Sans avoir besoin de demander, Isolde devinait sans peine de quoi il s’agissait. « Hmm, alors écoute, la bière, tu en boiras quand tu auras l’âge de t’asseoir toute seule sur un grand tabouret, d’accord ? Puis, tu n’aimerais pas, ce n’est pas du tout sucré. Un jus de fraise ce sera parfait ! » Commanda-t-elle en haussant le ton pour surpasser le brouhaha ambiant, alors qu’une petite voix en écho venait survoler la sienne d’un : « Avec une paille s’il te plaît ! »

Sirotant son jus de fruit en papillonnant à droite et à gauche du regard, toute excitée à l’idée de revoir les musiciens sur la scène, et particulièrement celui qui lui avait appris furtivement à jouer de la batterie, l’ambiance semblait lui plaire totalement. Une vraie petite fanatique en herbe, qui semblait savourer l’instant comme un fruit délicieux, des moustaches de jus de fraises dessinées à la commissure de ses lèvres depuis qu’elle avait décidé d’abandonner la paille, au profit de grandes goulées. Isolde quant à elle, sentait la pression monter dans sa chair comme de la lave en fusion. Elle ne savait pas pourquoi elle était autant sur la défensive, si stressée aussi, à la seule pensée de les entendre jouer pour la première fois dans le cadre d’un concert officiel. Peut-être avait-elle peur de ce qu’elle pourrait entrevoir. La dernière fois qu’elle les avait entendus se produire sur scène, elle avait manqué toute la première partie, ne pouvant apprécier les tournures et l’unité d’un jeu complet. Tellement concentrée sur la scène encore déserte dont elle ne pouvait distinguer les courbures et lumières, elle avait à peine entendu Leela lui lancer un : « Je vais aux toilettes ! Je sais où c’est ! » avant de bondir hors du tabouret, et de se frayer un chemin entre les silhouettes, serpentant entre les corps alors qu’Isolde prenait conscience de ce qu’elle venait de dire. « Quoi ?! Non, il y a trop de mon-… Bon sang ! Leela, reviens par ici ! » Maugréa-t-elle en maudissant sa versatilité enfantine, s’élançant à sa poursuite dans la foule sans trop savoir où elle allait atterrir. De son côté, Leela avait retrouvé son lieu de prédilection sans trop de problèmes. C’est en en ressortant que ça s’était gâté. Avec l’afflux de monde dans le Viper, il était impossible de mettre un pied devant l’autre sans se heurter à un autre corps. Et du haut de son mètre dix, elle était soudain moins hardie, se glissant dans la foule avec de moins en moins d’aisance alors que son visage enfantin se décomposait peu à peu. En retournant, son dos avait heurté de plein fouet de longues jambes fuselées. Relevant le nez vers cette immense dame aux cheveux dorés, elle semblait l’avoir tirer d’une profonde concentration. « Pardon Madame … » avait-elle murmuré, trouvant auprès de cette inconnue une place rassurante. Plus qu’à côté de ces étudiants qui sautillaient sans faire attention à ce qui les entourait. Pendant ce temps-là, Isolde continuait de fendre la foule, morte d’inquiétude, les traits tirés à l’extrême en poussant sans ménagement ceux qui étaient trop lents pour se pousser tout à fait. Quand enfin un murmure la guida jusqu’à la petite fille, elle sembla tomber sur elle de soulagement, son courroux ne tardant pas à lui retomber dessus comme une vague : « Bon sang Leela ! Tu m’avais promis de ne pas t’éloigner ! Il y a tellement de monde ici c’est le meilleur moyen pour … » Elle s’interrompit, sentant une présence autre, qui se détachait du brouhaha ambiant comme une ombre fuselée. Leela confirma ses pensées en ajoutant un furtif : « Mais j’étais pas perdue à côté de la dame … Pardon … » s’excusa-t-elle en abaissant le menton. « Je suis désolée pour … ça. Merci de l’avoir récupérée. » Glissa-t-elle vers l’obscurité qui nimbait son interlocutrice, ignorant bien sûr que ce n’était pas vraiment elle qui l’avait récupérée, mais plus Leela qui l’avait trouvée de son plein gré.


© ACIDBRAIN
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() message posté Ven 4 Nov 2016 - 9:16 par Invité

La tension continue de grimper à mesure que l'attente alourdit son emprise sur la masse qui s'égosille devant la scène, hurlant tour à tour le nom de chaque membre du groupe comme une sommation sauvage pour qu'ils se montrent enfin. Il est trop tôt encore pour que l'alcool ajoute sa chaleur à la fièvre déjà présente et Moira se félicite de leur choix commun d'avoir organisé ce concert si tôt. Malgré un service de sécurité renforcé ce soir au Viper, tant d'effervescence concentrée au même endroit peut d'un moment à l'autre mener à l'explosion, et il n'est rien de pire que les mouvements de foule dans un endroit confiné. Debout à droite de la scène, assez proche pour en admirer chaque détail sans pour autant voler les premières places à ceux qui on rêvé de cette soirée pendant des années, la productrice attend, le visage fermé, ses traits tirés par l'inquiétude qui la ronge. Elle a confiance en ces morceaux qu'ils vont présenter ce soir. Elle les a créés avec eux, elle sait leur puissance, la façon dont ils l'ont inspirée, chacun à sa manière. Pour autant, le nouveau style du groupe est tellement différent de ce à quoi leurs fans peuvent s'attendre... Les nouvelles pistes de cordes et de cuivres enregistrées dans ses studios avec de véritables musiciens ont remplacé celles de synthèse des prototypes, sans rondeur et sans âme. Le ton reste celui qu'a toujours adopté Wilde, sans caresse et sans fioriture, la force brute de ses blessures étalées au fil de ses accords. Mais cette voix qu'il veut désormais portée par l'élan d'un orchestre revêt comme une nouvelle tessiture, un nouveau langage qui, Moira l'espère, saura parler mieux encore au monde que celui de leurs précédents albums. Tel est le risque auquel ils ont tous consenti, et alors qu'elle se trouve au bord du précipice, prête à plonger, la productrice sent au plus profond de ses entrailles cette peur du vide tant sous-estimée qui ne prend qu'au tout dernier moment, lorsque l'on réalise la hauteur de la chute.

Elle n'a pas revu les Wild depuis plusieurs heures déjà, se refusant de les déranger dans les derniers moments précédents leur représentation. Elle sait combien cette soirée est importante pour eux, bien plus encore que pour elle, et la tension qui en résulte inévitablement. Ces instants de préparation n'appartiennent qu'à eux, et toute présence extérieure au trio serait immédiatement de trop. Elle reste donc en retrait, priant seulement pour qu'aucune complication ne surgisse dans les coulisses qu'elle se refuse d'approcher et sur laquelle elle n'aurait donc aucun pouvoir. De toutes les variables qu'elle ne contrôle pas, James est évidemment celle qui l'inquiète le plus, leurs dernières sessions d'enregistrement pour l'album lui ayant déjà montré combien tout chez lui peut imploser d'un instant à l'autre sans que rien ne le présage. Son génie est capricieux comme sa coopération volage. Mais si l'enregistrement d'un album peut se plier à quelques incartades sans mettre en danger toute la tenue du projet, la scène ne laisse nul droit à l'erreur.

Soudain, Moira se sent poussée vers l'avant et son regard est attiré derrière elle alors que quelque chose vient heurter ses jambes. Elle cherche d'abord les yeux confus d'un des spectateurs agglutinés autour d'elle qu'elle ne trouve étrangement pas, et son attention est finalement attirée plus bas par un « pardon » aigu et des petites mains qu'elle sent enserrer ses mollets. Le cœur de Moira fait une embardée qu'elle peine à dissimuler et son dos se tend alors qu'elle croise le regard de l'enfant, malmenée par la marée humaine, qui a trouvé dans ses jambes une bouée de sauvetage à laquelle s'accrocher. Immédiatement, la quadragénaire lève les yeux à la recherche de ses parents alors que ses pulsations s'accélèrent à mesure que le malaise s'installe en elle. Ses yeux se font presque suppliants alors qu'ils parcourent la foule, comme pour amadouer le coup du sort qui vient lui imposer cette petite fille dont elle n'aurait jamais approché. Une boule oppressante se forme dans le fond de sa gorge alors qu'elle lutte pour contrôler ces émotions qui l'assaillent et qui lui font honte autant qu'elles l'effraient. Elle ne voit personne et ses dents se serrent un instant car elle ne peut se résoudre à laisser la petite seule au milieu de cette foule rendue aveugle à ce qui se passe tout autour d'elle tant son attention n'est accaparée que par cette scène toujours si désespérément vide. Prenant une large inspiration, Moira déglutit et se fait violence pour revenir croiser le regard de l'enfant et poser une main qu'elle veut rassurante mais qui reste trop crispée sur son épaule.

- Tu es toute seule ? souffle sa voix légèrement tremblante. Où sont tes parents, ma puce ?

Le surnom est venu avec un naturel qu'elle n'attendait pas, comme si elle remettait en doute tous ses réflexes maternels depuis trop longtemps. Ce sont pourtant tous ces gestes de femme qu'elle a perdus auprès des enfants depuis la mort de Harry, ces mains caressantes et ces mots tendres qu'elle réservait à son fils et qu'elle ne sait plus reproduire, comme si les perpétuer revenait aujourd'hui à trahir son garçon. Son cœur continue de battre dans sa poitrine à lui en fissurer les côtes alors qu'elle s'abaisse pour se mettre à la hauteur de la petite, gardant une main sur elle qui semble autant destinée à garder la fillette près d'elle qu'à la maintenir à distance.

- On va les retrouver, d'accord ?

Et vite... Très vite. Il le faut.
Fort heureusement, un appel sur sa droite attire immédiatement son attention, lui faisant rater à son cœur un nouveau battement comme si cela la rapprochait d'une délicieuse délivrance. La voix ferme d'une mère inquiétée lui parvient, et elle finit par distinguer la silhouette d'une jeune femme sublimée par une robe rouge qui se rapproche d'elles en écartant sur son passage une marée d'étudiants qui ne réalise même pas qu'ils se font bousculer, demeurant dans cette espèce de transe, noyés dans l'excitation qui leur enfièvre le corps. La jolie rousse achève les quelques mètres qui la séparent de Moira qui, après s'être assurée qu'elle était bien la maman, lâche un peu trop précipitamment l'épaule de la fillette qui balbutie des excuses qui aurait paru adorables ses oreilles si elles les avaient entendues autrefois. Un sourire soulagé pour des raisons étrangement différentes se dessine sur le visage de Moira dont les muscles de détendent lentement. Lorsque le visage de la mère se lève pourtant, tout son corps se tend de nouveau pris d'un hoquet qu'elle ne peut contrôler. Ses lèvres tremblent alors qu'elle ne lâche pas du regard cette femme aux yeux étrangement fuyants, qui ne la regardent jamais véritablement. Et sans qu'elle en ait pleinement conscience, ses lèvres formulent en un souffle :

- Isolde ?

Le trouble qui la prend se diffuse dans tout son corps alors qu'elle demeure de longues secondes interdites. Ses souvenirs affluent dans son esprit sans même qu'elle ait besoin de les solliciter, lui rappelant avec une certaine nostalgie un temps beaucoup trop lointain où toutes deux ont été liées par le même besoin de se confier une douleur dont on ne peut partager toutes les noirceurs qu'avec ceux qui l'ont vécue. Depuis quand n'avait-elle plus eu de nouvelle ? Depuis quand s'étaient-elles perdues ?

- Isolde, c'est toi ! Mais...

Son visage s'illumine un instant, exalté par la sensation de retrouver une amie qui lui fut très chère. Mais alors qu'elle retrouve ses yeux, le voile singulier qu'elle y trouve lui rappelle les raisons de leur éloignement avec une cruelle brutalité. L'accident... La mort Peter, la cécité d'Isolde, et toutes les complications qui s'en sont suivi. Moira ne parvient même plus à se souvenir quelle source lui avait permis d'apprendre ce drame. Elle se souvient en revanche de ses efforts pour recontacter celle qui l'avait tirée de ses ténèbres trop de fois pour qu'elle ait pu les compter, tous infructueux. Ses lettres échouaient à Edinburgh sans qu'elle ne sache jamais si elle étaient lues ou simplement abandonnées aux affres du temps. Lorsqu'elle avait réalisé qu'Isolde ne pouvait peut-être seulement plus les lire, elle s'était acharnée sur son téléphone, là aussi sans succès. Pendant des années, Isolde avait disparu de sa vie, si bien que son souvenir lui rappelait jusqu'à lors la douceur de temps révolus. Mais alors qu'elle se tient là, juste devant elle, Moira ne trouve rien d'autre qu'une joie immense au fond de son cœur, loin de toute rancune.

- C'est moi, Moira, ajoute-t-elle enfin, inquiétée qu'elle ne l'ait pas reconnue maintenant que ses yeux ne peuvent plus voir.

Alors qu'elle se souvient de la présence de la fillette, le bout de ses doigts la désigne par un réflexe idiot lorsqu'elle lui demande :

- Ne me dis pas que c'est... ?

Elle n'achève pas sa phrase alors qu'elle se souvient pourtant de son nom qui reste bloqué dans le fond de sa gorge. Elle revoit ce bébé magnifique que son père tenait dans ses bras, quelques semaines seulement avant son accident lorsqu'elle était venue les voir en Écosse. Elle ne sait si c'est la mort de Peter ou les réminiscences de cette réaction viscérale qu'elle avait senti malgré elle devant la fille d'Isolde qui lui fait taire sa phrase avant d'évoquer son prénom. Mal à l'aise devant son incapacité à traiter Leela comme elle le mériterait pourtant, car toutes ses paroles n'ont été que douceur et gentillesse depuis qu'elle est venue trouver ses jambes, Moira rebondit rapidement :

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

Les passions des gens sont parfois bien différentes que celles que l'on attend, mais malgré tous ses efforts pour se remémorer un quelconque attachement d'Isolde au style de musique des Wild, la productrice l'imagine difficilement faire la queue pendant de longues heures devant le Viper avec sa fille de quatre ans pour espérer assister au concert.

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() message posté Dim 6 Nov 2016 - 10:14 par Invité

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moira & james & isolde




« Je sais pas. J’étais avec Maman, là-bas, et puis j’avais envie d’aller faire pipi à cause du jus, alors comme je connais bah je suis allée et puis … Et puis … » Le regard de Leela oscillait autour de leurs deux silhouettes, sa main se cramponnant autour du tailleur de la femme. L’inquiétude la gagnait, tout comme visiblement un sentiment absolu d’être perdue aux confins d’une agitation contre laquelle elle ne pouvait lutter toute seule avec ses petits bras menus. Ses lèvres mimèrent une sorte de « pouf » évanescent, pour lui expliquer sans avoir les mots pour le faire que sa mère s’était volatilisée dans l’agitation frénétique. « Oui … Maman va être fâchée … » répondit-elle avec un air penaud, la tête légèrement baissée, ignorant complètement le malaise qui était née dans cette femme qu’elle venait d’alpaguer. Au moins puisait-elle dans le sourire qu’elle lui accordait, et dans ce surnom dont elle l’avait gratifiée, une forme de réconfort face à l’abandon. Aussi lui offrit-elle un léger sourire, timide, d’une sincérité innocente et résolue.

