"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici as we hide what we don't wanna hear, as we hide what's really in our ears (thomas) 2979874845 as we hide what we don't wanna hear, as we hide what's really in our ears (thomas) 1973890357
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as we hide what we don't wanna hear, as we hide what's really in our ears (thomas)

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() message posté Dim 3 Avr 2016 - 23:58 par Invité
La voix masculine et impérieuse s’échappait de l’écouteur du téléphone sans marquer manifestement d’atténuation, réitérant des détails que nous venions de passer en revue et je patientais quelques instants supplémentaires, me retenant de lui faire remarquer qu’il ne faisait qu’épuiser ces précieuses minutes dont il ne cessait de me rappeler la valeur. La conversation se coupa sans réelle finalité et je montai les marches de l’immeuble imposant pour m’arrêter sous son porche tout en parcourant mes messages à la recherche des éléments que l’associé du cabinet dont j’étais à la charge venait de me demander. Je dégageai mes cheveux du col de ma veste en finalisant le transfert d’une remarque circonspecte et sagace qu’il ne m’avait pas laissée le temps d’introduire. Je savais qu’il était impatient et nerveux, pressé d’en terminer avec ce dossier qu’il parcourait sûrement de chez lui puisqu’il m’avait laissé le soin de m’en charger seule au cabinet ce soir, mais je n’étais ni docile ni aveuglément disciplinée et il le savait. L’ordre était donné aux jeunes collaborateurs de rester discrets mais je ne voyais pas la peine de décevoir celui qui, irrité et désireux d’échanges piquants et fructueux, attendait certainement l’occasion de pouvoir répondre de la même manière pour me remettre à ma place. C’était sans doute cette insolence avisée qui l’avait poussé à me placer sous son aile protectrice et formatrice, décidé à me piloter à travers les méandres des instances. Il était estimé et brillant, beaucoup plus que je ne l’étais, émérite et éminent, mais il me percevait comme étant aussi maligne que lui, et probablement aussi inflexible. Il s’en était rendu compte dès le premier jour, m’avait-il concédé. Une jeune femme dans une cour d’hommes chevronnés, le jour de mon entretien. Je levai les yeux au ciel en recevant sa réponse finale et laissai glisser mon téléphone dans l’évasure de mon sac pour me décaler finalement du mur de pierres anciennes. Mon regard s’évada le long du bâtiment et sa façade blanche, illuminée des lumières citadines à l’arrivée de l’obscurité et je portai la main à mes lèvres en sentant un accès de toux naitre dans ma poitrine, morne pour un regard extérieur mais suffisant pour m’essouffler. Sans doute n’était-ce pas la première fois de la journée mais je le remarquais celui-là. Ils s’effaçaient déjà, ces moments que je m’efforçais de regarder avec tant de confiance lorsque je restais occupée et concentrée, que je m’efforçais de croire capables de réparer le reste de lassitude. Tout ce qu’il en resterait bientôt, dans quelques minutes, serait ce souvenir vague et incertain, inatteignable. Ce moment autonome que je me chargerais de recréer au lendemain puisque la soirée et la nuit parviendraient, comme d’habitude, à me faire douter de sa véritable existence, de sa possibilité. Je tournais dans les dédales des couloirs, laissant mon regard parcourir les inscriptions aux entrées des salles car ce n’était toujours pas celle-ci que je recherchais, ni celle-là devant laquelle j’étais supposée m’arrêter. Le bruit de mes talons sonnant sur le sol dallé résonnait dans les galeries presque vides, désertées à la hâte compte tenue de l’heure tardive. Je frôlais les murs silencieux mais vibrants entre lesquels l’écho des voix restantes se cassait avec profondeur. Les universités se ressemblaient toutes et il me semblait être capable de m’y retrouver comme si celle-ci avait été la mienne. Je m’y étais débattue plusieurs années avant de devoir m’en retirer, apportant à mes activités étudiantes la frénésie de ceux conscients que les jours étaient comptés. Je m’y étais débattue, tentant de faire de leur finalité ma seule préoccupation, ou la plus importante, comme si rien d’autre ne me serait donné d’aussi noble et tangible que le certificat final qui devait m’être remis. Cela avait failli être le cas, cela avait failli être la finalité, la seule qui me serait donnée, et je l’avais méprisée autant que considérée.
Je m’arrêtai devant la porte entrouverte sans avoir besoin de m’attarder sur la numérotation que cette dernière portait. Les tonalités de sa voix atteignaient le couloir dans lequel je me trouvais, assourdies mais empruntées, reconnaissables. Je posai ma paume sur le dos de la porte et la laissai s’appuyer légèrement sur celui-ci. Les gradins se présentaient sous mes yeux, je les avais toujours comparés aux nefs d’une cathédrale dont les vitraux ne laissaient plus filtrer le soleil comme lors de ces premières heures. Les bords de l’amphithéâtre s’incurvaient et s’évasaient progressivement vers le bas sans que je n’y prête attention pour l’instant. J’entendais sa voix, comme les autres, ses mots s’échouaient à mes oreilles et le français dans lequel il s’exprimait ne changeait en rien son timbre implacable. Je plissai les yeux en retrouvant la lourdeur d’une salle occupée, l’atmosphère d’un amphithéâtre concentré, celle-là même qui contribuait à emprunter les scènes d’études d’un négligé intemporel inclinant aux songes concertés. Je restais en hauteur, appuyant mon épaule sur le chambranle de l’entrée, laissant mon regard se fixer sur le pupitre en contrebas et sa silhouette sombre et élégante. D’autres regards se posaient déjà sans grand intérêt sur moi et je laissai un sourire amusé se dessiner sur mes lèvres, ou peut-être l’imaginais-je, car celui de Thomas manquait à l’appel, indifférent et peut-être ignorant, même si j’en doutais : peu de gens parvenaient à se montrer aussi observateurs que les atrabilaires, dans le fond. J’étais venue sans réfléchir réellement, me contentant de cette idée d’apparitions somme toute fidèles mais irrégulières, assurées de toujours surprendre pour ne pas convenir. Je me décidais finalement, décalant mon épaule de l’embrasure, et pénétrai dans la salle d’un pas lent et mesuré pour entreprendre de descendre les marches une à une avant de jeter mon dévolu sur l’un des sièges vides dans l’allée du milieu. Les regards s’étaient déjà reportés sur Thomas et ses analyses ininterrompues. Les salles d’études étaient toujours bondées dans la journée, plus clairsemées à présent : sanction par le nombre des horaires