The wolf among us.

« Maman, pourquoi tout le monde nous regarde ?
- Tais-toi et marche plus vite. »

Il est dingue de voir ou de parler à une jeune femme comme moi ; née en Lituanie, j'ai vécu en Suisse. Si bien que, lorsque je raconte les origines que j'ai, on est surpris voire choqué. Je dirais même que, moquée en Bête de foire, je suis originale. Peut-être même la fleur fanée de l'âge vient à moi alors que très jeune ; car, me rappelant bien de mon père adoptif, peu de souvenirs me viennent de mes parents, mes vrais. « Et fleurs du mal aux fleurs de fusil. » Il doit être bizarre de, d'un coup, tomber amoureuse de mathématiques et de se trouver être la meilleure en matière de racines carrées, de théorèmes ou de on ne sait quoi encore mais ne pas réussir à retrouver des bouts de sa vie ! Peut-être la peur ou même le désir de ne pas y arriver provoque cela. Comme dit, je suis née en Lituanie de parents avec quelques origines dont j'ai sûrement hérité. Extraordinaires étaient-elles ! Ne fussent-elles pas un don de la nature ?

« Le regard des autres. Chaque pupille un coup de poignard. Une main qui fouille les entrailles. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas pourquoi on chuchotait sur notre passage. Je ne comprenais pas pourquoi d’autres s’arrêtaient au beau milieu de ce qu’ils étaient en train de dire. Je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas les œufs qu’on jetait sur la façade de la maison. Je ne comprenais pas les pancartes qui étaient plantées sur la pelouse. Je ne comprenais pas pourquoi, un jour, en allant au collège, on avait peint « MEURTRIÈRE » sur la porte d’entrée avec du vrai sang. J’avais vu ma mère pleurer et s’effondrer, avant de passer l’heure suivante à récurer le bois jusqu’à s’écorcher les ongles. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Je ne comprenais rien. J’étais perdue. Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que c’est moi qu’on appelait meurtrière, criminelle, monstre ? »

Lors du moment de ma naissance, les infirmières disaient que j'étais un chef d'oeuvre de la nature. Ça a bien évidemment flatté mes parents. Ils étaient fiers d'avoir une petite fille car c'était leur rêve le plus cher. Il n'y eut plus d'enfants par la suite. Quelques mois après, à cause du boulot de mon père, nous dûmes déménager en Suisse. L'entreprise dans laquelle il travaillait, la Ryan Industries, allait être mieux accueillie là-bas qu'en Lituanie. Ce qui fit quelques avantages pour mon père : sa paye allait être augmentée. Bien augmentée car c'était quand même grâce à lui que cette entreprise marchait. Nous avions - ou plutôt mes parents, trouvé une belle maison dans un petit village. On vivait bien, avec l'argent de mon père. J'étais gâtée et ma mère avait trouvé un boulot de professeur des écoles. Ce qui nous permit de vivre dans de bonnes conditions. J'étais seulement solitaire à l'école mais ça ne me dérangeait pas vraiment. La seule personne qui était mon ami était James. James était très mignon et très drôle aussi ; c'était mon amoureux. Une des choses qui marqua mon enfance fut son assassinat. Je l'avais appris via la télévision et j'étais profondément choquée. Ensuite, je ne me souviens de presque plus rien, à part que je pleurais tous les jours. Je devais avoir quoi, 6 ans ? Et je ne comprenais rien à la vie.

Je regardais attentivement ma psy, déduisant ce que ses gestes voulaient signifier.

Saviez-vous pourquoi on m’appelait criminelle, meurtrière ou que sais-je encore ? Parce qu'on ne m'aimait pas. On me trouvait spéciale. J'étais différente des autres enfants. Eux, ils étaient de petits enfants suisses. Moi, j'étais coréenne avec quatre origines ! Quel mélange de culture ! Eux s'intéressaient aux billes, à la marelle ou que je sais encore. Moi, c'était la peinture, le vintage et JFK. Les trucs pour vieux comme ils disaient. Aussi, on me surnommait comme cela car un jour, j'ai vu mon ami James se faire battre - assez violemment - par des garçons et la seule connerie que j'avais faite, c'était de m'enfuir. On racontait que c'était moi, qui l'avait battu. J'en eus le cœur brisé mais étant enfant, j'étais pure et innocente alors je comprenais peu ce qu'on me voulait même si je savais que c'était méchant.