De son côté, Isolde sentait son cœur battre la mesure de son inquiétude contre ses côtes, à la manière d’une massue qui viendrait à rythme répété venir fissurer l’ossature. Elle avait marché sur un pied, probablement écrasé un autre en rejetant les corps autour d’elle comme s’il ne s’agissait que d’ignobles tas de chairs ambulants. Les dents serrées, le teint livide, il n’y avait pas pire sensation dans son cœur que l’inquiétude maternelle, la peur farouche et cruelle de perdre ce que vous avez de plus cher. Pour elle, cette peur touchait parfois l’irrationnel, et réveillait dans ses tréfonds une rage sourde qu’elle peinait à contrôler. Lorsqu’enfin l’odeur de la petite fille envahit de nouveau son espace vital, ce fut comme une vague de soulagement qui venait l’écraser en l’entraîner telle une lessiveuse au fond de l’écume. Elle s’était accroupie en face de Leela, tâtant son visage, ses mains, ses bras, pour s’assurer qu’elle était bien là et qu’aucun sbire pernicieux ne la lui avait arrachée. De son côté la petite fille avait posé sa main tiède sur sa joue, geste tactile qu’elle faisait souvent pour lui indiquer sa présence, et la rassurer en même temps. « J’étais morte d’inquiétude … » lui avait-elle murmuré entre deux respirations de nouveau volées à l’air emplis de chaleurs humaines associées. « Je sais … Pardon … » Elle s’était redressée finalement, faisant face à cette inconnue dont elle percevait les effluves de parfum dans la brume ambiante. Parfum qui à la manière d’une madeleine de Proust, la ramenait à des souvenirs très indistincts qui pour l’heure, se tapissaient dans l’obscurité épaisse de sa conscience. Elle ne disait rien, pourtant, Isolde aurait aimé la remercier comme il se doit. Elle s’apprêtait à le faire, lorsque la sonorité de son prénom avait finalement fendu le brouillard ambiant. L’écossaise resta interdite quelques instants, son visage semblant se refermer face à cet appel étrange, et inconnu, qui pourtant semblait la connaître.

« Qui … Qui êtes-vous ? » avait-elle finalement murmuré, ses traits se fermant désormais tout à fait pour parer à une éventuelle joute ou rencontre hostile. Entre ses sourcils, s’était installée une légère ridule de concentration, alors que l’enthousiasme de son interlocutrice lui parvenait à présent comme un souffle limpide. Qui était-elle ? Douce mélodie qui au fond de son âme, se réverbérait telle un songe. Sa voix ne lui était pas inconnue, mais en même temps elle ne la reconnaissait guère. Après l’accident, tout avait changé. Les sonorités, les formes, les textures. Tout s’était modelé sous sa sensibilité avec une volupté et des accords très différents de ceux qu’elles connaissaient autrefois, lorsque les images et couleurs rythmaient encore sa vie et ses jugements. Ce n’est que lorsqu’elle confirma son identité qu’Isolde sembla perdre pieds, rappelée soudain à des souvenirs qui ne l’avaient plus effleurées depuis longtemps, ou du moins, pas avec une telle violence. Inconsciemment sans doutes, elle avait fait un pas en arrière, comme pour prendre la mesure de l’instant, s’en écarter, le regarder de plus loin, pour mieux réussir à se l’approprier. La vague d’émotions était telle qu’elle peinait à se réfréner. Entre la joie immense de la revoir, d’entendre de nouveau cette voix cristalline et douce qu’elle redécouvrait dans l’obscurité étouffante d’un Viper désincarné, et ce glas qui résonnait dans sa poitrine, lui laissait le goût âpre en bouche de la mélancolie et des souffrances passées.  Pendant un instant, elle avait semblé interdite, dans une confusion telle qu’elle ne lui permettait d’exprimer rien, hormis une réserve apparente. Et puis finalement, ses mains avaient étouffées les tremblements légers de ses lèvres en venant un instant se poser devant elle, étouffant le sourire qui naissait à leurs commissures. « Moira ? … » avait-elle murmuré dans un écho fébrile alors que l’émotion la subjuguait totalement. Sur le coup, elle avait eu envie de la prendre dans ses bras, de se réapproprier son image, sa chaleur, à défaut de pouvoir se contenter de l’harmonie de son sourire. Mais elle s’était retenue, se rappelant brièvement les circonstances de leur rencontre, de leur amitié, de leur absence aussi. Et elle était rapidement arrivée à la conclusion qu’elle n’avait pas le droit de s’imposer à elle avec ses élans de joie. Elle avait perdu ce droit en coupant ce lien qui les avait unies autrefois. « Ça fait si longtemps … une éternité même … » Et elle n’osa pas lui dire à quel point elle avait pu lui manquer. Leurs discussions, leurs rires, leurs larmes aussi à se confondre dans des histoires aux revers cocasses et dramatiques à la fois. Sa question avait résonné dans sa conscience, et, sa main s’étant refermée autour de celle de Leela qui les regardait tour à tour sans trop comprendre ce qui se passait, elle finit par répondre avec un sourire entendu : « Si si, c’est bien Leela. Mais elle a pris quelques centimètres, et plusieurs kilos de bouclettes depuis la dernière fois que vous vous êtes vues … Leannan, je te présente Moira, elle venait souvent nous voir quand nous habitions à Edinburgh … C’est … » Elle hésita un instant, ne sachant plus ce qu’elle était aujourd’hui, mais se rappelant au moins de ce qu’elle était hier. « C’est une amie qui m‘est très chère, et que je n’avais pas revu depuis longtemps. » Employer le présent plutôt que le passé finalement, l’ancrer dans l’instant par crainte qu’elle ne s’évapore de nouveau. L’instant était si précieux qu’elle peinait à se l’approprier totalement. « Aah mais oui. » murmura Leela en levant le nez, et en étudiant Moira d’un regard concentré. Elle lui avait offert alors un sourire radieux, plein d’entrain en ajoutant : « Je crois que je t’ai vu sur une photo avec maman et papa ! Mais tes cheveux ils étaient pas comme ça ! » Isolde avait haussé un sourcil interrogateur. Visiblement Leela s’octroyait le droit d’aller fouiller dans les albums photos dissimulés dans la réserve. Elle ne pouvait pas lui en vouloir … C’était légitime pour une voyante de vouloir se repaître d’images d’un passé qu’elle n’avait pas connu, mais dont elle faisait néanmoins partie.

Qu’est-ce que tu fais ici ? La question la ramena brusquement à cette réalité qu’elle avait fui le temps de leurs retrouvailles. Que faisait-elle ici déjà ? Qu’est-ce qui l’avait résolue à sortir de son antre une fois encore pour s’aventurer dans les méandres tortueux de Wilde ? Un besoin viscéral peut-être, une ligne inconsciente, qui l’amenait depuis quelques temps à braver bien trop d’interdit. Effleurer les braises tout en sachant qu’un de leur éclat va vous brûler l’épiderme, était-ce de l’inconscience ? Probablement. Isolde sembla hésiter un instant, comme troublée par cette question pourtant usuelle en de pareilles circonstances. Comme si elle avait honte d’avouer, surtout à Moira, et de ce lien qu’elle avait connu. Comme si une culpabilité naissance d’admettre qu’elle n’était pas là par hasard lui donnait soudain la nausée, et l’envie de réprimer cette nature hagarde qui l’avait conduite aux tréfonds de cet amoncellement de fanatiques dont les effluves la dégoûtaient au plus haut point, pour une raison qu’elle ne soupçonnait pas encore. « Je … On connaît un petit peu les membres du groupe. » - «  Ouii ! Y’en a un qui m’a montré comment on joue de la batterie ! Et y’a monsieur farfadet qu’est venu casser nos tuyaux et l’eau elle était toute verte ! »  Ses yeux s’agrandissent légèrement sous la remarque tonitruante et débridée de Leela. Pour la discrétion, c’était raté. Enfin au moins employait-elle des surnoms qui n’aidaient pas trop à identifier qui que ce soit. « Hmm, oui, un petit incident mineur. Tout est réparé depuis. » ajoute-t-elle en battant légèrement l’air de sa main, avant de replacer à son tour Moira dans le contexte. « Mais … Et toi ? Que fais-tu ici ? » La rencontrer dans un tel univers était peut-être moins surprenant. Elle la savait très pointilleuse dans ses choix musicaux, très éclectique aussi. Elle avait toujours eu un goût, et une connaissance absolue de l’univers musical … Alors la rencontrer ici … Pourquoi pas. Mais elle s’interrogeait malgré tout.


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() message posté Jeu 10 Nov 2016 - 2:50 par Invité

Les yeux de Moira ne quittent pas les traits de cette amie qu'elle pensait avoir perdue, admirant chaque détail de son visage comme si elle voulait s'assurer de l'exactitude du souvenir qu'elle avait d'elle. Le flot d'émotions qui s'empare de son cœur est à la fois doux et brutal, mêlant une tendre nostalgie au souvenir de l'épreuve commune qui les avait faites se rapprocher. Toute leur histoire lui saute à la gorge avec une soudaineté qu'elle peine à cacher derrière un visage impassible, et c'est finalement un émerveillement sans ombre qui vient illuminer le sourire qu'elle lui fait lorsqu'elle lui dit son nom. Un instant, elle voudrait la toucher, poser une main sur son bras, comme pour s'assurer qu'elle n'était pas un songe, visage d'un temps lointain revenu dans une douce illusion. Mais Isolde recule d'un pas et la productrice se ravise, attend sagement que l’Écossaise sorte de cette torpeur qui lui durcit les traits. Moira hésite un instant sur l'attitude qu'elle devrait adopter, se maudit de si rapidement repenser à sa cécité et aux questions qu'elle implique. Doit-elle lui parler davantage pour l'assurer que c'est bien elle ? Achever ce geste qu'elle a à peine amorcé et instaurer par le toucher un contact qu'elle ne peut plus lui donner au travers de ses yeux ? Les hésitations l'assaillent et l'enferment dans un immobilisme qu'elle peine à combattre jusqu'à ce que les mains d'Isolde viennent finalement rejoindre ses lèvres et que le « Moira » qu'elle prononce en un souffle rende à la productrice son sourire qui s'était fané juste un instant. Elle ne sait plus alors depuis combien de temps un plaisir si simple que des retrouvailles n'était pas venu embellir ses journées.

- Une éternité, oui... Je suis tellement heureuse de te voir.

Elle hésite encore une fois à établir ce contact mais ne s'y résout pas de peur de violer une intimité nouvelle imposée par toutes ces années passée si loin l'une de l'autre. La seconde de flottement installe un semblant de gêne qu'elle cherche à faire disparaître au plus vite, et alors que son regard se pose sur Leela, la réponse au silence qu'elle ne veut pas entre elles vient naturellement. Son regard se pose furtivement sur la petite et ses innombrables boucles qui s'habillent des reflets bleutés des projecteurs du Viper. Elle est magnifique, Moira le sait, et ce sont pourtant des pensées étrangement sombres qu'elle est contrainte de chasser de son esprit pour cacher le malaise qui s'insinue en elle. Elle ne veut pas qu'Isolde le remarque, bénit dans un instant coupable ses yeux qui ne peuvent la plus voir, et surtout, elle lutte pour offrir à Leela le sourire qu'elle mérite depuis qu'elle est venue la trouver au milieu de cet attroupement de plus en plus proche de l'implosion. Moira sent l'hésitation d'Isolde lorsqu'elle termine de la présenter à sa fille et baisse les yeux un instant quand elle réalise combien leur absence leur a peut-être coûté. Le poids de cette séparation qu'elle n'a jamais désirée revient peser sur ses épaules, lui rappelant ces regrets qu'elle avait fini par oublier, s'étant convaincue à force de se le répéter que son amie faisait certainement ce qui était le mieux pour elle, et que la véritable loyauté était aussi la force de respecter les choix de l'autre. Ses tentatives pour la retrouver s'étaient faites plus rares, ses mots plus résignés, pour finalement s'éteindre lentement dans l'effervescence de sa propre vie, noyés dans les impératifs d'une existence qui continue et que l'on ne peut sacrifier à l'appel de souvenirs, même aussi agréables que ceux-ci.

L'exclamation de Leela la ramène au temps présent, et elle penche légèrement la tête sur le côté en admirant le sourire radieux qu'elle lui offre. Une photo avec Isolde et son mari ? Peu d'images lui reviennent en mémoire, jusqu'à ce qu'elle repense à ce barbecue organisé un été à Edinburgh et à cette photo prise sous les nuages menaçants d'Ecosse juste avant que l'averse ne vienne réduire à néant les derniers espoirs de Peter. Elle avait les cheveux courts à cette époque, témoins d'un besoin de changement qui s'exprimait jusque dans son apparence, et qui avait forgé les débuts de sa reconstruction fragile. Un sourire se dessine cette fois naturellement sur ses lèvres, sans qu'elle ne sache véritablement s'il était dû à une drôle de nostalgie ou simplement à l'innocence attendrissante de Leela.

- Et moi, la dernière fois que je t'ai vue, tu étais encore toute petite... Je ne t'aurais jamais reconnue. Qu'est-ce que tu as grandi !

Elle ne parvient pas à se baisser à sa hauteur, garde la distance que lui garantit sa taille pour ne pas davantage céder d'espace à ses démons, mais elle réussit à redonner de la chaleur à sa voix, ce qui la rassure. Cette rencontre est une si belle surprise qu'elle refuse d'installer un malaise quelconque, encore moins chez la petite Leela qui est d'une gentillesse sans nom depuis qu'elle est venue la trouver.

Leur rencontre en pareil endroit lui paraît pourtant si saugrenue qu'elle ne résiste pas longtemps au besoin de demander à Isolde comment elle et sa fille se sont retrouvées aux premières loges d'un concert de rock dans un bar sulfureux du Soho. L’Écossaise semble chercher ses mots un instant, ce que Moira met sans tarder sur le compte de cette rencontre qu'elles n'attendaient plus et qui chamboule leurs plans à toutes les deux. Savoir qu'Isolde connaît les Wild, et pas seulement à travers leurs chansons l'étonne quelque peu, mais c'est surtout ce que Leela ajoute avec enthousiasme qui fait se lever un des sourcils de la productrice et étire le coin de ses lèvres. Un « monsieur farfadet » ? Voilà qui est très intéressant... Une technique d'élimination rapide basée sur la taille des membres des Wild ne lui laisse que deux possibilités en les personnes de James et Gregory. Sachant que l'un d'eux donne visiblement des cours d'éveils musicaux aux petits bouts de choux, il semblerait que ce soit ce très cher James qui ait hérité d'un titre aussi savoureux, et qui se soit trouvé des talents pour la plomberie en même temps qu'un altruisme nouveau envers les mères célibataires, ce qui est assez étonnant pour être souligné ! Elle ira demander confirmation au batteur avant de se lancer dans la moindre allusion à ce sujet. Mais pour l'heure, elle se délecte seulement de l'information délivrée en toute innocence par la fille d'Isolde, se promettant de la ressortir au moment opportun.

- Contente qu'ils aient été gentils avec toi, murmure-t-elle en direction de Leela. Les farfadets ont parfois tendance à être très malicieux...

Elle lance la petite pique que seule Isolde saura décrypter, avec un certaine affection malgré tout alors que les souvenirs de ses premiers enregistrements avec les Wild lui reviennent en mémoire : les exigences débridées de James, son humeur massacrante après la soirée au gala de charité qu'elle n'était jamais parvenue à s'expliquer et qui avait durée pendant plusieurs jours, le souci du détail sur chaque morceau qui a fini par venir à bout de l'archet d'un des violoncellistes, les regards désespérés du chef d'orchestre à la quatorzième prise de « Unsustainable », les appels de Wilde qu'importent l'heure pour un avis, une réflexion, une idée... Et étrangement, même si ces dernières semaines sont parvenues à creuser de larges cernes sous ses yeux qu'elle maquille avec application chaque matin, elle leur voue un amour sincère, irrationnel, comme celui que l'on porte aux grands travaux une fois ceux-ci terminés. Le leur, pourtant, ne fait que commencer...  

- Je suis leur productrice depuis quelques semaines. Nous avons travaillé ensemble sur leur nouvel album. Ce soir, c'est un peu notre première à tous les quatre.

