Lorsque Samir arriva dans la galerie Morton de Picadilly Circus, il put constater que l’exposition avait déjà accueilli ses premiers visiteurs. Elégamment vêtus pour un vernissage en journée, les invités commençaient à échanger leurs premières impressions en piochant dans les premières coupes de champagne et verres de vin tendus par des serveurs impeccablement mis. Le docteur, lui-même habillé d’un costume de jour bleu-gris, sobre mais pas trop formel, se joignit à la foule et la traversa pour aller rejoindre la table d’accueil. Mary, une des bénévoles de l’association, lui adressa un grand sourire en le reconnaissant.
« Bonjour docteur Jaffri ! Vous arrivez juste à temps, le docteur McCullen va bientôt faire son discours. »
« Mince alors, j’aurais dû arriver quelques minutes plus tard. » répondit-il en plaisantant alors que Mary lui tendait un badge à son nom, permettant aux visiteurs de l’identifier. Samir l’accrocha à sa veste et s’éloigna à nouveau, passant en revue les photographies sous verre accrochées au mur – un joyeux patchwork entre ses photos à lui et celles d’autres médecins ou de professionnels. La conservatrice de la galerie avait fait un très beau travail de présentation, et Samir commençait à sentir la nervosité faire son petit bout de chemin dans sa tête. C’était la deuxième fois qu’il présentait ses clichés d’Afghanistan à une exposition d’MSF, mais le processus le mettait inexplicablement mal à l’aise à chaque fois. Peut-être parce qu’il s’agissait d’un sujet qui lui était très – trop – familier, que ces photos avaient un caractère ‘intime’ malgré lui, même s’il ne photographiait que le camp, les paysages ravagés, ses collègues et ses patients. C’était comme ça. L’Afghanistan restait un sujet sensible, même si sa volonté de partager ce qu’il se passait là-bas était plus forte que sa pudeur naturelle.
Repartant vers le fond de la salle, peu désireux de masquer la vue à qui que ce soit avec sa grande taille, Samir balaya l’assemblée du regard à la recherche d’Elsa, qu’il avait invitée la veille pour ce vernissage. La jeune femme n’avait pas l’air d’être encore arrivée. Samir n’avait jamais été des plus à l’aise au milieu d’un public, c’est donc naturellement qu’il battit en retraite près de l’extincteur à l’entrée de la salle, le dos appuyé contre le mur et les bras croisés sur son torse, attendant bien sagement que le responsable des missions en Afghanistan, le fameux Dr McCullen, veuille bien lancer les festivités. Cette exposition était son idée, pour sensibiliser le grand public aux mission de MSF et à la réalité du terrain auquel les médecins devaient faire face une fois là-bas. Samir eut un sourire en se reconnaissant sur une des photos de ses collègues. Assis à même le sol sur les marches de leur camp de fortune dans les montagnes du Peshawar, débraillé, visiblement éreinté (il se souvenait que cette photo avait été prise après une opération chirurgicale particulièrement difficile), mais souriant de satisfaction. Une opération réussie, visiblement, même s’il n’avait plus les détails en mémoire. Au milieu de toute cette misère, les petites réussites revêtaient une dimension quasi-vitale pour maintenir le moral des troupes à flot.
Quelques visiteurs firent à leur tour leur entrée, et Samir identifia une tête blonde familière. Il tendit le bras et lui tapota l’épaule, la poussant à se retourner pour lui faire face.
« Hello little miss. » la salua-t-il avec un sourire sous sa barbe avant de se détacher du mur et d’enfoncer ses mains dans les poches de son pantalon avec nonchalance. « Content que tu aies pu venir. Tu arrives pile à temps pour le discours du grand patron, le petit moustachu là-bas. » ajouta-t-il en désignant le docteur McCullen d’un mouvement du menton. Le petit moustachu en question monta sur l’estrade, visiblement heureux et un poil nerveux lui aussi.
« Mesdames et messieurs, merci infiniment de vous être joints à nous pour l’ouverture de la nouvelle exposition de Médecins Sans Frontières ! J’ai bien peur d’être médecin et non politicien, je vais donc aire court avant de vous endormir d’ennui, mais je tenais à remercier l’équipe de volontaires derrière cette superbe initiative, et bien entendu nos fantastique équipe de médecins, d’infirmiers et autres soutiens logistiques partis en Afghanistan, qui nous ont ramené ces photographies poignantes que vous pouvez voir aux murs. Un grand merci en particulier au Dr Lisa Palmer et au Dr Samir Jaffri, qui ont entièrement supervisé ce voyage. » Samir croisa le regard de son chef et éluda les remerciements d’un sourire et d’un geste de la main. « Les bénéfices seront reversés à notre association et nous permettront de financer d’autres missions. Nous espérons que vous passerez un bon moment, et ma foi, n’hésitez pas à bombarder nos bénévoles de questions, ils sont là pour ça ! Merci beaucoup. »
Toute la salle applaudit chaleureusement alors que McCullen quittait l’estrade, permettant aux convives de commencer leur exploration. Samir pencha sa haute carcasse vers son invitée pour lui glisser quelques mots.
« Deux plans d’action se présentent à nous. Je peux te faire une visite guidée de l’exposition avec explications et anecdotes – ou bien on peut commencer par faire une razzia sur le buffet. Qu’est-ce que tu préfères ? »
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