things change and friends leave. and life doesn't stop for anybody. ⊹ On naît, on vit, on meurt. Personne ne choisit ses parents, son milieu, personne ne choisit cette base qui va être si importante pour le restant de ses jours. Non. On va lui donner toutes ces choses, lui imposer des situations qu'il aurait préféré ne jamais affronter, ne jamais connaître. Et toute sa vie, il va devoir faire avec, en rêvant à ce à quoi son existence aurait bien pu ressembler s'il avait eu un tout petit peu plus de chance. S'il avait eu ce qu'il voulait. S'il avait obtenu ce qu'il désirait.
Il existe des gens qui ont eu de la chance. Cependant, il existe aussi des personnes qui en ont eu et qui auraient préféré ne pas en avoir. La vie est mal faite. La vie est injuste. Cependant, personne ne peut rien y faire. Nous pouvons juste le constater, encore et encore, subissant ses aléas sans espérer qu'un jour tout cela puisse changer.
Elle s'appelle Julia Karen Sierra Charlize Williams. Elle a hérité d'une vie que tout le monde souhaiterait avoir. Elle a hérité d'une vie que des milliers de filles rêvent d'un jour vivre ; que des milliers de filles voient dans diverses séries télévisées en se disant
si seulement je pouvais être à leur place. Son père est trader. Sa mère est une femme au foyer, véritable accro aux galas de charité et activités entre copines-commères. Elle a une grande soeur. Une de ces filles élancées, belles, aux dents blanches et au rire cristallin. Elle a un grand frère. Un de ces jeunes hommes au sourire charismatique et à la peau légèrement halée. Ils sont riches. Ils sont beaux. Ils sont cultivés et carriéristes. Ils possèdent une villa sur la côte Californienne ; lieu dans lequel ils ont toujours vécu et vivront toujours. Il y a des règles. Des coutumes. Des choses à respecter pour toujours faire parti de ce clan très privé sans qu'aucun faux pas ne soit accepté. Elle porte des robes hors de prix pour une simple soirée, elle va dans le meilleur lycée de la ville. Elle peut tout acheter, se permettre toutes les folies dépensières, participer aux plus grandes fêtes du comté. Des milliers de personnes se damneraient pour avoir la chance qu'elle a eu à la naissance d'avoir une vie pareille.
Cependant, Julia n'en veut pas. Elle ne veut pas de cette vie, de cette chance. Elle n'en a jamais voulu.
your birth is a mistake you will spend your whole life trying to correct. ⊹
« Oh mon Dieu, Julia ! » Madame Williams se précipita sur sa fille, occupée à faire des tas de terre dans un coin, à côté de la piscine. Son ton avait été si agacé. Si terrifiée, également. La petite fille regarda sa mère sans comprendre, puis celle-ci la releva avant de lui faire traverser leur jardin avec de grandes enjambées pour rejoindre leur villa. Elle lui faisait mal. Julia sentait ses doigt serrer la chaire de sa peau et elle se retint de laisser échapper une protestation. Madame Williams prit grand soin de la faire passer par la cuisine avant de la faire monter à l’étage pour que les invités ne la voient pas dans cet état là, pleine de terre sur l’ensemble de sa robe. Après tout, cela pouvait être très mal vu.
Madame Williams entraina sa fille dans la salle de bain qui lui était réservée, puis fit couler un bain. Elle y ajouta de la mousse avec empressement ; elle déshabilla dans la même hâte Julia, ne prenant par gare à si elle lui faisait mal ou non. Il ne fallait pas qu’elle tarde trop, après tout. Apparence, apparence. Son mari était en repas d’affaire. Il fallait qu’elle soit présente, qu’elle soit la femme modèle. Ses deux autres enfants se tenaient sagement dans leur chambre, bien loin de lui causer autant de soucis que la benjamine. S’occuper de celle-ci devenait presque accessoire dans ces moments-là.
Elle la mit dans le bain chaud, puis déposa un baiser sur son front avant de redescendre rapidement, lui indiquant qu’il valait mieux qu’elle se lave tranquillement et qu’elle reviendrait dans quinze minutes. Julia demeura silencieuse. Des rires fusèrent en bas lorsque Madame Williams refit son entrée dans le salon, accompagnée d'une excuse pleine d'humour. Un humour que sa fille ne lui connaissait pas. Julia observait ses doigts sales et la terre sous ses ongles.
« Pourquoi maman voulait pas que je joue dans le jardin ? » demanda-t-elle d’une toute petite voix, seule, s'adressant sans doute à la seule personne sur laquelle elle pouvait compter: elle-même.