Un léger tremblement dans sa voix vient lui rappeler sa fébrilité alors qu'un des étudiants se met à crier le nom du groupe, bientôt suivi par bon nombre de ses camarades, donnant bientôt l'impression de se retrouver au cœur d'une meute qui suit l'appel du mâle alpha. Perdu quelque part dans un coin du bar, Phil semble complètement débordé, ce qui a au moins le mérite de le faire traîner ailleurs que dans les pattes de Moira - sa gentillesse et son admiration presque collantes depuis ses premières visites au Viper finissaient parfois par flirter avec les limites de sa patience, surtout dans des journées aussi éprouvantes nerveusement que celle-ci. Sur la scène, quelques lumières se mettent à se mouvoir, accentuant davantage encore la frénésie des spectateurs les plus impatients. Le bruit de crépitement qui s'échappe d'un ampli réveille encore des instincts animaux oubliés qui les font s'avancer d'un coup vers la scène et les bousculent. Interposant son bras devant l'un d'eux qui ne prend même pas la peine de remarquer Leela, Moira cherche des yeux un moyen de les sortir du milieu de la foule et tirer la petite de cet environnement à la limite de l'hostilité maintenant que le concert approche. La productrice jette un œil à un de ses ingénieurs qui lui confirme pourtant d'un signe de tête que les Wild ne sont toujours pas prêt à entrer sur scène. Les masses se sont pourtant déjà écartées du bar, leurs consommations à la main, pour se presser vers le fond du Viper. Le comptoir déserté semble finalement la meilleure solution pour échapper au déluge de fans.

- On ferait mieux de s'éloigner d'ici. Ils vont bientôt lâcher les fauves. Je t'offre quelque chose au bar ? demande Moira en se préparant à ouvrir la marche.

Et elle attend un instant, prête à lui offrir son bras si jamais Isolde en a besoin pour se faufiler entre les jeunes qui ne cessent de s'agglutiner autour d'elles. Leur progression est lente, tumultueuse, et coûte à Moira une large tâche de cocktail sur sa jupe suite à la bousculade d'une jeune fille qui ne tient visiblement pas bien l'alcool pour être si rapidement éméchée. L'Anglaise ne prend même pas la peine de lui lancer un regard noir et se contente dun profond soupir avant d'enfin atteindre le comptoir derrière lequel Kaitlyn l'accueille avec un regard compatissant.

- Vous me servez un brandy, Kaitlyn ? demande-t-elle avec un sourire.
- Tout de suite, Moira !
- Tu veux quelque chose, Leela ?

Puis elle se tourne vers Isolde et attend sa commande, pendant que derrières elles l'effervescence prend des proportions de plus en plus impressionnantes. Ses yeux se posent une dernière fois sur la scène pour s'assurer que les Wild n'y entrent pas encore, et elle ajoute une fois rassurée :

- J'ai appris que tu étais une vraie star chez les 10-14 ans ?

Elle lui lance un franc sourire et avale une gorgée de brandy.

- Comment ça se passe pour vous deux ?

Le « depuis la mort de Peter » ne sort pas, et elle en est heureuse. Ce n'est pas elle qui rouvrira la plaie qui les a privées de se voir pendant près de quatre ans.

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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
Follow your instincts... choose the other path [Isolde, James & Moira] 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Jeu 10 Nov 2016 - 22:39 par James M. Wilde



« Follow your instincts… Choose the other path. »

Isolde
& Moira
& James
& Greg, & Ellis, & Kaitlyn, & Phil, & le staff dépressif de Oaks Production




Les persiennes occultent presque entièrement les premiers rayons du soleil. Pourquoi est-il assis à côté de son lit… Une question qui demeure sans réponse, tandis que son regard se fixe sur la préparation méticuleuse qu’il opère de ses doigts habiles. Un dernier pour la route comme on dit. Il commence tout juste à décoller entièrement, ses pensées ne parviennent plus à se fixer, ni sur les objets, ni sur les angoisses. La voix qui le hante, encore et encore, n’est plus qu’un écho méconnaissable au milieu de sons qui s’entrechoquent dans une véritable cacophonie qui pourtant ne l’agresse pas. Car tout est loin, tout est si loin. D’un côté, la réalité l’assaille d’une manière tout à fait différente, chaque surface rencontrée par ses doigts semble avoir une texture reconnaissable, des millimètres d’identité jusqu’alors complètement négligée. La ligne est parfaitement droite à présent, une ligne blanche, comme toutes celles qu’il ne parvient pas à suivre. Les lignes et lui… il préfère les virages. L’idée le fait légèrement rire et du bout du doigt il esquisse des obliques dans son joli dessin de cocaïne pour qu’il devienne une sorte d’esquisse de pop-art pour les âmes grises qui fouaillent la nuit avec l'idée de s’y reconnaître… et pour ne pourtant jamais s’y retrouver. C’est poétique, la musique gronde quelque part, à l’orée de sa conscience, des notes qu’il murmure. Qu’il mémorise alors que son esprit parvient à aller s’évader encore, pour fuir la voix qui cherche à le scléroser dans la douleur. Plus de douleur, ça non. Non, non, non. Il se penche vers l'absolution de son choix, quand la porte de sa chambre s’ouvre, presque violemment, mais il ne sursaute pas, il sait qui vient l’emmerder, comme à peu près chaque jour de sa foutue vie, ne relève pas des yeux qui ne seraient même pas embarrassés de cette colère qui s’est évanouie dans la coke pour aller danser dans le velours des grandes évasions. Il murmure juste :
_ Chhhhut Wells. Je me concentre, j’en suis presque au point d’entendre la plus mystérieuse des musiques…
James plie son dos, pour s’enfiler son rail de coke mais Grégory se précipite pour le retenir par l’épaule, plein de cette panique qui lui donne envie de se foutre de sa gueule. Bof, s’il veut qu’il attende avant le décollage, pourquoi pas. Peut-être n’a-t-il pas attaché sa ceinture.
« Qu’est-ce que tu fais ?! »
Tant d’incrédulité et de peur dans sa voix. Ciel ! Cela le rendrait presque grave et convainquant, mais James penche la tête, offert aux délices de ses absences, le regard acéré mais le sourire troublant, et la voix aussi sinueuse que ses dessins destructeurs à la poudre de sa déraison :
_ Mais c’est très simple Grégory, je m’apprête à m’envoyer mon second rail de coke, avec une certaine délectation. Sauf que ta main agaçante m’en empêche un peu. Tu tues l’ambiance tu vois, tu viens déranger mon tête à tête. En plus simple pour ton esprit limité : Dehors.
« Tu te fous de moi ? Tu es défoncé ? Aujourd’hui ? Tu sais quelle heure il est au moins ? »
_ Hmm… (il cherche une pendule qui n’existe pas vraiment, il n’y en a pas dans la chambre, tout du moins… pas sur ce mur-ci) Tôt ? Tard ? Ce débat nous mène-t-il à ce que tu te la fermes et que je puisse entreprendre ce que tu as interrompu ? Tu sais que j’aime bien entreprendre tout un tas de trucs… Entreprendre, j’aime bien ce mot-là.
« Bordel. Tu es dans un état pas possible. Lâche-ça. »
Il fiche un coup dans sa main, faisant voler la petite paille qui va se nicher dans le pli des draps froissés. James fait la moue, une moue presque enfantine face à ce coup du destin qui lui semble être d’autant plus cruel qu’il a emprunté les traits de Greg.
_ Tu as raison, la paille, c’est trop chic.
Le magazine qui servait de surface à ses jeux solitaires finit par voler lui aussi, quand Wells, véritablement mécontent a priori, se permet de balancer son pied dessus. Wilde regarde la scène au ralenti, puis finit par statuer un placide et ironique :
_ Dommage. Tu me dois de l’argent. Et mieux encore, le plaisir dont tu me prives.
« Putain. Mais t’es complètement fait ma parole. (Il essaye de le mettre debout mais peine perdue, James ne l’aide pas vraiment, rivé au sol, une expression bientôt franchement ennuyée façonnée à ses traits.) T’en as pris combien ? Combien James ? C’est pas le deuxième, me prends pas pour un con. »
_ Techniquement, ça dépend un peu. De l’heure en fait. Ah, c’est pour ça ta question ? Bon. En fonction de l’heure… je dirais cinq ou six si tu cumules tous mes têtes à têtes depuis 20h30. Après, si tu cherches ceux d’aujourd’hui, je ne mens pas je t’assure. Deux. Enfin un et demi à cause de ton intrusion. Je ne veux pas me lever, arrête de me secouer, ça ne change rien à l’affaire voyons.
Et il se marre, comme un con, en montrant la tête de Greg, qui vient de passer de la colère à une teinte furibonde, qui lui rappelle toujours celle de ces dames qui enguirlandent leur progéniture qui ne veut plus avancer sur le trottoir. Il finit par balayer l’air comme s’il n’en croyait pas ses oreilles.
« Mais si tu vas te lever. Il est 8h. Ce soir on a le concert au Viper, c’est important pour nous, c’est important pour la prod, c’est important pour l’avenir, c’est important pour toi normalement. Et qu’est-ce que tu fais ? Tu te défonces histoire d’oublier on ne sait quoi, la veille, pour faire chier tout le monde et tout foirer ? »
Ses cris lui fichent mal à la tête et il s’emmêle les doigts dans sa chevelure à vouloir se donner une contenance. Non pas parce qu’il estime la devoir à son ire, mais parce que l’idée subite de se hérisser la coiffure semble l’avoir traversée, sans doute pour retranscrire la colère qui revient, telle l’attaque d’une maladie infectieuse, dont il ne peut jamais se défaire tout à fait. Même s’il ne parvient pas à l’appeler, elle est trop ensevelie dans son euphorie chimique pour parvenir à en percer les couches. Il réussit à se traîner lamentablement jusqu’à une position assise, sur le lit, ce qui lui donne un peu moins de distance vis à vis de son persécuteur. Blasé, il répond d’une voix un peu moins mutine :
_ Ah oui le concert de Moira, la belle Moira, Moira la chieuse. Pourquoi est-ce que tu t’énerves, la belle affaire, Greg, chanter sur une scène, mais comment allons-nous faire, nous qui sommes… attends voir, je te le donne en mille : des professionnels de la musique ! Tu as raison, vite vite, déclenchons le plan d’urgence, ça urge, mon dieu, portons les graines de la panique et faisons la rugir derrière nous, que tout le monde s’agite en tout sens, tourne en rond, fasse semblant de faire quelque chose pour remplir le vide. Bordel, lâche-moi la grappe, il est 8h, j’ai largement le temps de me doucher et de venir répéter. Même complètement perché je te la fais moi la répète, le concert aussi tiens, et une tournée derrière. Pfff, ferme-la. Tu peux m’apporter un verre d’eau ? J’ai soif.
Chose effroyable et étonnante, Greg se la ferme, repart dans la cuisine en quête d’un verre, le remplit et revient avant de le lui tendre, puis de dire, presque vexé :
« Ce n’est pas une raison. »
James sourit en buvant, finit par s’en foutre partout, puis pour parachever le tableau, balance le reste sur Greg, en s’exclamant :
_ Depuis quand j’ai besoin d’une raison !

***

13h15.
Une douche froide et un grand renfort de conversations ont ramené James parmi les vivants. Il est certes moins défoncé qu’il ne l’était le matin même mais ses humeurs orageuses ont repris le pas sur ses attitudes bon enfant. Et à présent qu’ils ont parachevé une dernière répétition afin de maîtriser la setlist qu’ils ont prévu depuis quelques jours, il traîne près de la scène, adossé au mur, renfrogné, évitant soigneusement sa productrice tout en n’épargnant pas ses sous-fifres qu’il s’est vu imposer pour l’arrangement des lieux.
_ À gauche. Non pas cette gauche-là. Encore. Encore. Un peu plus à droite maintenant. Non. Hmm. Attends bidule. Nan c’est pas encore ça.
Grégory qui observe la scène, ne peut manquer l’évidence du regard de James, qui n’est absolument pas fixé sur le projecteur que le type est en train de patiemment régler, tout au contraire, il regarde ses mains et les examine sous toutes les coutures. Il s’approche, l’air de rien, avant de murmurer à ses côtés :
« Mais tu lui dis n’importe quoi… Tu ne regardes même pas ce qu’il fait. »
Bientôt James relève son visage renfrogné, mais dans ses prunelles percent les dernières extases de sa joie matinale, qui brillent presque farouches :
_ J’attends juste qu’il s’en aperçoive. Pour l’instant, il a tenu 12 minutes…
Greg retient légèrement son rire, comprenant que son ami trame sans aucun doute une sorte de revanche envers l’ensemble du personnel parasite qui s’est invité au Viper. A priori, la scène est déjà parfaite, si bien qu’un léger bizutage sur ce pauvre hère ne peut pas faire grand chose. Il lui faut encore cinq bonnes minutes pour commencer à craquer. C’est Greg qui lui assure que c’est pile poil la bonne place, ayant la pitié nécessaire pour abréger ses souffrances. Ils se retrouvent un instant seuls dans la grande salle, aménagée d’une façon légèrement différente que dans les concerts habituels qui se jouent au nightclub. La scène est aux coloris du futur album, titré 6 à défaut de le nommer véritablement, dans des tons assez sombres, où tranche un rouge vif presque opprimant. Le plafond en miroir qui dessine des vagues, au dessus de leurs têtes, à quelques mètres, renvoient les différents jeux de lumières, qui donnent plus d’envergure à la salle, et surtout, deux atmosphères très distinctes entre ce qu’ils nomment la fosse (où seront la plupart des gens) et les balcons de l’étage VIP, qui ne sera ouvert que pour les quelques privilégiés, et qui trament des tons plus bleutés et phosphorescents, comme un ciel apocalyptique après un orage nucléaire. Moira n’a négligé aucun moyen, souhaitant la soirée parfaite, et jusqu’alors, la majeure crise a été évitée et surtout soigneusement étouffée par Wells, même si Ellis a reconnu dans les attitudes débridées de James, sur scène, une consommation suspecte de narcotiques en tout genre. Mais Ellis rigole de ces choses-là, sachant pertinemment qu’il faut à Wilde une consommation extrême pour étouffer la rage qui l’anime sous les feux des projecteurs et dès que les déchirements de sa guitare retentissent. Combien de fois ont-il eus des concerts placés sous le sceau de la folie et du génie, intrinsèquement associés, pour enflammer la foule, alors que James était dans l’entre deux de ses excès ? Grégory est malheureusement plus soucieux, ce qu’il a trouvé ce matin ressemblait réellement à une fuite plutôt qu’à un simple coup de fouet, et il lui a fallu des heures à l’observer pour comprendre exactement ce qui pouvait se dérouler dans les limbes de son esprit pour que tout soit mis dans un équilibre aussi précaire. Depuis le retour de ce gala de charité, il agit différemment, et l’entourage ne peut que le ressentir. Les premières sessions d’enregistrement ont été exaltées mais jamais confondues à une lutte sans merci, la passion ne flirtant pas avec la colère, tout du moins pas une colère destructrice. Mais après ce soir-là, les humeurs de James furent si changeantes, si violentes dans leurs apparitions soudaines, que tout le monde s’est senti peu à peu glisser dans une anxiété commune à la sienne, la production comme le staff du Viper, tendus à l’extrême, particulièrement aujourd’hui, alors que les heures les amènent vers le dénouement. Kaitlyn se fait minuscule derrière le bar, l’ire du maître ne lui est pas encore tombée dessus et elle aimerait que cela demeure sous ces merveilleux auspices jusqu’à tard dans la nuit. James fouille le vide devant lui, comme pris en tenaille par ses pensées qui modifient ses traits lorsqu’elles l’assaillent et lorsqu’il parvient à les repousser. La voix de Grégory perce leur solitude, d’un ton doux, alors qu’il le regarde :
« C’est à cause d’elle n’est-ce pas ? Isolde ? »
La chanson. Les sautes d’humeur encore plus erratiques. Le gala. Les répétitions. Les absences. La coke même. Il n’a pas besoin d’énumérer, ils se comprennent sans devoir trop en dire. James ferme les yeux, comme si le prénom convoquait tout ce qu’il cherchait à oublier et dont il voulait se défendre à tout prix. L’absence de réponse est tout ce qui suffit à Greg pour dénouer les fils qu’il suit depuis des jours pour parvenir à la conclusion évidente. Son ami semble compter dans sa tête, lentement, jusqu’à rouvrir des yeux plus troublés, un pâle sourire sur ses lèvres :
_ Je ne vois pas ce que tu veux dire. Je ne vois pas ce que ça change. Je vais prendre l’air.
James s’éloigne, le dos raide, la posture encombrée par le déni et Greg sent son angoisse monter d’un cran supplémentaire. L’évidence n’est pas toujours une bonne nouvelle. Vraiment pas.