du soir. Mais l’attention restait la même, écoute ou chahut, le choix avait été fait et je m’appuyai sur mes coudes après les avoir fait glisser des manches de mon manteau long. L’éloquence des plus brillants de mes professeurs gagnaient de l’ampleur au silence de l’auditoire, mais Thomas ne semblait pas en avoir besoin puisque ce dernier naissait de sa rhétorique elle-même. Les auditeurs, à cette heure-ci, n’étaient vraisemblablement plus uniquement composés de simples étudiants, ils trainaient, dans leurs visages prononcés et leurs tempes tirées, le bagage nécessaire pour comprendre les notions pointues qui volaient dans la salle et rebondissaient contre ses parois. Je plissais les yeux car les résonances françaises me laissaient perplexes mais que je reliais certaines sonorités à celles bien connues que je possédais de l’italien. Cela ne suffisait pas de toute évidence et je profitais de ces instants pour l’observer car il ne pouvait pas en faire de même, car il ne pouvait pas répondre à mes regards des siens toujours plus acérés, pour retrouver tous ces détails déjà enregistrés mais en découvrir d’autres. J’ignorais s’il s’agissait de la luminosité ou des nimbes de ses propos mais je pouvais saisir ses regards vagues et concentrés luisant d’un éclat que je ne lui connaissais pas, d’une pâleur nouvelle mais grisé à certains endroits, rehaussé du creux de ses cernes toujours existantes mais rajoutant à son trouble. Les notes crissaient sur les rares papiers autour de moi, les cliquetis des claviers s’élançaient tentant d’adopter la même célérité que leur professeur mettait dans ses propos mais cela me paraissait peine perdue. A quoi pensaient-ils, tous qui se taisaient, le soir, sous ses envolées sans réponses possibles ? Je percevais, sans m’attarder dans leur regard, des images passant devant leurs yeux aussitôt effacées car renouvelés par les nouvelles que Thomas leur imposait. A quoi pensait-il lui-même ? Etait-il capable de s’éclipser ainsi et laisser son costume jouer seul sur cette scène improvisée qu’il retrouvait chaque jour, se contentant d’instruire l’assistance en pensant à autre chose ? Je cillai avec précaution et haussai les épaules en les laissant retrouver le dossier inconfortable des gradins. Je me le figurais comme cette tapisserie dont je ne pouvais m’empêcher de voir continuellement l’envers. Son apparence souffrante et grabataire s’altérait lorsqu’il parlait sans failles ou flétrissures, s’éclipsait sans doute pour laisser aux regards l’aura brillante et sombre dont les uns admiraient les détails, les autres s’écroulaient sous son ampleur, mais je retrouvais en fermant les yeux les nœuds et les points démesurés que je ne connaissais que trop bien. Je frissonnai en desserrant mes bras de ma poitrine pour les poser sur la tablette boisée sitôt le froid gagnant le reste de mes membres, il finissait toujours par le faire, et apposai légèrement mon menton dans le creux de mes paumes. Les remous bruissaient dans les allées de la salle et les conversations assourdies s’élevaient sans grande emphase au fur et à mesure que les fluctuations de voix de Thomas ralentissaient pour finalement s’estomper. Je restais immobile en sentant les vibrations enfouies des escaliers se mouvoir sous les pas empressés des étudiants rejoignant la sortie et je dépliai finalement mes jambes avec lenteur lorsque les derniers passèrent le pas de la porte et s’éloignèrent dans le couloir.
Son regard se posa sur moi, un instant, avant de me traverser comme pour me transpercer et s’en retourner à ses affaires qu’il rassemblait sans grande hâte, de ces mouvements fluides et mesurés qui enveloppaient ses gestes. Cela ne m’empêcha pas de sourire avec réserve, haussant les épaules car cela ne suffisait pas, car nous ne prononcions aucun mot mais que régnait tout de même cette impression étrange de les saisir au vol alors qu’ils demeuraient ainsi, flottants et muets, palpables dans le silence retrouvé. Il n’aimait pas mon initiative, il s’en moquait, il s’en détournait, rien n’était réellement prononcé ou affirmé puisqu’il préférait me laisser dans l’expectative et que je m’y délassais sans grand désir de la troubler. Il s’agissait de se rencontrer sous de moins noires latitudes, mais rien n’était jamais amusant si nous nous laissions faire sans toujours nous contrer d’une manière ou d’une autre. Il rabattit finalement la chaise en contrebas et s’emporta dans les marches sans jamais me fixer, il n’aurait de toute manière rien trouvé puisque mon regard restait appuyé sur l’endroit qu’il venait de quitter, anticipant son passage à mes côtés, son frôlement qui ne dura pas et qu’il agrémenta seulement d’un lancement clinquant et inconnu sur le banc. Je tournai la tête pour apercevoir les clés à quelques centimètres de moi et je levai les yeux au ciel en enfermant ma paume sur leur dessus. J’attrapai mes affaires et rejoignis l’escalier à mon tour, remontant les marches que Thomas venait de marquer des effluves froids de tabac et de café qu’il laissait dans son sillage. Je le laissais passer le pas de la porte et l’arrêtai soudainement du plat de ma main que je vins plaquer sur sa chemise froissée. Le métal des clés à l’intérieur de ma paume claqua contre son torse stoïque, assourdi par le tissu de son vêtement et je poussai la porte de la salle de mon autre main. « Je n’ai pas besoin de te préciser que je ne dormais pas, n’est-ce pas ? Je me concentrais. » Je fronçai les sourcils comme s’il me paraissait inutile de le préciser, inutile qu’il en doute mais l’air sérieux sur mon visage était faussé et forcé. « Je ne peux pas en dire autant de tous tes étudiants. » laissai-je échapper en haussant les épaules, permettant à l’air navré mais bien trop mutin de prendre possession de mes pommettes rougies et de faire luire mon regard piquant. J’arquai les sourcils et relâchai finalement la pression de ma main, laissant retomber les clés contre lui, sans réellement me préoccuper de son attention à les rattraper ou non. « Ne me dis pas que tu m’en veux. » De quoi ? De ce que je venais de souligner ? De le surprendre sur son lieu de travail sans lui avoir laissé l’occasion de pouvoir répliquer aussitôt car la scène devait suivre son cours ? De l’avoir laissé choir sur le pas de ma porte sans jamais lui avoir ouvert ? De tout le reste car il excellait dans l’art d’inverser les rôles en confondant les arguments ? La malice enveloppait mes propos car son regard restait sombre mais qu’il ne me surprenait plus, ce n’était pas mon tour, car nous avions partagé d’autres infortunes malgré mes réticences à pactiser dans les afflictions ou les malheurs.