A cinq ans, elle ne comprenait pas encore les interdits, les règles. Elle avait déjà l’impression de se sentir étrangère à tout cela, d’être spéciale, de ne pas forcément rentrer dans le moule comme on aurait souhaité qu’elle le fasse. Lentement, Julia souffla sur la mousse qu’il y avait devant elle, et celle-ci atterrit sur le mur carrelé en face d'elle. Elle se mit à rire doucement, un bref sourire traversant ses traits fatigués. En bas, les adultes parlaient affaire, buvaient du vin à sept cents dollars la bouteille. Tout était normal. Tout était dans les règles.
Depuis le départ Julia s’était révélée être un peu garçon manqué, avait tout de suite marqué un certain intérêt pour les bêtises en tout genre. Mais cela n’allait pas s’arranger.
nobody's all the way dead yet, but lets just say the clock is ticking. ⊹ Le bruit des vagues. La sensation que procurait le sable chaud contre ses orteils. Le vent venant caresser sa peau simplement vêtue d’un maillot de bain deux pièces. Elle était bien, là. Elle se sentait libre. Son esprit s’en allait très loin, emporté par la mer, accompagné de tous les problèmes qui pouvaient la travailler en ce moment. Des problèmes comme la tenue que sa mère voulait qu’elle porte ce soir. Des problèmes comme ces gens au lycée qui l’agaçait. Des problèmes comme son sentiment d’appartenir à un autre monde, d’être détachée de tout ça, de ne pas être comprise.
« Julia ? »La demoiselle ouvrit les paupières et ses yeux se posèrent sur Zach. Elle lui fit un petit sourire, et celui-ci vint s’installer à côté d’elle, à même le sable, juste en face de l’Océan. Il n’ajouta rien pendant quelques instants. Le silence leur convenait. Après tout, ils partageaient tous les deux cette même passion de la Mer, ils avaient tous les deux le sentiment qu'ils étaient liées à elle. Qu’ils ne faisaient qu’un. Le surf, la voile.
Ils étaient une bande d’amis, une bande d’amis qui se connaissaient depuis de longues années maintenant. Julia en faisait partie. Elle avait appris à surfer avec eux, elle avait appris à s’échapper de la bulle dorée dans laquelle elle était enfermée depuis son enfance. Julia poussa un soupir. Elle avait quinze ans maintenant.
« A quoi tu penses ? »Julia tourna la tête vers Zach. Elle lui lança un petit regard complice.
« A ce soir, principalement. » lâcha-t-elle.
« Mes parents organisent une réception pour je ne sais quelle cause… Enfin, tu sais ce que ça veut dire. »Zach hocha la tête lentement. Bien entendu qu’il savait ce que cela voulait dire. Il était certes issu de classes moyennes, allaient dans un modeste collège de Californie, avait de temps en temps des problèmes financière, cependant, la jeune fille lui avait suffisamment parlé de
son monde pour qu’il sache qu’une réception signifiait être à la hauteur, supporter des gens pendant de longues heures, faire semblant et surjouer. Julia détestait cela. Elle détestait ce monde.
Mais elle y croyait encore. Elle croyait que tout irait bien.
« Je peux te kidnapper ce soir, si tu veux. »Julia leva les yeux au ciel, lui faisant un grand sourire.
« Viens plutôt avec nous. » répondit-elle.
« Je t’invite. »Cela allait faire enrager ses parents, mais elle s’en fichait.
Cela faisait maintenant longtemps qu’elle avait presque deux vies ; celle que ses parents voulaient qu’elle ait, celle qu’elle vivait pour elle. Elle participait aux galas et toutes sortes d’activités de riches, allaient dans un établissement privé pour étudier, mais vivait sur sa planète. Ses amis faisaient partis d’une autre classe. Ils étaient plus modestes. Et elle les aimait plus que tout.
Ce qui la rassurait, c’était que dans son combat, elle n’avait plus l'impression d'être seule. Ils étaient là pour elle.
everything will be okay in the end, if it's not okay, it is not the end. ⊹ Ils étaient au beau milieu de la mer. Julia sentait son cœur battre beaucoup trop vite ; ses yeux parcouraient les vaguelettes qui venaient se briser contre la coque du voilier sur lequel elle se trouvait. Doucement, elle tourna la tête vers son meilleur ami, occupé avec les cordages. Elle prit une profonde inspiration, puis fit quelques pas dans sa direction.
« T’as quelque chose à me dire, toi. » dit-il simplement.
Julia esquissa un sourire, avant d’hocher légèrement la tête. Le monde lui tournait. Elle se sentait presque nauséeuse. Pourquoi fallait-il que cela soit aussi dur ? Pourquoi avait-elle l’impression de mettre en péril leur amitié ?
Elle avait voulu faire une sortie en mer avec lui simplement pour prendre le temps de lui dire ce qu’elle avait sur le cœur. Simplement pour se détacher du monde et faire face à Zach. Elle avait besoin de partager ce qu’elle avait sur le cœur. Elle avait besoin de partager ce sentiment qui parcourait ses veines à chaque fois qu’elle la voyait. Qu’elle la voyait, elle. Avec difficulté, elle déglutit, et elle s’assit.