***

15h34.
_ Il est où ce foutu ampli ? Il était pourtant là. Juste là ! Je le veux là, un point c’est tout. Et si vous ne savez pas faire votre foutu boulot, vous pouvez tout aussi bien vous tirer et aller pleurer dans les jupes trop courtes de votre putain de patronne, c’est clair ? Ouais et répétez lui bien les mots tendres que je lui voue, surtout. Que quelqu’un me ramène ce putain de bordel d’ampli et que je ne le retrouve pas à plus de cinq centimètre de mes exigences. Est-ce que c’est bien compris !
Ah la voici. La colère. La frustration. La fureur. Tout le monde court, et brasse de l’air, alors que l’incident semble frôler l’ultimatum. James se sent un instant plus serein de laisser ainsi se déverser tout ce qui prend de l’ampleur à l’intérieur de ses entrailles et qui pourrit sa tête. Il ne parvient plus à s’arracher à la contemplation du temps qui passe, des minutes qu’il faut quémander pour qu’arrive enfin le dénouement. Viendra-t-elle ? A-t-elle reçu l’invitation ? N’aurait-il pas mieux valu qu’il téléphone ou qu’il vienne ? Peut-être que c’eut été pire… Il ne sait plus et il tourne à présent comme un lion en cage, dans son propre établissement. Le dénouement. Le dénouement c’est ce qu’il souhaite. Tout hurler et ne plus rien devoir aux ombres qui le dévorent depuis qu’il l’a abandonnée. Quand il ferme les yeux il la voit, quand il respire il la retrouve, quand il sent la caresse de l’air il cherche la pulpe de ses doigts sur son corps. Ça suffit à présent, c’est plus qu’il n’en peut supporter, il doit s’en défaire, il doit la repousser par le feu de ses mots, par l’harmonie de sa création. Il le doit. Il le souhaite. Mais la minute d’après, il ne sait plus très bien.
Dans son coin, Phil se frotte presque les mains. Pour une fois qu'il échappe à l'avoinée, il ne va pas se priver, surtout qu'il est aux premières loges, en train d'arranger l'étage privé du nightclub. Il s'agit d'un grand balcon, qui dessine une avancée telle une vague argentée, au-dessus du bar, puis de chaque côté de la salle, donnant une ambiance assez futuriste aux lieux. Étage où niche bien souvent James lorsqu'il veut échapper à la foule, et quelques élus de son choix. Le son y est encore plus éclatant et l'on a entièrement la vue sur la scène, une vue presque panoramique, ainsi qu'une sensation de plongeon dans la fosse même, qui palpite quelques mètres en dessous lorsque les gens s'y bousculent. En effet, toutes les cloisons sont en plexiglas, ce qui donne l'impression de flotter au-dessus du vide, sans que l'importun puisse vous y distinguer grâce aux jeux de réverbérations et de lumières. Phil y installe la régie, complétant leur propre matériel avec celui que la prod a apporté dans leur antre, mais un sourire demeure sur ses lèvres, surtout lorsqu'il voit le pauvre ingénieur son, piteusement raccompagner l'ampli égaré, et le placer à au moins un mètre de l'endroit désigné par James. Dommage pour lui...

19h19.
Le groupe est en retard. Les lumière s’agitent légèrement dans la salle, faisant s’élever quelques clameurs d’un public qui commence à s’impatienter. Jusque là, rien de grave, tout du moins en apparence. Kaitlyn ainsi que les différents serveurs circulent et servent les rafraichissements, particulièrement tous ceux qui se sont vus gratifier d’une invitation directe à l’événement, dans un carton aux bords argentés, sur un fond blanc mat, d’une élégance presque décalée avec l’atmosphère maintenant enfiévrée du Viper. Elle retourne derrière son comptoir lorsqu’elle reconnaît Isolde et ses cheveux roux, accompagnée de Moira, et se rappelle les termes exacts de ce qu'elle a à délivrer, afin d’éviter de les déformer et de se voir reprocher ensuite de n’être qu’un piètre messager. Elle sourit d’abord à la productrice, et lui sert son autre Brandy, avant de toucher doucement le bras d’Isolde, tandis qu'elle dispose devant elle sa propre commande :
« James a dit que vous pourriez accéder à l’étage VIP, si jamais… enfin si jamais la petite était fatiguée. Il vous a donné accès à la loge, c’est là qu’il s’enferme souvent pour écouter les groupes, le son y monte bien sûr, mais il y a des fauteuils, et des canapés. Enfin bref. Vous me dites si vous souhaitez y accéder, même si je vois que vous êtes avec Moira, enfin, je ne voulais pas… déranger. Bon, vu qu’il me l’a dit au moins trois fois. Heu… Bah c’est tout. »
Un très mauvais messager même. Il est certain que si les oreilles de James avaient traîné jusque là il aurait sans doute harangué la pauvre Kaitlyn pour l’agonir au sujet de ses talents d’oratrice. Fort heureusement, son absence la fait se carapater sans attendre de réponse, pour servir d'autres égarés, non pas sans ressentir une gêne face à son expression orale qui s’entremêle toujours d’une naïveté confondante, gêne qui vient teinter ses joues de rouge.
Backstage, Grégory en est presque à soulever les coussins des fauteuils pour voir si James ne se cache pas en dessous. Il répète à Ellis. Pour la cinquième fois. Au moins. Le bassiste se prenant quelques envies de le bâillonner d’ailleurs :
« Il est où ? Il est où enfin ? Il était là il y a un quart d’heure, il s’habillait. Il est allé de l’autre côté ? »
Et il se plaque les mains sur les joues, à imaginer la cohue si James s’est glissé dans l’antre des fauves, dans son costume de star, sur un coup de tête. Puis il songe au pire. S’il était parti. Ils sont en retard… Par tous les saints réunis qui n’intéressent guère les anglicans, que faire. Que faire s’il n’est plus là. Doit-il aller prévenir Moira. Le flegme d’Ellis le rappelle à l’ordre :
« Tu as regardé sur le parking ? »
Greg part comme une fusée, enfonce l’issue de secours, s’étalant presque dans la manoeuvre. Il le voit aussitôt, à regarder le ciel voilé de la nuit, et à boire un verre de vin rouge, dans son costume de scène. Bon. C’est bon. Puis habillé comme ça, ce n’est pas comme si on pouvait le perdre… si ? Il laisse échapper un soupir de soulagement intense, qui vient gracier ses épaules en y dissipant la tension accumulée. James répond d’une voix tranquille, comme s'il avait compris l'objet du soupir que Wells a laissé choir :
_ Je suis là.
Greg le rejoint, fait quelques pas, avant de lui piquer son verre de vin et d’en partager une gorgée. Son ami le gratifie d’un regard perçant, et il se voit restituer son dû avec un sourire en coin. James le termine avec lenteur, sans rien dire avant qu’il ne concède, sur un ton très absent :
_ Oui c’est à cause d’elle.
Ils prennent le temps de regarder le ciel quelques minutes supplémentaires. Ils sont souvent en retard, de toute manière.
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() message posté Sam 12 Nov 2016 - 18:33 par Invité

«  Follow your instincts... choose the other path. »
moira & james & isolde




Après l’accident, son esprit avait voulu s’affranchir de tout. Il avait voulu jeter l’opprobre sur tout ce qui façonnait son univers. Tous les liens avaient alors été brisés. En perdant Peter, en réalisant qu’il n’était plus là, qu’elle ne pourrait plus esquisser les fossettes du creux de ses joues, essayer d’arrondir les angles de sa mâchoire, se noyer dans les lueurs rieuses de ses yeux ou s’enivrer de son odeur musquée souvent aliénée par les effluves d’acrylique, tout son rempart s’était effondré. Toute une vie, brisée, réduite au fracas tonitruant du métal qui explose sous l’impact et se décompose, froissant les chair et brisant les os comme s’ils n’étaient que brindilles. Nue, démunie, il n’était resté d’elle qu’une âme mortifiée, prisonnière dans un corps brisé de part en part. Alors elle les avait détestés. Elle les avait haïs, tous, autant qu’ils étaient. Mère, père, frère, amis, enfant … La colère qui avait échauffé son sang dans ses veines, à la manière d’un souffle d’agonie, avait jeté un glas putride sur toute la beauté du monde, avait étendu sa noirceur épaisse, gluante, poisseuse même sur tout ce qui nimbait son quotidien de lueurs. Parmi ces lueurs, Moira. Cette âme comme elle, égarée un jour dans cette souffrance que l’on pense insurmontable, sans fin, et sans espoir  rédempteur. Cette amitié dont les rouages s’étaient forgés avec comme trame de fond, cette perte indicible qui les avait frappé dans leurs cœurs de femmes. Jamais elle n’avait oublié leur première rencontre, lors de cette réunion, un soir, dans un lieu perdu de Londres, où seuls les parents tourmentés se retrouvaient pour, si ce n’est trouver des réponses, au moins puiser dans l’autre un semblant de réconfort grâce à la cohésion de groupe. Ensemble, elles s’étaient relevées. Ou du moins, avaient-elles été l’une pour l’autre ce soutient qui permet de tenir sans trop sombrer. Moira avait été de ces rares entités qui avaient touché son existence d’une façon intemporelle, et chercher à la soutenir dans l’épreuve lui avait demandé une force, et des ressources telles qu’implicitement, cela l’avait elle-même aidée à évoluer et à avancer. Si Moira n’avait pas été cette comète qui consume son atmosphère pendant un temps, si elle n’avait pas fendu sa sphère pour y apporter le miroir de ses douleurs, sans doutes n’aurait-elle pas trouvé le repos de la même façon par la suite, et que les amours tourmentées se seraient évanouies dans le fil des années sans jamais parvenir à se retrouver. Moira, c’était cette lueur étrange, nimbée de contrastes en reflets obscurs, avec laquelle elle avait partagé cette amitié sincère, et intemporelle. Pourquoi alors avoir fait le choix de rompre le lien et briser les chaînes ? La déraison. Une douleur charnelle et spirituelle si extrême qu’il lui avait fallu s’affranchir de tout, ne garder rien, au risque de chercher à tout détruire pour tenter de soulager son désarroi. Même Leela, pendant plusieurs mois, elle n’avait pas voulu la voir, ses cris de bambins résonnant dans sa chair comme un crissement d’agonie. Elle avait refusé de la nourrir, de la toucher, de s’apercevoir que sous ses doigts, sa peau opaline avait la même texture que la peau fine de la paume de son père. S’en était trop, et pas assez à la fois. Mais alors que la rencontre fortuite faisait ressurgir en elle des émotions intensément positives, elle sentait le glas du souvenir qui se rappelait à elle, la happait, et rendait son teint pâle soucieux. Convoquer, même implicitement, le souvenir de Peter était encore quelque chose de dangereux. Sa vie avait été si conjointement liée à la sienne depuis leurs premières années d’existence qu’il était difficile de se départir d’un souvenir qui vous avait appris à grandir, à vous forger tel que vous êtes aussi. Elle faisait l’effort pour Leela, ne pouvant se résoudre à la regarder grandir sans lui rappeler d’où elle venait, et toujours lui montrer qu’elle était le fruit d’un amour incommensurable, indicible presque, qui ferait toujours partie d’elle jusqu’à la fin de sa vie. Car cela, elle le savait. Il y aurait toujours cette partie d’elle-même, cette forteresse inaccessible à quiconque, qui lui appartiendrait, à lui, et à personne d’autre, jusqu’à ce qu’elle le rejoigne dans l’onde mortifère. Se savoir ainsi prisonnière, au moins en partie, de cet être qui avait emporté avec lui dans la tombe un morceau d’elle était une chose qu’elle avait encore du mal à accepter. Comment envisager un avenir quand une partie de vous reste irrémédiablement entre les mains possessives d’un hier ? Comment réussir à aimer de nouveau lorsque l’on sait que l’on ne pourra jamais se donner tout entier, et que l’autre, qu’il le veuille ou non, devra s’en contenter ? Les pensées l’assaillaient de toute part au gré de l’échange, tant et si bien qu’elle ne savait plus vraiment où donner de la tête. Le brouhaha alentour lui semblait moins oppressant, il était si lointain tout d’un coup. Pourtant la douce voix de Moira parvint à la ramener à la réalité, et sa réponse lui fit arquer légèrement le sourcil gauche. Leur productrice ? Ainsi avait-elle renoué avec cette divine musique dans l’intimité et les tourments du monde professionnel. Quant à la coïncidence, elle lui paraissait à la fois si délicieuse, et si cruelle, que cela lui donnait bien envie de gifler le destin une fois de plus.

« Leur productrice ? … Tu veux dire que, tu as monté ta propre boîte ? » s’enquit-elle avec une curiosité nouvelle, gardant néanmoins ce recul par rapport à la conversation qui lui permettait de prendre de la hauteur. « Votre première ? C’est donc pour ça qu’il y a une telle cohue … Je l’ignorais totalement. James … Enfin … Ils ne m’avaient pas prévenue que c’était un concert dans le cadre de la sortie de leur nouvel album. Et puis tu me connais, je ne suis pas très à la page, niveau réseaux sociaux et tout le reste … Rien n’a changé de ce point de vu, si ce n’est que c’est sans doutes pire. » Pourquoi l’aurait-il fait de toute façon ? Leurs conversations avaient rarement gravité autour de leurs domaines professionnels respectifs. Il s’était vaguement intéressé à ses écrits, elle l’avait écouté jouer avec une curiosité, ils s’étaient brûlés à leurs univers respectifs sans en discerner ni les vagues, ni les contours. Aux vues de leur dernier échange, elle était déjà plus que surprise d’avoir reçu une invitation. Comme si cela contredisait toute l’attitude qu’il avait eu à son égard depuis ce stupide gala de charité. Même si elle prétendait le contraire pour se rassurer, elle savait pertinemment pourquoi elle avait décidé de venir. Ce n’était pas pour le plaisir autodestructeur, ou pour le narguer de quoi que ce soit. C’était davantage pour essayer de comprendre. Pour être sure qu’elle ne s’était pas trompée. Pour le confronter si nécessaire une dernière fois afin de lever le voile sur les comportements interdits, les colères non avouées, et tout le reste. Mais aux vues de l’agitation et de l’importance de ce concert, elle s’apercevait que l’instant était probablement très mal choisi pour ce genre d’affront. Et sans doute lui avait-il demandé de venir pour soulager sa conscience. Pour se dire qu’il l’avait certes, éconduite, mais qu’au moins, elle pourrait se consoler en assistant au concert tant espéré. Un raccourci détestable, qui lui avait traversé l’esprit une fraction de seconde. Suffisamment longtemps en tout cas pour la décider à venir. « Et … Ça va ? Ce n’était pas trop … Éprouvant ces derniers jours ? Si ce concert est si important, vous devez tous être sur les nerfs … » questionna-t-elle avec prudence, marchant sur des œufs à l’évocation des jours qui avaient dû précéder. Tel qu’elle connaissait James à présent, elle se doutait que Moira avait dû en voir des vertes et des pas mûres. Voire des pourries jusqu’au trognon.  

Acquiesçant simplement à sa proposition d’aller rejoindre le bar, Isolde se saisit de la main de Leela, qui ne cessait de la cramponner avec fermeté par peur de se perdre de nouveau dans la foule. Avec prudence, sa main s’était glissé autour de l’avant-bras de Moira, la suivant dans son sillage jusqu’à leur lieu de prédilection. Là, elle aida Leela a remonter sur un haut tabouret, s’accoudant au comptoir à son tour, un regard absent porté en direction de la scène toujours déserte.