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() message posté Dim 29 Mai 2016 - 17:59 par Invité
Je marquais une pause, courte et légère, mes yeux sombres sondant les étudiants du premier rang comme du dernier alors qu’ils s’échangeaient quelques regards incertains, et je poussai un soupir exaspéré en me levant du bureau. Je saisis une craie entre mes doigts et traçai les lettres du nom qu’ils peinaient tant à réécrire. J’étais absent – si absent que mes paroles étaient comme une rivière libre, elles n’étaient qu’un flot de mots et je les oubliais en les prononçant, ne m’évertuant même plus à leur donner du sens. Je me repérais aux visages des élèves : concentrés, tout allait bien – un sourcil trop froncé et c’était le moment de reprendre mon souffle. J’allais trop vite pour eux. J’allais toujours trop vite pour eux, cependant cette fois, ce n’était pas par flegme ni par cynisme mais simplement par épuisement. Les mots tombaient en cascade de mes lèvres et c’était à eux de leur donner du sens, non à moi. Je l’ai faite, ma putain de thèse, à vous maintenant. J’aurais dû rester chez moi. Le manque de nicotine aurait été moins flagrant et j’aurais eu l’excuse d’avoir le cerveau grillé juste en laissant la télévision allumée dans la pénombre. Combien d’images mon esprit pouvait-il encore accueillir avant de ne devenir qu’un mélange fade de bruits et de couleurs ? Mes doigts craquèrent alors que je reposai la craie sur le rebord du tableau et je baissai pensivement la tête pour venir essuyer ma paume contre l’un des pans de ma veste. Je n’avais jamais soigné mon apparence, dès mes premiers jours en haut de l’estrade, de l’autre côté du bureau. Ma cravate pendait mollement à mon col, mes chemises restaient froissées et je ne cachais même plus les traces de sang qui pouvaient apparaître sur le tissu. Elsa détestait cette allure car elle disait que j’allais en mourir – mourir d’allure, voilà une expression qui me correspondait bien venant de ses lèvres innocentes et naïves. Oh, elle ne le pensait pas vraiment. En voilà une qui me croyait encore immortel, au moins dans son cœur. Car apparemment, j’avais cessé de l’être, et les étudiants le constataient chaque jour. J’aimais avoir cours le soir, pourtant. Les salles étaient moins pesantes qu’à la première heure de la matinée ou qu’en plein après-midi. On savait qu’il s’agissait des dernières minutes avant que l’on puisse retrouver la familiarité du métro et la sueur de nos draps. Les cernes sous mes yeux étaient légitimes, comme si elles naissaient avec le crépuscule alors qu’ils étaient sempiternellement incrustés dans ma peau. Ces premiers jours d’avril ne me laissaient même pas le loisir de voir le soleil se coucher derrière la coupe accidentée de l’horizon et son air allergène. On étouffait partout. Je n’avais simplement pas peur de l’assumer. On mourrait tous du cancer. Je le savais juste mieux que les autres, et on me traitait de prétentieux. D’accord : je n’étais pas un artiste mais un esthète, je n’étais pas un poète mais un critique, je n’étais pas un passionné mais le cadavre d’un dilettante qui n’avait plus rien à dire, à tel point qu’il ne s’écoutait plus parler, qu’il ne s’écoutait plus penser. Peut-être que j’allais mourir devant ma télévision, le crâne enfumé comme un disjoncteur court-circuité. J’avais tenté le saut de l’ange mais le vide m’avait repoussé. Elle était là, la différence entre le suicide rapide et l’autodestruction : le premier était égocentrique et la seconde ne faisait signe à personne, car elle était vicieuse, insidieuse, incolore et inodore, juste lente comme une malédiction, lente comme une vie qui défilait devant nos yeux avant l’instant ultime pour figer le temps, car on en avait le pouvoir – les hommes étaient des dieux en costume de fonctionnaire, ils changeaient le monde seulement après dix-neuf heures trente. Week-end et jours fériés non inclus.

Le grincement significatif de la porte, lui, m’agaçait, et ça ne changerait jamais. Les poils de mes bras se hérissèrent alors qu’on entrait dans l’amphithéâtre avec une bonne heure de retard. Je fis l’effort de ne pas lâcher le fil déjà fragile de ma pensée, parvenant tant bien que mal à lancer quelques mots, pris au hasard comme des ingrédients dans les mains d’un mauvais cuisinier. L’emphase, la sagesse, l’altermondialisme, c’était dit en français, ça paraissait sérieux alors que l’interruption m’avait fait oublier de quelle œuvre je parlais. Mes yeux ne purent s’empêcher de rencontrer la silhouette qui restait en haut des gradins et j’eus du mal à rester impassible : à la place, mon discours se suspendit l’espace d’une seconde, bien assez pour que mon regard ne devienne qu’une sombre écume réprobatrice et amère qui échoua dans sa direction. Puis la marée glissa de nouveau vers la mer et je lus le titre de l’œuvre en question sur l’un des livres qui siégeaient au premier rang. Je n’apportais même plus le mien. J’étais professeur : j’avais des privilèges et je connaissais tous les bouquins par cœur. Voilà ma définition. Mes mains se crispèrent autour du rebord du bureau et je détournai le regard pour le poser sur la vitre de la fenêtre pour y retrouver le fil de ma pensée irrégulière entre les reflets brisés. C’était toujours difficile de faire abstraction, nous en avions déjà parlé. Nous avions déjà parlé de tout, en vérité, je me demandais ce qu’elle venait me dire aujourd’hui. Je crois que tu as été assez claire la dernière fois, Lexie. Elle venait peut-être provoquer mon irritation mais la vengeance n’était pas dans ses habitudes – la rancune, plutôt, toujours bornée à en vouloir à tout le monde alors qu’elle pouvait simplement se détacher de toute émotion car c’était ainsi que l’on survivait de nos jours. Ma salive avait le goût désagréable de la vieille nicotine. Je soupirai entre deux phrases et oubliai sa présence. Elle trichait car je devais rester silencieux et ne pas briser l’axe de ma réflexion. Heureusement qu’elle ne comprenait pas un seul mot de ce qui pouvait se dire dans ce cours. Elle se serait autrement  montrée assez insolente pour l’interrompre par une question pleine de sous-entendus. Je devinais son comportement sans même l’observer : nonchalante, attentive et fière de me prendre à mon propre jeu. Fière de pouvoir me contempler dans un élément qui m’enchaînait à une institution sur laquelle je crachais sans vergogne. Ma répartie n’avait aucune valeur ici. Tu devrais te méfier, Lexie. Mes attaques sont généralement bien plus violentes que les tiennes. Mais elle ne m’attaquait pas, dirait-elle. Elle venait simplement dans mon amphithéâtre pour me fixer longuement et noter avec application toute l’étendue de ma réaction. C’était simplement moi qui le prenais comme une offensive mutine et silencieuse. J’aurais levé les yeux au ciel mais c’était vrai, elle m’empêchait de le faire. Les minutes passèrent et Lexie se fondit dans le paysage étudiant : elle aurait ressemblé à tous les autres si son visage ne me rappelait pas de mornes souvenirs. Je ressentis l’engourdissement et la lourdeur de l’air qui m’avait enveloppé sur son palier. Quelque chose avait changé : elle n’avait probablement pas accepté complètement ma venue à l’hôpital et s’était ensuite efforcée de prendre elle-même les initiatives : me fêter mon anniversaire comme si j’étais un ami, me refuser l’entrée de son appartement comme si j’étais un inconnu et me surprendre sur mon lieu de travail comme si j’étais un professeur. Elle justifiait sa présence et ses choix à chaque fois, comme pour tester ma patience puisque j’étais venu à bout de la sienne – pire encore, je l’avais arrachée, piétinée puis lancée du haut de mon immeuble et elle n’aurait jamais cru me revoir après ça. Elle n’aurait jamais cru vouloir me revoir après ça. Y avait-il une victoire des deux côtés ? Je détestais de toute façon que l’on daigne me l’accorder avec condescendance alors que je ne l’avais jamais demandée.