Il ne fallut que quelques secondes à Zach pour se laisser tomber à ses côtés.
« Je t’écoute, Jules. »Une nouvelle fois, elle esquissa un sourire, avant de déglutir.
« Eh bien… » commença-t-elle, avant de finalement rendre les armes.
« Je… Ça fait un moment que je voulais t’en parler. Je te jure, je ne sais pas ce qui cloche avec moi, j’ai l’impression de… De ne pas être comme les autres, tu vois ? »Zach fronça les sourcils en entendant ses propos, secouant la tête pour lui spécifier qu’il ne voyait pas où elle voulait en venir. Julia reprit une profonde inspiration, sentant des larmes lui monter aux yeux.
« C’est pas grave, laisse tomber… Ce que je voulais te dire c’est que… C’est que je crois que j’aime les filles, Zach. » annonça-t-elle, marquant une légère pause avant de reprendre.
« C’est… C’est Eliott. Je ne vois qu’elle. Mon cœur s’emballe à chaque fois que je la croise, à chaque fois que je lui parle, à chaque fois qu’elle sourit. Je pensais que ce n’était qu’une étape, une émotion étrange, une sorte de passage que toutes les filles connaissent… Mais ça n’est pas passé avec le temps. J’ai l’impression que ça a empiré, même. »Julia parlait sans doute bien trop vite. Les mots se bousculaient dans sa bouche. Agressivement, elle essuya une larme qui coulait le long de sa joue.
« Je suis amoureuse d’elle, Zach. Je suis amoureuse d’une fille. Et je ne sais pas quoi faire parce que ce n’est pas normal, ce n’est pas comme ça que ça devrait se produire, je… »« Jules, arrête. »« Quoi ? »« Arrête de te poser trop de questions et sois heureuse, d’accord ? »Julia se mit à rire à travers ses larmes et, doucement, Zach déposa un baiser en haut de son crâne.
Elle allait être heureuse, oui. Essayer, tout du moins. On dit que le premier amour est celui qu’on n’oublie jamais ; cependant, il est aussi celui qui fait le plus mal.
you don't have to see the whole stairs you just have to take the first step. ⊹ Julia se racla la gorge. Ses yeux parcoururent l’assemblée. Elle n’avait pas peur, non. Pourquoi aurait-elle eu peur ?
« On naît, on vit, on meurt. C’est le cycle de la vie, cela a toujours été comme ça et ça le sera toujours. Le lycée n’est qu’une partie infime de notre existence… Et pourtant. » articula-t-elle lentement dans le micro, confiante, la voix posée.
« C’est ce moment-là qu’on découvre qui on est. Qu’on apprend à se connaître avant de connaître les autres. Qu’on apprend à se supporter, à devenir quelqu’un. On nous dit que c’est à ce moment là qu’on se construit, mais je ne suis pas d’accord ; en réalité, on fait de nous ce que les autres ont toujours voulu qu’on soit. Nous nous fondons dans la masse. En pensant devenir quelqu’un d’exceptionnel, nous appliquons simplement les règles qu’on nous a imposées dans notre vie et nous finissons par devenir comme les autres. On finit par se fondre dans le moule. »Des murmures commencèrent à s’élever dans la salle. Les parents s’agitaient, les élèves regardaient Julia avec la plus grande incompréhension. Cependant, la demoiselle ne fixait qu’une seule personne. Sa mère. Elle savait que ce n’était pas une bonne idée, que de profiter du discours de la remise des diplômes pour dénoncer toute cette société allait très certainement avoir un grand impact sur leurs vies. Sur leur famille. Mais elle s’en fichait. Elle avait besoin que cela sorte. Elle avait besoin de les dénoncer.
Et puis, au final, quelle famille, hein ? Elle était une famille toute seule, après tout. Elle était une famille avec ces amis qu'elle avait. Et puis, Julia s’en fichait. Elle partait pour Londres. Ce n’était qu’une question de temps. Elle allait enfin pouvoir lâcher prise avec tout cela. Partir loin du mirage qu'avait été Eliott, partir loin de cette société de faux-semblants qu'elle n'avait jamais approuvé.