« Ouuii, un jus de fraise encore s’il te plaît ! Merci ! » fit-elle avec enthousiasme en direction de Kaitlyn, qui venait de délivrer ses précieuses informations. Un instant interdite, Isolde l’avait observée sans trop comprendre, se demandant pourquoi une telle attention, elle qui n’avait rien demandé. L’attention était délicate. Moins détestable que celle du taxi, presque inattendue aux vues des circonstances. Son intonation avait légèrement vrillé, et elle s’était simplement contentée de répondre un : « Oh … On va rester ici avec Moira, ne vous en faites pas. Merci Kaitlyn. » Elle avait porté le verre de Brandy, identique à celui commandé par Moira, à ses lèvres, sourcillant un instant avant que son attention toute entière soit de nouveau dévolue à cette amie trop longtemps oubliée.  « Une star, c’est un bien grand mot … Mais comment tu le sais, pour les livres? » Elle lui adressa un sourire entendu, presque curieux, se demandant où elle avait bien pu dégoter cette information. En effet, si l’on dépassait la sphère des jeunes lecteurs, son nom était très peu connu. Voire pas du tout. Chose qui lui convenait très bien ainsi. Inconsciemment, elle avait gratifié les cheveux de Leela d’une légère caresse absente suite à sa question. Question à laquelle elle s’efforça de répondre avec le plus d’objectivité possible. « On s’en sort. On essaie du moins … J’ai de la chance qu’elle soit si débrouillarde, et attentive. Au début on a eu un peu de mal à s’acclimater au rythme londonien, mais finalement … depuis quelques temps, je m’aperçois que ce qui au départ m’avait semblé insurmontable s’est plutôt bien déroulé … Alors oui, ça va, ça se passe bien. Et toi alors ? Tu ne m’as pas dit comment tu en étais arrivée là ! Tu vis toujours en ville j’imagine ? » elle n’osait pas lui demander si depuis, elle avait refait sa vie ou non. Elle était si belle, si intelligente, alors certes cela pouvait impressionner, mais elle se demandait si quelqu’un avait finalement réussi à la faire fléchir de nouveau, à lui faire goûter aux affres de l’inconscience, et des sourires offerts dans l’oubli de l’autre. « On dirait que les gens s’impatientent … Ils ont du retard ou est-ce simplement pour faire grimper la tension d'un cran ? » la questionna-t-elle ensuite, constatant à ses côtés des petits groupes remontés à l’extrême. La salle semblait être une corde tendue susceptible de se rompre à tout instant.



© ACIDBRAIN
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() message posté Dim 13 Nov 2016 - 20:55 par Invité

Le retard des Wild est presque oublié, tout comme l'atmosphère brûlante qui s'est emparée du Viper, les regards trop appuyés de Phil, la gaucherie de Kaitlyn et les dérapages de James. Elle ne voit plus qu'Isolde, ses traits que les épreuves et les années n'ont que peu durcit, et toute les promesses que semblent lui faire ces retrouvailles qu'elle n'attendait plus. La présence de Leela la déstabilise moins, comme si être près de cette amie qui l'a tant soutenue par le passé lui permettait de retrouver même confiance en ses propres forces et de lutter férocement contre ses démons. A la joie de la revoir s'ajoutent toutes les questions qu'elles ne peuvent s'empêcher de poser. Trois ans à rattraper, trois ans de silence qu'elles ne peuvent se résoudre à garder ainsi, elles qui savaient autrefois tout l'une de l'autre, en particulier leurs blessures. Alors qu'elle regarde Isolde, Moira se demande si ce temps est vraiment terminé, si l'une comme l'autre ont refermé les cicatrices de les avaient déchirées autrefois et amenées à se connaître, si après le pire ne leur restait désormais que le meilleur à partager maintenant que le hasard faisait se recroiser leurs routes. Elle aimerait tant qu'il en soit ainsi, que tout ne soit plus que douceur et simplicité. Et pourtant, quelque chose en elle l'empêche de croire en un tel dénouement, comme une voix sifflante à l'arrière de sa crâne qui lui rappellerait toujours ces souvenirs noirs qu'elle ne parvient que rarement à refouler, ainsi que ce besoin vital de toujours flirter avec la difficulté, le conflit, la collision, pour se sentir vivante dans l'épreuve, focaliser son esprit sur une autre douleur, coupante elle aussi, mais moins létale que celle que représente son fils. Peut-être est-elle là, la raison de son engagement auprès des Wild ? Peut-être est-ce ici que cette folie prend racine, dans cette volonté farouche de toujours évoluer sur des falaises abruptes, dans ce besoin de toujours risquer de tomber ? Est-ce parce qu'elle n'a pas le courage de s'abandonner elle-même à la chute ? Parce qu'une lâcheté qu'elle ne reconnaît pas lui fait provoquer le destin à chaque instant, lui demande de trouver l'outil qui voudra bien la détruire enfin complètement ? Le visage de James vient s'imposer à son esprit, avec ces yeux fous qu'il avait eu ce soir là, lorsqu'il l'avait acculée dans le studio d'enregistrement en rentrant du gala. Est-ce lui finalement, l'instrument de sa perdition ? Elle le chasse immédiatement, refuse d'avoir de telles pensées. C'est ridicule. D'autant plus ce soir...

Elle s'accroche à la voix d'Isolde pour se tirer de ses idées noires, retrouve ce réflexe avec un certain attendrissement, et revient à des conceptions plus terre à terre, moins dangereuses. La production, la musique, le concert, sa présence ici... Elle trouve dans ces considérations une prise solide sur laquelle s'agripper, et la sensation de sécurité que cela lui procure dessine à nouveau un doux sourire sur ses lèvres.

- Oui, depuis... 2009, en réalité. Nous venons de signer avec eux pour travailler ensemble sur leur nouvel album. Un sacré challenge, crois moi...  

Les cris qui continuent de s'élever autour d'elles leur rappellent la présence étouffante de cette foule de plus en plus proche du point de rupture. La productrice les observe, jauge leur patience alors qu'elle sait le groupe déjà en retard, ce qui commence doucement à l'inquiéter. Lorsqu'elle entend le nom de Wilde sortir de la bouche d'Isolde, elle se retourne cependant brusquement vers elle penchant la tête délicatement sur le côté, sa curiosité piquée au vif. « James » ? Tiens, tiens... Se pourrait-il que l’Écossaise les connaisse plus que de vue seulement ? Le connaisse plus que de vue ? La perspective est amusante, d'une certaine ironie aussi : deux amies unies puis séparées dans la douleur qui se retrouvent autour d'un musicien au caractère destructeur. Le destin a décidément un humour désopilant...

- Oui, c'est le grand retour des Wild, ce soir. Nous espérions tous un succès, évidemment, mais je crois que j'ai sous-estimé l'engouement qu'il y aurait ce soir. J'attends de savoir si c'est heureux ou... Le hurlement d'un étudiant derrière la fait sursauter. Ou non.

Puis, alors qu'un sourire amusé étire le coin de ses lèvres, elle ajoute :

- Il semblerait que nous soyons toutes les deux redevables envers ce cher James pour nous avoir fait nous retrouver ce soir...  

Elle ne sait plus où est le hasard et où est la destinée, si tous les choix qui jalonnent une vie ne sont pas faits pour mener à des moments précis, comme ce concert qui lui permet de renouer son lien perdu avec Isolde. Tant de choses pouvaient les empêcher de se recroiser. Elles avaient tant de raisons de ne jamais se revoir. Et pourtant, Moira avait monté cette boîte de production, elle avait accepté de se lier aux Wild malgré toutes les raisons qu'elle avait d'éviter un investissement aussi incertain, elle n'avait pas reculé après les colères de James, même après cette soirée du gala et ce qui s'en était suivi, elle avait embrassé son projet symphonique pour donner vie à cet album, avait proposé ce concert au Viper pour lui offrir le Royal Albert Hall... Sans toute cette succession de choix, leurs existences auraient peut-être suivi des chemins encore résolument éloignés, sans jamais plus se croiser. Aurait-il mieux valu que cela se déroule ainsi ? Seul l'avenir le leur dira.

- Eprouvants... lance Moira comme un écho. C'est peu dire.

L'atmosphère était étouffante depuis déjà plusieurs jours, à mesure que l'échéance approchait. Mais tout s'est alourdit encore depuis ce matin, de sorte que l'on a l'impression de pouvoir couper l'air au couteau. James l'a évitée toute la journée, plusieurs fois aidé par Gregory Wells, maintenant qu'elle y pense, et Moira n'a pas cherché à s'imposer, comprenant rapidement que le moindre sentiment d'oppression pourrait le faire chavirer à tout moment. Elle s'est davantage concentrée sur ses équipes et la tenue parfaite des préparatifs, calmant ses anxiétés dans un sentiment de contrôle même aussi dérisoire que celui sur le son et les lumières quand toute la réussite de cette soirée reposait quasi-uniquement sur les épaules des Wild. Elle repense encore à leur retard qui s'accumule et tente de retenir les battements de son cœur qui s'accélèrent. Ils sont toujours en retard. Toujours. Pourquoi s'en inquiéter aujourd'hui ?

- Tellement de choses dépendent de cette soirée, murmure-t-elle d'un ton pensif en observant la scène toujours vide. Ça ira mieux dans une heure.

Elle se force à sourire, à mimer un optimisme qui ne parvient pas à la convaincre tout à fait. Toutes ces nuits où son sommeil s'est fait plus capricieux ne l'aident pas à se débarrasser des tensions qui imprègnent ses muscles. Elle dormira bien cette nuit, elle en est certaine, dans la liesse de leur triomphe ou la certitude d'avoir déjà tout perdu...

Le rugissements animaux qui surviennent autour d'elles terminent de convaincre Moira de quitter le cœur de la foule pour mettre Leela et sa mère à l'abri, là où personne ne risquera de les piétiner dans le seul espoir d'apercevoir un peu mieux les membres du groupe. Alors qu'elle les guide vers le bar, elle ne peut empêcher cette drôle de sensation de s'emparer d'elle lorsqu'Isolde vient s'accrocher à son bras pour ne pas la perdre. Sa propre main vient un instant couvrir la sienne, comme pour l'assurer qu'elle ne la lâchera pas, qu'elle ne la lâchera plus. Plus maintenant.

Le gros de la foule passé, toutes ont l'impression d'enfin pouvoir prendre une grande inspiration, comme après une apnée forcée qui aurait duré trop longtemps. Le visage aimable de Kaitlyn qui s'affère avec les autres serveurs derrière le bar a étrangement quelque chose d'agréable désormais, comme le drapeau d'un allier que l'on perçoit au milieu du champ de bataille. Alors qu'elles s'installent derrière le comptoir et qu'on leur sert leurs boissons, la jeune serveuse se penche en avant pour glisser quelques mots à Isolde. Contrainte d'élever la voix pour couvrir celles des fans de plus en plus puissantes, elle permet à Moira d'en percevoir la substance, ce qui lui fait lever un sourcil sans qu'elle n'ose rien en dire de peur de violer une intimité dans laquelle elle n'a pas à être admise. Sa curiosité revient pourtant au grand galop alors qu'elle trempe ses lèvres dans le brandy, persuadée si elle ne l'était pas encore qu'Isolde connaît bien mieux James Wilde que toutes les jeunes filles qui crient son nom près de la scène en espérant qu'il se montrera uniquement en réponse à leur appel. Imaginer l’Écossaise proche d'un homme de la trempe de Wilde est surprenant, très surprenant même, et Moira en tire une drôle de fascination sans encore oser poser les questions qui la démangent. Elle ressent le besoin de réapprivoiser cette amie qu'elle connaissait si bien autrefois, de se réattribuer le droit de lui demander même les passages intimes de sa vie, choses qu'elles faisaient aisément par le passé, lorsque rien ne remettait en doute leur rôle de confidentes et la confiance qu'elles se portaient. Car si la confiance est encore là aujourd'hui, c'est en leur statut que Moira doute désormais, impressionnée par tous ces changements qui ont bouleversé leurs vies ces trois dernières années. Les nouveaux succès d'Isolde, loin des champs de fouilles archéologiques, sont l'un de ceux-là, et alors que la productrice y fait allusion, elle garde sur le visage un air taquin, comme si elle détenait un savoir qu'elle ne devrait pas et que cela lui donnait un quelconque avantage dans leur discussion pourtant sans autre enjeu que celui de rattraper le temps perdu.

- Oh, tu sais, le gratin londonien parle beaucoup, et surtout des gens qui réussissent, qu'importe le domaine dans lequel il se distinguent. Et même si nos routes se sont séparées un moment, je n'ai pas pu m'empêcher d'essayer de savoir ce que tu devenais. Internet, pour cela, est un outil magnifique...

Elle lui adresse un sourire entendu à son tour, se remémorant la joie qu'elle avait sentie en découvrant le nom d'Isolde sur ces livres jeunesse. La chose lui va bien. Elle a toujours eu ce contact privilégié avec les enfants et ce don pour leur parler avec les mots justes, en simplifiant les phrases et les concepts sans jamais les rendre idiots. Alors que son amie la rassure sur son adaptation londonienne qui, bien que complexe, semble désormais en bonne voie, Moira s'empêche de lui dire qu'elle aurait dû l'appeler, qu'elles auraient pu traverser cela ensemble, se rappelant à temps qu'Isolde le savait sûrement et qu'elle avait fait son choix en connaissance de cause. Elle comprend ainsi que son rôle n'est pas de remettre en doute ses décisions et accepte les faits sans regret ni rancune. Lorsque la question lui est renvoyée, naturellement, Moira retient l'ironique « toujours divorcée ! » qui manque de franchir ses lèvre et qu'elle noie dans le brandy, un sourire fade aux lèvres.

- Ça va... gronde-t-elle comme une entrée en matière des plus banales pour se donner le courage d'aller plus loin. La société marche plutôt bien pour le moment, et on compte beaucoup sur notre partenariat avec les Wild pour véritablement nous imposer sur le marché londonien. … Te souviens-tu de cette soirée que nous avions passée toutes les deux dans mon ancien appartement, assises sur le canapé du salon à boire le whisky que tu m'avais apporté d’Écosse jusqu'au petit matin ? Je t'avais parlé au détour d'une phrase de mon besoin de changement, d'un nouveau départ et tu avais évoqué l'idée de rebondir dans la musique, moi qui avais toujours baigné dedans sans jamais vraiment m'y consacrer. J'en avais ri comme si l'idée était complètement farfelue, simplement inspirée par l'alcool dont nous avions certainement un peu trop profité cette nuit-là. Mais je crois qu'avec le temps, l'idée a fait son chemin... Et un jour j'ai eu le malheur d'en parler à Sebastian Welsh. Tu te souviens de lui ? Un ami de longue date, pas très grand, larges épaules, un amoureux du champagne qui lui fait des infidélités fréquentes avec des pintes de Guiness ? Le projet est né avec lui, et j'ai monté ma société de production en 2009. Nous sommes longtemps restés dans l'ombre, le temps de trouver nos premiers succès commerciaux. Ce sont deux jeunes groupes anglais qui sont parvenus à nous faire décoller doucement. Mais notre contrat avec les Wild est notre premier de cette envergure. Alors tu imagines toute la pression qu'il y a sur les épaules de l'équipe ce soir.

Elle boit encore une gorgée de liqueur avant d'entrer sur les sujets plus épineux qui semblent l'impressionner bien plus qu'auparavant, comme si elle avait perdu l'habitude de se confier avec le départ d'Isolde.

- La vérité, c'est que cette société est née quand j'ai tout envoyé valser. Cela faisait trois ans que la production de Framestore me demandait si je comptais revenir ou non et je n'en pouvais plus de rester enfermée sans plus aucune perspective. Je voulais tirer un trait sur cette ancienne vie, me sortir de tout ce que je connaissais. Alors j'ai tourné le dos au cinéma et j'ai fondé ma société de production musicale avec l'appui de Sebastian. J'ai déménagé dans un nouvel appartement à Camden Town et j'ai plongé la tête la première dans la musique. On a mis longtemps à faire imposer notre marque, mais cela vient doucement. Avec les Wild, on espère frapper un grand coup. Je crois pouvoir dire que je me plais dans ce que je fais. Ça m'évite de trop penser...