Les élèves évacuèrent la salle avec ce soulagement significatif que je leur connaissais bien : la plupart écoutait le cours mais je comprenais que l’horaire était difficile après une journée épuisante. L’effervescence quitta l’amphithéâtre alors que mes yeux fixaient un point dans le vide, puis enfin je les relevai pour toiser l’unique silhouette qui n’avait pas bougé. Et maintenant quoi ? Mes paupières se plissèrent légèrement pour accentuer la sévérité de mon regard, puis je déclarai forfait dans une bataille absurde que je ne voulais pas mener afin de rassembler le peu d’affaires que j’avais apporté et, surtout, trouver mon paquet de cigarettes au fond de la poche de mon manteau. Mes pas gagnèrent les marches menant à la sortie. Mon cœur s’essoufflait à mesure que je montais. J’entendis le crissement de mes côtes résonner, faisant vibrer ma carcasse jusqu’aux talons, passant à côté de la silhouette de Lexie sans marquer un quelconque ralentissement. Je laissai néanmoins retomber mon trousseau de clés sur le banc en un accord de cliquetis avant de glisser une cigarette entre mes lèvres et de continuer mon chemin vers la porte. Je ne fus pas en mesure d’atteindre le pas de cette dernière car le plat de la main de Lexie se plaqua contre ma poitrine fragile pour m’empêcher d’avancer et je fronçai les sourcils, sentant le relief des clés s’enfoncer dans ma peau. Mes prunelles sombres transpercèrent à nouveau les siennes et son regard malicieux derrière son air réprobateur m’agaça, à contrecœur. J’aurais préféré l’apprécier, comme à mon habitude. Qu’avions-nous perdu sur ce palier, près de cet aéroport ou dans cette chambre d’hôpital que nous n’avions pas déjà laissé tomber du toit de cet immeuble ? Mes mâchoires se serrèrent : elle était venue, elle savait qu’elle devait commencer à parler. « Je n’ai pas besoin de te préciser que je ne dormais pas, n’est-ce pas ? Je me concentrais. » Ma tête se pencha légèrement sur le côté. Lâche-moi. Elle maintint tout de même le contact, assez longtemps pour envoyer une nouvelle réplique en véritable comédienne : « Je ne peux pas en dire autant de tous tes étudiants. » Elle incarnait son rôle à la perfection. Assez irritante pour attiser les nerfs et assez maligne pour garder des atouts dans son jeu. Elle lâcha les clés et je les saisis de justesse avant qu’elles ne s’écrasent sur le sol. Ne savait-elle pas qu’après autant d’années de travail dans les études supérieures, les professeurs se moquaient pertinemment des cancres et des mauvais élèves ? J’avais des centaines d’étudiants. Je connaissais déjà ma réputation puisqu’elle pavait le sol des couloirs depuis que j’avais rendu mon premier paquet de copies et qu’elles avaient assez senti la cigarette pour vous filer un cancer. « Ne me dis pas que tu m’en veux. » Je ne pus me retenir et levai les yeux au ciel avant de sortir de la salle et de refermer d’un coup sec une fois que Lexie m’eut suivi. Elle m’avait pris au dépourvu, certes. Elle jouait avec nos anciens échanges, certes. Je l’avais fait mille fois avant elle, je lui accordais celle-ci de bon cœur. Je m’assurai que la porte était verrouillée puis me tournai vers Lexie en rangeant les clés dans ma poche. Je repris ma cigarette entre mes doigts et haussai les épaules. « Je sais pas. C’est quand même toi la plus rancunière de nous deux. » Mon ton était neutre mais il se voulait blessant et je ne m’en cachais pas. Elle avait pris le risque et en subissait les conséquences, mais cela l’amuserait plus qu’autre chose. Je ne la surprenais plus. Elle avait fini par me connaître et m’anticiper, ou du moins le croyait-elle. Ou du moins le croyais-je, peut-être. Mes mots acerbes et glaciaux glissaient-ils donc enfin sur le miroir de son indifférence ? Pourquoi venait-elle toujours ? Elle savait pertinemment ce qu’elle trouverait là, à ma place, dans ce costume, accroché à cette cigarette. Ou bien avait-elle un anniversaire à célébrer, à nouveau, en ma compagnie ? Je sais pas, moi, la mort d’un fœtus par exemple. Ma connerie me tuerait. « Rassure-moi, t’es pas venue pour t’assurer que j’étais sobre, quand même ? » Je feignais d’être vexé, comme à chaque fois. Puisque je tordais toujours les discussions pour qu’elles aient la forme de ma répartie. Tu penses que la surprise me fait perdre mes moyens ? Essaie encore. La question n’était même pas de savoir si je lui en voulais. La question était de savoir pourquoi j’étais venu m’échouer devant sa porte et pourquoi elle retrouvait la trace de mes pas pour les suivre et me rejoindre alors que tout ce que je lui avais montré jusqu’ici n’était qu’une succession de trous béants qui débordaient de douleur comme autant d’hématomes marbrant nos peaux blafardes. « Parce que je risquerais de te décevoir. » Encore une fois. Je voulais voir cette déception couler dans ses veines. Elle ne m’ouvrait plus la porte de chez elle. Peut-être fallait-il me dissocier de chacun des décors dans lesquels elle pouvait m’apercevoir : mon appartement, le sien, son sanctuaire, le mien, et à présent mon université. Eprouvait-elle un attachement assez grand pour me laisser une énième seconde chance ? Il me suffisait alors de simuler ma propre mort et ainsi de disparaître. Manque de chance, j’avais déjà tenté et ça n’avait pas marché.