« La période de mon adolescence n'est pas trop floue mais je ne voudrais vous dire que quelques petites choses, mon passé étant un passé malsain et trop torturé pour que je puisse vous en faire une description des plus magnifiques. Sûrement à cause des médocs. J'allais toujours à l'école même si mes parents avaient envisagé de me faire prendre des cours par correspondance. J’eus un peu plus de temps pour peindre. J’ai toujours aimé peindre. Toutes sortes de choses : des portraits, des paysages, des cadavres, tout ce qui me passait par la tête. Sauf que je me souvenais toujours de James, et tout était vachement moins joyeux. Plus sombre et plus noir. Mais je progressais quand même. Parfois, les dosages de mes médocs étaient si hauts que je plongeais dans des sortes de transes, et je les dessinais. Ou je griffonnais mes cauchemars. Petit à petit, ça a été ma planche de salut. Pas juste un passe-temps, mais une façon d’organiser le bordel dans ma tête. De donner du sens à ce qui en avait plus. Et j’ai commencé à mettre des histoires autour de mes peintures. Et puis il y avait aussi la musique. J’étais une vraie boulimique. Du Queen surtout, mais un peu de tout. Petit à petit, j’avais eu le droit de recevoir des magazines spécialisés, et je me passais les CD offerts avec dans un vieux discman nul. »

Elle l'avait deviné, que je faisais des séjours à l'hôpital. Des séjours plus ou moins longs, des fois. Ça dépendait de mon état, de ma santé et de ce que voulait mes parents.

Mon père était un criminel qui se faisait jamais prendre. Il était trop bon, d'après les gens. Trop parfait, peut-être ? Ma mère se fit assassiner quand j'eus l'âge de 16 ans ; mon père se fit passer pour mort et son meilleur ami nommé Raymond Reddington m'adopta. A l'âge de 17 ans, j'avais fini d'écrire un bouquin : ce n'était pas du Flaubert ou du Zola mais ce n'était pas mal ; je l'avais envoyé à une maison d'édition et coup de bol, elle l'avait apprécié. Mais très vite, on a eu un problème. Si j’étais publiée, et surtout, si mon travail plaisait, des gens allaient s’intéresser à moi. Creuser. Trouver. Et c’était hors de question que ces horreurs resurgissent. Surtout qu'en plus, on m'avait diagnostiquée bipolaire en présence de Raymond une semaine avant l'avis positif. On m'a dit que pour moi, c'était génétique. Ma mère l'était, et une partie de ma famille aussi. Ça m'a fait mal d'apprendre ça. Mais je devais l'accepter. C’est mon infirmière qui m’a dit que les noms de plume existaient. Tout recommencer à zéro. Elle m’a aidée à le trouver, ce nom, qui, d'ailleurs, était très joli. J’ai failli chialer quand j'ai vu mon bouquin en librairie. Et puis, au vu de mes projets, la signature du contrat qu’on me proposait, on a estimé que je pouvais sortir, à condition de suivre une thérapie régulière sur place.
Je ne sais pas quelle chose intéressante pourrais-je dire d'autre ! J'ai déménagé à Londres quand j'eus 9 ans ; mon père adoptif ne me suivant pas dans cette démarche, malheureusement. J'écrivais de moins en moins, je peignais de plus en plus souvent. C'était un truc qui m'attirait réellement. Et peu à peu, j'ai vendu mes toiles, je me suis fait connaître. Grâce à ça. Et à mon livre, aussi. J'ai fait des études pour être scénariste, ce que je suis aujourd'hui. Et peintre. Je vis de ça.

M'avez-vous trouvé intéressante, réellement ? Mouvement de la tête de haut en bas.