Elle prononce ces derniers mots avec un sourire triste, teinté de résignation. Puis, elle achève enfin par un résolu :

- Et je suis toujours « l'ex-femme de » ...

Manière de lui signifier qu'elle n'a toujours pas refait sa vie, ou même eu l'occasion de, ce qui l'enferme toujours dans ce statut de femme divorcée qui ne peut pas tourner la page de son précédent mariage. Elle prend une grande gorgée de brandy comme pour l'aider à avaler cette dernière phrase. Inutile de s'attarder sur ce point pour l'instant. Isolde sait déjà tout ce qu'il y a à savoir, des détails de son divorce à cette culpabilité que Moira n'a toujours pas réussi à effacer, tant vis-à-vis de son fils que de son ex-mari. Et surtout, cette soirée n'est pas faite pour ressasser de telles pensées, surtout pas. Isolde a visiblement été invitée par James et doit pouvoir profiter du spectacle sans ce genre de tristes souvenirs à l'esprit. Quant à Moira, toute son attention doit rester focalisée sur la bonne tenue de cette soirée et du succès retentissant qu'elle doit leur apporter. Elle n'ouvrira pas la porte à ses démons ce soir.

Ce sont pourtant des démons qui semblent rugir dans leur dos alors que des cris de plus en plus violents résonnent dans l'enceinte du Viper, poussés par des jeunes de moins en moins enclins à attendre davantage la venue de leur groupe dont ils estiment avoir été privés pendant des années déjà. Isolde souffle quelques mots et Moira laisse un discret soupir s'échapper avant de répondre d'une voix trop grave pour cacher sa tension.

- Ils ont du retard.

Ses yeux se posent sur sa montre : ils devraient déjà être sur scène depuis vingt-cinq minutes. Ses doigts s'agitent machinalement sur son verre alors qu'elle garde les yeux rivés sur les coulisses, se demandant s'il est temps pour elle de reprendre les choses en main et d'aller les chercher tous les trois par la peau du cou. Elle a tant misé sur cette soirée, bon sang... Ne peuvent-ils pas faire un effort, juste pour ce soir ? N'entendent-ils pas les fans prêts à faire s'effondrer les murs du Viper s'ils n'apparaissent pas dans la minute qui vient ? Dans son esprit, les scénarios catastrophes s'accumulent, le pire d'entre eux étant que Wilde ait finalement décidé de tout plaquer et de se faire la malle sans prévenir personne. Son cœur fait une embardée... Il n'aurait pas osé tout de même ?

- Ils ne vont plus tarder, souffle-t-elle, plus pour se rassurer elle qu'Isolde.

Si dans dix minutes ils ne sont toujours pas sur scène, elle se jure d'aller les y traîner de force.
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James M. Wilde
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() message posté Mar 15 Nov 2016 - 21:01 par James M. Wilde



« Follow your instincts… Choose the other path. »

Isolde
& Moira
& James




James sautille sur place pour se donner un coup de fouet, le regard alerte et les idées virevoltantes, il y a même l'ébauche d'un sourire sur son visage ciselé par le stress. Mais il ne s'agit pas de l'angoisse paralysante ou drainante de ses moments les plus sombres non, c'est le stress bénéfique qu'il accumule avant de monter sur une scène. A l'extérieur, la foule semble rugir, telle une seule et même entité, bourdonnant son impatience. Quelques mots survolent la cacophonie, leurs prénoms hurlés comme s'ils incarnaient quelques divinités qui s'apprêtaient à venir tous les sauver du naufrage. James aime cette ferveur tout comme il la méprise, cette envie, ce besoin irrationnel raccroché à leurs personnes et à leur musique. Une folie consommée entre la foule et les artistes, l'adoration sur commande de ceux qui marchent en maître sur leur territoire, et qui condescendent avec dédain à donner enfin ce que l'on quémande depuis maintenant 40 minutes. Phil est venu les chercher, un peu gêné, un peu angoissé par la cohue qui se réverbère dans son établissement, qui n'a jamais été aussi bondé et animé que ce soir. Il a balbutié quelques mots, Greg et James se sont moqués mais ont rapidement acquiescé quant à la nécessité d'apparaître. Le régisseur ressent les mêmes sursauts d'adrénaline que ses employeurs, l'on juge ceux qu'il admire, l'on juge les lieux qu'il a élu, son travail aussi, en tant que grand maître des opérations scéniques. Il passe professionnellement la sangle de la guitare autour de la carcasse de Wilde, qui tend l'oreille avec un sourire en coin, la salle vient de s'éteindre et la houle contenue est devenue tempête, les cris accompagnés par les applaudissements et les coups plaqués par des semelles rageuses sur le sol. Son coeur suit le rythme, s'enfièvre, et son souffle s'emballe. Phil lui glisse quelques mots que les deux autres ne peuvent pas entendre :
« Elle est là. Au bar. A côté de madame Oaks. »
James ne répond rien, il acquiesce, incapable de parler tant sa mâchoire est contractée. Sa respiration devient presque sifflante et il s'étire la nuque, avant de réajuster sa guitare argentée, qui accompagne superbement son costume qui brille d'une même couleur, presque stellaire. James est réputé pour les costumes de scène les plus éclectiques, clinquants ou encore carrément sortis de dimensions dont personne n'aurait osé suspecter jusqu'alors l'existence... Ce soir, son t-shirt blanc et noir, où un petit personnage semble jauger le spectateur, en plissant des yeux, s'est orné d'une veste à la découpe étonnante, faite de plusieurs petits empiècements argentés, qui attrapent tous les feux des lueurs vagabondes. Les ailes qui se dessinent sur le devant lui donnent des airs d'ange vengeur, venu confondre un public à son propre jeu. Greg a une veste plus sobre, noire, mais dont les nervures reprennent l'idée de l'envol. Quant à Ellis, il réconcilie les lumières et les ombres, dans un costume blanc et noir, plus humble que ses deux acolytes. Son sourire est ravageur, sa tête suivant déjà le rythme porté jusque backstage par la foule. Phil dit tout haut :
« Dans 3... 2... 1… »
La trappe arrière de la scène s'escamote tandis qu'ils entrent, et vont se placer à leurs emplacements respectifs. Le noir opaque ne permet pas aux gens de distinguer encore leurs silhouettes et James pose ses yeux sur l'eau sombre pleine de remous des visages qu'il devine à peine. Il fait très attention de ne pas caresser les cordes de sa guitare, quand tout à coup, le son de l'harmonica, manié avec brio par Ellis emplit les airs, bientôt rejoint par des cris plus nourris et d'où filtre une certaine extase. Particulièrement lorsque le public reconnaît la mélodie empruntée à Ennio Morricone, jetant un souffle épique cumulé à l'attente. C'est la première fois qu'ils destinent cette introduction à un concert, l'inédit bruisse sur toutes les lèvres, et la silhouette d'Ellis se dessine, en ombre chinoise, sur un écran semi-opaque, qui masque l'ensemble de la scène. Greg apparaît à son tour, ses contours et ceux de sa batterie, quand le rythme rejoint la solennité de l'harmonica. Les cris redoublent... puis explosent quand la guitare de James se mêle au reste, et qu'il se devine à son tour, en clair-obscur. L'écran de tissu disparaît lors de l'accélération bien connue de Knights of Cydonia. L'immobilité de la scène se rompt, James s'anime soudain, et le public le suit, commençant à sautiller en rythme, réverbérant les harmonies tapageuses de leur tube bien connu, tout droit arraché avec eux à l'ouest américain où ils ont si longtemps élu domicile. La chevauchée donne le ton du concert, aucun temps mort donné à cette lutte qui s'instaure.

La chanson s'achève, la salle ayant hurlé en choeur avec James qui s'est montré presque féroce, son énergie déjà très palpable dans sa façon de malmener sa guitare ou d'occuper l'espace. Il jette quelques mots à la horde, rapides, incisifs dans leur ton enflammé :
_ Comme on se retrouve, Londres. J'espère que vous êtes prêts.
La réactivité des mots braillés, presque incompréhensibles lui indiquent que oui. Ils sont plus que prêts, consumés par l'attente, revigorés par ce premier titre auquel ils ont pu aussitôt participer. Pendant le bref échange, James a passé sa guitare dans son dos, et rejoint son autre compagnon d'éternité, ses doigts caressent le piano, il ferme les yeux, pour éviter la tentation qui déjà le taraude. De sonder les ombres pour la voir, de vérifier les dires de Phil. Peut-être qu'il se trompe, peut-être a-t-il mal regardé cet abruti, après tout avec ses trois neurones, on ne peut jamais être certain de rien. Il se force à enchaîner sur les harmoniques des accords que personne ne reconnaît. Le public ne crie plus, il se tait, attentif à la nouveauté qu'ils sont venus chercher pour se l'approprier. Les choeurs et les instruments qui donnent des atours de marche martiale à l'ensemble les perturbe un instant, ils n'ont pas l'habitude d'autant de matière musicale, ni d'ampleur d'ailleurs. Le premier couplet les tend, comme une montée inexorable qu'ils crèvent de ressentir, mais qu'on leur refuse encore, jusqu'à cette envolée vocale, et la puissance de la guitare et de la basse, qui séduit leurs appétits. Ils ne connaissent pas les paroles mais leurs corps se meuvent, l'appel irrépressible des mots se traduisant dans leurs tripes.
Survival est une ode guerrière, elle emporte tout dans sa grandiloquence, et James les entraîne sur ses propres chemins, son corps habité par la rage de cette composition là, la guitare s'animant entre ses doigts, et chaque geste, chaque mot, chaque note plus élevée que la précédente promet cette victoire que son personnage conquiert déjà, morceau par morceau. Les paroles sont arrogantes, parfois brutales, la survie n'a aucun prix, et cette survie bestiale fait écho à la chevauchée fantastique de la chanson précédente. A la fin, la note la plus aiguë de sa tessiture transcende les fans mais aussi les plus frileux qui ne peuvent que saluer la performance. La foule avide s'est muée en bataillon, les trois musiciens profitent de quelques secondes pour échanger des regards soulagés, Greg n'a jamais eu un sourire aussi éclatant, et ne se prive pas d'une oeillade à la plus jolie fille qu'il déniche au tout premier rang. Son cri en écho est ridicule, James esquisse un sourire en coin avant de balancer un :
_ Merci. Vous venez de m'offrir un demi Royal Albert Hall.
Personne ne comprend la blague encore, même si les spéculations iront bon train dès la fin du concert, mais l'arrogance et la félinité des gestes et de ses regards arriment les cris en réponse, les déchaine quelques instants supplémentaires.

Il en rajoute en faisant geindre la nouvelle guitare que Phil vient de lui apporter avec la rapidité de l'éclair. Il commence à avoir chaud dans son costume de star (au premier sens du terme) mais n'a pas le temps de voir se pâmer quelques groupies en s'effeuillant, cela devra attendre encore. Les premières sonorités de Citizen Erased contiennent la frénésie, même s'il s'agit d'une chanson particulièrement appréciée. James voile de nouveau ses yeux, l'interprétation rappelant à lui tous les souvenirs des temps où il composa ce titre. La dénonciation du piège médiatique ravit les fans, acère les crocs des journalistes.
Le solo de guitare le laisse presque seul à seul avec son ampli qu'il a rejoint pour se baigner dans les décibels, il les sent à l'intérieur de lui, lécher sa chair et sa peau, tout disparaît quelques instants et il n'y a plus que son corps, se débattant dans l'absurdité de cette carrière empoisonnée. La liberté illusoire le ravage, et ravage également le public qui chante avec une sorte de ferveur que l'on reconnaît dans les fidèles d'une église, puis tout le monde se recueille, anticipant l'outro au piano, la balade à la fois magique et déprimante se lie aux murmures du chanteur, tandis que les ombres glacées des lueurs bleutés de la scène viennent gommer le lustre tapageur. Il plaque un dernier accord, le noir se fait avant qu'il ne récupère une nouvelle guitare à violenter. Greg glisse des mots de sa voix joviale, qui tranche avec la sobriété assassine de James :
« Merci, vous êtes parfaits. Nous sommes contents de vous retrouver ce soir. »
James écoute à peine, il évite toujours de flirter avec son désir de sonder la foule, de dessiner les visages de ses regards, il distribue des oeillades anonymes, se retient de hausser un sourcil suggestif à une fille qui échevelée, a ôté son t-shirt pour se retrouver en soutif, elle tente d'accrocher ses prunelles, il laisse flotter quelques secondes le jeu avant de le rompre violemment dans la virulence d'Assassin.
La pause n'a été que de courte durée et la morosité de la chanson d'avant est oubliée dans la déferlante qui frôle le hard-rock. Le public n'est plus qu'une vague soumise à leur seule volonté à présent, James habite son décor avec une sorte de présence étrange, à la fois violente et évanescente, la conclusion du morceau épique le fixe un instant, alors que les notes sont de plus en plus sépulcrales, comme s'il convoquait les instincts abyssaux de sa fresque sur la destruction d'un pouvoir difficilement identifié. Surtout qu'aucun répit n'est abandonné à cette rage consommée, partagée, balancée dans la gueule d'un public qui en redemande. L'irrépressible se déclenche, les sonorités du rythme de Showbiz accompagnent la folie qui fait planer son empreinte sur les esprits, les appelant à une émancipation douloureuse, encore incertaine.
James n'est plus un simple maître de cérémonie à cet instant précis, il quitte l'espace palpable pour s'élever dans ce dernier cri, qui meurt, dans une impro qu'il dessine, au fur et à mesure, vibrante, haletante, Greg a mal aux bras mais persiste, le suit dans le vide de son monde qui s'ouvre soudain à tous, Ellis ne reste pas derrière, et tous les trois frôlent les échos de la catharsis que chacun vient chercher dans une salle de concert. James parle trop vite pour qu'on le comprenne lorsqu'il rouvre des yeux assombris, intégrant à peine le fait que Phil lui tend sa Manson noire. Il ôte sa veste, s'en débarrasse comme s'il ne supportait plus aucune entrave, ajuste la sangle, regarde Greg avant d'acquiescer doucement.

La seconde partie du Royal Albert Hall, la voici... Une guitare nerveuse, une batterie tout aussi puissante, et la basse qui vient compléter un rock profond, qui s'éprend de nouveau d'accents symphoniques qui annoncent le nouveau dévoilement de la soirée. La main de James désigne la foule dès les premiers mots prononcés de son ode à la liberté. Les entraves dessinées jusqu'alors sont prêtes à sauter, dans des accents tragiques, aigus, ouvrant le dernier combat face à un oppresseur constant, dont jamais il ne sait se détacher entièrement. Il y a tant d'aigreur, et à la fois tant d'espoirs déchirants. Il les vit, les ressent, devient le personnage de cette chanson, l'incarne avec majesté.
Le public est à la fois médusé par l'ambiance rouge et angoissante de la scène et de la salle, mais aussi transporté par le solo rapide qui fait voler les doigts de James sur la hampe de l'instrument. Ils tentent de suivre, de s'accrocher, et lui aussi d'ailleurs, c'est le solo le plus long et le plus casse gueule qu'il ait écrit jusqu'alors, une fois sur deux il l'a foiré en répétition. Mais son opiniâtreté bien connue l'a tenu éveillé des heures durant pour maîtriser l'endurance nécessaire, les notes s'imposent à ses doigts, le rythme de Greg vient encourager la seconde partie, puis les harmoniques se déchaînent, et cette fois-ci, la catharsis est entière, l'orchestration, les cordes, la voix, le public, tout communie et exulte, le rouge se désincarne dans les projecteurs qui viennent achever la scène, les fixant sur le décor métallique et austère comme des dieux incarnés, avant que les ombres ne les avalent.
James reprend son souffle, il se sent vivant comme jamais, comme si un bref instant, en effet, toutes ses chaînes avaient sauté, et il n'est plus que lui-même, inspirant la frénésie des cris, le rugissement, les "encore" qui s'élèvent d'une masse loin d'être rassasiée. Dommage que le challenge du jour fut de condenser l'énergie sur une seule heure, il pourrait exister sur cette scène encore longtemps, à dessiner les affects et à les dévorer. L'absence de lumière dissimule sa soif inextinguible qui traverse ses traits, les laboure, les anime comme rarement. Il n'en peut plus de ne pouvoir la chercher, il n'arrive plus à retenir l'envie décuplée par l'adoration de la foule, ne parvient même pas à savourer la réussite qui leur promet à présent la salle la plus primée d'Angleterre, à moins que Moira soit sourde, impossible qu'elle ne puisse passer à côté de la hargne et du déchaînement. Ils laissent passer encore de longues minutes, épongent leurs fronts maintenant en sueur, se félicitent à mi-voix.