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() message posté Mer 6 Juil 2016 - 0:07 par Invité
Il n’avait pas laissé le doute s’installer bien longtemps. Je l’agaçais et je l’avais vu à son dos raidi lorsqu’il s’était employé à remonter les marches de son amphithéâtre, prenant bien le soin de me laisser dans son sillage sans plus d’indications que ses clés lancées sur l’un des sièges abandonnés. C’était étonnant l’expression d’un dos, le sien était tout aussi expressif que ses prunelles abyssales, même s’il les croyait insondables, étonnant que sa nuque crispée eut été capable de me faire comprendre que je n’étais pas la bienvenue lorsque lui même ne l’avait pas encore décidé car il ne voulait pas m’accorder ce plaisir aussi tôt. Bien sûr que je n’étais pas la bienvenue et je le savais. Mais n’était-ce pas devenue une habitude de notre part ? Il avait lancé les hostilités. Bien sûr que je venais de m’inviter dans ce lieu qui avait pour habitude de privilégier sa parole mais qui venait de l’empêcher cette fois-ci de prononcer ceux qui l’auraient libéré de mon regard amusé et inquisiteur. Je me préparais à les entendre, ces mots, car il venait d’avoir de longues minutes pour les réfléchir et les rendre plus tranchants que jamais. Lorsqu’il m’avait fait subir le même sort à l’hôpital, j’avais rendu mes coups autrement. Ce que je n’avais pu lui exprimer au fond de mon lit et sous le regard de Julian avait été expié ensuite là où rien n’avait à être retenu : mon sanctuaire comme il l’appelait.  Mais j’avais déjà connu le sien, comment changerait-il la donne cette fois-ci ? Il s’arrêta sous la poigne de ma main contre sa poitrine à contrecœur. Nous n’avions rien fait d’usuel. Il existait partout et inévitablement des non-dits ou des reproches, des tensions ponctuées de paroles dangereuses et des silences réprobateurs ne cherchant pas à cacher leur nature, des attaques sifflées entre les dents mais qui, et tout le monde était prêt à le promettre, ne porteraient pas à conséquence comme si aucun dégât ne pouvait être irréversible. C’était mensonger et il ne mentait pas, n’est-ce pas ? Surtout Lexie, surtout, ne crois pas une seule seconde que je ne vais jamais te décevoir. Oui, cela m’avait fait sourire et je souriais encore aujourd’hui car j’en avais retrouvé la force mais lui semblait avoir arrêté de l’apprécier. Ce qu’il avait aimé, c’était ce visage modifié par la colère que je lui avais laissé apercevoir cette nuit dans son appartement. Celui-là que j’avais ensuite aperçu dans un reflet nocturne de la ville et qui m’avait déçue et enivrée à la fois. Je ne l’avais pas tout de suite reconnue mais Thomas était paru satisfait, lui, fier et contenté face à cette femme aux traits aiguisés et au regard étincelant de fureur. Bien plus que maintenant. Je l’observai lever les yeux au ciel et empêcha un mimétisme en avançant d’un pas pour le laisser sèchement claquer la porte de la salle. Il n’avait toujours pas dit un mot mais ses yeux avaient des accents que ne possédait point la langue et ses lèvres serrées et closes avaient le mérite d’être plus éloquentes que l’un de ses longs discours auxquels j’avais déjà eu droit. Ça, il le pensait. En étais-je donc arrivée au point de croire que les mots prononcés cette nuit-là étaient mensongers ? Pas jusque là. Exagérés peut-être si je voulais m’accorder quoique ce soit. Mais encore une fois, cela ne marchait qu’une fois sur deux et nous ne nous étions jamais confirmés quoique ce soit. Incapables ou réfractaires à cette idée de blesser d’abord pour ensuite dire que ce n’était pas voulu. Blesser d’abord puis, devant l’étendue du désastre, et par une curieuse déviation de nos orgueils, proposer de tout effacer et de faire comme si les coups n’avaient jamais été portés. Ils l’avaient été et les plaies étaient émoussées. Ils l’avaient été et nous ne les laissions pas cicatriser sainement puisque nous en avions portés de nouveaux, plus superficiels, mais tenaces tout de même. Puisque c’était comme cela que nous nous étions construits non ? Ou détruits, au choix. « Je sais pas. C’est quand même toi la plus rancunière de nous deux. » Je retrouvais donc ses haussements d’épaules et sa froide répartie puisque c’était ceux-là qu’il avait décidé de me présenter aujourd’hui. Je rajustais mes cheveux distraitement sur le col de ma veste en fronçant légèrement les sourcils comme si je pesais ses paroles car il y avait laissé une ouverture. « Donc c’est un non ? » J’étais ironique mais amusée. J’étais rancunière oui, mais pas susceptible et il avait tendance à tirer sur ces deux cordes pour m’entraîner d’un côté ou de l’autre. Arrivait-il encore à être surpris de l’endroit où ils finissaient par nous emmener ?