« La vérité, c’est que nous sommes simplement des automates, des adolescents faits sur-mesure pour l’excellence. Nous n’apprenons pas à vivre, non, nous nous contentons d’exister. Nous sommes beaux. Nous sommes riches. Nous avons un grand avenir. Nous faisons la fête. Nous avons une vie que tout le monde rêve d’avoir. Mais est-ce vraiment vivre ? Connaissons-nous réellement la définition de ce mot ? Non. J’ai passé mon adolescence entière à me dire que je m’étais trompée de monde. Parce que les familles qui n’ont rien hormis tout l’amour qu’ils ont savent mieux que nous la véritable valeur des choses. Nous nous contentons d’artifices. Eux connaissent le véritable sens de la vie. »Un silence de mort planait finalement dans la salle. Julia leva les yeux de sa feuille, décidée. Les regards sur elle étaient froids. Elle s’en fichait. Elle avait toujours été considérée comme marginale, de toute manière. Ce n’était pas ce genre de moment qui allait lui faire perdre tous ses moyens.
Elle ne mâchait pas ses mots. Elle ne l’avait jamais fait.
« Le lycée est la fin d’un chapitre où nous avons tous été forcé d’être pareil. L’université est une nouvelle page, blanche. Les règles sont redéfinies. Nous allons peut-être tous apprendre à vivre, finalement. »C’était ce qu’elle comptait faire.
it is not about how you look, it is about how you see. ⊹ Julia leva les yeux au ciel.
« Désolée. » dit-elle, légèrement exaspérée.
« Je te l’ai dit déjà cent fois mais on a eu des problèmes de livraison cette semaine. Les parutions hebdomadaires sortiront demain. »Le gamin en face d’elle lui lança un regard de chien battu, comme si cela pouvait réellement changer quelque chose. Un comic dans la main, elle lui donna un petit coup sur le haut du crâne avec un sourire et celui-ci, penaud poussa un petit sourire triste.
« D’accoooord Julia. Tu m’envoies un texto dès qu’ils arrivent hein ? »La Williams hocha la tête.
« Tu seras le premier au courant ! »C’était la quinzième fois qu’elle disait cela à quelqu’un aujourd’hui, et tous allaient bien entendu être « les premiers » au courant. Elle était aussi frustrée qu’eux. Cependant, devoir répéter à tous les habitués que non, les nouveaux numéros de leurs comics favoris n’étaient pas sortis devenait un peu… Lassant. Hormis cela, Julia adorait son job. Elle pouvait passer des soirées entières à lire dans son coin, parler avec des gars branchés sur la même fréquence qu’elle.
De manière générale, elle adorait sa vie ici, en Angleterre. Oui.
Sa vie.
Elle était étudiante au King's College de Londres. Elle bossait pour gagner son propre argent. Depuis qu’elle était en Angleterre, elle vivait seule, par elle-même, et se débrouillait du mieux qu’elle pouvait. Ses parents ne l'aidaient pas, alors elle se démenait. Son appartement était minuscule. Ses horaires une véritable folie. Mais elle ne s'en plaignait pas. Elle ne s'en plaignait jamais. C’était le but, à la base. Elle avait sous-loué un petit appartement dans les mauvais quartiers sans hésiter ne serait-ce qu'une seule seconde. C’était plus dur, certes. Mais elle se sentait à sa place.
« Eh, Julia ! »La concernée releva la tête.
« Huuum ? »Son responsable eut un sourire. Il n’était guère plus âgé qu’elle, juste une poignée d’années. Quand elle avait débarqué devant lui pour avoir un poste dans le comic-book store, il lui avait ri au nez. Une fille, dans un antre de mec ? Jamais. Puis quand il avait compris qu’elle était littéralement fan de cela, il avait tout remis en question.
Et puis, elle gonflait les ventes. Parce qu’elle était une fille. Belle, apparemment. Donc les gars venaient plus facilement dans le magasin pour l’observer du coup de l’œil. Tout une stratégie commerciale.
« Viens m’aider à déplacer les anciens numéros là. »« J’arrive, le feignant ! »Elle sourit, puis descendit de la chaise qui lui servait de perchoir.
Elle vivait la vie qu’elle avait toujours voulu avoir. Enfin.
life doesn't have to be perfect it just has to be lived. ⊹ On naît, on vit, on meurt. Personne ne choisit ses parents, son milieu, personne ne choisit cette base qui va être si importante pour le restant de ses jours. Non. Mais cette personne peut choisir où est-ce qu’elle va. Cette personne peut déterminer son chemin. Ce qui définit une personne n’est pas ce qu’on lui dit d’être, mais ce qu’elle choisit d’être.
Julia est née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Mais Julia n’en a jamais voulu, alors Julia s'en est défait.
Fuir a peut-être été sa solution, mais elle est heureuse, désormais, après avoir passé six ans loin de chez elle, loin de cette famille dont elle n’avait jamais voulu. Elle ne s’était jamais sentie chez elle, en Californie. Désormais, elle se sent à sa place à Londres. Des factures demeurent impayées. Elle est contrainte de travailler comme une folle pour s'en sortir. Mais elle se fiche de tout ça ; elle se fiche de devoir faire des efforts. C'est le prix à payer, et elle l'accepte avec grand plaisir.