L'angoisse revient marquer ses muscles, pernicieuse. Il sait ce qui lui reste à accomplir, il sait que jusqu'à présent, se corrompre à sa scène ne lui a pas demandé d'y laisser son âme, pas véritablement en tout cas. Ce qui s'adresse à la masse ne peut revêtir la profondeur de la vérité, le commun ne peut se consumer à sa brûlure. Il entend Greg et Ellis échanger des encouragements, mais il n'est plus vraiment là, il s'absente à eux pour se départir de son armure, exposer les fêlures, alors qu'il prend place derrière son piano pour la dernière fois de la soirée. Il ne peut voir que Greg le regarde, mais il le sent, cette lourdeur de l'angoisse qui devient partagée, ainsi que les quelques accents de l'incertitude. Ce titre n'a pas été répété. James l'a jalousement isolé de tout préparatif, annonçant qu'il le jouerait au détour d'une phrase qui se voulait détachée, au dernier moment, comme une inconséquence de plus. Les deux autres ont un peu fait grise mine, se sont arrangés quelques sessions privées pour au moins caler leurs propres parties, basse et batterie toujours intimement entremêlées de toute façon. Mais James n'a cédé à aucune sollicitation, s'est renfermé sur son choix, ne l'a pas justifié, n'a exprimé qu'un "parce que j'en ai envie" aux questions répétées, croisant les doigts quant à la lassitude de ses interlocuteurs qui n'a pas tardé à montrer le bout de son nez. Tout le monde s'est rencogné dans des silences entendus, et à présent Greg sonde les ombres pour apercevoir la silhouette de James, pour y lire quelque chose qui indiquerait que le succès pourrait se briser d'un instant à l'autre, ronge son frein à se sentir dépossédé comme bien souvent du choix, ressentant cette blessure de ne pas avoir été le confident des troubles, tout du moins jusqu'à ce soir. Jusqu'à ce que les pièces indistinctes s'assemblent en une harmonie presque terrible. Alors il se tient aux aguets, prêt à contenir l'incartade, à dessiner d'autres sonorités aux troubles s'ils devenaient abyssaux. Mais Wilde se maîtrise. Ses doigts frôlent le clavier, la réminiscence de ce toucher ranime à son esprit les murmures de Moira, redessine ses regards attentifs, et cette avidité empreinte de sentiments exhumés, dévorés sans qu'elle ne puisse s'en empêcher, sans qu'il ne puisse maquiller le sceau brisé d'un secret à présent presque partagé. La main tendue... Il l'a saisie car il n'avait pas le choix, il n'avait plus le choix. Avant que l'angoisse ne l'assaille pour le rendre mutique, il entame quelques notes, presque incertaines.

Le public qui rappelait tant et plus ses dieux d'un soir, se tait et se confond dans l'absence de lumière. Le temps semble suspendu dans la nuit enfiévrée du Viper, tous les projecteurs ont été coupés et seules les lueurs fantomatiques des issues de secours fendent l'obscurité sans pour autant la troubler. Les instructions données à Phil ont été limpides, car rebâchées jusqu'à ce qu'il les sache par coeur, et qu'il se réveille la nuit en y songeant. Les obsessions de James finissent toujours par envahir tous les corps et tous les esprits, comme une gangrène, mais qu'importe, c'est le prix à payer lorsqu'il faut exprimer des sensations, des espoirs et des regrets. Les quelques notes sont accompagnées d'une phrase sur le ton du murmure, lorsque ses lèvres frôlent le micro, une phrase indéchiffrable pour celui qui n'en a pas la clef, le public pour une fois ne relève pas, presque rompu dans cette intimité nocturne. Le sens échappe, se distille dans un silence presque recueilli :
_ À la surface... J'y suis encore. J'y suis encore avec toi.
Puis la balade débute, et les incertitudes se broient à la mélopée ténue à contre rythme, Greg et Ellis accompagnent, comme deux ombres, le promeneur solitaire dans cette nuit qui prend des atours oniriques.
_ Come into my life... Regress into a dream. We will hide... and build a new reality.
La voix est d'un velours inhabituel, accentuant l'intimité nouée dans cette nuit qui persiste. On ne sait d'où s'élève le chant, l'on ne voit pas le rêveur égaré, on le ressent seulement, et la peine s'invite dans les espoirs qui s'évanouissent au détour des phrases :
_ Draw another picture, of the life you could've had. Follow your instincts… and choose the other path.
Le piano reprend un tempo plus marqué, berce les sens, agonit la légèreté pour l'arracher à toute âme dans la salle. Les promesses s'élèvent au dessus des esprits envoutés, il y a tant de vérité échappée :
_ You should never be afraid. You're protected, from trouble and pain...
Jusqu'à la rupture de ce cri, telle une plainte, rendue encore plus crue par la lumière qui se tamise jusqu'à ranimer la scène, redessiner les contours des musiciens, les rappeler à la vie :
_ Why ? Why ? Is this a crisis, in your eyes... again ?
Son regard sur la chute s'aimante à la seule personne qu'il cherche à atteindre depuis des semaines, des jours, des heures. Elle ne le saura pas, mais il veut la voir, il veut un instant s'abreuver à sa présence, réaliser qu'elle est bien là, qu'elle est le songe et le réel, la divinité et les démons, tous ensemble, qui se précipitent dans des accords qui déchirent l'air, plaquent la tragédie sur le rêve, l'étouffent. Le brisent. Elle est plus magnifique encore avec cette robe rouge que dans tous ses souvenirs. Il s'arrache difficilement à la contemplation, le regard brûlant de tout ce qu'il dit enfin. Sa voix est plus forte à présent, la peine palpable, face à la violence de l'interdit, des voies confinées à l'absurde, des dilemmes scarifiés à sa peau :
_ Come to be... How did it come to be ? Tied to a railroad. No love to set us free... Watch our souls fade away. And our bodies crumbling. Don't be afraid.
La tension s'accumule et mord cette note tenue, le firmament de la chute et de la promesse jurée. La décision de ployer plutôt que de détruire. L'irrémédiable choix de l'abandon, pour vaincre l'agonie :
_ I will take the blow... for you.
Les harmoniques se silencent, périclitent dans l'incertitude des débuts, revient au rêve, qui se referme comme une parenthèse douloureuse, la voix de James n'est plus qu'un murmure abîmé par la peine :
_ And I've had recurring nightmares. That I was loved for who I am. And missed the opportunity... to be a better man.
Les ombres le dévorent, la scène et la salle s'évanouissent de nouveau dans la nuit, James ne parvient pas à ajouter un mot de remerciement quand son coeur chahute sous le poids d'une émotion bien trop intense. Il s'esquive, marche jusque dans les coulisses, se dérobe à tous les regards quand les lumières reviennent sur les applaudissements qu'il n'entend pas. Il cherche les oripeaux de son armure, il manque d'air, peine à recouvrer le personnage qui s'est fracassé dans la confession. Il ne peut pas se montrer ainsi, il ne peut pas se montrer dans la pâleur de son émotion. Et il a peur de chercher l'image d'Isolde pour s'y brûler la rétine, il inspire, souffle. Les gars assurent l'aparté, se lancent dans un jam intense, pour ressusciter le public, encore ankylosé dans l'intensité de ce qu'ils ne parviennent pas trop à identifier. Ils aiment sans parvenir à entièrement s'approprier la sensation, trop lourde, trop prégnante. James se passe une main dans les cheveux et s'aperçoit qu'il tremble de tous ses membres. Phil est à côté, il tente de ne pas dévisager celui qu'il a toujours pris pour quelqu'un d'inflexible dans la froideur. La révélation le fait presque rougir, et James n'a aucune énergie pour lui dire d'aller se faire foutre et de regarder ailleurs. Il demande à boire, le régisseur lui tend un autre verre de vin qu'il avale pour reprendre quelques couleurs, et ranimer ses facultés. Il se mure dans le bruit familier de son groupe, ferme les yeux sur l'esquisse, la repousse, ravale la peine, façonne la douleur, s'équipant de sa guitare comme d'une parure ou d'un bouclier. Lorsqu'il reparaît sur scène, il ne sourit pas, il n'exprime en réalité strictement rien d'autre que la glace de son regard. Le public a l'habitude de le voir ainsi, salue l'entrée de cris redoublés, Greg profite de l'instant pour égrainer les remerciements :
« Merci à tous d'être venus. Merci à la production de nous avoir soutenus pour que nous puissions vous donner un avant-goût du nouvel album. Il sortira bientôt, nous sommes fiers de vous compter parmi nos fans, sans vous nous ne serions que des coquilles vides. Et braillardes. Merci. »
Ellis tape dans ses mains, sa manière à lui de remercier la fébrilité, la passion, ainsi que la constance des adeptes, et James coupe court à toute débilité dégoulinante de mièvrerie en s'emparant de sa guitare et en en tirant une menace débridée. Et il se laisse aller, sur la musique, sur le rythme de la chanson la plus violente que contient leur répertoire, autant dans ses phrases que dans ses notes, lâche la bride à ce qui gît à l'intérieur, se délivre de la douleur en hurlant la folie.
Le public réagit aussitôt, extatique dans ce dernier round endiablé, qui n'en finit plus lorsque James malmène les amplis, le matériel, sa guitare toujours, encore, habité par l'instinct de violence qu'il porte, qu'il exalte par tous les pores de sa peau à cet instant précis. Se défendre de la douleur, ne pas la laisser l'abattre, il a choisi spécifiquement cette chanson pour brouiller tous les contours, sans comprendre qu'il ne ferait que les dessiner à la fièvre de sa hargne. La dissonance de l'appel est présent à chaque détour, le dilemme filtre dans les saccades, les gestes, les souffles, et cette course à l'agonie de toute énergie encore imprimée dans ses membres s'étanche dans la destruction et les hurlements. La foule rugit, la houle des corps enflammés comme fascinée par la rage, se laissant faire, s'y consacrant toute entière. Les riffs s'enchaînent, la scène souffre encore, jusqu'à ce que la violence soit entièrement consommée, et que la guitare valse, pour son dernier voyage, avant que le trio ne disparaisse, sans un regard de James, avec un grand sourire de Greg, et un clin d'oeil d'Ellis. La scène n'est plus que le théâtre de la sauvagerie dévoilée à la peine, la foule bavasse joyeusement, s'interroge déjà sur les nouveaux titres, certains postant des photos et des vidéos dans le bruit du web. Les journalistes invités dégainent leurs micros, patientent à l'orée de l'étage VIP tandis que le gros de la foule se draine, allant expirer l'adrénaline dans la nuit. Le bruit a laissé chaque tête dans une sorte de cocon, les gens peinent à s'entendre mais leurs visages ravis disent tout ce qu'il reste à exprimer.

La tête de James est vide des songes et pleine de bruits stridents. Greg lui parle mais il ne l'entend absolument pas, et il se précipite dans les vestiaires pour oublier le vide sous les tombereaux d'eau brûlante. Il a fait ce qu'il devait. Levé le voile sur la passion et les sentiments exhumés dans son âme moribonde. Il cherche l'apaisement, il ne trouve pourtant que du vide, et de nouvelles blessures dans son corps douloureux. Trop à contenir, trop à dire, trop à consentir. Il échappe un râle sur la blancheur du revêtement de la douche, ferme les yeux pour atténuer le bruit. Et ne trouve que la symphonie d'une réalité nue, sans les parures faciles et doucereuses du déni. Le bruit continue... L'eau caresse sa peau mais n'étanche pas la douleur de la chair scarifiée. Il pourrait rester là. Y rester jusqu'à ce que le bruit cesse, que l'onde qui sera devenue glacée l'emporte jusqu'à noyer tous les affects. Il pourrait rester là. Il a fait ce qu'il devait. Il ne doit plus rien à ses amours déchues. Alors pourquoi se sent-il brisé, rompu à la ferveur de ses aveux ? Pourquoi le sentiment de devoir au néant l'éternité d'une faute demeure-t-il dans sa tête ? L'opprobre est sur son front, les expressions mortifères dans son coeur. Il déraisonne dans la moiteur de la vapeur d'eau, qui le dissimule au reste du monde mais ne parvient guère à le faire s'oublier à lui-même.

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() message posté Mer 16 Nov 2016 - 22:12 par Invité

«  Follow your instincts... choose the other path. »
moira & james & isolde




Les paroles de Moira sont douces, et amères à son oreille. Car elles lui rappellent à quel point l’absence rend l’oubli des détails facile. Elle l’écoutait avec cette attention avide que l’on a en retrouvant quelqu’un que l’on a l’impression d’avoir toujours connu, et que l’on revoit des années après comme si la dernière rencontre datait tout juste d’hier. Pourtant, elle s’apercevait que le temps avait passé. Bel et bien. Inéluctable. Et si certains aspects lui revenaient bien sûr, d’autres étaient plus flous dans sa mémoire, mis à mal par les événements qui assombrissent la finesse du souvenir. Isolde est heureuse de constater qu’elle a trouvé des challenges auxquels se raccrocher. Que son projet professionnel est solide, porteur, certainement sur la voie de l’ascension. Elle l’a toujours admiré pour cela, pour son travail, son professionnalisme. Elle se souvient brièvement de ses films, ceux qu’elle a dévorés avec une certaine délectation en se disant que son amie y avait mis autrefois son énergie et sa patte. Celui sur la vendetta d’un homme reste encore aujourd’hui l’un de ceux qui l’ont le plus marqué. Alors de savoir qu’elle a renoué avec la musique, cela l’enchante. Moira avait une ténacité, un instinct. Et si elle ne connaissait plus à la perfection ses goûts musicaux, au moins était-elle sure qu’elle chercherait à approcher la perfection mélodique, et trouverait des collaborations éclectiques qui rendraient son label indépendant, unique aussi. Signer avec les Wild lui paraissait alors à peine surprenant. Connaissant un peu la personnalité de James, son perfectionnisme, et son acharnement dès lors que la matière musicale entrait en ligne de compte, Moira devait certes avoir signé avec eux une promesse de succès dangereux, mais aussi pour des nuits blanches de tourments versatiles. Sa remarque ne fait d’ailleurs que confirmer ses soupçons. Oui, elle a dû en baver. Voire, elle en bave encore, mais la difficulté n’est-elle pas un moteur dans ce domaine si difficile, si prisé, si accessible, et si violent à la fois lorsqu’on en fait partie ? Car monter sur la scène était une chose, y rester en revanche devait demander une ténacité colossale, et une figure directrice pour mener à bien le projet sans qu’il ne s’effondre en cours de route, ou ne soit délaissé par les auditeurs toujours avides, et terriblement critiques. Alors elle ne peut qu’admirer l’initiative, espérant au fond d’elle que si elle se heurte à une violence incontrôlable, elle saura s’en prémunir. Maintenant qu’elle l’a retrouvée, elle sait au moins qu’elle pourra lui proposer un exutoire si la pression devient trop lourde et les exigences trop harassantes pour être totalement supportables.