Inutile de m’attendre de sitôt. Voilà ce que je lui avais dit. C’était aussi terne et définitif qu’un désir de ne plus avoir à se voir. On ne peut plus, on est fatigués. Un aveu de faiblesse. Les mots étaient d’une banalité décevante finalement, une injure face à ceux que nous avions pris le soin de rendre destructeurs et teintés d’acerbité toutes les minutes d’avant. Mais il n’y en avait pas eu d’autres car c’était ceux là qu’il avait fallu lui dire pour refuser la victoire à l’un ou à l’autre, ceux là qu’il avait fallu lui dire pour le faire taire et que j’avais fini par lui donner, sans ciller. Mais nous n’étions pas morts, n’est-ce pas ? Moi, car la vie semblait vouloir continuer de me garder entre ses pattes comme un chat tortionnaire s’amusant avec sa proie avant de mettre fin à son agonie. Lui, car il s’était finalement convaincu d’être sa propre proie jusqu’à la fin. Et voilà ce qui arrivait à ceux, comme nous, qui avaient la chance de survivre. Nous nous battions, nous serrions les dents et nous attendions de passer à autre chose, non ? Les morts, eux, doivent se contenter de ce qu’ils ont eu, Thomas. « Rassure-moi, t’es pas venue pour t’assurer que j’étais sobre, quand même ? » J’actionnais les leviers et pouvais lui faire confiance pour les mettre en mouvement, brillant comme toujours dans le rôle qu’il s’était accordé et voulant me rappeler qu’il ne l’avait pas délaissé. Je ne cillai pas, le défiant presque de continuer, de confirmer ce qu’il était de toute façon impossible de manquer. « Parce que je risquerais de te décevoir. » Je n’eus pas besoin d’hausser les épaules avec toute l’ironie qu’il était capable de recevoir pour lui signifier de ne pas s’en inquiéter, il avait pris les devants et chassé cette appréhension depuis un certain temps déjà. « Oh tu tu t’en souviens alors ? J’ai jamais su si t’étais bien rentré. Pas un coup de fil, rien. » Mes réprimandes étaient énoncées sur ce ton indifférent qu’il finissait par connaître par cœur et mon regard finit par retrouver le sien après avoir filé sur son visage en quelques secondes à peine. Il n’avait pas besoin de me préciser qu’il n’était pas sobre. Avait-il besoin de le préciser à qui que ce soit d’ailleurs ? Il avait l’air plus malade que moi. Peut-être était-ce pour cela que je continuais de le rejoindre ou que je restais derrière ma porte lorsqu’il s’effondrait sur celle-ci ? Ou peut-être était-ce parce que nous avions joué avec le feu et que je m’étais déjà brûlée. Et que, malgré la déception et les séquelles, j’avais fini par m’habituer à la danse de la flamme avec mes sens, voire même à l’apprécier ? Ou peut-être qu’on s’en foutait. Depuis quand me souciais-je de ce que je pouvais ressentir ou non, après tout.
Est-ce que tu essaies de ressentir ou de ne plus ressentir, Thomas ? Connaissait-il l’une de ces deux sensations ou errait-il dans un entre-deux opaque et froid dont lui seul avait le secret puisqu’il l’avait créé lui-même, de toute pièce, à l’image de ses songes. Je n’aimais pas cela mais il le savait, pour quelle autre raison me le dirait-il sinon ? J’ignorais ce que ces substances étaient capables de lui procurer. Tu manques de sommeil ? Moi aussi. Je ne croyais pas en ses désirs de dépendance mais en son désir de céder à sa morbide volonté de puissance. Si les drogues donnaient la sensation d’imposer les lois de ses seuls désirs sans frein, ignorant les faiblesses et les relâchements de son corps, au mépris des lois fondamentales de la vie, je pouvais m’en détourner et il le ferait aussi. Il n’aurait pas le choix, d’une manière ou d’une autre. Il n’y avait qu’une façon de devenir poussière quantique, qu’une façon de transcender sa masse corporelle, renier ses chairs calcinées et sauver sa conscience du néant et il lui avait tourné le dos lorsqu’il était retombé du toit, du mauvais côté. Il va falloir s’accrocher maintenant. Mais qu’il prévienne quelqu’un lorsqu’il déciderait de se sevrer. Il était devenu monnaie courante que de reprendre cette citation : Si notre civilisation devait dessoûler deux jours de suite, le troisième elle crèverait de remords. Et l’auteur ne connaissait même pas Thomas. « C’est marrant, je suis celle qui continue d’être déçue mais c’est toi qui ne prends jamais la peine de m’accueillir avec un sourire. » Je n’étais pas prête à rentrer dans son jeu et à le rendre aussi acrimonieux que nous avions déjà su le faire. Je restais impassible mais il était capable de déceler les éclats de malice qui traversaient mon regard même s’ils ne lui avaient plus été destinés depuis un certain temps. Je plissai les yeux en soutenant les siens un instant et finis par hausser les épaules en inclinant le visage pour appréhender le couloir derrière nous. Nos voix et le bruit de ses soupirs et de mes sourires contenus résonnaient dans ce dernier qui portait le nom d’un écrivain oublié. J’avançai d’un pas en faisant face à son profil. « Indique-moi juste le distributeur le plus proche. J’ai oublié de manger et je suis sûre que tu connais les snacks à éviter. » J’étais certaine qu’il les évitait tous, à vrai dire, à en juger par son allure, mais je ne lui accordai pas un regard de plus car les sous-entendus de ma phrase ne cherchaient pas à être subtils. Il était anorexique et luttait pour garder cette réputation. Même si je ne me souvenais plus avoir déjà employé ce terme avec lui. Combien de temps pensait-il pouvoir tenir comme cela ? Je me demandais ce dont il se souvenait exactement, je me demandais si cela pouvait être oublié. Je comprenais cette idée de ne pas craindre la mort lorsque l’on ne pensait pas faire partie de l’existence, lorsque l’on pensait être une chose et que nous laissions l’univers en être une autre. Mais rien n’était comme cela et tout était voué à disparaître dans la nature, lui comme moi. Je laissai un sourire imperceptible se dessiner sur mes lèvres car je retrouvais mon sens de l’humour et que cela ne lui avait pas plu. Personne ne pouvait séparer la violence de son propre déni et la poésie qui s’en dégageait. Je n’essayais pas de le faire, pas avec lui. Elles étaient les deux facettes d’un élan qui maintenaient à le garder en vie, contre sa volonté, contre tous ses efforts même, et qu’il serait criminel de vouloir détruire totalement. Je ne cherchais pas à le détruire, je lui avais déjà dit. Je le préférais sobre et avisé, après tout, dans son entièreté, il pouvait me l’accorder. Je lui fournissais les arcs pour ses flèches, j’en étais consciente. Tu es venue manger, Lexie ? J’étais venue tout court et il me paraissait presque déplacé désormais d’en évoquer les véritables raisons ou de les rechercher même puisque nous n’étions plus dans l’un de ces endroits sacrés où les désirs de vulgarité comme de réconfort pouvaient s’exprimer, de minutes d’apaisement ou d’éternelle dépossession que nous avions accepté, de complicité concupiscente ou de furieux goût d’éloignement. Peu importe, ce qui avait existé ne pouvait jamais totalement disparaître, c’est ce qui rendait nos existences si pesantes.
