Nora - Wish I could Trade Hearts with You

  La voix de l'hôtesse de l'air résonne inaudiblement alors que je me tourne vers le hublot, en redescendant mes lunettes de soleil sur mes yeux. Je ne voulais pas montrer à quel point j'étais terrifiée. Et à quel point j'en voulais à la dame assise à côté de moi, de ne pas avoir voulu échanger nos places. J'avais une peur bleue de l'avion. Mon rêve a toujours été de voyager, mais me retrouver entre les nuages, voir au-dessus, me terrifie.
Je déplie une énième fois mon magazine pour essayer de penser à autre chose. Oui, pourquoi est-ce que je suis incapable de faire ça? Moi qui suis capable de tellement? Oui, je suis capable de beaucoup. J'ai réussi mon année avec brio, et prête à commencer une nouvelle vie, à Londres. Un sourire éclaire mon visage. J'ai réussi tout ce à quoi j'ai mis tant de mal à accomplir. Je suis arrivée au tournant de mon existence, et je compte bien en profiter pleinement.

L'avion s'ébranle, je crie. On me regarde. Je m'enfouis un peu plus au fond de mon siège, bien calée contre le dossier. La grosse femme à côté de moi me lance un regard de haut en bas. Je n'y fais pas attention, je ne peux pas faire attention à quoi que ce soit. A part le magazine que je tords entre mes doigts. Et la photo qui en tombe et que je rattrape juste à temps avant que ma voisine ne s'en empare. Je partage déjà mon vol avec elle, je ne vais pas partager mes souvenirs non plus !
C'est alors que je jette un œil à la photo. Ma préférée, je ne la lâche pas. Je l'ai toujours sur moi. Elle me rappelle les moments les plus heureux de ma vie. Sur le papier glacé, on me voit sourire, au centre. Je célébrais mon quinzième anniversaire. Ma mère, couturière, à mes côtés, m'avait confectionné une magnifique robe blanche exprès pour l'occasion. Nous étions extrêmement proches toutes les deux. Complices, nous partagions énormément de choses. Tout comme avec mon père d'ailleurs, situé juste derrière elle, les mains sur ses épaules, et un sourire remplissant la totalité de son visage. Mais notre relation était beaucoup plus basée sur... la réussite. Étant sa seule et unique fille, je n'ai jamais voulu le décevoir. J'ai toujours espéré qu'il serait fier de moi, continuellement, et qu'il ne puisse jamais regretter de n'avoir eu un autre enfant, un fils. Un frère.
Un frère que je n'ai jamais eu à proprement parlé, mais que je retrouve sur cette photo. Derrière moi, m'enlaçant en riant, les mains dans les miennes, je retrouve Milo. Mon frère, mon meilleur ami, celui qui fait battre mon cœur. Nous ne nous connaissions que depuis une année, à ce moment-là, mais nous étions déjà tellement proches. Inséparables. Je souris en regardant son visage illuminé, enfantin, derrière lequel Simone s'amuse à faire des oreilles d'âne. Simone, le troisième du trio. Simone avec qui je viens de rompre... Encore. Je réalise doucement que celui que j'ai en fait toujours voulu est celui que je n'ai jamais réussi à attendre, sautant dans les bras d'un autre probablement pour me consoler ou me rassurer. N'étant pas assez forte pour réaliser mes véritables sentiments. Évidemment que j'étais amoureuse de Simone, mais pas de la même façon dont j'aimais Milo. Nous nous ressemblions peut-être trop, notre relation était sans doute trop lisse, malgré nos nombreuses ruptures. Trop passionnelle et trop platonique à la fois. Et puis en grandissant, c'est devenu un monstre sentimental, aussi.

Mademoiselle, votre ceinture. Mes yeux s’écarquillent devant l'énorme oubli que je venais... d'oublier. On allait décoller. Bientôt, je serais à Londres. Bientôt, j'aurais quitté Rome et je pourrais commencer ma nouvelle vie. Ma vie tout simplement. Bientôt, je retrouverais Milo. J'en saurais plus sur sa réaction suite à notre baiser, quelques temps auparavant. Je pourrais travailler. Trouver mon avenir. Mais pour le moment, j'étais bien trop concentrée sur ma tresse pour penser à quoi que ce soit. L'avion allait partir. Merde.