« Ça a l’air plutôt de bon augure, toute cette tension montre au moins l’engouement pour le groupe … » Murmure-t-elle en écho alors que l’absence de son regard sonde l’abîme grouillant qui les entoure. Elle se rend compte alors du fossé qui la sépare d’eux. Elle ne connaît pas bien leurs chansons, ni leur univers. Elle ne sait pas quels sont leurs derniers déboires, du moins pas tout à fait, ni quel a été leurs parcours. Elle ne les a pas suivis tous les trois comme toutes ces âmes fanatiques qui trépignent en attendant de les voir apparaître. Elle ignore quasiment tout de ce qu’ils sont sur scène, musicalement parlant. Elle ne sait pas, elle ne sait rien. Parce qu’elle n’est pas là pour eux. Elle est là pour lui. Pas forcément pour le musicien, même si au fond l’un ne peut se départir de l’autre, mais pour l’homme, celui qu’elle a cru voir, celui aussi qu’elle a haï, qu’elle hait, et qu’elle haïra sans doutes tant qu’il malmènera ses barrières. Au fond, elle est persuadée que Moira, si elle ne l’a peut-être pas connu dans sa chair, le connaît sans doutes mieux qu’elle ne l’envisagera jamais. Parce qu’elle a cette écoute, cette oreille, cette passion commune pour la musique qui transcende, qu’elle apprivoise toute entière, alors qu’Isolde ne fait que la sentir comme une spectatrice. « Je suis sure que si tu as décidé de travailler avec eux, ce n’est pas par hasard. » fit-elle remarquer en lui glissant un sourire taquin du bout des lèvres. La notion de destinée lointaine que convoque Moira l’instant suivant la rend songeuse, absente. Le hasard était d’une ironie si étrange. Retrouver cette amie qui lui avait été si chère, qui la connaissait par certains aspects mieux que quiconque, dans la tourmente d’une ombre qu’elle ne comprenait pas encore tout à fait. Que James soit de loin le lien la mettait presque mal à l’aise. Comme si d’un coup, elle peinait à assumer ce lien fragile et ténu qu’il y avait entre eux au-devant du regard de Moira qui l’avait si bien connue autrefois. Une peur muette qu’elle la juge peut-être, elle qui avait bien connu Peter, et qui pouvait établir une comparaison sans difficulté. C’était si irrationnel … Et pourtant, elle ne pouvait s’en empêcher, ayant la soudaine envie de se murer dans un silence possessif, pour être la seule à apprivoiser ce lien saugrenu tant qu’elle n’en aurait pas démêlé les travers.  « Tu crois ? Peut-être que cela devait arriver … Que nous avions encore des choses à partager toutes les deux … Qui sait ? » Elle porte son verre à ses lèvres, laisse le breuvage lui flatter le palais, gardant une main protectrice inconsciente sur le dos de Leela qui semblait en pleine conversation avec l’ombrelle dans son jus de fraise. Elle aussi commençait à s’impatienter, la fatigue se ressentant dans l’énergie qui l’abandonnait peu à peu, de s’alanguir de notes qui ne venaient pas. « Tout ira bien … Aies confiance. » avait-elle ajouté en sentant la tension qui l’habitait toute entière. Au fond elle ignorait s’ils viendraient, mais le contraire la surprendrait … ne pas répondre à l’appel viscéral, cela ne leur ressemblait pas. Ou du moins … ça ne lui ressemblait pas, de ce qu’elle pouvait en deviner.

Sa réponse avait été glissée sur une tonalité presque légère. Internet, un outil merveilleux en effet. Alors pourquoi n’avait-elle pas essayé de la retrouver aussi ? Pourquoi n’avait-elle pas eu le courage de faire lire toutes les lettres qui s’étaient entassées dans l’entrée de l’appartement désolé d’Edinburgh ? Peut-être parce qu’elles y étaient sans doutes encore, à souffrir du temps, à se décomposer sur un sol devenu poreux. Cet atelier, elle l’avait toujours. Héritage d’un mariage dont elle n’avait pas encore totalement pu se départir des fantômes. Depuis des années, elle n’y avait pas remis les pieds, la plupart de ses affaires étant restées là-bas en attendant que vienne leur heure. Elle n’avait pas eu le courage de le vendre. Pas encore du moins, sachant qu’avant de franchir cette étape, il lui faudrait y retourner pour récupérer, ou jeter tout ce qui s’était accumulé de souvenir dans cet endroit laissé à l’abandon. Sa gorge s’était un instant serrée, la culpabilité affluant dans ses veines tel un poison alanguissant. Le murmure avait voulu sortir de sa bouche, peut-être était-il parvenu à son oreille, ou non, qui sait ? « Oh Moira … Si tu savais comme je suis désolée … Pour ce silence … » Et maintenant qu’il était évoqué, elle ressentait toutes les amertumes, toutes les limbes, toutes les conséquences aussi. Etait-il trop tard ? Lui en avait-elle tenu rancœur ? Les retrouvailles étaient trop précoces pour le dire. « C’est vrai que cette bouteille avait été bue comme du petit lait … » lui répond-elle vaguement en convoquant le souvenir, un fin sourire venant éclairer ses traits en les revoyant rires, grisées plus qu’à moitié par les vapeurs ambrées et les discussions sans soupires. « Oui oui, je crois que je me souviens. C’est bien lui qui avait cette lueur lubrique délicate dans le regard, quand il regardait les petites bulles remonter à la surface ? Je suis contente que tu aies franchi le pas avec son appui, et qu’aujourd’hui, cela soit un moteur. Productrice … ça te va bien je trouve. Les enjeux sont plus clairs à présent … » Comment faisait-elle pour paraître d’extérieur si maîtrisée alors que tant de choses pour son avenir, leur avenir même, allait se jouer sur le devant de la scène ce soir ? A l’intérieur, elle la devinait entrain de bouillir, aurait voulu pouvoir trouver les mots pour la conforter mais en était rapidement arrivé à la conclusion que cela ne changerait sans doutes rien. « Si tu penses frapper un grand coup, ça veut dire que tu les estimes plus qu’à la hauteur ? Pour être tout à fait franche, je suis peu coutumière de leur univers musical, je les découvre tout juste … Si le coup est retentissant, ton avenir, et le leur, va beaucoup changer. Vous allez graviter dans des sphères plus élevées, avoir accès à des scènes de prestige … Vous allez tourmenter les foules et les communautés … La perspective d’un tel engouement, d’une telle vague incontrôlable … Cela ne t’effraie pas ? » Effrayant, mais certainement grisant. Même si elle ne comprendrait sans doute jamais, les cris retentissant des fanatiques alentours la faisant déjà doucement sourire. Peu à peu, sa conscience se précisait, se profilait davantage. Elle comprenait que l’univers dans lequel il gravitait, lui, et même Moira, allait se mouvoir pour toucher les antipodes extrêmes du sien. Et la perspective lui donna un instant le vertige, alors qu’elle déglutissait doucement en refoulant les pensées objectives qui cisaillaient l’indicible espoir de réconciliation en son coeur.

« Ah, ça se précise … » s’interrompt-elle en écho à la constatation de Moira concernant leur retard, alors que justement, la scène semble commencer à s’animer. Elle le comprend surtout aux soubresauts qui animent la foule. Les cris sont stridents, l’énergie suinte par tous les pores des peaux qui s’agglutinent et se rapprochent, aimantées par la scène comme une vague pour le rivage. « Aaah, ça commence !! » s’enthousiasma Leela en n’hésitant pas à se mettre debout sur son tabouret, trépignant désormais alors que même surélevée, elle pouvait difficilement distinguer la scène. Tout le monde s’anime dans un même rythme, les premières notes viennent fendre la disharmonie des impatiences, et dans son cœur, elle a comme un sursaut, ses prunelles cherchant à s’agripper quelque part, n’importe où, alors que ne trouvant aucun ancrage, c’est son ouïe qui se profile toute entière. La mélodie est connue, légendaire même, comme un instant suspendu dans l’aridité d’un désert sans fin, une course épique à dos d’un cheval sauvage. Le prologue est si inattendu qu’il lui arrache un sourire, alors que Leela, à ses côtés, a soudain un regain d’énergie qui la fait se dandiner au même rythme que tout le monde, ses petites mains se tenant à ses épaules pour ne pas tomber du tabouret. L’énergie déployée sur scène est telle qu’elle semble se réverbérer dans toute la salle. Et la voix de James, fendant les accords, leur répondant avec hardiesse, rend le tout encore plus poignant. Sur le coup, elle est si désarmée par une telle entrée en matière qu’elle se laisse juste porter. Par l’énergie, par la composition, par la puissance des notes aussi. Elle fait comme les autres, elle fait taire ses pensées, se contente d’apprécier sans pourtant avoir le même entrain apparent que les autres, toujours statufiée dans cette réserve naturelle que la cécité lui impose. Mais ses traits sont moins tirés, enthousiastes, elle rit même parfois, alors que Leela, elle, a le diable au corps.  Le deuxième morceau vient de toucher son paroxysme lorsque le cri de James vient fendre la foule. Révélation faite ou simple projection, le fait est qu’elle se penche vers Moira un instant, ses lèvres esquissant un sourire entendu : « Tu leur as promis le Royal Albert Hall ? »  Mais déjà tout reprend. Tout se suit. Et elle ne sait plus où donner de la tête. Il y a tant d’instruments, tant de partitions, tant d’émotions différentes qui s’entrechoquent en elle, que c’est comme courir à s’en époumoner. Sur quoi se fixer ? Sur quoi se reposer ? Sur rien en réalité. Il faut entrer dans le cercle, glisser dans la temporalité éclectique en lâchant prise. Le troisième morceau s’installe quand Leela s’impatiente. L’instant suivant elle sent un jeune homme lui tapoter l’épaule. A son odeur de parfum bon marché, et à son timbre de voix rocailleux, elle devine que c’est un étudiant. « Vous voulez que je la prenne sur mes épaules pour qu’elle puisse voir ? » - « Ouuiii ! » répond déjà Leela en cœur en tendant les bras vers l’inconnu. « Je reste là vous en faites pas. » Et déjà, la silhouette de la petite s’élève, elle se trouve beaucoup mieux sur ce nouveau perchoir d’un bon mètre quatre-vingt-dix. Isolde garde sa main dans la sienne par crainte qu’elle ne s’éloigne, puis continue de profiter du concert. L’ambiance change, s’alourdit. Le solo de guitare interprété avale son souffle, alors que ses yeux s’agrandissent. Un supplice pour les entrailles, un délice pour les oreilles, entre les deux, son cœur balance et s’époumone. La communion est presque absolue, difficile de ne pas en sentir le magnétisme, dont les fils invisibles semblent relier chaque être vivant dans cette salle à la scène, et à ses musiciens, qui deviennent alors des marionnettistes hors pair. Ils atteignent un tel niveau que la redescente semble presque évidente. A moins qu’ils ne touchent à l’épilogue, mais le sentiment est si grisant qu’elle veut les entendre continuer encore. Après l’ultime croisade, l’atmosphère semble retomber. Son souffle redevient plus mesuré, elle s’intrigue. Ont-ils éteint les lumières ? L’un dans l’autre, pour elle, cela ne change rien. Pourtant elle s’interroge, se demande si c’est une volonté ou non. Alors de nouveau elle se penche vers Moira, essaie d’y puiser des réponses. « Les … Les lumières sont éteintes … Non ? »

La réponse ne vint pas. Ou du moins, elle ne l’entendit pas vraiment. L’obscurité avait appelé une sorte d’accalmie, et après l’affluence des tonalités et des accords extrêmes, c’était un soupire d’une fugacité étrange, presque oppressante, qui avait pris la place. Les ombres appelaient un entre-deux qui lui était pourtant familier, mais qu’elle avait le sentiment de redécouvrir tout à coup, alors que l’attente de quelque chose laissait la salle sans souffle. Enfin des notes, écorchées vives sur la surface d’albâtre des touches du piano, viennent fendre le silence. Et ce murmure … Au début elle n’est pas sure de l’avoir entendu, mais le vague sourire qui illuminait jusqu’alors ses traits s’efface finalement avec lui pour la laisser statufiée dans une expression étrange. Les lèvres légèrement entre-ouvertes, ses yeux veulent s’agrandir, questionner cet appel qu’elle ne comprend pas encore, et qui vient de lui nouer la gorge. Le souvenir de cette phrase lui revient telle une gifle, et tout son corps se raidit à chercher à le voir. Sa voix naît d’une réalité abstraite, volute qui danse entre les ombres et s’alanguit avec elles. La tonalité prend des atours langoureux, enveloppant, poussières de songes qui la happent jusqu’à lui faire perdre pieds. L’émotion est telle, et pourtant, elle semble figée. Elle ne respire pas, ses membres bougent à peine, pourtant au fond d’elle la douleur est vive. Une douleur à laquelle sa conscience répond par un malaise, ne répondant plus aux appels, coupant tout contact avec autre chose que cette réalité qu’il vient de créer du bout des doigts, et dans la douceur de ses lèvres. Ses paupières balbutient finalement. A trop se laisser happée par les atours langoureux, lorsque le cri devient plus terrassant et les notes plus violentes, sa poitrine sursaute. Le changement de rythme soudain redonne vie et posture à son inertie. La tonalité du « Why » prend les traits d’une complainte. Et dans sa voix, elle oublie tout. Leur violence. Leur incapacité à s’émouvoir sans s’agonir. Les paradoxes de ses colères. L’évanescence délicate de sa douceur. La fragilité de son âme, qu’elle sait aussi flétrie que la sienne, si ce n’est davantage. Sans même s’en rendre compte, sa main s’est refermée autour de celle de Moira. Elle la serre, semble s’y accrocher, chercher dans cet appui silencieux une poigne qui la maintiendrait à la surface. Cette fameuse surface qu'il venait d'invoquer. Mais au fond, elle sait qu’elle a déjà plongée avec lui. Dans l’onirisme agonisant, enchanteur, elle l’a rejoint toute entière, cette foule devenant accessoire, inutile. Et lorsque le dernier vers s’achève, elle ne s’est même pas rendue compte qu’une larme silencieuse avait roulé sur sa joue, sans que ses paupières n’aient besoin de se clore. Témoignage visible d’une émotion qui se déchaînait sous la surface, elle ne revint à la réalité que lorsque Leela posa une main sur sa joue. « Maman, ça va ? » Alors elle réalisa, et son visage se recomposa, alors que sa main s’empressait de lâcher celle de son amie, par crainte sans doute d’être découverte. L'instant avait été fugace, invisible, imperceptible pour qui ne regardait pas avec attention. Mais il était déjà probablement trop tard. Tant pis … « Oui oui, très bien. C’est juste que cette chanson … Était très belle … » A peine a-t-elle réalisée, à peine cherche-t-elle de nouveau sa présence sur cette scène qu’il semble n’y avoir que du vide, une fuite inexorable après la confession et l’aveu.

Quand ils reviennent finalement sur scène, les ombres se sont enfuies, et ressurgissent les notes hargneuses. Mais cette fois-ci, Isolde ne parvient plus à prendre le rythme, son esprit toujours enlisé dans les langueurs de cette chanson qu’il lui avait adressé. Son cœur battait si vite dans sa poitrine, et paradoxalement, elle semblait si ailleurs, qu’il était difficile d’identifier une émotion définie sur ses traits. Son souffle tremblait légèrement. Leela était revenue entre ses bras, commençant à fatiguer face à tous ces mirages. Devenue insensible aux véhémences de la foule, la bulle dans laquelle elle s’enferme est telle qu’elle ne voit même pas le concert se terminer, les voix s’éteindre, et cette présence tant crainte et redoutée, devenir plus limpide qu’elle ne l’avait jamais été jusque-là. Elle sait que le pas qu’il vient de faire vers elle est considérable. Et que désormais, il lui faudra en faire un à son tour, ou choisir de disparaître totalement pour que leurs ombres n’aient plus à entrer en collision. « Tu … Je ne veux pas te retenir, tu dois avoir des dizaines de personnes à rencontrer à présent… » Murmure-t-elle à Moira alors que la conscience de la réalité lui revient entièrement. La fin du concert, l’excitation des journalistes, tous les acteurs de cette sphère qu’ils avaient voulu embrasser … En tant que productrice, elle devait encore avoir un travail colossal à accomplir ce soir.




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