Ne reviens pas ! - Freya Calloway

« Ne reviens pas. »

Ces trois simples mots me firent m’effondrer. Il n’aurait rien pu dire de plus douloureux. Mais je ne pleurai pas. Pas devant lui, pas là. Je n’ajoutai rien et obéis simplement. Je venais de perdre la seule personne qui me restait. La seule famille qui me restait. Je n’avais plus rien.

Mais ce n’est pas comme ça qu’on commence une histoire n’est-ce pas ? Il faut commencer par le début.


J’ai toujours vécu à Londres. C’est dans cette ville que mes parents se sont rencontrés et ne se sont jamais quittés. Ma mère est Italienne. Elle était simplement en voyage quand elle a fait la connaissance de mon père. Leur rencontre est typiquement l’une de ces histoires d’amour que vous ne voyez qu’à la télé. Je me souviens que quand j’étais enfant je voulais moi aussi partir dans un autre pays pour trouver mon prince charmant. Je vous en prie ne riez pas, j’avais six ans !
Tous deux avaient d’abord eu un fils, Noam, puis j’étais arrivée cinq ans plus tard. Mon père était policier. D’aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours pris pour un super-héros qui combattait le crime… un peu comme Superman mais en mieux… enfin, les collants en moins quoi. Ma mère elle, était serveuse dans un bar. Nous étions loin d’être riche mais tout était parfait. Tout avait été parfait pendant onze ans de ma vie. Tout avait été parfait jusqu’à cette nuit-là ;  jusqu’à ce vingt-trois octobre.

Mes parents furent tués. Je me souviens très clairement de cette nuit. Noam avait compris ce qui se passait et m’avait réveillé pour nous cacher dans le placard de ma chambre. Je me souviens de la pression de sa main contre ma bouche ainsi que son regard me suppliant de rester calme et silencieuse.

Suite à cela, Noam et moi avons été séparé. On m’envoya dans une autre famille alors que Noam dû aller en foyer. Nous étions tout juste orphelins qu’un inconnu décidait déjà de nous séparer. Je n’avais que onze ans et mon frère était tout pour moi. Il était la personne que j’idolâtrais. J’avais toujours voulu lui ressembler ; il c’était tellement occupé de moi.
Après ça, je suis devenue calme. Bien trop calme pour certain. La gamine qui courrait partout et qui ne pouvait arrêter de rire pouvait à présent rester des heures sans parler. J’avais perdu mes parents, j’avais perdu mon frère, je n’avais plus envie de rire. Je ne dirai pas que ma « nouvelles famille » ne s’occupait pas de moi parce que ce serait mentir. Ils s’occupaient parfaitement bien de moi. C’est juste que j’avais perdu ma joie de vivre.
Mon sourire revint quelques heures quand Noam vint me trouver après des semaines de séparation. Il m’avait trouvé.

Même si rien ne redevint comme avant, même si je n’étais plus cette petite brune pleine d’énergie, j’allais bien mieux. J’avais retrouvé mon frère et même si je ne pouvais pas vivre avec lui, je savais qu’il était là, il me l’avait promis.
Quelques temps après cette visite, il me donna un moyen de la contacter : un téléphone. Ma famille d’accueil n’y a vu aucun inconvénient. Ils étaient ravis que je sourie de nouveau, que tout aille un peu mieux. J’ai mis très longtemps avant de laisser cette famille entrer réellement dans ma vie. Je ne voulais pas de nouvelle famille, j’en avais déjà une.

Le temps passa et la vie devint plus simple. J’étais moins triste. J’appelais mon frère régulièrement. Il me manquait terriblement. Il avait pris l’habitude de m’envoyer des cadeaux de temps à autre… et de l’argent. Des sommes gigantesques. Pendant quelques années, je ne questionnais pas la provenance de cet argent. Je restais jeune et n’avais pas encore toutes les notions nécessaires concernant l’argent. Je pensais simplement que mon frère travaillait. Mais la maturité me gagnait et je commençais à comprendre que quelque chose clochait. Où pouvait-il trouver tout cet argent ?

J’avais seize ans quand il s’est fait arrêter. Trafic de drogue. Je m’en doutais, mais je ne me l'étais jamais avoué. Il était mon modèle, la personne que j’aimais le plus dans ce monde. Mon monde venait de s’écrouler. Je croyais en lui et maintenant, il risquait de disparaître à son tour. Ce fut le début d’une violente crise d’adolescente. Mes notes qui avaient toujours été correctes chutèrent, je devins irritable et passais la plupart de mes nuits dehors. Je voulais simplement oublier ce qui se passait dans ma vie, je voulais oublier ce que je risquais de perdre. Alors, je sortais. Je me perdais dans ces soirées, dans l’alcool et le reste. A mon tour, je foutais ma vie en l’air.
Le procès dura des mois. Des mois pendant lesquels je devins la personne que Noam avait été pendant cinq ans. J’avais toujours voulu lui ressembler après tout.

Neuf ans. L’annonce de la sentence arriva comme une claque. Comment pouvait-on prendre autant d’années simplement pour ça ? La fierté et la carapace que je m’étais créée m’empêchèrent de pleurer durant ce procès.
Plusieurs semaines passèrent avant que je n’aille voir mon frère en prison. J’étais tellement en colère. Je lui en voulais tellement de m’abandonner à son tour.
Ma visite au pénitencier ne ressembla en rien à la relation que j’avais pu avoir avec lui pendant dix-sept ans. C’était comme s’il n’y avait plus que de la colère. La fin de cette visite, vous la connaissez. Noam me demanda de ne plus jamais revenir le voir, pas en prison. Chose à laquelle j’obéis.

Moi qui n’avais jamais versé une larme face à toute cette histoire judiciaire, en rentrant chez moi, je m’effondrais.  Je venais de dire adieu à mon frère pour neuf ans. Je retournais toute ma chambre pleine de colère.

Et ce fut ce qui me poussa là où je suis aujourd’hui. Le moment où je réussis à me calmer, fut le moment où je pris la décision de prendre ma vie en main, de ne pas la foutre en l’air comme Noam l’avait fait.  

J’ai arrêté mes bêtises et je me suis remise à travailler au lycée. J’ai essayé d’oublier cette histoire mais j’eu beaucoup de mal les premiers mois. Comme promis, je ne retournai jamais en prison mais j’ai tout de même essayé d’appeler, sans réponse, d’envoyer des lettres, sans réponse. Finalement, j’ai obtenu mon diplôme et suis rentrée dans une université, que j’ai pu financer en partie avec l’argent que mon frère m’avait donné pendant ces cinq ans. Cependant, j’ai trouvé un travail en parallèle de ces études. Je ne voulais pas dépendre entièrement de cet argent illégal.
Je ne vais pas vous mentir en racontant que j’étais l’élève la plus modèle qui a pu exister. Parce que c’est faux. J’ai vécu ma vie. J’ai complètement tourné la page. Aujourd’hui, neuf ans ont passé et je suis à présent avocate. J’ai trouvé ma voie dans le droit.

Neuf ans ont passé et demain, je le sais, il sort de prison, pourtant je ne serai pas là.