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() message posté Lun 5 Sep 2016 - 18:25 par Invité
Le claquement sec de la porte résonnait encore dans mon crâne comme un écho à la tension qui se nouait lentement autour de nous. J’ignorai si je voulais réellement qu’elle soit là, car je savais pertinemment que Lexie comprenait vite comment s’emparer du dialogue tel le gouvernail d’un bateau qui faisait naufrage, et j’étais d’humeur acariâtre, comme à mon habitude. Cette fois cependant, ma mauvaise humeur semblait se canaliser pour venir s’échouer contre elle, mais c’était inutile : cela la faisait sourire d’autant plus, comme si j’avais perdu ma crédibilité sur le palier de son appartement. Cet interlude datait : nous avions eu de longues nuits pour y réfléchir de notre côté, était-il à présent temps de rallier nos opinions pour parvenir à une conclusion ? Il n’y a pas de conclusion, Lexie. Nous arrachions les fins pour les laisser mourir seules au fond du gouffre et nos vies ressemblaient à des étendards en lambeaux flottant malgré tout après la bataille, aux pages déchirées d’un livre que l’on oubliait sur une étagère car nos dilemmes n’intéressaient plus personne à part nous, et encore. Je restais hermétique au caractère taquin de Lexie mais elle ne ploya pas sous mon regard sévère, même si elle devinait mon agacement comme s’il avait été inscrit sur mon front en lettres noires. Il se repérait vite : mon expression était tendue, mes traits crispés, mes mains serrées. Mes veines traçaient de longs sillons violacés sous ma peau blanche, tels des lignes brisées où l’on pouvait lire toutes mes carences. Mais même sans tous ces détails, elle l’aurait deviné avec facilité, puisqu’elle s’en était amusée la dernière fois et qu’elle venait préparée. Vengeance, lisais-je dans son regard acéré, même si son but était plus subtil – s’il y en avait réellement un. « Donc c’est un non ? » Je la fixai un instant avant d’ignorer sa remarque et de m’engager dans le couloir. Mon silence comme mes mots étaient sa victoire car elle savait que j’aurais du mal à rester indifférent. J’ignorais si je lui en voulais ou si je cherchais à faire abstraction. Après tout, sa réaction pouvait se comprendre : elle avait voulu passer une soirée paisible et solitaire, finir son travail et tenter de s’endormir avant que sa colocataire ne rentre même si elle savait que c’était perdu d’avance. La placidité des lieux avait été interrompue par mon arrivée et elle était restée malgré tout, protégée par la porte mais se laissant tout de même apprivoiser par mon ton mielleux et railleur qui avait dessiné mon visage dans son esprit comme si je m’étais trouvé de son côté de la barrière. Je m’en étais rendu compte lorsque j’étais venu la voir à l’hôpital : nous avions cet étrange désir de laisser l’autre nous provoquer, simplement pour voir si nous étions capable d’anticiper ses mots et ses gestes, même si ce n’était pas le cas en fin de compte. Aujourd’hui, elle menait la danse, et elle en profitait comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Je le voyais dans l’éclat qui scintillait au creux de ses iris : il était inouï et immaculé, presque intouchable. Mais je ne voulais pas l'atteindre, pas comme les autres fois. Elle n’obtiendrait que mon ironie tranchante, au mieux, car c’était tout ce qu’il me restait à ce jour et tout ce que je laissais encore couler de ces fameuses artères étouffées par la drogue et la nicotine. Les mots ne sonnaient plus avec douceur lorsque j’étais celui qui les prononçait. Je les recouvrais de soufre et de bile pour les rendre plus sombres et critiques qu’ils ne l’étaient, noyant mon vocabulaire dans un cynisme froid et mordant comme le vent de l’hiver qui nous quittait enfin. Tu m’en veux encore ? La question me paraissait d’autant plus mesquine lorsqu’elle m’était posée, et Lexie s’efforçait de la transformer en affirmation puisque l’on tendait plus l’oreille aux ordres secs qu’aux demandes édulcorées. C’était le cas dans notre monde, en tout cas, cette dictature nommée l’existence.

« Oh tu t’en souviens alors ? J’ai jamais su si t’étais bien rentré. Pas un coup de fil, rien. » Sa voix détachée se parait de désinvolture pour jouer le jeu comme une scène de théâtre. On connaissait tous deux les répliques par cœur sans même les avoir lues au préalables. Après tout, chacune de nos rencontres s’étaient finies comme nous nous y étions attendus, creusant des rigoles dans nos émotions les plus stériles pour tenter d’y faire pousser les fruits qui y pourrissaient d’habitude, et nous y étions parvenus. La colère notamment, tel un masque de plomb sur son visage opalin, était ce qui m’avait le plus marqué à ce jour puisqu’elle était la dernière image que j’avais eu en tête avant de mourir ce soir-là pour renaître le lendemain dans un monde où je la savais capable de ressentir une telle chose. Depuis, sa peau était fissurée et les craquelures laissaient passer bien plus, même si elle ne voulait pas l’admettre. Elles laissent entrer la lumière aussi, Lexie. Nous nous acharnions à croire que nous étions faits d’un magma ténébreux au goût de cendres, mais c’était ensemble que nous atteignions les instants de grâce et de mystère qui nous effrayaient d’ordinaire. Voilà peut-être pourquoi je fermais les issues une à une en les noyant dans l’alcool et la morphine : je ne voulais pas y croire, pas vraiment, car cela aurait été m’abandonner à cette autre réalité que je n’acceptais pas, celle dans laquelle les années étaient passées sans m’attendre et qu’au lieu de devenir une rose noire et épineuse, belle car fanée, installée au sommet d’une montagne que personne ne pouvait escalader, à tel point que la fleur en était devenue son mystère, je n’étais qu’une mauvaise herbe que l’on trouvait au détour des chemins, tentaculaire et pathétique dans sa longévité car elle n’avait aucune grâce, aucune allure et qu’elle ressemblait à ses paires qui s’étalaient le long des murets délabrés. Ne m’oblige pas à trouver la lumière. J’ai bien peur qu’elle ne me brûle la rétine. Je continuai mon chemin dans le silence, lui indiquant de nouveau la nature de mon humeur mais je savais d’avance qu’il lui en faudrait peu pour que son arrogance gagne sur mon indifférence. J’étais trop fatigué pour combattre et elle s’en était rendu compte à la seconde où mon regard s’était attardé sur elle dans l’amphithéâtre. Trop fatigué pour répondre, tout simplement. L’irritation n’avait même plus de rôle à jouer : elle s’était attendu à une joute verbale cinglante et relevée, l’une de celles qui montraient que l’on pouvait toujours descendre plus bas et que les passages que nous ouvrions entre les limbes de nos pensées n’avaient pas de fin véritable, pas de conclusion. Nous n’en voulions pas car mettre un terme à ces réflexions revenait à mettre un terme à nos existences. Et nous tenions à ces dernières, malgré les apparences. Je ne l’expliquais que par l’instinct de survie tandis qu’elle s’efforçait de repousser le vide, ce même vide qui l’avait tant secouée lorsqu’elle était venue me voir sauter. Elle pouvait croire ce qu’elle voulait, elle y avait cru l’espace d’un instant, sûrement infime mais suffisant pour lui faire peur : je te parle de ce vide-là. Et lorsqu’il ne s’appliquait non pas à notre entourage mais à nous-mêmes, lorsqu’il devenait quotidien et qu’il s’installait dans la routine comme un chat dans un appartement dépourvu de caractère, il y restait. Parfois je voulais me laisser convaincre qu’elle avait eu raison mais ce sentiment logé dans ma poitrine revenait à la charge pour m’en dissuader. A la place, je venais traîner jusqu’au seuil de sa porte et lui prouver encore une fois que j’étais mi-homme mi-charogne, et que si elle recherchait l’un, elle devait supporter l’autre.    

« C’est marrant, je suis celle qui continue d’être déçue mais c’est toi qui ne prends jamais la peine de m’accueillir avec un sourire. » Je soupirai en haussant les épaules, remarquant que nous nous étions trop peu éloignés de la porte de l’amphithéâtre car Lexie nous y retenait. Je voulais sortir fumer puis m’engouffrer dans un métro bondé qui m’étoufferait jusqu’à pouvoir renaître lentement de mes cendres une fois de retour chez moi. Je la toisai d’un air terne, mes cernes soulignant la lourdeur de mon expression qui paraissait toujours lugubre sur mon visage émacié, puis secouai légèrement la tête avant de lui répondre : « C’est parce que je suis méchant. » Une ironie naturelle que n’importe quel idiot aurait pu prendre au premier degré tant mon air restait sérieux et imperturbable, mais Lexie me connaissait bien assez pour essorer toute la sévérité de mon regard et distiller l’humour noir qui le composait vraiment : les méchants souriaient, en outre. Ils étaient souvent les premiers et les derniers à le faire. Lexie me fit face et nous avançâmes lentement dans le couloir : son sourire à elle était particulier. L’agacement s’estomperait à mesure que la soirée coulerait dans nos veines épuisées, mais il prenait son temps et figeait mes traits maussades alors que Lexie faisait discrètement luire les siens d’un éclat amusé et victorieux. « Indique-moi juste le distributeur le plus proche. J’ai oublié de manger et je suis sûre que tu connais les snacks à éviter. » Mes prunelles s’assombrirent et je marchai de plus bel pour la dépasser, mon manteau flottant dans l’obscurité du couloir et laissant traîner derrière lui le parfum de ma mauvaise humeur. Pendant quelques secondes, je voulus me diriger vers la sortie car je sentais l’âpre manque me prendre à la gorge, puis ses paroles résonnèrent dans mon esprit et mes pas silencieux sonnèrent comme autant de soupirs lui étant adressés tandis que je bifurquai vers la salle des professeurs pour répondre à sa demande. Elle m’attaquait sur quelque chose de nouveau. C’était une fierté macabre qui dessinait mon squelette sous ma peau et ma maigreur maladive était longtemps restée sujette à des pensées plutôt qu’à des discours. Nous n’en parlions pas car c’était simplement un symptôme d’un mal bien plus grand qui me possédait, un mal que j’appelais la vie mais qui se nommait peut-être le cancer ou peut-être la dépendance à la morphine. Je n’utilisais pas des termes aussi vulgaires, sans savoir si je les surplombais ou si c’était au contraire eux qui me dépassaient. Mes pas nous menèrent finalement à l’une des salles d’un étage inférieur et je m’efforçai à m’enfermer dans le mutisme le plus profond jusqu’au moment de m’effondrer sur l’une des chaises, m’assurant au préalable que la pièce était vide. Il était tard, elle l’était. Nous allions peut-être être dérangés par l’un de mes collègues mais il n’était pas rare de surprendre un professeur et une élève en pleine discussion. La différence étant que je n’étais pas son professeur et qu’elle n’était pas mon élèves mais les gens avaient tendance à s’en tenir aux apparences, ce que nous nous apprenions mutuellement à éviter avec Lexie. Je lui désignai le distributeur d’un geste las avant de replier les bras sur la table centrale et y poser mon menton. Je songeai à lui demander de me servir un café mais je m’abstins, conscient que ce n’était pas ainsi qu’il fallait briser le silence. Cela aurait été une victoire trop facilement gagnée. « Qu’est-ce que tu fais là ? » La question me paraissait honnête et légitime au vu de notre dernière entrevue. Je te manquais ? Toi non. Voilà la réplique qui manquait de subtilité car il suffisait que je ne le pense pas l’espace d’une seconde pour qu’elle s’en aperçoive et que cela l’amuse d’autant plus. Je restais ainsi pragmatique et direct. Incapable de mentir correctement peut-être, mais elle était en quête de vérité après tout. « T’aurais pu amener des fleurs. » ajoutai-je dans un souffle qui se passait d’être amusé, simplement tranchant. « Quoique j’ai pas fini à l’hôpital en fait. » Je tournai la tête et laissai ma tempe reposer sur mes phalanges pour l’observer, transpercer son regard du mien et le maintenir fixe, comme une victime que l’on étranglait mais qui ne cillait pas. Pourtant elle n’était pas ma victime et j’avais à peine la force de la défier véritablement. Et elle souriait toujours, de ce sourire dont elle avait le secret, de ce secret qu’elle ne voulait pas m’apprendre.
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